Nations Unies

CCPR/C/103/D/1819/2008

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. : générale

1 décembre 2011

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 1819/2008

Décision adoptée par le Comité à sa 103e session17 octobre-4 novembre 2011

Présentée par:A. A. (représentée par Mai Nguyen)

Au nom de:L’auteur

État partie:Canada

Date de la communication:23 septembre 2008 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 24 octobre 2008 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision:31 octobre 2011

Objet:Renvoi de l’auteur en Iran, où elle risque la lapidation ou le mariage forcé

Questions de procédure:Fondement des griefs

Questions de fond:Risque de soumission à des actes de torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en cas de renvoi; risque d’arrestation et de détention arbitraire; égalité devant les tribunaux et les cours de justice; restrictions à la liberté d’expression; et discrimination fondée sur la condition de femme de l’auteur

Articles du Pacte:2 et 26; 7; 9, par. 1; 13; 14, par.1; et 19, par. 1 et 2

Article du Protocole facultatif:2

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (103e session)

concernant la

Communication no 1819/2008*

Présentée par:A. A. (représentée par Mai Nguyen)

Au nom de:L’auteur

État partie:Canada

Date de la communication:23 septembre 2008 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2011,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

L’auteur de la communication, datée du 23 septembre 2008, est A. A. Citoyenne iranienne née en 1973, celle-ci se déclare victime de violations par le Canada des droits consacrés aux articles 2 et 26; 7; 9, par. 1; 13; 14, par.1; et 19, par. 1 et 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ainsi qu’aux articles 2 d, 3, 15, et 16 (par. 1 b) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 19 août 1976. L’auteur est représentée par Mai Nguyen, avocate au barreau du Québec.

Le 24 octobre 2008, le Comité, agissant à travers son Rapporteur spécial aux nouvelles communications, a demandé à l’État partie de ne pas renvoyer l’auteur en République islamique d’Iran tant que son cas faisait l’objet d’un examen du Comité.

Rappel des faits tels que présentés par l’auteur

2.1L’auteur déclare avoir entretenu en Iran, de septembre 2003 à février 2004, une relation avec un homme qu’elle croyait être divorcé mais qui, en fait, était marié. En mars 2004, l’auteur a été arrêtée par les autorités policières iraniennes pour avoir entretenu une «relation illégitime» avec un homme marié. Consécutivement, les autorités l’ont détenue pendant quatre jours et menacée de punitions violentes, telles que la lapidation, afin d’obtenir de sa part des confessions sur ladite relation.

2.2Pendant cette détention, le père de l’auteur a tenté de la faire libérer en sollicitant l’intervention du cousin de l’auteur, vu la position de ce dernier et son influence en tant que colonel haut gradé du Sepah. En échange de cette intervention, le cousin a exigé que l’auteur lui soit donnée en mariage, comme deuxième épouse, à défaut de quoi la procédure contre elle serait rouverte. Le père de l’auteur, bien qu’opposé à cette proposition de mariage forcé, a fait croire au cousin qu’il l’acceptait pour faire libérer sa fille. À la suite de l’intervention du cousin de l’auteur, celle-ci a été libérée après quatre jours passés en détention.

2.3Afin d’échapper à un mariage forcé avec son cousin, l’auteur a tenté d’obtenir un visa de visiteur pour le Canada, où résidait sa sœur. Or, cette demande lui a été refusée en été 2004. Dans l’intervalle, le cousin de l’auteur a commencé à exercer une pression grandissante sur l’auteur et sa famille, ainsi qu’à menacer expressément de rouvrir la procédure pénale contre elle si elle ne se mariait pas avec lui. Le 26 mai 2005, l’auteur est finalement parvenue à quitter l’Iran et s’est rendue en Autriche avec l’assistance d’un individu à qui elle a versé une somme d’argent importante en échange d’un visa. En Autriche, l’auteur a retrouvé son frère, résident de ce pays, et deux semaines après, elle revendiquait le statut de réfugiée.

2.4Le 28 juin, la sœur de l’auteur, résidente au Canada, a reçu un appel téléphonique d’un individu qui a demandé d’un ton menaçant où se trouvait l’auteur. En juillet 2005, le frère de l’auteur a reçu un appel similaire d’un individu se présentant comme un collaborateur de l’ambassade iranienne en Autriche. Cet individu a fait comprendre au frère qu’il était capable de faire du mal à l’auteur. Entre-temps, l’auteur avait également appris de ses parents restés en Iran que les services de sécurité iraniens, mandatés par son cousin, les avaient harcelés pour savoir où elle se trouvait. Son cousin leur avait également déclaré connaître l’endroit où elle se trouvait et annoncé que ses collaborateurs avaient été envoyés pour lui faire du mal.

