Nations Unies

CCPR/C/101/D/1763/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. restreinte*

9 mai 2011

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

101 e session

14 mars-1er avril 2011

Constatations

Communication no 1763/2008

Présentée par:

Ernest Sigman Pillai et consorts (représentés par un conseil, M. Richard Goldman)

Au nom de:

Ernest Sigman Pillai, sa femme Laeticia Swenthi Joachimpillai et leurs trois enfants, Steffi Laettitia, Markalin Emmanuel George et Izabelle Soheyla Pillai

État partie:

Canada

Date de la communication:

29 février 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 3 mars 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

25 mars 2011

Objet:

Expulsion vers Sri Lanka

Questions de procédure:

Griefs non étayés et non-épuisement des recours internes

Questions de fond:

Risque d’être arrêté et torturé en cas de renvoi à Sri Lanka; risque de violation du droit à la vie; protection d’enfants mineurs et droit à la vie de famille

Articles du Pacte:

6 (par. 1), 7, 9 (par. 1), 23 (par. 1) et 24 (par. 1)

Article s du Protocole facultatif:

2 et 5 (par. 2 b))

Le 25 mars 2011, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte ci-après en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1763/2008.

[Annexe]

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (101e session)

concernant la

Communication no 1763/2008 **

Présentée par:

Ernest Sigman Pillai et consorts (représentés par un conseil, M. Richard Goldman)

Au nom de:

Ernest Sigman Pillai, sa femme Laeticia Swenthi Joachimpillai et leurs trois enfants, Steffi Laettitia, Markalin Emmanuel George et Izabelle Soheyla Pillai

État partie:

Canada

Date de la communication:

29 février 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 25 mars 2011,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1763/2008 présentée au Comité des droits de l’homme au nom de M. Ernest Sigman Pillai et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1Les auteurs de la communication sont M. Ernest Sigman Pillai et MmeLaeticia Swenthi Joachimpillai, ressortissants sri-lankais nés en 1969. Ils disent être victimes, de même que leurs trois enfants, Steffi Laettitia, de nationalité sri-lankaise née en 2002, Markalin Emmanuel George, de nationalité canadienne né en 2004, et Izabelle Soheyla Pillai, de nationalité canadienne née en 2005, de violations du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 23, et du paragraphe 1 de l’article 24. Ils sont représentés par un conseil, M. Richard Goldman.

1.2Le 3 mars 2008 le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial pour les nouvelles communications et les mesures provisoires, a, en application de l’article 92 de son règlement intérieur, demandé à l’État partie de ne pas renvoyer les auteurs vers Sri Lanka tant que la communication serait en cours devant le Comité.

Rappel des faits présentés par les auteurs

2.1Les auteurs se sont mariés à Sri Lanka en 1993. Leur fille ainée, Steffi, est née le 4 juillet 2002, alors qu’ils habitaient à Mattakuliya (Colombo). La famille est de religion chrétienne tamoule. Après leur arrivée au Canada, le 8 mai 2003, leur fils Emmanuel et leur fille Izabelle sont nés, le premier en avril 2004, la seconde en novembre 2005. Tous deux ont la nationalité canadienne. Les auteurs ont mené une vie relativement calme jusqu’en 1999, où ils se sont retrouvés pris entre les LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul) d’un côté, et la police sri-lankaise de l’autre. Ils ont fait l’objet de multiples menaces et d’extorsion de fonds de la part des Tigres. Comme MmeJoachimpillai était originaire de Jaffna (au nord) elle a été prise pour cible par les Tigres qui pensaient trouver en elle une sympathisante. La police aussi l’a prise pour cible voyant en elle une probable sympathisante des Tigres. Les auteurs ont été arrêtés à deux reprises par la police qui les soupçonnait d’aider les Tigres, d’abord en juillet 2001, puis en février 2003. Tous deux ont été torturés quand ils étaient en détention dans les locaux de la police.

2.2Pendant la première période de détention, en 2001, M. Pillai a reçu des coups de pied à l’aine et a été tenu en joue par un policier. MmeJoachimpillai a été passée à tabac et violée. Tous deux ont été relâchés au bout de deux jours sur l’intervention de la mère de M. Pillai. Pendant la deuxième période de détention, en 2003, le policier qui interrogeait M. Pillai l’a frappé à coups de poing à l’estomac et lui a écrasé le pied avec sa botte. Puis, un autre policier a apporté un pot plein de braises dans lequel il a jeté des piments séchés, et ils ont maintenu la tête de M. Pillai dans la fumée qui se dégageait. M. Pillai étouffait, la fumée le brûlait, il avait l’impression qu’il était en train de mourir. MmeJoachimpillai dit qu’elle non plus n’a pas été épargnée pendant ses quatre jours de détention. Elle a été passée à tabac, traînée par les cheveux, et on lui a mis un revolver dans la bouche. Elle a été de nouveau violée. Après avoir été relâchés, après la deuxième période de détention grâce à l’intervention de la famille de M. Pillai, ils ont quitté le pays. Ils sont arrivés au Canada avec un visa de visiteur le 8 mai 2003 et ont demandé l’asile politique le 21 mai 2003.

2.3Parmi les preuves présentées à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) figure un rapport de diagnostic établi par un psychothérapeute (David Woodbury) faisant état, pour M. Pillai, de troubles post-traumatiques, attribués aux menaces dont lui-même et sa femme ont été victimes de la part des Tigres, aux extorsions de fonds dont ils ont tous deux été la cible de la part des Tigres, et de l’arrestation, de la détention et des sévices que l’un et l’autre ont subis. Il est dit encore dans le rapport que «les symptômes des troubles post-traumatiques ressemblent souvent aux comportements que nous associons à de la sournoiserie, à de la fausseté ou au mensonge», qu’il est possible que la relation de pouvoir apparent entre les membres de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) et le requérant rappelle au requérant la relation tortionnaire-victime et partant «exacerbe encore les symptômes intenses d’anxiété et de panique» qu’il manifeste, ce qui pourrait entraîner entre autres symptômes une «confusion due à un degré d’excitation autonomique extrêmement élevé (et) des difficultés de concentration». Toute appréciation de la crédibilité du témoignage de M. Pillai devait absolument prendre en compte ces éléments. Le psychothérapeute ajoutait enfin qu’il fallait que la victime se sente en sécurité dans son environnement, ce qui n’était possible que si elle se trouvait loin de son tortionnaire. Il recommandait donc que les auteurs demeurent sur le territoire de l’État partie pour s’engager dans une nouvelle vie et tenter de se rétablir. Autre pièce présentée comme preuve à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, une lettre du médecin des auteurs, M. Pierre Dongier, qui recommandait que la femme de M. Pillai, qui semblait plus forte et moins traumatisée que son mari, représente les requérants devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

2.4La demande de statut de réfugié a été examinée le 24 janvier 2005 et rejetée le 15 février. La Présidente de la Commission a fait mention de la recommandation du docteur Dongier invitant le tribunal à interroger MmeJoachimpillai plutôt que son mari, mais ne l’a pas suivie. D’après les auteurs, elle a reproché au docteur Dongier de ne pas avoir indiqué les tests auxquels il avait procédé mais sans avancer d’argument d’ordre médical pour justifier le rejet de sa recommandation. Elle aurait aussi préféré s’en tenir à sa propre appréciation de la capacité de M. Pillai de témoigner plutôt que de tenir compte de celle qui était contenue dans le rapport de diagnostic de M. Woodbury. Elle a conclu, sans avancer d’argument d’ordre médical pour justifier le rejet de l’avis du spécialiste ou mettre en doute ses compétences professionnelles, que si M. Pillai mélangeait les dates de ses voyages à l’étranger et des prétendues extorsions de fonds dont il avait été victime de la part des Tigres, ces difficultés avaient davantage à voir avec la crédibilité de ses allégations qu’avec son état psychologique.

2.5Les auteurs ont présenté une demande d’autorisation d’appel devant la Cour fédérale, qui a été rejetée le 24 mai 2005 sans motifs. Les auteurs rappellent que pour les demandes d’asile le contrôle judiciaire au Canada comporte deux étapes. Pendant la première, le requérant doit demander l’«autorisation», c’est-à-dire la permission de demander audience à la Cour. Ce n’est que si l’«autorisation» est accordée que l’on passe à la deuxième étape, soit l’audience de la Cour fédérale. Si l’«autorisation» est refusée, les raisons de la décision ne sont pas indiquées et la décision est sans appel. L’autorisation n’est accordée que dans 10 % des cas. De plus, pour les questions de crédibilité et l’appréciation des éléments de preuve c’est la norme de la décision «manifestement déraisonnable» qui est appliquée et non pas la norme de la décision «correcte» laquelle est de règle dans tout véritable appel sur le fond.

