Nations Unies

CCPR/C/108/D/1865/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 octobre 2013

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

Communication no 1865/2009

Constatations adoptées par le Comité des droits de l’homme à sa 108e session (8-26 juillet 2013)

Communication présentée par:

Shanta Sedhai(représentée par un conseil,Advocacy Forum− Népal)

Au nom de:

Mukunda Sedhai (époux de l’auteur)et sa famille

État partie:

Népal

Date de la communication:

3 octobre 2008 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 19 février 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

19 juillet 2013

Objet:

Disparition forcée

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes

Questions de fond:

Droit à la vie, interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains, droit à la liberté et à la sécurité de la personne, respect de la dignité inhérente à la personne humaine, reconnaissance de la personnalité juridique et droit à un recours utile

Articles du Pacte:

6 (par. 1), 7, 9 et 10 (par. 1) seuls et lus conjointement avec l’article 2 (par. 3); 2 (par. 3) seul

Article du Protocole facultatif:

5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatifaux droits civils et politiques (108esession)

concernant la

Communication no1865/2009 *

Présentée par:

Shanta Sedhai(représentée par un conseil,Advocacy Forum − Népal)

Au nom de:

Mukunda Sedhai (son époux) et sa famille

État partie:

Népal

Date de la communication:

3 octobre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 19 juillet 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1865/2009 présentée par ShantaSedhaien vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.L’auteur de la communication est Shanta Sedhai, épouse de M. Mukunda Sedhai, de nationalité népalaise, né en décembre 1970, qui a disparu le 19 décembre 2003. Elle affirme que le Népal a violé les droits de son mari disparu ainsi que ses propres droits et ceux de sa famille, consacrés aux articles 6, 7, 9 et 10 (par. 1) lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Elle est représentée par Advocacy Forum − Népal.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur a épousé M. Sedhai le 7 mars 1991; ils résidaient ensemble dans le bloc no 6 du comité de développement de village de Jeevanpur, dans le district de Dhading. Le couple a deux enfants: un fils, Anil Sedhai, né le 25 mars 1993, et une fille, Anita Sedhai, née le 22 septembre 1999. M. Sedhai était un homme d’affaires; il se rendait fréquemment à Katmandou, où il louait une chambre près de Swayambu.

2.2Le 18 décembre 2003, M. Sedhai se trouvait à Katmandou pour une vente de cannes à sucre. L’auteur lui avait rendu visite à Katmandou le 17 décembre avant de repartir le 18 décembre s’occuper de leurs enfants restés au village. M. Sedhai a passé la nuit du 18 décembre dans la chambre qu’il louait à Swayambu. L’après-midi du 19 décembre 2003, il s’est rendu dans une échoppe à thé à Bhimsensthan, bloc no 20, au centre de Katmandou. L’échoppe était tenue par Raju Khakurel, cousin au deuxième degré de M. Sedhai venant comme lui du district de Dhading. L’échoppe servait régulièrement de lieu de rendez-vous aux personnes de ce district séjournant à Katmandou, et M. Sedhai y était bien connu.

2.3Quatre ou cinq hommes en civil sont entrés dans l’échoppe et l’ont traversée pour rejoindre l’arrière-boutique. MM. Raju Khakurel et Narayan Silwal, qui étaient présents et ont assisté à l’arrestation de M. Sedhai, ont fait part de leur témoignage à Advocacy Forum − Népal les 6 et 8 août 2008 respectivement. Tous deux se souviennent que certains des hommes étaient armés, qu’on leur a ordonné de se lever et qu’ils ont été fouillés. On leur a ensuite demandé s’ils avaient quelque chose à avouer. Après que tous eurent répondu négativement, l’un des hommes a demandé qui était Mukunda Sedhai.

2.4M. Sedhai s’est levé et s’est présenté. Les hommes en civil l’ont fait sortir de la pièce, ont fermé à clef de l’extérieur la porte de l’arrière-boutique et ont dit aux autres hommes qu’ils reviendraient quinze minutes plus tard. M. Sedhai et les hommes en civil sont ensuite passés devant M. Khakurel, ont ordonné à celui-ci de ne pas ouvrir la porte et indiqué qu’ils reviendraient d’ici quinze minutes. Ils ont quitté l’échoppe et se sont dirigés avec M. Sedhai vers le sud. M. Silwal, l’un des témoins, originaire du même village que M. Sedhai, a signalé que d’autres clients lui avaient rapporté avoir vu les hommes faire monter M. Sedhai à bord d’une camionnette verte et blanche de l’armée, garée au bas de la colline.

2.5Après son arrestation, M. Sedhai a été placé en détention à la caserne de Chhauni. En 2005, la Commission nationale des droits de l’homme a enquêté et conclu que M. Sedhai avait été arrêté et placé en détention. Un témoin, M. Dev Bahadur Maharjan, qui a témoigné le 6 août 2008 auprès d’Advocacy Forum − Népal, se souvient clairement avoir passé du temps avec M. Sedhai et avoir évoqué avec lui la façon dont s’était passée son arrestation et comment il était traité à la caserne. M. Sedhai lui a dit avoir été tant frappé et torturé pendant les premières semaines de sa détention qu’il ne pouvait plus se tenir debout et avait été conduit à l’hôpital. Après ces discussions, M. Maharjan avait réalisé que M. Sedhai était l’homme qu’il avait entendu, quelques semaines plus tôt, se faire battre et frapper à coups de pied pendant une heure et demie par des militaires. Il l’avait entendu déclarer qu’il s’appelait Mukunda et venait de Jeevanpur VDC, dans le district de Dhading. M. Maharjan se souvient également que M. Sedhai avait une blessure au visage qu’il lui avait dit provenir d’un coup de pied.