2.5L’auteur affirme que, ne se sentant plus en sécurité en Autriche, elle a quitté ce pays pour se rendre au Canada, le 20 août 2005, munie d’un faux passeport. Six jours après son arrivée au Canada, l’auteur a revendiqué le statut de réfugiée auprès de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR). Le 12 avril 2006, la CISR a rejeté sa demande en invoquant l’absence de crédibilité des allégations de l’auteur en ce qui concerne l’existence du cousin, les délais mentionnés pour quitter l’Iran et l’asile au Canada, ainsi que l’absence de tout document prouvant le dépôt d’une demande d’asile en Autriche et au Canada.

2.6En mai 2006, l’auteur a déposé une demande d’autorisation de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale du Canada pour faire appel de la décision de la CISR, demande qui a été rejetée le 19 juillet 2006.

2.7En décembre 2006, l’auteur a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) à la Citoyenneté et immigration du Canada (CIC), demande qui a également été rejetée le 15 janvier 2007 au motif que les allégations de l’auteur ne sont pas crédibles.

2.8En janvier 2007, l’auteur a soumis une demande de résidence permanente pour motifs humanitaires (DRPMH) à la CIC. Le 6 février 2007, l’auteur a été visée par une mesure de renvoi vers l’Iran dont l’exécution était prévue le 11 mars 2007.

2.9Le 21 février 2007, l’auteur a déposé une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision rendue sur la demande d’examen des risques avant renvoi auprès de la Cour fédérale du Canada. Le 27 février 2007, l’auteur a également présenté une demande de sursis au renvoi auprès de la Cour fédérale. Le 6 mars 2007, la Cour fédérale a accordé de surseoir au renvoi jusqu’à sa décision sur la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue sur la demande d’examen des risques avant renvoi. Le 27 juin 2007, la Cour fédérale a accordé l’autorisation demandée de contrôle judiciaire de ladite décision. Cependant, le 13 décembre 2007, la Cour a rejeté sur le fond la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue sur la demande d’examen des risques avant renvoi. Selon l’auteur, depuis cette décision, le sursis accordé à la déportation n’est plus applicable.

2.10Le 20 mars 2008, l’auteur a demandé à la CIC de confier l’examen de sa demande de résidence permanente pour motifs humanitaires à un agent autre que celui assigné pour cet examen, par crainte de partialité dudit agent étant donné que ce même agent avait rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi au préalable. Le 1er et le 16 avril 2008, la CIC a informé l’auteur que l’agent en question demeurait saisi de l’examen de sa demande malgré l’objection de l’auteur. Le 27 juin 2008, la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires de l’auteur a été rejetée par la CIC.

2.11Le 25 juillet 2008, l’auteur a soumis une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à la Cour fédérale pour faire appel de la décision rendue sur la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires. Sa demande a été rejetée le 25 février 2009. En juillet 2008, l’auteur a également déposé une plainte contre la décision rendue sur la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires et une demande d’intervention auprès de la Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration du Canada, afin que cette dernière use de sa discrétion pour lui faire accorder le droit de résidence permanente au Canada. Le 1er août 2008, la Ministre a refusé d’intervenir dans le dossier de l’auteur. Par la suite, l’auteur a été convoquée à l’Agence des Services Frontaliers du Canada le 30 septembre 2008 et sommée d’être en possession d’un billet d’avion et d’un document de voyage valide en vue de son renvoi vers l’Iran avant le 31 octobre 2008. L’auteur affirme avoir ainsi épuisé toutes les voies de recours internes disponibles.

2.12Dans l’intervalle, en juin 2006, un mandat de comparution de l’auteur devant la Cour en Iran pour répondre de l’accusation de «relation illégitime» aurait été laissé au domicile de ses parents.