2.6Les auteurs ont présenté le 11 avril 2007 une demande d’évaluation des risques avant renvoi qui a été rejetée le 28 décembre 2007 (la décision leur a été communiquée le 13 février 2008) au motif qu’il n’existait pas de preuves que les Tigres de libération de l’Eelam tamoul poursuivent les personnes qui refusaient d’exécuter des tâches modestes et qu’on ne pouvait donc pas considérer que les auteurs couraient des risques s’ils rentraient dans leur pays d’origine. Les auteurs ont demandé un permis de séjour pour des motifs d’ordre humanitaire. Leur demande a été rejetée le 28 décembre 2007 et la décision leur a été communiquée le 13 février 2008. Les auteurs précisent que pour la décisionfondée sur des motifs d’ordre humanitaire, c’est l’agent d’examen des risques avant renvoi qui a procédé à l’analyse des «risques» initiale qui est chargé d’examiner l’affaire. Dans ces conditions «il n’y a rien d’étonnant» à ce que l’analyse de l’agent reflète strictement la décision qu’il avait prise suite à l’examen des risques avant renvoi. La seule différence était que, contrairement à la décision consécutive à l’examen des risques avant renvoi, la décision fondée sur des motifs humanitaires reconnaissait qu’il existait un risque de placement en détention pour les requérants.

Teneur de la plainte

3.1Les auteurs déclarent être victimes de violations par l’État partie du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24.

3.2En ce qui concerne l’audition devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 24 janvier 2005, les auteurs font valoir que M. Pillai avait du mal à témoigner devant la Commission et que le fait qu’il ne se soit pas rappelé certaines dates ou certains détails, de même que certaines incohérences de ses propos ou contradictions avec le témoignage de sa femme, ont été utilisés pour refuser le statut de réfugié au motif que ses déclarations étaient dénuées de crédibilité. D’après les auteurs, ce prétendu «manque de crédibilité» était dû en grande partie au fait que la Présidente de la Commission s’en était tenue à sa propre opinion sur la capacité de témoigner de M. Pillai et qu’elle avait ignoré celle de deux professionnels de la santé. En outre, les incohérences et les trous de mémoire qu’elle a invoqués pour fonder sa décision ne portaient pas sur les éléments essentiels de la demande − extorsion de fonds, détention et torture − mais sur des détails annexes comme des dates, ou le nombre de Tigres tamouls présents à un certain moment. Les auteurs ajoutent que les sévices et les mauvais traitements qu’ils disaient avoir subis concordaient avec tous les rapports sur la situation des droits de l’homme de cette période, dont ceux qu’ils avaient présentés comme preuves. Ils rappellent la position du Comité qui a toujours considéré que, quand l’expulsion est imminente, le moment auquel il convient de se placer est celui de l’examen de l’affaire par le Comité. En conséquence, même si la conclusion de la Présidente de la Commission qui a estimé que les Tamouls n’étaient pas persécutés par les LTTE à Colombo était valable au moment où la CISR a rendu sa décision (février 2005), les informations dont on dispose aujourd’hui montrent que la situation a considérablement changé depuis. D’après les auteurs, les éléments de preuve montrent que, actuellement, ils courraient un risque considérable de subir des violences de la part des autorités sri-lankaises à Colombo.

3.3En ce qui concerne la demande d’autorisation en vue du contrôle judiciaire par la Cour fédérale, qui a été rejetée le 24 mai 2005, les auteurs font valoir qu’il n’existe pas de véritable appel sur le fond pour les décisions de la CISR, même si la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés contient des dispositions portant création, au sein de la CISR, de la Section d’appel des réfugiés qui était censée exercer ces fonctions. Or ces dispositions n’ont jamais été promulguées. En conséquence, les auteurs estiment qu’ils n’ont pas eu la possibilité de contester le fondement de la décision négative de la CISR.

3.4Les auteurs affirment en outre que l’examen des risques avant renvoi, procédure que les demandeurs d’asile déboutés peuvent engager quand le Canada estime que tous les éléments sont réunis pour qu’ils soient expulsés, n’est pas conçu comme une forme de recours contre la décision de la CISR. Ils considèrent qu’il s’agit d’un recours qui pose problème, en grande partie parce que la décision est prise par des fonctionnaires du Ministère de la citoyenneté et de l’immigration et non par un tribunal indépendant. D’après les auteurs, les principales conclusions de l’agent d’examen des risques avant renvoi ne correspondaient pas avec les éléments de preuve présentés. L’agent a conclu par exemple que les auteurs n’avaient pas démontré qu’ils encourraient plus de risques que le reste de la population. Les auteurs renvoient à un rapport du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) de décembre 2006 sur les risques encourus par les Tamouls à Colombo, ville où résidait la famille Pillai. Dans ce rapport le HCR indique qu’il existe un risque accru que ces personnes soient arrêtées ou tout au moins fassent plus systématiquement l’objet de contrôles de sécurité. Il précise également que les Tamouls de Colombo et de sa périphérie sont particulièrement exposés à un risque de disparitions forcées et des meurtres. Quant aux Tamouls du nord et de l’est, en particulier des zones contrôlées par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), ils sont perçus par les autorités comme des membres ou des partisans potentiels des LTTE et sont d’autant plus exposés au risque d’être arrêtés, détenus, enlevés ou même tués. Toujours selon ce rapport, aucun Tamoul du nord ou de l’est ne devrait être renvoyé de force tant que la situation dans le domaine de la sécurité ne se sera pas sensiblement améliorée à Sri Lanka. Les auteurs de la communication déclarent que l’agent d’examen des risques avant renvoi avait en main le rapport du HCR quand il a rendu sa décision, le 28 décembre 2007. Il l’a pourtant ignoré, alors qu’il s’est bien référé à neuf autres sources, gouvernementales et non gouvernementales.

3.5Les auteurs évoquent également la position de la Cour européenne des droits de l’homme qui, à l’époque où ils avaient présenté leur communication, avait adopté des mesures provisoires de protection pour toutes les requêtes émanant de Tamouls menacés de renvoi à Sri Lanka. La Cour avait même adressé une lettre à la France et au Royaume-Uni pour leur demander de cesser de prendre des arrêtés d’expulsion à l’égard des Tamouls qui avaient peur de retourner à Sri Lanka. Le HCR s’est félicité de ces décisions. Les auteurs estiment que cela montre bien que le HCR comme la Cour européenne des droits de l’homme estiment que les Tamouls courent plus de risque «que le reste de la population» à Sri Lanka.

3.6Les auteurs contestent également l’analyse de l’agent d’examen des risques avant renvoi qui a considéré qu’il n’y avait pas de preuve que les personnes passibles de poursuites pour des infractions graves recevraient un traitement inéquitable en vertu des dispositions de la loi sri-lankaise. Ils citent le rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture qui s’est rendu en mission à Sri Lanka en octobre 2007, et qui a conclu que la torture était largement pratiquée à Sri Lanka. Selon les auteurs, cette conclusion du Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture, dont le rapport a été publié deux mois avant que l’agent d’examen des risques avant renvoi rende sa décision a, au même titre que le rapport du HCR, été ignorée par l’agent. Face à la position de l’agent considéré qui estime qu’il n’existe pas de preuve que les LTTE poursuivent les personnes qui refusent d’exécuter des taches modestes, les auteurs renvoient au rapport de 2006 dans lequel le HCR dit, notamment, que les personnes qui refusent de soutenir les LTTE ou qui sont perçues comme des partisans ou des sympathisants du Gouvernement risquent d’être victimes de violations graves de leurs droits fondamentaux de la part des LTTE. Les Tamouls qui sont perçus comme des opposants aux LTTE, et ceux qui sont soupçonnés d’être des informateurs du Gouvernement, ceux qui sont des membres actifs d’autres partis politiques, et même ceux qui occupent au Gouvernement des positions subalternes, encourent le risque d’être assassinés. Selon les auteurs, le simple fait de refuser de soutenir les LTTE peut donc avoir des conséquences graves, ce qui correspond à ce qu’ils affirment quand ils disent avoir été victimes de menaces et d’extorsion de fonds de la part des LTTE.

3.7Les auteurs relèvent encore la conclusion de l’agent d’examen des risques avant renvoi pour qui les autorités sri-lankaises sont à même d’offrir une protection suffisante aux Tamouls dans les régions qui sont sous leur contrôle. Ils déclarent que cette conclusion fait abstraction du fait que l’État sri-lankais est un agent de persécution des Tamouls de souche, en particulier ceux qui ont fui les zones contrôlées par les LTTE pour se réfugier dans les zones contrôlées par l’État. De plus, la torture est largement pratiquée par plusieurs branches du Gouvernement. On voit mal comment les Tamouls pourraient compter sur le Gouvernement pour les protéger. Les auteurs ajoutent que si l’on interprète la conclusion de l’agent dans un sens plus étroit comme signifiant que «les autorités publiques sri-lankaises sont à même d’empêcher les LTTE de s’en prendre à des personnes dans les zones contrôlées par l’État», cette interprétation elle aussi est erronée. Ils réaffirment que les LTTE peuvent localiser des opposants et s’en prendre à eux «dans tout le pays».