2.6Advocacy Forum − Népal a reçu en août 2008 deux témoignages − ceux de M. Maharjan et M. Om Parkash Timilsena − décrivant les conditions inhumaines et les actes de torture et traitements inhumains et dégradants qu’ils avaient subis à la caserne de Chhauni. D’après leurs dires, les détenus avaient les yeux bandés durant toute leur détention, n’avaient pas accès à des médicaments ni à des installations sanitaires, étaient privés d’eau et de nourriture, et n’avaient que rarement la possibilité de se laver. Les coups et actes de torture graves étaient fréquents, et les détenus pouvaient même recevoir des décharges électriques ou être frappés à l’aide de bâtons en bambou. M. Maharjan a aussi affirmé que dans la pièce où il était retenu prisonnier, un homme était mort des blessures qui lui avaient été infligées par la torture.

2.7D’après le témoignage de M. Maharjan, le 25 janvier 2004, veille de la fête de l’éducation (Sara s wati Puja) au Népal, M. Sedhai a été sorti de la pièce où il était détenu, en compagnie de cinq autres personnes désignées dont on ne connaît pas non plus le sort. Dans le témoignage qu’il a livré à Advocacy Forum − Népal, M. Timilsena a dit se souvenir que pendant la première semaine de février 2004, neuf personnes, dont M. Sedhai, avaient été transférées dans la pièce de la caserne de Chhauni où il était détenu, sur les murs de laquelle les interrogateurs avaient l’habitude d’afficher des photos de maoïstes et de leaders étudiants maoïstes. M. Sedhai était resté dans cette pièce entre quinze et vingt jours. Il avait alors dit à M. Timilsena qu’il allait être libéré. Le lendemain, M. Sedhai et quatre ou cinq autres personnes avaient été sortis de la pièce. On n’a plus eu aucune nouvelle de lui depuis lors et l’auteur n’a rien pu savoir de plus sur son sort.

2.8Une semaine après l’arrestation de M. Sedhai, une personne en civil disant appartenir au bureau de la police de district de Hanumandhoka, à Katmandou, s’est présentée chez l’auteur et lui a dit que son mari serait libéré si elle versait une caution. Le même jour, le chef du district de Katmandou a «désavoué» cette personne et a indiqué qu’il allait mener des recherches pour savoir si M. Sedhai avait été arrêté par la police.

2.9Au cours des six premières semaines qui ont suivi l’arrestation de M. Sedhai, l’auteur a reçu de son mari deux lettres qui lui ont été transmises par des gardes bienveillants de la caserne de Chhauni. La première lui est parvenue environ dix à quinze jours après l’arrestation, et l’homme qui l’a remise à l’auteur s’est identifié comme étant un militaire de la caserne de Chhauni. L’auteur a perdu cette première lettre mais se souvient qu’il y était dit que M. Sedhai allait bien et qu’il fallait donner au militaire qui lui remettrait la lettre «une belle veste». Le 16 janvier 2004, un autre soldat est venu apporter à l’auteur une seconde lettre. Comme on lui avait demandé, elle lui a remis une veste d’une valeur de 350 roupies. C’est la dernière lettre que l’auteur ait reçue. Après l’arrestation de M. Sedhai le 19 décembre 2003, sa famille a vécu dans l’angoisse et dans une situation économique très difficile, qui perdurent encore, puisqu’elle ne sait toujours pas ce qu’il est advenu de lui.

2.10Le 14 décembre 2004, l’auteur a présenté une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême du Népal contre le Ministère de l’intérieur, le Ministère de la défense, la caserne de Chhauni, l’état-major de la police, l’état-major de l’armée, et le Bureau de l’administration et le Bureau de la police du district de Katmandou. À partir du 17 décembre 2004, ces administrations ont chacune donné leur réponse, disant ne pas savoir où se trouvait M. Sedhai. La requête a été suspendue le 25 mai 2005 après l’absence de l’auteur à une audience devant la cour le 11 avril 2005 en raison d’une grève locale des transports qui a duré plusieurs jours. L’auteur a soumis une deuxième requête en habeas corpus le 15 septembre 2005, à laquelle les autorités ont répondu qu’elles ne savaient pas où se trouvaient les victimes présumées et demandaient que la requête soit rejetée. La Cour suprême a examiné cette deuxième requête conjointement avec plusieurs autres concernant d’autres personnes disparues pendant le conflit armé.

2.11En juin 2007, la Cour suprême a rendu un arrêt concernant un groupe de personnes disparues pendant le conflit, dont M. Sedhai. Dans ce jugement qui a fait date, la Cour suprême a demandé à l’Assemblée législative d’ériger la disparition forcée en infraction et d’enquêter sur les nombreuses allégations de disparition, dont celle de M. Sedhai. Jusqu’à aujourd’hui, les autorités n’ont pas pris de dispositions pour faire appliquer cette décision et, la Cour suprême étant la plus haute autorité judiciaire du Népal, il n’existe aucune autre voie de recours possible pour faire appel de cette décision ou obtenir qu’elle soit exécutée.