2.13Durant son séjour au Canada, l’auteur a joint l’Association des femmes iraniennes de Montréal (AFIM). Selon l’auteur, cette organisation cherche à soutenir les femmes d’origine iranienne à Montréal, ainsi qu’à promouvoir l’égalité et les droits fondamentaux des femmes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que les faits susmentionnés démontrent que l’État partie a commis une violation des droits garantis aux articles 2 et 26; 7; 9, par. 1; 13; 14, par.1; et 19, par. 1 et 2 du Pacte, ainsi qu’aux articles 2 d, 3, 15, et 16 (par. 1 b) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. L’auteur affirme qu’en cas de renvoi en Iran, elle risque l’arrestation, la détention, la persécution et la torture du fait de l’accusation toujours pendante contre elle dans ce pays au motif de «relation illégitime», de la menace posée par son cousin. Elle fait également valoir ses activités au Canada au sein de l’AFIM – notamment ses opinions politiques, son opposition au régime en place en Iran et ses idées féministes –, ainsi que sa situation médicale précaire.

3.2L’auteur affirme que la décision prise par la CISR du 12 avril 2006 de refuser sa demande d’asile est erronée en fait et en droit. L’auteur attire l’attention du Comité sur le fait que la CISR n’avait pas mis en doute qu’elle, femme célibataire, avait entretenu une relation illégitime avec un homme marié, ce qui en Iran peut entraîner la torture ou des traitements cruels, tels que la lapidation. L’auteur ajoute que la pratique de la peine de mort par pendaison et par lapidation à l’encontre des femmes dites «adultères»prévue par le système pénal islamique est encore très répandue en Iran, et qu’elle a été dénoncée à plusieurs reprises par les organismes indépendants qui surveillent la situation des droits des femmes. À ces pratiques il convient de rajouter, d’après l’auteur, l’attente dans le couloir de la mort, qui constitue une pratique cruelle en soi. L’auteur affirme que son appartenance au groupe social que sont les femmes iraniennes l’expose au risque d’être condamnée pour adultère, et à ce titre au châtiment public sous la forme imposée aux femmes. D’après l’auteur, la CISR a omis de procéder à cette analyse des risques qu’elle court en tant que femme dans les circonstances en l’espèce.

3.3L’auteur fait observer que les autorités iraniennes surveillent de près les activités des opposants à l’islam dans les autres pays, et qu’elles peuvent facilement avoir connaissance du fait qu’elle participe aux activités de l’AFIM, ce qui fait courir à l’auteur le risque d’être persécutée et détenue en Iran. Selon l’auteur, toute opposition politique au régime est sévèrement réprimée en Iran et les droits des femmes y sont violés, y compris du fait des lapidations, flagellations, détentions arbitraires et prolongées, exécutions sommaires, disparitions et de l’utilisation courante de la torture. L’auteur affirme que ses activités politiques au Canada constituent des faits nouveaux qui ont vu le jour depuis la décision de la CISR, et qui ont été ignorés par l’agent décideur tant pour la demande d’examen des risques avant renvoi que pour la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires. Cet agent a considéré que les lettres de l’AFIM soumises comme preuves ne confirmaient pas que cette organisation était perçue comme un groupe d’opposition par les autorités iraniennes, alors que lesdites lettres signalent explicitement que la participation de l’auteur aux activités de l’AFIM font craindre pour la vie de l’auteur en Iran, pays dans lequel la revendication de l’égalité hommes-femmes est considérée comme une menace à la sécurité nationale. L’auteur est ainsi fondée à considérer que cet agent décideur a violé son droit à l’égalité de traitement devant la loi sans discrimination fondée sur le sexe (articles 2 et 26 du Pacte) et son droit à la liberté d’opinion et d’expression sans crainte de représailles (articles 7, 9 (par. 1), 13 et 19 du Pacte), en plus de la violation de l’article 14 (par. 1) du Pacte compte tenu de la partialité de cet agent décideur de la CIC. L’auteur justifie son allégation de partialité par le fait que c’était ce même agent qui avait pris une décision négative sur la demande d’examen des risques avant renvoi et sur la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires. Cet agent avait des préjugés contre l’auteur et les opposantes au régime iranien, ce qui l’avait amené à tirer des conclusions déraisonnables, biaisées et contraires à la preuve.

3.4En outre, l’auteur estime que la décision du 15 janvier 2007 sur sa demande d’examen des risques avant renvoi et le jugement de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire de ladite décision ont été rendus sans examen valable de la preuve soumise. En conséquence, le processus de la demande d’examen des risques avant renvoi avait violé le droit de l’auteur à être entendue devant un décideur indépendant et impartial. L’auteur ajoute que ni la demande d’examen des risques avant renvoi ni la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires ne sont des recours effectifs. La loi sur l’immigration et la protection des réfugiés limitait l’admission des éléments de preuve dans la demande d’examen des risques avant renvoi uniquement à ceux survenus depuis le rejet de la demande d’asile. Quant à la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires, il s’agissait d’une décision rendue par un ministre sur une base purement humanitaire, et partant non légale.