3.8Les auteurs font valoir qu’ils risquent d’être mis arbitrairement en détention s’ils sont renvoyés à Sri Lanka. Dans le cadre de l’examen de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’agent d’examen des risques avant renvoi avait conclu qu’étant donné que le pays était en état d’alerte, il existait un risque que les auteurs soient placés en détention provisoirement par les autorités sri-lankaises à Colombo. En revanche, comme leur implication dans les LTTE était marginale, il était peu vraisemblable qu’ils fassent l’objet de poursuites. Si leur origine tamoule les exposait à être mis en détention, les éléments disponibles ne permettaient pas de dire que cette discrimination avait des conséquences graves. Selon les auteurs, la première conclusion à tirer des affirmations qui précèdent est que l’agent a reconnu qu’ils étaient en effet particulièrement exposés à des violences en raison de leur appartenance à l’ethnie tamoule, contrairement à ce qui était constaté dans la décision consécutive à l’examen des risques avant renvoi selon laquelle ils «ne courent pas plus de risques que le reste de la population». La deuxième conclusion, toujours selon les auteurs, est que même si l’agent qualifie la détention arbitraire de simple «discrimination», ce qui est déjà contestable, et constate en dernier ressort que cela ne suffit pas pour faire droit à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le droit de ne pas faire l’objet d’une détention arbitraire est un droit protégé en vertu du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. L’agent considéré a donc reconnu que les droits que les auteurs tiennent du Pacte risquaient d’être violés s’ils étaient renvoyés à Sri Lanka. La dernière conclusion est que l’agent a une fois de plus ignoré les preuves de torture et autres sévices qui sont infligés aux personnes détenues par les autorités sri-lankaises en affirmant que «les éléments de preuve disponibles» ne permettent pas de dire que la mise en détention «a des conséquences graves».

3.9Les auteurs font observer que l’agent d’examen des risques avant renvoi appelé à statuer sur une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire devait prendre en considération l’intérêt supérieur des enfants mineurs touchés par cette décision. Or, au lieu de tenir compte de l’intérêt supérieur des trois enfants mineurs ou d’examiner s’il serait dans l’intérêt supérieur de ces trois enfants de rester au Canada plutôt que d’être expulsés et confrontés «à la violence et au chaos qui règnent à Sri Lanka», il s’est contenté de dire que comme les enfants sont jeunes et que «la famille reste l’élément essentiel de leur développement social», il «estime qu’ils pourront s’adapter sans difficulté à la société sri-lankaise». Selon les auteurs, l’agent n’a pas cherché à voir si le renvoi était conforme à l’intérêt supérieur des enfants compte tenu des menaces qui compromettraient leurs conditions de vie à Sri Lanka même celles, limitées, qu’il avait reconnues (détention arbitraire due à leur appartenance à l’ethnie tamoule), sans parler de celles qui ressortaient des nombreux éléments de preuve décrits ci-dessus et qu’il avait ignorés. Les auteurs estiment qu’il n’y a pas eu d’évaluation objective. Dans ces conditions, ils font valoir que renvoyer leurs trois enfants mineurs à Sri Lanka constituerait une violation des droits de ces derniers au regard du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

3.10Les auteurs ajoutent que dans la mesure où l’expulsion vers Sri Lanka compromettrait l’équilibre des parents, en particulier du père qui, selon le diagnostic d’un spécialiste, souffre de troubles post-traumatiques, ce qui risquait de les priver des soins et de la protection de leurs parents, elle constituerait aussi une violation des droits des enfants au regard du paragraphe 1 de l’article 23 du Pacte. Bien que les deux plus jeunes enfants aient la nationalité canadienne et ne devraient donc pas être expulsés du Canada, s’ils ne suivaient pas le reste de la famille à Sri Lanka dans le cas où ces derniers seraient expulsés ils en seraient réduits à rester au Canada sans protection. Cette éventualité constituerait une violation des droits qu’ils tiennent du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

3.11Enfin, les auteurs renvoient enfin à un avis rendu par la section francophone d’Amnesty International-Canada le 27 février 2008 selon lequel la famille Pillai serait en danger si elle était renvoyée de force à Sri Lanka, que ce soit au nord d’où Mme Joachimpillai est originaire ou à Colombo où la famille a vécu de nombreuses années. La section francophone d’AI a estimé en outre que la demande de la famille qui souhaitait ne pas être expulsée de force à ce moment-là devait être respectée et que le Canada devait trouver un moyen de lui offrir une protection afin de s’acquitter de ses obligations internationales.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et commentaires de l’auteur

4.En date du 7 août 2008, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication en raison du non-épuisement des recours internes. Le 27 février 2008, les auteurs ont déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision consécutive à l’examen des risques avant renvoi et de la décision sur la demande pour motifs d’ordre humanitaire en date du 28 décembre 2007. Le 29 février 2008, sans attendre que la Cour fédérale ait statué sur la demande d’autorisation, les auteurs ont soumis au Comité la présente communication. Le 3 juillet 2008, la Cour fédérale a les demandes d’autorisation en vue du contrôle judiciaire présentées par les auteurs. L’audition consacrée aux deux demandes de contrôle judiciaire était prévue pour le 30 septembre 2008. L’État partie demande en conséquence au Comité de déclarer la communication irrecevable pour non-épuisement des recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

5.En date du 20 octobre 2008, les auteurs ont répondu aux observations de l’État partie sur la recevabilité. Ils font valoir qu’ils ont présenté la communication au Comité avant la date prévue pour l’audition concernant la demande d’interruption de la procédure judiciaire parce qu’ils craignaient, si leur demande était rejetée, d’avoir trop peu de temps ou de ne pas avoir du tout de temps pour présenter une communication au Comité. Il arrive en effet que la décision d’interruption d’une procédure judiciaire soit rendue quelques heures à peine avant l’expulsion. Les auteurs ajoutent que le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire pour une décision négative faisant suite à l’examen des risques avant renvoi ou d’une décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’a pas en tant que tel d’effet suspensif sur l’exécution d’un ordre d’expulsion. En d’autres termes, les ordres d’expulsion émis à leur encontre restent valables en droit.

6.Le 1er décembre 2008, l’État partie a fait savoir au Comité que les demandes de contrôle judiciaire présentées par les auteurs avaient été rejetées, et que la procédure judiciaire interne était close. En conséquence, l’État partie fait part au Comité de son intention de présenter ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication sous réserve que celui-ci lui accorde un plus long délai à cet effet.

Observations supplémentaires de l’État partie sur la recevabilité et observationssur le fond

7.1Dans une note du 17 février 2009, l’État partie fait part de ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication. Il déclare que les griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 sont irrecevables faute d’être étayés puisque les auteurs n’ont pas établi qu’il y avait matière à plainte. L’État partie fait valoir que la communication est fondée sur les mêmes faits et les mêmes preuves que ceux qui ont été présentés aux tribunaux canadiens et à l’agent chargé de l’examen des risques, dont les décisions ont été réexaminées et confirmées par la Cour fédérale. Aucun élément nouveau ne permet de penser que les auteurs encourent personnellement un risque de subir des tortures ou des mauvais traitements à Sri Lanka. L’État partie rappelle qu’il n’appartient pas au Comité de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des éléments de preuve, sauf si l’appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Les documents présentés par les auteurs ne permettent pas de conclure qu’il en ait été ainsi. Pour ce qui est des allégations des auteurs au regard de l’article 9, l’État partie considère qu’elles sont incompatibles avec les dispositions du Pacte ou, à titre subsidiaire, qu’elles sont irrecevables faute d’être étayées. Il estime que l’article 9 n’est pas d’application extraterritoriale et n’empêche pas un État d’expulser un ressortissant étranger vers un pays où celui-ci dit courir le risque d’être arbitrairement arrêté ou mis en détention. Si le Comité devait considérer que les allégations sont recevables, en tout ou en partie, l’État partie lui demande de conclure qu’elles sont dénuées de fondement.

7.2L’État partie fait observer que dans leur demande de statut de réfugié, datée du 21 mai 2003, les auteurs déclarent avoir fait l’objet de menaces et d’extorsion de fonds de la part des LTTE, notamment parce que Mme Joachimpillai est originaire de Jaffna, où les Tigres ont l’appui d’une bonne partie de la population. Les auteurs disent que pour la même raison ils ont été la cible de la police qui les soupçonnait d’être des partisans des Tigres. En janvier 1999, M. Pillai a ouvert un négoce appelé «Emanuel Communication» qui, d’après les auteurs a été à l’origine des problèmes qui les ont obligés à fuir le pays. Les auteurs déclarent qu’en octobre 1999 trois jeunes Tamouls se présentant comme des membres des Tigres ont fait irruption dans la boutique et ont reconnu Mme Joachimpillai pour l’avoir vue à l’époque où elle habitait à Jaffna. Ils sont revenus quelques jours plus tard et lui ont demandé de cacher un de leurs compagnons; comme elle refusait, ils lui ont pris sa chaîne en or. En 2000, les Tigres seraient revenus trois fois pour extorquer de l’argent aux auteurs. À la même époque, plusieurs Tamouls avaient pris l’habitude de venir à la boutique pour téléphoner. Des policiers venaient souvent à la boutique et avaient demandé à M. Pillai de lui signaler toutes les personnes qu’ils soupçonnaient d’être des membres des Tigres.

7.3Le 28 juillet 2001, les LTTE ont attaqué l’aéroport international de Sri Lanka. Les auteurs disent qu’ils ont été emmenés quelques jours plus tard au poste de police pour être interrogés. M. Pillai aurait reçu des coups de pied et été mis en joue. Mme Joachimpillai aurait été passée à tabac et violée. Ils ont été relâchés au bout de deux jours. En janvier 2003, M. Pillai s’est lancé dans la vente de cassettes vidéo. Le 2 février 2003, six jeunes Tamouls se seraient présentés à sa boutique en lui demandant de vendre des cassettes vidéo des LTTE. Malgré son opposition, ils lui auraient dit qu’ils lui en apporteraient sous peu. Deux jours plus tard, les auteurs étaient arrêtés par la police, soupçonnés d’être partisans des Tigres. Selon eux, M. Pillai avait été torturé et Mme Joachimpillai avait été passée à tabac, violée et mise en joue. Tous deux avaient été relâchés quatre jours plus tard et avaient été enjoints de se présenter à la police une fois par semaine, ce qu’ils avaient fait jusqu’à leur départ pour le Canada en mai 2003. Dans leur demande de statut de réfugié ils faisaient valoir que s’ils étaient renvoyés à Sri Lanka ils risquaient de continuer de faire l’objet d’extorsion de fonds de la part des LTTE et d’être à nouveau mis en détention et torturés par la police, voire tués.