2.12L’auteur a également déposé plainte le 26 mars 2004 auprès de la Commission nationale des droits de l’homme. Celle-ci n’a obtenu, dans ses efforts pour recueillir des éléments de preuve concernant la plainte et tenter de savoir ce qu’il était advenu des victimes présumées, aucune coopération de la part du Gouvernement et des autorités militaires, y compris du Ministère de la défense et de la Cellule des droits de l’homme de l’état-major de l’armée népalaise, en dépit des demandes répétées qui leur ont été faites pour vérifier des informations. Après plus de deux ans d’enquête, le 6 juin 2006 la Commission nationale des droits de l’homme a rendu une décision, dans laquelle elle dit avoir la certitude que M. Sedhai a été arrêté par des militaires le 19 décembre 2003 et recommande aux autorités de révéler publiquement quel a été son sort, de poursuivre les militaires responsables de sa disparition et d’informer la Cour suprême et la Commission des sanctions qui auront été prononcées à l’encontre des officiers responsables de sa disparition. La Commission n’a eu fait guère de pouvoir pour faire respecter ses décisions, car celles-ci ont la forme de recommandations et n’ont pas le caractère obligatoire des arrêts de la Cour suprême.

2.13D’après l’auteur, bien que la disparition forcée soit évoquée dans la Constitution provisoire du Népal, elle n’est pas qualifiée pénalement, ce qui signifie que l’auteur ne peut pas, à sa seule initiative, amener la police à enquêter sur la disparition de son mari.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur invoque une violation de l’article 6 du Pacte au motif que l’État partie n’a pas pris de mesures concrètes et utiles pour empêcher la disparition de M. Sedhai. L’État partie n’a pas agi avec la diligence voulue pour s’enquérir de son sort ni pour traduire les responsables devant la justice depuis que sa disparition a été signalée aux autorités, en dépit des recommandations faites par la Commission nationale des droits de l’homme et des instructions données par la Cour suprême à cet effet.

3.2L’auteur affirme qu’il y a eu violation de l’article 7, du fait que:

a)M. Sedhai a été détenu au secret à la caserne de Chhauni à Katmandou du 19 décembre 2003, date de son arrestation, jusqu’à sa disparition;

b)Il a été l’objet de mauvais traitements et d’actes de torture à la caserne deChhauni;

c)Il a été violemment battu;

d)Sa famille a vécu dans l’angoisse et la souffrance causées par l’incertitude sur son sort;

e)Sa famille ne s’est vu offrir aucun recours qui lui aurait permis d’obtenir réparation pour l’angoisse et la souffrance morale causées par l’incertitude sur son sort.

3.3Subsidiairement, l’auteur fait valoir que les circonstances susmentionnées constituent une violation de l’article 10 du Pacte. Elle affirme qu’il y a eu violation de l’article 10 du fait que M. Sedhai a été privé du droit de recevoir la visite de sa famille, ainsi qu’en raison des conditions dans lesquelles s’est déroulée sa détention. M. Sedhai avait les yeux bandés, n’avait que rarement la possibilité de se laver, n’avait pas accès à des médicaments pour soigner ses blessures, était privé d’eau et de nourriture et n’avait pas accès à des installations sanitaires.

3.4L’auteur affirme qu’il y a eu violation de l’article 9, du fait que:

a)L’arrestation n’a pas été menée conformément aux règles et procédures nationales;

b)M. Sedhai a été détenu au secret;

c)Il n’a pas été autorisé à contester lui-même la légalité de sa détention;

d)L’arrestation et la détention arbitraires de M. Sedhai n’ont pas donné lieu à indemnisation.

3.5L’auteur invoque également des violations des articles 6, 7, 9 et 10 lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, ainsi que du paragraphe 3 de l’article 2 seul, du fait de l’insuffisance des mesures prises pour empêcher les disparitions forcées, enquêter de manière approfondie et offrir aux victimes des recours utiles et exécutoires. Il est allégué en particulier que:

a)Le pouvoir de la Cour suprême d’apprécier la légalité de la détention et de prendre des ordonnances d’habeas corpus est insuffisant, et la possibilité de contester la légalité de la détention est donc inopérante;

b)L’incapacité de l’État de tenir avec exactitude de véritables registres d’écrou a empêché l’auteur d’obtenir des informations sur le lieu de détention probable de M. Sedhai et de se prévaloir utilement du recours en habeas corpus;

c)L’absence de recours utile a été aggravée par les lacunes de la loi sur le parjure, dont le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires a fait état en décembre 2004;

d)La Commission nationale des droits de l’homme peut uniquement formuler des recommandations et n’est pas habilitée à les faire appliquer. Bien qu’elle ait fait une recommandation et informé la Cour suprême ainsi que le Premier Ministre et le Conseil des ministres, il n’y a eu ni enquête ni poursuites;

e)Aucune loi n’érige en infraction pénale les disparitions forcées ou involontaires ni ne prévoit de mesures de prévention, de mécanismes d’enquête ni d’indemnisation des victimes présumées.