3.5Finalement, l’auteur fait observer que son retour en Iran entraînerait un risque élevé de détérioration de son état de santé, par ailleurs déjà fragilisé. Le rapport d’évaluation psychologique de février 2008 certifie que l’auteur présente des symptômes de stress post-traumatique, d’anxiété et de dépression dus à son arrestation en Iran et aggravés par le risque de renvoi. Selon l’auteur, l’agent décideur dans la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires a rejeté arbitrairement ce rapport psychologique, ce qui permet raisonnablement de douter de sa partialité.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale du 30 avril 2009, l’État partie affirme qu’il n’a pas l’obligation de s’abstenir de renvoyer l’auteur en Iran même s’il y a un risque de violation par l’Iran des droits visés aux articles 9, 19 ou 26 du Pacte, lus conjointement avec l’article 2. Les États parties au Pacte ne devraient pas être tenus responsables des violations qui n’atteignent pas le niveau de gravité et d’irrévocabilité d’une violation des articles 6 ou 7 du Pacte. L’État partie soutient donc que les allégations de violations des articles 2, 9, 19 et 26 du Pacte sont hors de la compétence ratione materiae du Comité, en vertu de l’article 3 du Protocole Facultatif. L’État partie ajoute que, dans tous les cas, l’auteur n’a pas établi la violation prima facie de ces articles.

4.2L’État partie tient à rappeler que l’article 2 ne confère pas de droit indépendant à réparation mais définit simplement la portée des obligations juridiques des États parties.

4.3L’État partie fait valoir que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif pour ce qui est de l’allégation de l’auteur en référence à l’article 7 du Pacte, puisque l’auteur n’a pas démontré qu’elle encourait un risque personnel et réel d’être torturée ou soumise à des traitements cruels, inhumains ou dégradants si elle est renvoyée en Iran. En particulier, l’allégation de l’auteur selon laquelle elle était accusée de relation illégitime n’a pas été jugée crédible, et elle n’a pas non plus démontré qu’elle avait critiqué le régime iranien avant ou après son départ. Ainsi, l’auteur n’a pas été en mesure de fournir des informations élémentaires permettant de vérifier l’existence du cousin, son arrestation en Iran ou les accusations portées à son endroit – la validité de la photocopie du mandat de comparution devant la Cour de justice en Iran ne pouvant être vérifiée. En outre, l’auteur n’a pas fourni d’explications raisonnables sur le délai mis à quitter l’Iran alors qu’elle avait un passeport valide et un visa de sortie. Les autorités canadiennes ont déterminé que, dans tous les cas, les relations illégitimes peuvent entraîner en Iran des coups de fouet mais non la lapidation, réservée à l’adultère. Cependant, l’auteur n’a pas démontré qu’elle courait personnellement le risque d’être soumise à la flagellation en cas de renvoi. En ce qui concerne le rôle de l’auteur dans l’AFIM au Canada, les autorités canadiennes ont abouti à la conclusion que rien ne permet de dire que l’AFIM est un groupe d’opposition au régime iranien: il s’agit davantage d’une organisation promouvant l’intégration et les droits des femmes iraniennes au Canada. En outre, aucune preuve ne vient étayer la participation de l’auteur à des activités d’opposition au régime iranien. L’État partie conclut que le fait que la discrimination et la violence à l’endroit des femmes sont répandues en Iran ne signifie pas que l’auteur risque personnellement d’être soumise aux traitements ou peines visés à l’article 7 du Pacte. L’État partie ajoute que l’auteur possède un diplôme universitaire, qu’elle avait un emploi en Iran avant son départ et des parents libéraux qui habitent toujours en Iran. Selon l’État partie, rien n’empêcherait l’auteur de reprendre sa vie en Iran.

4.4En ce qui concerne l’article 13, l’État partie soutient que l’auteur a eu l’occasion de présenter ses arguments contre son expulsion à trois reprises: d’abord auprès de la CISR – notamment, d’être entendue par les membres de celle-ci –, puis en déposant une demande d’examen des risques avant renvoi et une demande de résidence permanente pour motifs humanitaires. L’État partie fait observer que les agents décideurs qui ont examiné la demande d’asile, la demande d’examen des risques avant renvoi et la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires ont pris en compte tous les éléments de preuve apportés par l’auteur, mais qu’ils ont conclu à l’absence de crédibilité des allégations de l’auteur.