7.4Le 24 janvier 2005 a eu lieu l’examen de la demande de statut de réfugié par la Section de la protection des réfugiés de la CISR, laquelle, l’État partie tient à le souligner, est un tribunal indépendant et spécialisé. Les auteurs ont eu la possibilité d’être entendus afin de dissiper tout malentendu éventuel. Dans sa décision, la Commission déclare que les auteurs ne sont ni des réfugiés ni des personnes à protéger et elle relève l’absence d’un minimum de fondement de la demande. La CISR est arrivée à la conclusion que les auteurs n’avaient pas démontré que M. Pillai était propriétaire du centre de communication qui était à l’origine de tous leurs problèmes. L’État partie souligne que l’argument selon lequel M. Pillai était propriétaire du centre de communication entre 2001 et 2003 était un élément clef de la demande, puisque les problèmes qui avaient poussé les auteurs à quitter le pays étaient étroitement liés à cet état de fait. Or, même si M. Pillai s’était inscrit au registre du commerce comme gérant un bureau de communication en 1999, il n’avait pas établi, selon la règle de la prépondérance des probabilités, qu’il en était toujours propriétaire entre 2001 et 2003. Un des éléments qui avaient conduit à mettre sérieusement en doute son statut de propriétaire tient à ce que le seul document en faisant foi était un «certificat d’enregistrement d’un commerce privé» daté du 23 janvier 1999. En outre, aucun des auteurs n’a été capable de donner l’adresse du centre en question. En revanche, M. Pillai se rappelait parfaitement l’adresse de son domicile ou celle du négoce de son oncle.

7.5L’État partie ajoute qu’en 2001 M. Pillai a ouvert un nouveau négoce d’importation de tissus et de pièces détachées d’automobiles. En 2001 ou 2002 (les pièces concernant ces dates sont contradictoires), il s’est rendu en Inde, en Indonésie et au Congo pour affaires. Ce fait, ajouté au manque de concordance des dates, a amené la Commission à tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité de l’allégation de l’auteur qui disait toujours tenir son centre de communication en 2001. De plus, dans sa demande de visa de visiteur, en 2003, M. Pillai indiquait que son employeur du moment était «Muthuwella Motors Store». Devant le fonctionnaire chargé de la délivrance des visas, il a déclaré qu’il avait travaillé cinq ans dans le domaine des pièces détachées. Il n’a pas dit qu’il avait dirigé un centre de communication. En revanche, devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, il a dit qu’il avait cessé de travailler dans le secteur automobile en 2002. Il n’a pas été en mesure de donner une explication raisonnable du manque de cohérence entre les réponses qu’il avait faites au fonctionnaire du service des visas et devant la Commission.

7.6L’État partie ajoute que la CISR a considéré que la crédibilité des auteurs était grandement compromise du fait des incohérences entre ce qu’ils avaient déclaré comme des éléments essentiels dans le formulaire sur les renseignements personnels à remplir par les demandeurs d’asile au Canada et leurs déclarations devant la Commission. Pour ces incohérences factuelles, les auteurs n’ont pas pu donner d’explications satisfaisantes. Malgré les incohérences, la Commission a examiné le risque de persécution encouru par les auteurs et elle a estimé que d’éventuelles extorsions de fonds de la part des LTTE ne pouvaient pas expliquer le départ des auteurs de Sri Lanka puisque les extorsions avaient eu lieu en 2000, soit trois ans avant leur arrivée au Canada. Le 24 mai 2005, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation en vue du contrôle judiciaire de la décision de la CISR présentée par les auteurs au motif qu’il n’y avait pas matière à contester la décision ou qu’il ne restait pas à statuer sur une question grave.

7.7En ce qui concerne la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, l’État partie précise que l’analyse est confiée à un fonctionnaire qui procède à un examen approfondi et complet en vue de déterminer s’il y a lieu d’accorder le permis de séjour permanent à un individu pour des motifs humanitaires. Quand l’intéressé déclare qu’il encourrait des risques en cas de renvoi, ce qui est le cas des auteurs, le fonctionnaire examine les risques auxquels il pourrait être exposé dans le pays de renvoi. Quand la demande est fondée sur les risques encourus dans le pays d’origine, ce qui est le cas des auteurs, la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est confiée à un agent d’examen des risques avant renvoi spécialement formé. Le 28 décembre 2007, les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ont été rejetées. L’agent a considéré que même si le cessez‑le‑feu avait été levé à Sri Lanka, les principaux problèmes d’insécurité se posaient dans le nord et l’est du pays, et non dans la région de Colombo où les auteurs habitaient. Le même agent, qui est tenu de prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant, avait également estimé que les enfants de l’auteur auraient accès à des soins médicaux et à l’éducation dans le pays et qu’ils réussiraient à s’adapter à la vie sri-lankaise.

7.8À propos de la demande d’examen des risques avant renvoi, l’État partie souligne que cette tâche est confiée à des fonctionnaires hautement qualifiés qui prennent en considération les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que de la Convention contre la torture et de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme. Ils se tiennent également au courant de l’évolution de la situation dans les régions considérées et ont accès aux informations les plus récentes. Le 28 décembre 2007, la demande d’examen des risques avant renvoi a été rejetée. L’agent chargé de l’affaire a reconnu que depuis l’audition de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié consacrée à l’examen des demandes, la situation dans le domaine de la sécurité s’était dégradée, mais surtout dans le nord et l’est du Sri Lanka, et non à Colombo. Il a estimé néanmoins que rien dans les informations présentées n’étayait l’allégation que les auteurs courraient un risque personnel d’être persécutés, assassinés ou torturés. Les auteurs n’avaient donc pas démontré qu’ils seraient plus exposés que le reste de la population. L’agent a estimé que l’extorsion de fonds par les LTTE, même si elle était avérée, ne pouvait pas être assimilée à de la persécution. Quant au risque d’être soumis à la torture par les autorités sri‑lankaises, il a estimé qu’il n’était guère probable que les auteurs en soient la cible étant donné qu’ils étaient très peu impliqués dans les agissements des LTTE. Le 25 novembre 2008, la Cour fédérale a révoqué les demandes de contrôle judiciaire des auteurs et confirmé la conclusion de l’agent d’examen des risques avant renvoi.

7.9L’État partie estime que les griefs des auteurs au regard du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 ne sont pas suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. Il tient à souligner qu’il n’appartient pas au Comité de revenir sur des conclusions concernant la crédibilité auxquelles sont parvenues les juridictions compétentes. Le Comité n’a pas non plus pour rôle d’apprécier les éléments de preuve ni de réexaminer les constatations de fait des juridictions nationales. Si toutefois le Comité décidait de revenir sur les conclusions concernant la crédibilité des auteurs, l’État partie estime que l’examen de la totalité des éléments de preuve conduit à une seule conclusion, c’est que les allégations des auteurs ne sont pas crédibles. Outre les incohérences indiquées plus haut, l’État partie renvoie à l’affirmation des auteurs qui disent que lorsqu’elle a évalué le témoignage de M. Pillai, la CISR n’a pas suffisamment tenu compte du diagnostic de troubles post-traumatiques établi à son sujet. Les auteurs avaient présenté à la Commission un rapport établi par un psychologue et une note d’un médecin. L’auteur du rapport psychologique précise que parmi les symptômes des troubles post-traumatiques figurent l’anxiété et la panique, la confusion et l’engourdissement psychique, et que ces symptômes peuvent être pris à tort pour «de la sournoiserie, de la fausseté ou du mensonge». Il recommande d’en tenir compte dans toute appréciation de la crédibilité du témoignage de M. Pillai. Contrairement aux dires des auteurs, la Commission a tenu compte du rapport dans son appréciation du témoignage de M. Pillai. S’appuyant sur ce diagnostic, elle a évité de lui poser des questions sur les tortures qu’il disait avoir subies en détention. L’État partie fait observer cependant que pendant l’audition, ses propos ont été cohérents et sensés, et non confus. Après avoir pris en considération le témoignage de M. Pillai et le rapport psychologique, la Commission a estimé que la difficulté de M. Pillai à témoigner venait du manque de crédibilité de ses allégations. Rien dans les renseignements donnés par les auteurs ne permet d’avoir des doutes sur la procédure engagée devant la Commission et de penser qu’elle ait pu être entachée d’arbitraire.