3.6L’auteur invoque une violation du paragraphe 3 de l’article 2 seul, du fait qu’il n’a pas été offert de recours utile et exécutoire pour l’arrestation arbitraire du mari de l’auteur, les actes de torture qu’il a subis et sa disparition forcée. À l’exception de celle qu’a menée la Commission nationale des droits de l’homme, aucune des enquêtes sur la disparition de M. Sedhai n’a été approfondie, impartiale et efficace; le mécanisme de plainte de la Commission nationale des droits de l’homme a été inopérant et le recours juridique en habeas corpus a pâti de retards imputables à l’État, de l’absence de registres d’écrou dignes de ce nom et du manque de volonté des autorités de faire appliquer l’arrêt de la Cour suprême. Pour tous ces motifs, il est allégué que l’État népalais n’a pas fourni de recours utile à M. Sedhai et à l’auteur et qu’il a enfreint le paragraphe 3 de l’article 2 pris seul et lu conjointement avec les articles 6 (par. 1), 7, 9 et 10.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1L’État partie a fait part de ses observations dans une note verbale datée du 9 août 2010. Il rappelle que les faits relatés dans la communication se sont produits pendant le conflit armé. Pour y faire face, l’État partie a décidé d’établir une commission chargée d’enquêter sur les cas de disparition ainsi qu’une commission de vérité et réconciliation, conformément à l’article 33 s) de la Constitution provisoire du Népal de 2007 et à l’article 5.2.5 de l’Accord de paix global du 21 novembre 2006. À cette fin, un projet de loi relatif à la Commissionde vérité et réconciliation et un projet de loi relatif à la disparition forcée (infraction et peines) ont été préparés, en étroite consultationavec toutes les parties prenantes; ils sont en lecture devant les commissions législatives compétentes. Les deux commissions qui seront créées après adoption de ces deux projets de loi enquêteront sur les incidents survenus pendant le conflit et établiront la vérité sur les cas de disparition forcée, ycompris celui de M. Sedhai. Toutes les personnes qui ont été touchées par le conflit, ycompris l’auteur, auront la possibilité d’exposer leur situation et d’exprimer leurs vues devant ces commissions.

4.2L’activité des deux commissions ne se substituera en aucun cas à l’application de la loi pénale existante. Le projet de loi sur les disparitions a été conçu pour que la disparition forcée soit érigée en infraction punissable par la loi, que la vérité soit établie en enquêtant sur les incidents survenus pendant le conflit armé, que l’impunité cesse grâce à l’adoption de mesures appropriées contre les responsables de tels actes et que les victimes reçoivent une indemnisation adéquate et obtiennent justice. Pour sa part, le projet de loi relatif à la Commission de vérité et réconciliation dispose que les personnes impliquées dans des disparitions forcées ne pourront en aucun cas bénéficier d’une amnistie. Les mesures voulues seront prises, conformément à la loi, contre toute personne reconnue coupable à l’issue d’une enquête approfondie menée par les commissions qui seront établies après adoption des projets de loi.

4.3Comme il est indiqué dans la communication de l’auteur, la Commission nationale des droits de l’homme, après une enquête en bonne et due forme, a recommandé au Gouvernement népalais de faire savoir ce qu’il est advenu de M. Sedhai. Elle a également recommandé que les agents de l’État qui auront été identifiés comme responsables des actes présumés de détention extrajudiciaire et de disparition forcée soient poursuivis. Parallèlement, la Cour suprême a publié une directive à l’intention du Gouvernement visant l’élaboration d’un projet de loi et la réalisation par la commission qui serait créée par ladite loi d’enquêtes sur les cas de disparitions. Le fait que les deux projets de loi ont été soumis à l’Assemblée législative montre que le Gouvernement népalais a la volonté ferme et sincère de respecter pleinement la recommandation de la Commission nationale des droits de l’homme et la directive de la Cour suprême.

4.4La famille de M. Sedhai a reçu 100 000 roupies dans le cadre de l’engagement pris par le Gouvernement d’offrir une aide pécuniaire à titre d’indemnisation provisoire aux familles des personnes décédées ou disparues durant le conflit armé. Ce versement n’est qu’une mesure provisoire et ne peut en aucune manière compenser la douleur et l’angoisse soufferts par la famille et par les proches de M. Sedhai. L’État est déterminé à verser une indemnisation supplémentaire sur la base des recommandations que formuleront les mécanismes de justice de transition qui seront mis en place prochainement.

4.5En outre, l’État partie émet des doutes quant à l’authenticité de la communication présentée par Mme Mandira Sharma, d’Advocacy Forum − Népal, dont il est dit qu’elle représente l’auteur. L’État partie juge troublant que la signature de Mme Sedhai qui figure sur la «lettre d’autorisation» du 4 août 2008 diffère de celle qu’elle a apposée sur la première requête en habeas corpus présentée à la Cour suprême. En outre, la deuxième requête en habeas corpus de Mme Sedhai porte seulement une empreinte digitale.

4.6Étant donné que l’État partie s’est engagé à mener une enquête appropriée et approfondie sur tous les cas de disparition forcée survenus au cours des dix années de conflit armé et qu’il a déjà pris des mesures en vue d’ouvrir un recours interne approprié, dans l’esprit de la Constitution provisoire, de l’Accord de paix global et des instructions de la Cour suprême, l’État partie est d’avis que la communication présentée par l’auteur doit être rejetée.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans une réponse datée du 5 octobre 2010, l’auteur a rejeté les observations de l’État partie. Elle affirme qu’il n’existe aucune certitude concernant l’adoption des projets de loi, le moment où ils seront adoptés ni la manière dont ils affecteront les droits des victimes. Elle rejette donc l’argument de l’État partie qui affirme que la commission créée et la Commission de vérité et réconciliation répondent à l’exigence «d’une enquête et de poursuites rapides, indépendantes et efficaces», telles que requises en vertu du droit international des droits de l’homme.