4.5L’État partie précise que le recours à la demande d’examen des risques avant renvoi a pour but de déterminer les risques auxquels se trouve exposée une personne visée par une mesure de renvoi, sur la base des nouveaux éléments de preuve susceptibles de justifier l’existence de tels risques. L’État partie rappelle que le Comité a conclu à plusieurs reprises que ladite demande est un recours utile et efficace. En l’espèce, l’agent qui a traité la demande d’examen des risques avant renvoi, après avoir examiné tous les éléments de preuve apportés par l’auteur, a conclu que ceux-ci n’étaient pas susceptibles de réfuter la conclusion de la CISR.

4.6L’État partie fait observer qu’il est bien établi dans la jurisprudence canadienne que le fait qu’un même agent statue à la fois sur la demande d’examen des risques avant renvoi et sur la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires ne remet pas en cause l’impartialité du traitement de la demande. Dans le cas de la deuxième demande, l’agent avait soigneusement examiné tous les éléments de preuve – y compris ceux initialement présentés et la preuve documentaire sur la situation des femmes en Iran – et conclu à l’absence de tout risque fondé de craindre pour la liberté et la sécurité de l’auteur en Iran.

4.7Quant à la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision de la CISR, l’État partie fait observer que, comme le Comité contre la torture l’a reconnu, ce recours n’est pas une simple formalité, puisque la Cour examine l’affaire sur le fond si le demandeur démontre l’existence d’une cause défendable, ce que l’auteur n’est pas parvenue à faire. L’État partie soutient que l’auteur cherche à obtenir une révision des décisions canadiennes; or, le rôle du Comité n’est pas de réviser les décisions des tribunaux nationaux, à l’exception de celles qui sont manifestement déraisonnables. L’État partie conclut que la demande de l’auteur fondée sur l’article 13 est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, étant donné l’absence de violation prima facie.

4.8Selon l’État partie, la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif en ce qui a trait à l’article 14 du Pacte, parce que ce n’est pas ce dernier article qui s’applique aux procédures relatives au renvoi d’un étranger mais l’article 13, et que, de surcroît, l’auteur n’a pas été en mesure d’établir la violation prima facie.

4.9En ce qui concerne les prétendues violations des dispositions de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, l’État partie fait observer que le Comité n’est pas compétent pour statuer sur ces violations.

4.10 L’État partie prie le Comité de déclarer la communication irrecevable et, subsidiairement, dénuée de fondement, pour toutes les raisons avancées.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 21 septembre 2009, l’auteur a commenté les observations de l’État partie. Elle note d’abord que l’agent des renvois lui a ordonné de se rendre à l’ambassade iranienne au Canada pour y demander un titre de voyage, malgré sa crainte raisonnable qu’il soit porté atteinte à sa sécurité si elle se présentait en personne à cette ambassade.

5.2L’auteur affirme ne pas demander au Comité de devenir une quatrième instance de réévaluation des faits ou des éléments de preuve. L’auteur invoque plutôt des irrégularités graves commises en l’espèce, des erreurs manifestes, des abus de procédures et la partialité des agents décideurs.

5.3L’auteur précise que la jurisprudence canadienne énonce expressément que les demandeurs d’asile jouissent de la présomption de véracité, et que celle-ci ne peut être renversée sauf s’il existe des raisons d’en douter. En conséquence de cette jurisprudence, la CISR ne doit pas invoquer l’absence de preuve de corroboration pour conclure à l’absence de crédibilité des allégations du demandeur d’asile. L’auteur ajoute que la demande d’autorisation et la demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 27 juin 2008 sur la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires a été rejetée par la Cour fédérale sans motif. L’auteur affirme que l’agent, en examinant la demande d’examen des risques avant renvoi, n’est pas lié par les conclusions de crédibilité de la CISR et qu’il peut évaluer l’ensemble du dossier, ce qui n’a pas été fait en l’espèce.

Commentaires additionnels de l’État partie

6.1Le 17 septembre 2010, l’État partie a informé le Comité qu’il a entrepris des recherches additionnelles par le biais de la mission canadienne en Iran pour vérifier l’authenticité de la photocopie du mandat de comparution iranien présenté par l’auteur, et qu’il s’avère qu’il n’y a pas et n’y avait pas en 2006, date de délivrance dudit mandat, de secteur 14 dans le tribunal de région 2, Fardis, lieu de comparution indiqué sur le document. Ce fait renforce les conclusions auxquelles la CIC avait abouti, à savoir que ses recherches démontraient qu’en Iran, dans les affaires pénales, aucun mandat de notification n’est adressé à la famille, seulement à l’individu concerné. La CIC avait conclu également que le fait pour la personne convoquée de ne pas répondre à la convocation du tribunal à la date indiquée peut conduire le tribunal à prononcer une peine in absentia.