7.10L’État partie reconnaît que les auteurs ont présenté un certain nombre de documents sur la situation des droits de l’homme à Sri Lanka provenant de différentes sources, dont le HCR, Amnesty International et l’International Crisis Group. Ils n’ont présenté en revanche aucun élément attestant que les Tamouls de Colombo soupçonnés d’avoir apporté un soutien modeste aux LTTE couraient le risque d’être torturés ou assassinés. Même si des violations des droits de l’homme contre certains Tamouls, en particulier des militants en vue à Sri Lanka, continuent d’être signalées, ou ne peut pas en déduire que le renvoi des auteurs dans ce pays constituerait une violation des dispositions du Pacte. L’État partie, s’appuyant sur des rapports du Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni sur la situation des droits de l’homme à Sri Lanka fait valoir que ni les LTTE ni les autorités sri-lankaises ne sont susceptibles de prendre pour cibles des partisans modestes des LTTE; que si quelques Tamouls soupçonnés d’être des membres ou des partisans des LTTE sont encore en détention, la plupart sont rapidement relâchés car les autorités ne s’intéressent généralement pas aux personnes qui leur ont apporté un soutien modeste. L’État partie souligne que ces statistiques confirment que la proportion de Tamouls qui risquent d’être mis en détention à Colombo est extrêmement faible et que ce risque dépend surtout du profil de l’individu. L’État partie cite le Comité contre la torture des Nations Unies qui a considéré que les Tamouls pouvaient être renvoyés à Sri Lanka «quand bien même il serait possible d’affirmer qu’il existe à Sri Lanka un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives» quand il n’existe pas de preuve qu’ils courent personnellement un risque. Il cite aussi la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a considéré qu’en dépit de la reprise des hostilités dans la guerre civile, il n’y a pas de risque généralisé de mauvais traitements à l’encontre des Tamouls à Sri Lanka.

7.11En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 6, l’État partie estime que les auteurs n’ont pas démontré que le renvoi aurait pour conséquence nécessaire et prévisible qu’ils seraient tués ou que l’État ne pourrait pas les protéger; ils n’ont pas non plus établi que, même si leur vie était en danger à Colombo, ils n’auraient pas la possibilité de se réfugier dans une autre partie du pays. En conséquence, l’État partie conclut qu’en ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte, la communication est irrecevable. Pour ce qui est de l’article 7, l’État partie considère que, même si l’on admet que les auteurs ont été torturés autrefois par des agents des autorités sri-lankaises, ce qui selon lui n’a pas été établi, cela ne prouve pas qu’ils courent le risque d’être torturés à l’avenir. Quant à l’éventualité de violences de la part des LTTE, l’État partie fait sienne la constatation du tribunal de la CISR qui a considéré que les trois cas d’extorsion de fonds par les LTTE, même si on en admettait la véracité, n’étaient pas assimilables à de la persécution et qu’ils avaient, quoi qu’il en soit, cessé trois ans avant que les auteurs quittent Sri Lanka. En conséquence, l’État partie conclut que les griefs au regard de l’article 7 du Pacte ne sont pas suffisamment étayés.

7.12En ce qui concerne le paragraphe 1 de l’article 23, au sujet duquel les auteurs allèguent que les renvoyer compromettrait leurs conditions de vie car cela risquerait de priver leurs enfants des soins et de la protection de leurs parents, l’État partie estime que comme les griefs au regard des articles 6 et 7 du Pacte ne sont pas étayés, les allégations au regard du paragraphe 1 de l’article 23 sont entièrement dénuées de fondement. Quant aux griefs de violation du paragraphe 1 de l’article 24, l’État partie déclare qu’il a pris les mesures nécessaires pour s’acquitter de ses obligations puisque l’intérêt supérieur des enfants des auteurs a été expressément pris en considération dans la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, comme le veulent les règles en la matière. Après avoir apprécié les éléments de preuve, l’agent a conclu que les enfants bénéficieraient du système d’enseignement public et de santé publique existant dans le pays. L’État partie conclut à l’irrecevabilité des griefs au titre du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24, qui ne sont pas étayés.

7.13En ce qui concerne les allégations des auteurs au titre du paragraphe 1 de l’article 9, l’État partie réaffirme que cette partie de la communication devrait être déclarée incompatible avec les dispositions du Pacte. Les auteurs n’ont pas allégué que l’État partie les avait arrêtés ou détenus en violation du paragraphe 1 de l’article 9; ils ont allégué qu’en les renvoyant vers Sri Lanka, où ils risquent d’être mis en détention arbitraire, l’État partie violerait cette disposition. L’État partie souligne le petit nombre de droits auxquels le Comité a reconnu une portée extraterritoriale, dont celui énoncé au paragraphe 1 de l’article 9 ne fait pas partie. Il cite l’Observation générale no31 d’où il ressort que seules les violations les plus graves des droits fondamentaux peuvent constituer des exceptions au pouvoir de l’État de déterminer les conditions dans lesquelles les étrangers sont autorisés à pénétrer sur son territoire et à y demeurer. L’État partie soutient qu’une arrestation ou une détention arbitraire ne constitue pas un préjudice grave et irréparable au sens de l’Observation générale no31. En conséquence, l’État partie demande que les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 9 soient considérés irrecevables parce qu’incompatibles avec les dispositions du Pacte. À titre subsidiaire, il demande au Comité de les déclarer irrecevables parce que non étayés.

7.14L’État partie rappelle au Comité qu’il ne lui appartient pas d’examiner le système canadien en général, mais seulement de vérifier si, en l’espèce, le Canada s’est acquitté des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte. Il rappelle également que le Comité a considéré précédemment, à propos d’allégations non fondées elles aussi, que l’auteur n’avait pas démontré en quoi les décisions des autorités canadiennes étaient contraires à l’obligation d’examiner de manière juste et approfondie le risque de violation des articles 6 et 7 du Pacte.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

8.1En date du 23 avril 2009, les auteurs ont communiqué leurs commentaires sur les observations de l’État partie. Contrairement à ce qu’affirme l’État partie, ils estiment qu’il est manifeste que la jurisprudence du Comité est que d’autres droits énoncés dans le Pacte que ceux visés aux articles 6 et 7 s’appliquent effectivement dans les cas d’expulsion de non-ressortissants du territoire d’un État partie.

8.2En ce qui concerne leurs allégations relatives aux articles 6, 7 et 9, les auteurs maintiennent qu’il est de la compétence du Comité de réexaminer les conclusions défavorables de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié concernant leur crédibilité quand il y a déni de justice, conformément à la position du Comité contre la torture dans l’affaire Falcon Rios c. Canada. Le Comité contre la torture avait considéré en l’espèce que la Commission avait fait erreur en n’accordant pas l’importance voulue au rapport psychologique présenté comme preuve pour confirmer que des tortures avaient été infligées à l’auteur. Les auteurs estiment que l’État partie, par l’intermédiaire de la Commission, a commis exactement la même erreur dans leur cas. De plus, même à supposer que la Commission ait constaté avec raison en 2005 que les auteurs ne couraient pas de risque s’ils étaient renvoyés à Sri Lanka, c’est sur la situation au moment présent que doit porter l’appréciation du Comité quant aux allégations de violation du Pacte. Les auteurs relèvent à ce sujet que l’État partie ne s’est pas référé directement au rapport du HCR intitulé «Position on the International Protection Needs of Asylum Seekers from Sri Lanka», jointe par les auteurs à la présente communication.

8.3Selon le rapport du HCR, la grande majorité des cas de violation des droits de l’homme signalés à Sri Lanka concerne des personnes appartenant à l’ethnie tamoule originaires du nord et de l’est, ce qui est le cas de MmeJoachimpillai. Comme on l’a déjà dit, le rapport fait état de l’augmentation du nombre d’arrestations et de mises en détention dont sont victimes les Tamouls originaires du nord et de l’est et de l’obligation pour ces personnes de s’enregistrer auprès du commissariat de police local. En ce qui concerne la possibilité de fuir ou de trouver refuge dans une autre région du pays, le Haut-Commissariat considère qu’en raison des activités et des affinités qu’on leur impute souvent les Tamouls du nord et de l’est continuent d’être exposés à des violations des droits de l’homme dans d’autres régions du pays et ne disposent donc pas de possibilités raisonnables de fuite ou de refuge à Sri Lanka. Toujours selon le rapport, beaucoup d’enlèvements ont pour cible des civils soupçonnés d’être des membres ou des sympathisants des LTTE. En ce qui concerne la torture, les mauvais traitements et la détention arbitraire, selon la même source, la police et les forces de sécurité ou les forces armées recourent largement à la torture et les Tamouls, en particulier ceux du nord, courent un risque important de violation des droits garantis par les articles 6 et 7 et le paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte au seul motif de leur origine ethnique. Les auteurs font observer que les constatations du Comité contre la torture dans les trois affaires citées par l’État partie ont été rendues avant l’établissement du rapport en question, de la levée du cessez-le-feu et de la grave dégradation de la situation.

8.4Les auteurs font valoir en outre qu’ils encourent personnellement un risque important d’être victimes de violations des droits qu’ils tiennent des articles 6 et 7 et du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte. Plusieurs des facteurs de risque recensés par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire N. A. c. Royaume-Uni les concernent: ils ont été arrêtés et mis en détention à deux reprises par la police sri-lankaise qui les soupçonnait de soutenir les LTTE, MmeJoachimpillai est originaire du nord de Sri Lanka, ce qui la rend d’autant plus suspecte de soutenir les LTTE, les deux conjoints et leur aîné ont présenté des demandes d’asile à l’étranger et attiré l’attention des autorités sri-lankaises sur leur cas en présentant, à la demande de l’État partie, une demande de renouvellement de leur passeport auprès du bureau du Haut-Commissaire de Sri Lanka au Canada. Les auteurs rejettent en outre l’analyse de l’État partie qui avance que seules les personnes très visibles qui apportent leur soutien aux LTTE sont sanctionnées par les autorités sri-lankaises. Dans l’arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire N. A. c. Royaume - Uni, l’expression «très visibles» s’applique aux personnes qui risquent d’être la cible de violences de la part des LTTE et non des autorités sri-lankaises.