5.2L’auteur souligne que plus de sept années se sont écoulées depuis que M. Sedhai a été arrêté et qu’il a disparu et que l’État partie n’a pas diligenté d’enquête impartiale. De surcroît, les deux commissions mentionnées n’existent pas encore et l’on ne sait pas encore précisément dans quel délai elles seront établies. Les autorités ne se sont donc pas sérieusement engagées à ouvrir «rapidement» une enquête. L’auteur rappelle que ces commissions ne sont pas des organes judiciaires et qu’il n’est pas établi qu’elles seront habilitées à punir de manière appropriée les auteurs de violations des droits de l’homme.

5.3L’auteur précise que l’État partie n’a toujours pas mis en œuvre la décision de la Commission nationale des droits de l’homme du 6 juin 2006, dans laquelle la Commission recommande aux autorités népalaises de faire connaître son sort, de poursuivre le personnel militaire responsable de sa disparition et de tenir la Cour suprême et la Commission informées des sanctions imposées aux fonctionnaires responsables.

5.4L’auteur considère également que la commission chargée d’enquêter sur les disparitions et la Commission de vérité et réconciliation ne sont pas des organes judiciaires et que les projets de loi en portant création ne les habilitent pas à punir de manière appropriée les auteurs de la disparition forcée de M. Sedhai.

5.5L’auteur affirme en outre que l’argument de l’État partie qui affirme que les mécanismes de justice de transition sont mieux à même de conduire une enquête globale ne garantit pas que les auteurs seront poursuivis dans les meilleurs délais. Même si le système de justice pénale népalais ne qualifie pas expressément la torture, la disparition forcée, la détention au secret et les mauvais traitements d’infractions, il demeure la meilleure voie pour obtenir l’ouverture d’une enquête pénale et des sanctions. La requête de l’auteur ne saurait être rejetée en invoquant des organes de justice de transition qui n’ont pas encore été créés.

5.6Quant aux autres motifs invoqués dans les observations de l’État partie, l’auteur considère que les 100 000 roupies versées par l’État partie à titre d’«indemnisation provisoire» suite à l’arrêt rendu en juin 2007 par la Cour suprême ne constituent pas une indemnisation appropriée pour elle-même et pour sa famille.

5.7Pour ce qui est de l’authenticité de la plainte, l’auteur signale que les différences entre les signatures qu’elle a apposées sur les documents relatifs à la plainte s’expliquent par le fait qu’elle est semi-alphabète. Quand elle a déposé la première requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême le 14 décembre 2004, pressée par le temps et sous le coup de la peur, comme il n’y avait pas d’encre pour qu’elle puisse apposer son empreinte digitale, elle a demandé à sa nièce de signer pour elle. Le 15 septembre 2005, quand elle a déposé la deuxième requête en habeas corpus, l’auteur a apposé son empreinte digitale. Le 3 août 2008, au moment d’autoriser Advocacy Forum − Népal à soumettre une communication, elle se sentait en confiance et a été capable de signer. L’auteur souligne en outre que l’empreinte digitale qu’elle a apposée au bas de la requête en habeas corpus de septembre 2005 est identique à celle dont est revêtue la déclaration annexée à la lettre du 8 octobre 2010 dans laquelle elle adresse ses commentaires au Comité des droits de l’homme, et que la signature qui figure au bas de sa lettre adressée au Comité le 3 août 2008 est identique à celle qui figure sur cette même lettre contenant ses commentaires.

Observations supplémentaires de l’État partie

6.1Dans une note verbale datée du 3 février 2011, répondant aux commentaires de l’auteur, l’État partie affirme de nouveau que l’établissement de la Commission de vérité et réconciliation et de la commission chargée d’enquêter sur les disparitions est prévu dans la Constitution provisoire de 2007 ainsi que dans l’Accord de paix global de 2006. Il n’y a aucune raison d’émettre des doutes à l’égard des dispositions que prévoit la Constitution pour résoudre le problème des personnes disparues et des violations des droits de l’homme commises durant le conflit. Les dispositions du chapitre 8 de la Constitution provisoire doivent être appliquées pour que les projets de loi soient adoptés par le Parlement. Les projets de loi sont à l’examen et les commissions vont être établies. Il n’existe aucune raison de remettre en cause le mandat des commissions, qui est énoncé clairement dans les dispositions pertinentes de la Constitution provisoire et de l’Accord de paix global.