6.2L’État partie fait valoir qu’il a accepté de ne pas renvoyer l’auteur tant que le cas était sous l’examen du Comité, et qu’aucune démarche n’a été entreprise pour amener l’auteur à se rendre à l’ambassade iranienne pour y demander un titre de voyage.

6.3L’État partie réitère ses réserves initiales sur la recevabilité et le fond de la communication.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

7.2Le Comité s’est assuré que la même affaire n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement et que tous les recours internes disponibles avaient été épuisés. Il considère donc que les conditions énoncées au paragraphe 2 a et b de l’article 5 du Protocole facultatif sont réunies.

7.3Le Comité se déclare incompétent pour examiner la demande de l’auteur, fondée sur la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, et la déclare irrecevable en vertu de l’article 3 du Protocole facultatif.

7.4En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 2 du Pacte, le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui fait valoir que ce grief est irrecevable étant donné que l’article 2 ne peut être invoqué de façon indépendante. En l’espèce, le Comité est d’avis que les allégations de violation qui s’appliquent uniquement à l’article 2 du Pacte sont irrecevables en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif. Le Comité observe, toutefois, que l’auteur a invoqué cet article en relation avec l’article 26 et examinera donc la violation alléguée de l’article 2 lu conjointement avec l’article 26.

7.5Le Comité note que l’auteur se déclare victime d’une violation de l’article 26 en alléguant avoir subi une discrimination fondée sur sa condition de femme pendant la procédure d’asile, sans toutefois étayer ce grief. L’auteur n’a pas démontré que le processus de détermination du statut de réfugiée, tel qu’il a été appliqué à son égard, opérait une distinction discriminatoire fondée sur sa condition de femme. Le Comité estime donc que le grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.6Le Comité note également que l’auteur n’a pas étayé sa demande, fondée sur les articles 9 et 19 du Pacte, et déclare irrecevable cette demande en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.7En ce qui concerne les griefs invoqués par l’auteur en relation avec les articles 13 et 14 du Pacte, le Comité rappelle que les garanties d'impartialité, d'équité et d'égalité consacrées au paragraphe 1 de l'article 14 et à l'article 13 du Pacte sont applicables à tout organe exerçant une fonction juridictionnelle. Cependant, le Comité prend note des observations de l’État partie selon lesquelles l’auteur a eu l’occasion de présenter ses arguments contre son expulsion à trois reprises – notamment d'être entendue. Le Comité observe également que la CISR et la CIC ont toutes deux évalué amplement les faits et les éléments de preuve apportés par l’auteur et que les décisions de ces deux organes ont à leur tour fait l’objet d’une révision par la Cour fédérale. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n'a pas étayé cette partie de sa plainte aux fins de recevabilité, et en conséquence, celle-ci est déclarée irrecevable en vertu de l'article 2 du Protocole facultatif.

7.8Pour ce qui est de l’article 7 du Pacte, le Comité rappelle que les États parties ne doivent pas exposer les individus à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en les renvoyant dans un autre pays en vertu d'une mesure d'extradition, d'expulsion ou de refoulement. Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux instances des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve afin de déterminer l’existence d’un tel risque. En l’occurrence, le Comité observe que tant la CISR que la CIC ont examiné en détail tous les éléments de preuve orale et écrite apportés par l’auteur mais qu’elles ont conclu que ces preuves étaient insuffisantes pour établir les faits étayant les risques invoqués et que les allégations de l’auteur manquaient de crédibilité. Cette conclusion a été confirmée par les amples vérifications effectuées tant sur l’expérience passée de l’auteur en Iran que sur ses activités au Canada au sein de l’AFIM. En conséquence, les autorités canadiennes ont conclu à l’absence d’un risque réel pour l’auteur d’être soumise aux traitements visés à l’article 7 du Pacte. En outre, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé suffisamment sa demande fondée sur des allégations selon lesquelles la procédure aurait été entachée d’irrégularités manifestes, et déclare cette demande irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu des articles 2 et 3 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur de la communication.

[Adoptée en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]