8.5En ce qui concerne leurs allégations au titre du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24, les auteurs font valoir que l’intérêt supérieur des enfants n’était pas la préoccupation première de l’agent d’examen des risques avant renvoi. D’après la loi sur l’immigration et le statut de réfugié, la seule demande dans laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant est pris en considération est la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Dans le cas des auteurs, la demande d’examen des risques avant renvoi et la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire ont été examinées immédiatement par l’agent d’examen des risques avant renvoi. Plutôt que de tenter de déterminer quel était l’intérêt supérieur des enfants, celui-ci s’est contenté de conclure qu’ils pourraient s’adapter à la vie à Sri Lanka. La possibilité pour un enfant de s’adapter à une situation et la question de savoir si c’est dans l’intérêt supérieur de l’enfant de l’obliger à s’adapter sont deux choses très différentes. L’agent a fait abstraction des conditions qui régnaient dans le pays qui menaceraient la sécurité des enfants. D’où un déni de justice à l’égard des enfants et une violation de leurs droits au regard du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Les auteurs ajoutent qu’une menace qui, sans constituer une violation de leurs droits au regard des articles 6 et 7, les empêcherait de jouer leur rôle de parents et de protéger leurs enfants serait une violation des droits de la famille au regard du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte. Le rapport psychologique établi au sujet de M. Pillai précisait qu’il ne pouvait se sentir en sécurité que loin de ses tortionnaires. Il recommandait que M. Pillai reste au Canada pour s’engager dans une nouvelle vie et tenter de se rétablir. Les auteurs concluent que tout tort causé aux parents, qu’il s’agisse d’une violation des droits garantis par les articles 6 et 7 ou de toute autre circonstance qui les empêcherait de prendre soin de leurs enfants et de les protéger, constituerait une violation de ces dispositions.

8.6Les auteurs réfutent l’argument de l’État partie selon lequel il n’appartient pas au Comité d’examiner le système canadien en général. Ils rappellent le paragraphe 17 de l’Observation générale no31 du Comité dans laquelle il est dit qu’il est fréquent que le Comité, dans des affaires dont il est saisi en vertu du Protocole facultatif, mentionne dans ses constatations la nécessité d’adopter des mesures visant, au-delà de la réparation due spécifiquement à la victime, à éviter la répétition du type de violation considéré. De telles mesures peuvent nécessiter une modification de la législation ou des pratiques de l’État partie. En outre, selon le paragraphe 15 de cette même Observation générale, les recours doivent être adaptés comme il convient de façon à tenir compte des faiblesses particulières de certaines catégories de personnes, comme les enfants. Dans leur lettre initiale, les auteurs ont fait ressortir un certain nombre de lacunes du système canadien, comme le fait qu’il n’existe pas d’appel sur le fond des décisions de rejet du statut de réfugié, la règle exigeant une «autorisation» pour demander le contrôle judiciaire devant la Cour fédérale, les limitations inhérentes au contrôle judiciaire (par opposition à un authentique recours sur le fond), même quand l’«autorisation» est accordée, et la portée limitée de l’examen des risques après renvoi.

8.7Les auteurs estiment que le fait que les agents d’examen des risques après renvoi ne sont pas dûment formés et ne sont pas indépendants, et le caractère hautement discrétionnaire de la prise de décisions relative aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, qui sont des problèmes systémiques, ont aussi joué un rôle dans les dénis de justice dont ils se considèrent victimes. Les auteurs renvoient à une recommandation de la Commission permanente du Parlement invitant le Gouvernement à retirer aux agents du Ministère de la citoyenneté et de l’immigration au Canada la responsabilité de l’évaluation des risques après renvoi pour la confier à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. À propos de la prise de décisions concernant les demandes fondées sur des raisons d’ordre humanitaire, les auteurs citent la jurisprudence du Comité contre la torture dans l’affaire Falcon Rios, dans laquelle le Comité a noté que la procédure en la matière était laissée à la discrétion du pouvoir exécutif et qu’elle constituait donc «plutôt une faveur». En conséquence, elle ne pouvait pas être considérée comme un recours interne qu’il fallait avoir épuisé avant de présenter une communication au Comité contre la torture. Comme c’est au cours de cette procédure hautement discrétionnaire que l’on examine quel est l’intérêt supérieur de l’enfant, les auteurs ne voient pas comment on peut faire une appréciation objective des conditions qui règnent dans le pays du point de vue de l’intérêt supérieur de l’enfant. Les auteurs suggèrent un certain nombre de réformes de la législation qui permettraient de garantir l’objectivité de la procédure d’examen des demandes d’asile.

Observations complémentaires de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

9.1En date du 3 décembre 2009, l’État partie a communiqué des observations complémentaires en réponse aux commentaires des auteurs. À propos de l’argument avancé par les auteurs au sujet du paragraphe 1 de l’article 9, il fait observer qu’aucune des deux affaires citées par les auteurs n’est un exemple de l’application extraterritoriale des dispositions du Pacte et que dans aucun de ces cas le Comité n’a établi que l’État partie était responsable d’une violation du Pacte dans un autre État. Dans les deux cas, le Comité a considéré que l’expulsion d’un parent aurait constitué une violation des dispositions du Pacte parce que les autres membres de la famille auraient été obligés soit d’être séparés d’eux, soit de s’installer dans un pays qu’ils ne connaissaient pas. C’est la mesure prise par l’État qui expulsait, non une mesure prise par l’État d’accueil, qui aurait été à l’origine de l’immixtion dans la vie de famille qui en aurait résulté. Ces affaires ne permettent donc pas de confirmer l’extension de l’application extraterritoriale du Pacte dans le contexte d’un renvoi à d’autres dispositions que celles des articles 6 et 7.

9.2En ce qui concerne le rapport du HCR (Position on the International Protection Needs of Asylum Seekers from Sri Lanka) présenté par les auteurs à l’appui de l’argument selon lequel ils courraient personnellement un risque de torture et de persécution s’ils retournaient à Sri Lanka, l’État partie relève que le rapport a été établi avant la cessation officielle des hostilités marquée par la défaite militaire des LTTE, en mai 2009. Il renvoie à une note mise à jour et publiée par le HCR en juillet 2009 intitulée «Note on the Applicability of the 2009 Sri Lanka guidelines» et reconnaît que depuis la défaite des LTTE la situation en ce qui concerne les droits de l’homme des Tamouls à Sri Lanka demeure préoccupante. Il estime cependant que certains éléments montrent que la situation des demandeurs d’asile tamouls déboutés renvoyés à Colombo, comme les auteurs, ne permet pas de conclure que les droits garantis par les articles 6 et 7 risqueraient d’être violés. L’État partie ajoute que, s’il est possible que les auteurs soient interrogés à leur arrivée à Colombo et soient l’objet de contrôles inopinés dans la ville, tous les Tamouls sont susceptibles d’être soumis à des contrôles de sécurité pendant la période de transition faisant suite au conflit. Rien ne permet de penser que les auteurs seraient davantage visés à cause des arrestations dont ils avaient fait l’objet auparavant ou en leur qualité de demandeurs d’asile déboutés renvoyés à Sri Lanka.

9.3Pour ce qui est des allégations des auteurs au titre du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24, l’État partie réaffirme que l’agent d’examen des risques après renvoi a effectivement pris en considération l’intérêt supérieur de l’enfant. La jurisprudence du Comité dans l’affaire Madafferi c. Australie invoquée par les auteurs n’est pas pertinente en l’espèce car les enfants en cause étaient âgés de 11 et 13 ans et que, comme ils étaient intégrés en Australie il n’était pas réaliste de penser qu’ils suivraient leur père en Italie. Dans la présente affaire, les parents et l’aînée de leurs enfants sont Sri‑lankais. Les deux autres enfants sont nés en 2004 et 2005 et suivraient leurs parents si ceux-ci devaient être renvoyés du Canada. Étant donné leur jeune âge, le fait qu’ils suivraient leurs parents et l’existence de services de santé publique et d’enseignement à Sri Lanka, l’agent d’examen des risques après renvoi a conclu avec raison qu’ils se réinséreraient sans difficultés dans la société sri-lankaise.

9.4Pour ce qui est du système de protection des réfugiés au Canada, que les auteurs critiquent dans leur communication, l’État partie tient à affirmer que le Comité n’a pas à procéder à l’examen d’un système dont le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés a dit que c’était l’un des meilleurs au monde. Il ajoute que le Comité a toujours considéré que le système d’examen des risques avant renvoi et les décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire étaient des dispositifs de protection des réfugiés efficaces et que le contrôle judiciaire devant la Cour fédérale était un bon moyen de garantir l’équité. À titre subsidiaire, si les auteurs souhaitent formuler des griefs d’ordre général au sujet du système canadien de protection des réfugiés, il leur faudrait d’abord épuiser les recours internes, ce qu’ils n’ont pas fait.