6.2La Commission nationale des droits de l’homme a été établie en vertu de l’article 132 de la Constitution provisoire. Elle est chargée de veiller au respect, à la protection et à la promotion des droits de l’homme et à leur réalisation effective. Ses fonctions consistent à recevoir les requêtes ou plaintes pour violations des droits de l’homme, à conduire des enquêtes et investigations indépendantes et à recommander les mesures à prendre à l’encontre des auteurs. La mise en œuvre effective de ces recommandations est une obligation constitutionnelle de l’État, qui est résolu à s’en acquitter. L’auteur prétend que l’État n’a pas appliqué la recommandation de la Commission nationale des droits de l’homme dans l’affaire qui concerne M. Sedhai. Or, la mise en place d’une commission chargée d’enquêter sur une seule affaire ne serait pas une solution appropriée et pratique. Enoutre, les faits s’étant produits pendant le conflit armé, ils relèvent de la Commission de vérité et de réconciliation, conformément à la pratique internationale qui consiste, en de telles affaires, à établir publiquement la vérité, afin de faciliter les poursuites et la réconciliation nationale, dans la recherche d’une paix durable. Une fois les projets de loi adoptés, les mesures qui s’imposent seront prises conformément à leurs dispositions.

6.3Le Gouvernement réaffirme que les 100 000 roupies versées à la famille de M. Sedhai représentent une indemnisation provisoire et qu’un complément sera versé sur la base des recommandations que formuleront les mécanismes de justice de transition qui seront mis en place prochainement.

6.4En ce qui concerne le commentaire de l’auteur qui objecte que les commissions proposées ne sont pas des organes judiciaires, le Gouvernement souligne que leur création est prévue par la Constitution et par l’Accord de paix global. La commission des personnes disparues sera quant à elle créée selon la directive de la Cour suprême. Ces commissions devraient faciliter la gestion des suites du conflit, notamment en enquêtant sur les violations graves des droits de l’homme commises durant le conflit et en formulant des recommandations pour l’ampleur de la réparation à offrir aux familles des disparus.

6.5Au sujet du commentaire de l’auteur qui affirme que la torture n’est pas érigée en infraction pénale, il faut savoir que la Constitution de 1990 dispose qu’aucun détenu ne peut être soumis à la torture physique ou mentale ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants, et que toute personne ayant été soumise à un tel traitement a droit à réparation conformément aux conditions prévues par la loi. La Constitution provisoire de 2007 prévoit quant à elle que de tels actes sont punis par la loi et que les victimes ont droit à réparation conformément aux conditions stipulées dans la loi. La loi de 1996 sur l’indemnisation des victimes de la torture prévoit une voie de recours, et une réforme législative est en cours en vue de «rendre les dispositions juridiques interdisant la torture plus efficaces».

6.6L’auteur a dit qu’elle avait demandé à sa nièce de signer pour elle; or le Muluki Ain (Code général), 2020 Bikram Samvat, interdit à quiconque de signer au nom d’une autre personne, même avec son consentement, et punit cette pratique. Il n’est pas indiqué dans la requête en habeas corpus que la signature est celle de la nièce et l’auteur n’a fait part d’aucune crainte particulière qui l’aurait empêchée de signer elle-même. L’État partie réfute en outre l’information concernant l’absence d’encre.

6.7L’État partie estime par conséquent que la requête est dénuée de fondement et devrait être rejetée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3Concernant l’épuisement des recours internes, le Comité constate que, malgré l’introduction par l’auteur d’une requête en habeas corpus auprès de la Cour suprême, en décembre 2004, puis d’une autre en septembre 2005, par lesquelles le Ministère de l’intérieur, le Ministère de la défense, la caserne de Chhauni, l’état-major de la police, l’état-major de l’armée et le Bureau de l’administration et le Bureau de la police du district de Katmandou ont été informés de ses allégations, aucune enquête n’a été diligentée par l’État partie, huit ans après que les violations ont été portées à son attention. Or le Comité note que dans la réponse qui a été faite à l’auteur après sa deuxième requête en habeas corpus, les autorités ont réaffirmé ne pas savoir ce qu’il était advenu des victimes présumées et ont demandé que la requête soit rejetée, sans donner d’informations sur les mesures prises pour enquêter. Le Comité note également que l’État partie n’a pas collaboré avec la Commission nationale des droits de l’homme malgré les demandes répétées faites par celle-ci pour obtenir des informations. En outre, l’État partie n’a pris aucune disposition concrète pour enquêter sur le sort de M. Sedhai ni pour traduire les responsables devant la justice depuis que sa disparition a été signalée aux autorités, en dépit des recommandations de la Commission nationale des droits de l’homme et des instructions de la Cour suprême à cet effet.

7.4De plus, le Comité relève que l’État partie n’a pas donné de renseignements concrets sur la question de savoir s’il existe une procédure pénale en cours en l’espèce et qu’au contraire toutes les mesures prises par la famille de l’auteur pour tenter de savoir si une enquête était en cours révèlent l’absence d’une telle enquête ou de progrès notables à cet égard. Les renseignements dont il dispose ne permettent donc pas au Comité de conclure qu’une enquête pénale est actuellement menée par les autorités policières ou les autorités de poursuites compétentes.

7.5Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie selon lequel le cas Mukunda Sedhai sera examiné par les mécanismes de justice de transition qui doivent être mis en place conformément à la Constitution provisoire de 2007 et à l’Accord de paix global de 2006. Il prend aussi note de la position de l’auteur quant à l’absence de certitude au sujet de l’adoption des projets de loi mentionnés et des conséquences qu’ils pourraient avoir pour les victimes. Le Comité considère que, dans les circonstances de l’espèce, l’auteur a épuisé tous les recours internes disponibles et que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne l’empêche pas d’examiner la communication.

7.6Concernant l’argument de l’État partie qui affirme que les différences dans les signatures apposées sur les documents que l’auteur a présentés au cours de la procédure remettent en cause l’authenticité de la plainte, le Comité estime que, compte tenu des explications fournies par l’auteur, ces différences ne suffisent pas à remettre en cause l’authenticité de la communication qui lui a été soumise.

7.7En conséquence, le Comité considère que la communication est recevable et procède à l’examen quant au fond des griefs de violation des articles 6 (par. 1), 7, 9 et 10 seuls et lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et au titre du paragraphe 3 de l’article 2 seul.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées.

8.2Le Comité note que, d’après l’auteur, son mari, M. Sedhai, a été arrêté le 19 décembre 2003 alors qu’il se trouvait dans une échoppe à thé à Bhimsensthan (Katmandou) par quatre ou cinq hommes en civil, dont certains étaient armés. Il note également que M. Sedhai était connu dans cette échoppe, car il s’y rendait régulièrement pour rencontrer d’autres personnes venant du district de Dhading et séjournant à Katmandou. Le Comité note en outre qu’en 2005, la Commission nationale des droits de l’homme a mené une enquête, qui a conclu que M. Sedhai avait été arrêté et placé en détention à la caserne de Chhauni, information qui a par la suite été confirmée par un témoin, Dev Bahadur Maharjan. Malgré l’espoir de la famille de M. Sedhai de le retrouver vivant, le Comité comprend les craintes de l’auteur et de sa famille qu’il soit décédé, du fait de sa disparition prolongée. Le Comité constate que l’État partie n’a apporté aucun élément réfutant une telle allégation. Il rappelle qu’en matière de disparition forcée, la privation de liberté, suivie du déni de reconnaissance de celle-ci ou de la dissimulation du sort réservé à la personne disparue, soustrait cette personne à la protection de la loi et fait peser un risque constant et sérieux sur sa vie, dont l’État doit rendre compte. En l’espèce, le Comité constate que l’État partie n’a apporté aucun élément permettant de conclure qu’il s’est acquitté de son obligation de protéger la vie de M. Sedhai. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a failli à son obligation de protéger la vie de M. Sedhai, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

8.3Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son Observation générale no 20 relative à l’article 7, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Il note en l’espèce que M. Sedhai a été arrêté le 19 décembre 2003 et que son sort demeure inconnu depuis le 16 janvier 2004, date à laquelle un membre de l’armée a remis la deuxième et dernière lettre écrite par M. Sedhai à son épouse après sa détention. Le Comité note en outre que M. Sedhai a été gravement battu et torturé pendant sa détention à la caserne de Chhauni, que les conditions de détention étaient inhumaines et que les détenus y étaient fréquemment torturés et battus (voir par. 2.5 et 2.6). Le Comité rappelle qu’il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence de toute explication convaincante fournie par l’État partie, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations de l’auteur. En se fondant sur les éléments dont il dispose, et rappelant que l’article 7 ne souffre aucune limitation, même en situation de danger public, le Comité conclut que les actes de torture dont l’auteur a été victime, sa détention au secret et sa disparition forcée, ainsi que les conditions de sa détention, font apparaître, individuellement et conjointement, des violations de l’article 7 du Pacte à l’égard de M. Sedhai.

8.4Le Comité note également que la disparition de M. Sedhai a causé à l’auteur et à ses deux enfants, Anil et Anita Sedhai beaucoup d’angoisse et de détresse. La famille n’a jamais obtenu de confirmation officielle de sa détention. Le Comité est donc d’avis que les faits dont il est saisi font également apparaître, à l’égard de l’auteur et de ses deux enfants, une violation de l’article 7 du Pacte, seul et lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2.

8.5En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9, le Comité note les allégations de l’auteur (voir par. 2.1 à 2.3) qui affirme que M. Sedhai a été arrêté le 19 décembre 2003 par quatre ou cinq hommes en civil, sans mandat, et sans qu’il soit informé des raisons de son arrestation, qu’il n’a pas été informé des charges pénales qui pesaient contre lui et n’a pas été présenté devant un juge ou une autre autorité judiciaire, auprès desquels il aurait pu contester la légalité de sa détention et qu’aucune information officielle n’a été donnée à l’auteur et à sa famille sur le lieu où se trouvait M. Sedhai ni sur son sort. En l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie, le Comité conclut à une violation de l’article 9 à l’égard de M. Sedhai.

8.6Pour ce qui est du grief tiré de l’article 10, paragraphe 1, le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privations ou de contraintes autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté, et qu’elles doivent être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. Compte tenu de la détention au secret de M. Sedhai et des informations communiquées par les témoins au sujet des conditions de détention à la caserne de Chhauni, et en l’absence d’informations fournies par l’État partie à cet égard, le Comité conclut à une violation de l’article 10, paragraphe 1, du Pacte.