9.5Pour ce qui est des allégations des auteurs qui affirment que les agents chargés des décisions après l’examen des risques après renvoi ne sont pas dûment formés, l’État partie indique que le Gouvernement canadien a donné suite au rapport de la Commission parlementaire permanente cité par les auteurs. À propos de l’allégation dénonçant le manque d’indépendance des agents d’examen des risques avant renvoi, l’État partie renvoie à plusieurs arrêts de la Cour suprême, dont l’arrêt rendu dans l’affaire Say c. Canada (S olliciteur général) dans laquelle la Cour a conclu que dans un grand nombre d’affaires l’indépendance des agents chargés de l’examen des risques avant renvoi ne pouvait pas être mise en cause. Cet arrêt a été rendu avant la réforme de la loi de 2004 en vertu de laquelle ces agents relèvent désormais du Ministre de la citoyenneté et de l’immigration, ce qui ne fait que renforcer leur indépendance. Quant aux allégations des auteurs au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant qui ne serait pas dûment pris en considération dans les décisions relatives aux demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, l’État partie répond que la Cour suprême du Canada a bien précisé que l’agent devait être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. La Cour fédérale a en maintes occasions infirmé des décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire jugées déraisonnables parce que l’agent n’avait pas été suffisamment réceptif, attentif et sensible à l’intérêt supérieur de l’enfant. Dans la présente affaire, les procédures de demande d’examen des risques après renvoi et de demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et la possibilité de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale ont été pleinement conformes aux obligations de l’État partie au regard des articles 6, 7, 23 et 24 du Pacte.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même question n’était pas déjà en cours devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité note que l’État partie conteste la recevabilité de la communication au motif que les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, de l’article 9, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte ne sont pas étayés. En ce qui concerne l’article 6, le Comité note que les auteurs n’ont pas indiqué pourquoi ils considèrent que leur expulsion vers Sri Lanka les exposerait à un risque réel de violation du droit à la vie. En conséquence, le Comité considère que cette partie de la communication n’est pas suffisamment étayée aux fins de la recevabilité, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.4En ce qui concerne le grief des auteurs de violation du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité relève l’argument de l’État partie pour qui la disposition n’a pas d’effet extraterritorial et n’empêche pas un État d’expulser un ressortissant étranger vers un pays où celui-ci dit courir le risque d’être arrêté ou mis arbitrairement en détention . Il prend note des allégations des auteurs selon lesquelles l’application extraterritoriale du Pacte dans le cadre des expulsions ne se limite pas aux articles 6 et 7. Toutefois, les auteurs n’ont pas expliqué pourquoi ils courraient un risque réel que les droits consacrés à l’article 9 du Pacte soient violés. Le Comité estime par conséquent que cette partie de la communication n’est pas recevable, en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.5En ce qui concerne le grief tiré de l’article 7, le Comité note que les auteurs ont indiqué les raisons pour lesquelles ils avaient peur d’être renvoyés à Sri Lanka et qu’ils ont donné des précisions sur les extorsions de fonds dont ils disent avoir été victimes de la part des LTTE, sur leur arrestation et leur placement en détention par les autorités sri-lankaises à deux reprises et sur les traitements qui leur avaient été infligés. Il note également que les auteurs ont présenté des éléments de preuve, comme le rapport de diagnostic d’un psychothérapeute qui a conclu à des troubles post-traumatiques, ainsi que le certificat médical concernant M. Pillai. Le Comité estime que ces allégations sont suffisamment étayées aux fins de la recevabilité et qu’elles doivent être examinées quant au fond. Pour ce qui est des allégations de violation du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24, le Comité estime qu’elles sont étroitement liées aux allégations relatives à l’article 7, qui doivent être examinées quant au fond. En conséquence, le Comité déclare recevables les griefs tirés de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 et procède à leur examen quant au fond.

Examen au fond

11.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été soumises, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

11.2Le Comité estime nécessaire de garder à l’esprit que l’État partie est tenu, en vertu de l’article 2 du Pacte, de garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire ou relevant de sa compétence les droits reconnus dans le Pacte, y compris en ce qui concerne l’application des procédures d’expulsion des étrangers. Il rappelle qu’il appartient généralement aux autorités des États parties au Pacte d’apprécier les faits dans ces affaires.

11.3Le Comité prend note des arguments des auteurs selon lesquels le membre de la CISR n’a pas suffisamment pris en compte le rapport de diagnostic établissant que M. Pillai souffrait de troubles post-traumatiques et l’avis de deux membres du corps médical au sujet de sa capacité à témoigner. Il prend aussi note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que le membre de la CISR a bien pris en considération le rapport de diagnostic pendant l’audition; qu’à cause de ce diagnostic le tribunal a évité de poser des questions à M. Pillai sur les tortures qu’il disait avoir subies en détention; que pendant l’audition ses propos étaient cohérents, sensés et non pas confus et que, après avoir étudié le témoignage de M. Pillai et le rapport psychologique, le tribunal a estimé que la difficulté de témoigner de M. Pillai était due à un manque de crédibilité.

11.4En ce qui concerne le grief des auteurs qui affirment que si l’État partie les expulsait vers Sri Lanka, il les exposerait à un risque réel d’être soumis à la torture, le Comité note que l’argument invoqué par l’État partie est que le préjudice est la conséquence nécessaire et prévisible de l’expulsion. À ce sujet le Comité rappelle son Observation générale no 31 dans laquelle il traite de l’obligation des États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable. Il note aussi que lorsqu’il a été établi que M. Pillai souffrait de troubles post-traumatiques, le membre de la CISR s’est abstenu de l’interroger sur les tortures qu’il avait subies en détention. Le Comité est donc d’avis que les éléments dont il est saisi montrent qu’une attention insuffisante a été prêtée aux allégations de torture des auteurs et au risque réel qu’ils encourent s’ils sont expulsés vers leur pays d’origine, compte tenu des informations attestant que la torture est largement pratiquée à Sri Lanka. Malgré tout le respect dû aux autorités d’immigration en ce qui concerne l’appréciation des éléments de preuve dont elles sont saisies, le Comité considère que cette affaire méritait un examen plus approfondi. Il estime donc que l’arrêté d’expulsion pris contre les auteurs constituerait une violation de l’article 7 s’il était exécuté.

11.5Compte tenu de ses conclusions relativement à l’article 7, le Comité estime qu’il n’est pas nécessaire d’examiner plus avant les griefs tirés du paragraphe 1 de l’article 23 et du paragraphe 1 de l’article 24 du Pacte.

12.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que, le renvoi des auteurs à Sri Lanka, s’il est effectué, constituerait une violation de l’article 7 du Pacte.

13.En vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer aux auteurs un recours utile, y compris en procédant à un réexamen complet de leur grief relatif au risque de torture encouru s’ils sont renvoyés à Sri Lanka, eu égard à ses obligations en vertu du Pacte.

14.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de centre quatre-vingt jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Kristel Theil (dissidente)

La majorité du Comité a considéré que les griefs des auteurs étaient recevables et les a examinés au fond. Je ne suis pas d’accord. À mon avis le paragraphe 10.5 des constatations devrait être rédigé comme suit:

«10.5En ce qui concerne le reste des griefs des auteurs, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui fait valoir qu’il n’appartient pas au Comité de réexaminer les conclusions concernant la crédibilité des auteurs rendues par les juridictions compétentes ni d’évaluer les preuves ou d’apprécier de nouveau les conclusions de fait de cours ou tribunaux internes. Le Comité rappelle sa jurisprudence et réaffirme qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Cette jurisprudence a aussi constamment été appliquée aux affaires d’expulsion. Les éléments dont le Comité est saisi ne montrent pas que les procédures internes aient été entachées de telles irrégularités, y compris pour ce qui est de l’importante appréciation du risque de violation des droits que les auteurs tiennent du Pacte, s’ils étaient expulsés vers Sri Lanka. En conséquence le Comité estime que les auteurs n’ont pas étayé leurs griefs, aux fins de la recevabilité, et conclut que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.».

Puisque la majorité a déclaré la communication recevable, je m’associe à l’opinion dissidente sur le fond formulée par M. Yuji Iwasawa.

(Signé) Krister Thelin

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de Mme Helen Keller, Mme Iulia Antoanella Motoc, M. Gerald L. Neuman, M. Michael O’Flaherty et Sir Nigel Rodley (concordante)

La concision habituelle du Comité peut rendre difficile pour certains lecteurs la compréhension d’un passage des constatations dans la présente affaire que nous considérons comme particulièrement important. C’est pourquoi nous exposons ici notre compréhension de la question.

Le Comité reconnaît depuis longtemps que l’article 7 du Pacte interdit aux États parties de renvoyer des individus dans des pays où ils risquent d’être soumis à la torture ou à un traitement ou une peine cruel, inhumain ou dégradant. Dans son Observation générale no 31, le Comité a exprimé ce principe en énonçant une obligation de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de leur territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable − tel que celui qui est envisagé à l’article 6 et à l’article 7 du Pacte − dans le pays vers lequel doit être effectué le renvoi ou dans tout autre pays vers lequel la personne concernée peut être renvoyée par la suite.