8.7L’auteur invoque également le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, qui fait obligation aux États parties de garantir à chacun des recours accessibles, utiles et exécutoires permettant de faire valoir les droits garantis dans le Pacte. Le Comité accorde de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il rappelle son Observation générale no 31 (2004), qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte (par. 15). En l’espèce, la famille de M. Sedhai a alerté à plusieurs reprises les autorités compétentes de sa disparition, notamment les autorités judiciaires telles que l’état-major de la police, la police du district et la Cour suprême, mais toutes les démarches entreprises se sont révélées vaines et l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de M. Sedhai. En outre, la référence de l’État partie à des procédures qui n’ont pas encore été mises en place (la Commission de vérité et réconciliation et la Commission sur les disparitions prévues par la Constitution provisoire de 2007 et par l’Accord de paix global de 2006) ne suffit pas pour considérer que l’auteur a bénéficié d’un recours utile. De surcroît, le fait que l’État partie a annoncé que les 100 000 roupies versées à la famille de M. Sedhai à titre d’indemnisation provisoire seraient suivies d’une indemnisation supplémentaire définie sur la base des recommandations de mécanismes de justice de transition qui restaient à établir ne garantit pas non plus à l’auteur qu’elle bénéficiera d’un recours utile. Le Comité conclut donc que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 6 (par. 1), l’article 7, l’article 9 et l’article 10 (par. 1) à l’égard de M. Sedhai, et du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur et de ses deux enfants, Anil et Anita Sedhai.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie de l’article 6 (par. 1), de l’article 7, de l’article 9, de l’article 10 (par. 1), et de l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec l’article 6 (par. 1), l’article 7, l’article 9 et l’article 10 (par. 1) du Pacte à l’égard de M. Sedhai, ainsi qu’une violation de l’article 7 lu seul et conjointement avec l’article 2 (par. 3) à l’égard de l’auteur et de ses deux enfants.

10.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur et sa famille un recours utile, consistant notamment à: a) mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de M. Sedhai; b) fournir à l’auteur et à sa famille des informations détaillées quant aux résultats de son enquête; c) libérer immédiatement M. Sedhai s’il est toujours détenu au secret; d) dans l’éventualité où M. Sedhai serait décédé, restituer sa dépouille à sa famille; e) poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises; f) verser une indemnisation adéquate à l’auteur et ses enfants pour les violations subies ainsi que M. Sedhai s’il est encore en vie. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

11.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et à les diffuser largement dans les langues officielles.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Fabián Salvioliet M. Víctor Rodríguez Rescia

Nous sommes d’accord avec la décision du Comité concernant la communication no 1865/2009, dans laquelle le Comité conclut que l’État a engagé sa responsabilité internationale en violant les articles 6 (par. 1), 7, 9 et 10 (par. 1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi que l’article 2 (par. 3) lu conjointement avec les articles 6 (par. 1), 7, 9 et 10 (par. 1), à l’égard de Mukunda Sedhai, et en violant également l’article 7, lu seul et conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, à l’égard de l’auteur et de ses deux enfants.

Cependant, nous regrettons profondément que le Comité n’ait pas conclu à une violation de l’article 16, s’écartant de ce fait de sa jurisprudence constante en matière de disparitions forcées.

Dans la présente affaire, le Comité n’a pas constaté de violation de l’article 16 parce que cette disposition n’avait pas été invoquée par l’auteur de la communication; ce faisant, il a omis d’appliquer le principe juridique jura novit curi ae et a limité lui-même ses attributions, sans motif, ce qui n’est pas approprié de la part d’un organe international de protection des droits de l’homme.

Les éléments contenus dans le dossier de la communication soumise au Comité montrent que la victime a fait l’objet d’une disparition forcée. Or, le Comité considère que la disparition forcée d’une personne entraîne la violation du droit de cette personne à la reconnaissance de sa personnalité juridique; telle est la position qu’il a clairement adoptée en l’affaire Kimouche c. Algérieet qu’il maintient depuis. Le Comité a ainsi rappelé «… sa jurisprudence constante selon laquelle le fait de soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance de sa personnalité, si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice […] sont systématiquement empêchés».

On s’explique difficilement pourquoi le Comité, en présence de faits identiques démontrés, parvient à des conclusions différentes selon les arguments juridiques des parties. En choisissant cette ligne de conduite, il traite les questions dont il est saisi comme si elles relevaient du droit civil, et non du droit international des droits de l’homme. La réticence de la majorité des membres à appliquer le principe jura novit curi ae conduit à des décisions qui sont irrationnelles au vu des faits démontrés.

Il convient d’ailleurs de noter que cette prétendue pratique, outre qu’elle est erronée, n’est pas constante: le Comité lui-même a parfois appliqué le principe juridique jura novit curi ae− quoique sans l’invoquer expressément − dans ses décisions. Il y a eu ces dernières années plusieurs affaires dans lesquelles il a pris la liberté d’appliquer le Pacte correctement vis-à-vis des faits constatés, en s’éloignant des arguments juridiques ou des articles explicitement invoqués par les parties.

Le Comité devra à l’avenir définir des directives précises pour l’appréciation des faits exposés dans les affaires qui lui sont soumises aux fins d’appliquer le droit et, à cet effet, suivre l’approche internationale la plus éprouvée et cohérente, s’abstenir de limiter ses propres compétences, appliquer sans hésitation le principe jura novit curi ae lorsque cela est pertinent, et éviter de générer des incohérences dans sa jurisprudence, de façon à s’acquitter au mieux de la mission qui est la sienne, à savoir veiller à ce que les droits énoncés dans le Pacte soient garantis et respectés, pour toutes les personnes relevant de la juridiction des États parties au Protocole facultatif, dans le cadre de la procédure de communications individuelles.

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]