Au début des années 1990 toutefois quand le Comité a commencé à examiner le principe de la responsabilité des États parties en ce qui concerne les conséquences d’une décision de renvoi, il a formulé au début une version plus étroite de l’obligation. Ainsi, dans l’affaire Kindlerc. Canada (1993), qui portait sur l’extradition vers les États-Unis d’un condamné à mort, le Comité avait relevé:

L’obligation qui incombe à un État partie conformément à l’article 2 du Pacte ne serait pas remplie si une personne était remise à un autre État (partie ou non au Pacte) dans lequel un traitement contraire au Pacte est certain ou constitue le but même de la remise de cette personne. Par exemple, un État partie violerait le Pacte s’il remettait une personne à un autre État dans des circonstances où il est prévisible qu’elle serait torturée. Le caractère prévisible de la conséquence signifie que l’État partie commet une violation dans le présent, même si la conséquence ne se produit que plus tard.

Le Comité a réaffirmé l’idée que le transfert d’un individu pourrait constituer une violation de l’article 6 ou de l’article 7 du Pacte si le préjudice redouté se produisait dans le pays de renvoi, dans quelques autres affaires des années 1990, par exemple dans Cox c. Canada (1994) (affaire d’extradition d’un condamné à mort vers les États-Unis), dans l’affaire G. T. c. Australie (1997), le Comité a relevé que l’expulsion [de l’auteur] n’avait pas pour conséquence prévisible et nécessaire qu’il serait jugé, reconnu coupable et condamné à mort, ou soumis à un châtiment corporel en Malaisie.

Le degré de certitude suggéré dans ces constatations des années 1990 contraste avec la norme établie à l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, qui interdit le renvoi d’une personne «vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture» (non souligné dans la Convention). L’accent mis sur le danger ou le risque a caractérisé le mode d’approche retenu par le Comité contre la torture et par la Cour européenne des droits de l’homme en ce qui concerne la question du renvoi d’un individu qui risque d’être soumis à la torture.

Le Comité des droits de l’homme a lui aussi conclu que l’article 7 exigeait un examen des risques réels encourus dans la situation particulière et non pas seulement un examen de ce qui va assurément ou très probablement se produire. L’Observation générale no 31, déjà citée, illustre cette conception; les constatations et décisions rendues par le Comité dans les dix dernières années l’illustrent également. Les formulations ont été variables et le Comité continue de mentionner de temps en temps une conséquence «nécessaire et prévisible» de l’expulsion. Mais quand il étudie ces conséquences, le Comité se demande maintenant si un risque réel de torture dans le pays de renvoi serait une conséquence nécessaire et prévisible de l’expulsion et non pas si la conséquence nécessaire et prévisible serait effectivement la torture.

Dans ses observations au sujet de la présente communication, l’État partie s’est référé sans distinction aux constatations du début, comme celles de l’affaire Kindler et à des constatations plus récentes et il a fait valoir que la question fondamentale était de déterminer si la conséquence nécessaire et prévisible de l’expulsion serait la mort ou la torture pour les auteurs. Ce n’est pas ce qu’il faut se demander. Ce qu’il faut déterminer c’est si la conséquence nécessaire et prévisible de l’expulsion serait de faire courir aux auteurs un risque réel d’être tués ou torturés. Les autres éléments dégagés par le Comité dans les présentes constatations donnent à penser que cette interprétation erronée de la norme applicable peut avoir eu pour résultat que les auteurs n’ont pas bénéficié d’une appréciation correcte de leurs griefs au titre de l’article 7 du Pacte.

(Signé) Helen Keller

(Signé) Iulia Antoanella Motoc

(Signé) Gerald L. Neuman

(Signé) Michael O’Flaherty

(Signé) Nigel Rodley

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M. Yuri Iwasawa (dissidente)

1.Je ne peux pas souscrire aux constatations du Comité pour les raisons ci-après.

2.Dans l’affaire A. R. J. c. Australie, le Comité avait indiqué que «[e]n l’espèce, la question n’est pas de savoir si, en expulsant M. J. en Iran, l’Australie l’expose à un risque réel (constituant une conséquence nécessaire et prévisible) de violation de ses droits reconnus dans le Pacte» et que «le risque d’un traitement de ce genre doit être réel, c ’ est-à-dire être la conséquence nécessaire et prévisible de son expulsion en Iran». De tels énoncés ont conduit certains États parties à faire valoir que le Comité considère que «une conséquence nécessaire et prévisible» équivaut à «un risque réel».

Si, dans son Observation générale no 31 (2004), le Comité n’évoque qu’un «risque réel», il a continué à utiliser l’expression «conséquence nécessaire et prévisible» même après 2004. La formule retenue ces dernières années par le Comité est qu’il faut donc décider s’il existe des raisons sérieuses de croire qu’une conséquence nécessaire et prévisible du renvoi d’un auteur serait que celui-ci courrait un risque réel d’être soumis à un traitement constitutif d’une violation des droits garantis par le Pacte (par exemple la torture).

De plus, le risque doit être encouru personnellement, même si le Comité ne le formule pas clairement. Le Comité contre la torture exige explicitement qu’un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture soit encouru personnellement.

Dans leur opinion individuelle, Mme Keller et d’autres membres soulignent que dans les décisions qu’il rend depuis une dizaine d’années, le Comité s’interroge sur la question de savoir si la conséquence nécessaire et prévisible de l’expulsion serait un risque réel de torture, et non sur la survenance réelle de la torture. Toutefois, la jurisprudence du Comité n’est pas cohérente. Même dans des décisions récentes, le Comité demande si la conséquence nécessaire et prévisible constituerait une violation des droits et non un risque réel de violation. De plus, le Comité cite de façon constante comme décision faisant autorité l’affaire A. R. J. c. Australie dans laquelle le critère est la conséquence nécessaire et prévisible d’une violation. On voit donc que le critère doit être précisé.

Quoi qu’il en soit dans la présente affaire, le critère retenu par les autorités de l’État partie n’a pas été que la conséquence nécessaire et prévisible de l’expulsion serait que les auteurs soient tués ou soumis à la torture. Dans les procédures d’évaluation du risque avant renvoi, les autorités ont examiné la question de savoir si les auteurs risqueraient un risque personnel d’être persécutés, tués ou torturés (par. 7.8, non souligné dans l’original), appliquant ainsi le critère considéré comme approprié dans l’opinion individuelle mentionnée.

3.Dans les affaires d’expulsion la pratique constante du Comité a été de rappeler sa jurisprudence qui veut qu’«il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice». De plus, le Comité a explicitement reconnu que «[cette] jurisprudence a été appliquée à la procédure de renvoi».

Or dans les présentes constatations le Comité a modifié sans explications la formule, pour retenir la rédaction suivante: «il appartient généralement aux autorités des États parties au Pacte d’apprécier les faits dans ces affaires [expulsion d’étrangers]» (par. 11.2, non souligné dans le texte). Dans le paragraphe suivant des constatations toutefois, il est reconnu que le Comité respecte les «autorités d’immigration en ce qui concerne l’appréciation d es éléments de preuve dont elles sont saisies» (par. 11.4, non souligné dans le texte). Dans ces circonstances, je ne peux interpréter les constatations en l’espèce que comme n’ayant pas modifié la jurisprudence constante du Comité, qui veut qu’il appartient généralement aux juridictions des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, sauf s’il peut être établi que l’appréciation a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Le Comité devrait s’abstenir d’agir comme une juridiction de quatrième degré habilitée à procéder à un réexamen des faits et des preuves dont les autorités de l’État partie ont été saisies dans une affaire d’expulsion, s’il n’existe pas de raisons claires et spécifiques de le faire.

4.Dans la présente communication, je prends note des arguments contradictoires avancés par les auteurs et par l’État partie sur la question de savoir comment la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a tenu compte du rapport diagnostiquant chez M. Pillai des troubles post-traumatiques. Je prends note également des arguments de l’État partie qui fait valoir qu’il y avait eu des contradictions majeures entre ce qui est porté sur le formulaire sur les renseignements personnels et le témoignage donné à l’audience devant la CISR; que M. Pillai n’avait pas établi qu’il était propriétaire du centre de communication à l’origine de tous leurs problèmes; que l’extorsion possible d’argent par les Tigres de libération de l’Eelam tamoul ne pouvait pas être la raison pour laquelle les auteurs avaient quitté le pays car ces rançonnements s’étaient produits trois ans avant leur arrivée au Canada; que les griefs des auteurs n’étaient pas crédibles et ne résistaient pas à un examen des preuves; que les auteurs n’avaient pas démontré qu’ils couraient plus de risques que le reste de la population ni que les Tamouls soupçonnés d’avoir apporté un soutien de faible aux LTTE risquaient à Colombo d’être soumis à la torture ou d’être tués par les autorités sri-lankaises; que même si leur vie était en danger à Colombo, ils pourraient trouver un refuge ailleurs à Sri Lanka et que les auteurs n’ont pas démontré qu’ils couraient personnellement un risque de torture ou de mauvais traitements s’ils étaient renvoyés à Sri Lanka.

Si j’estime moi aussi que pendant la procédure de détermination du statut de réfugié, les autorités semblent ne pas avoir accordé une importance suffisante aux conclusions du rapport de diagnostic, je ne peux pas conclure que les éléments dont le Comité est saisi démontrent que l’appréciation des faits et des éléments de preuve effectuée par les autorités de l’État partie a été arbitraire ou a représenté un déni de justice. Je considère donc que les faits dont le Comité est saisi ne font pas apparaître de délation du Pacte.

(Signé) Yuji Iwasawa

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]