Nations Unies

CCPR/C/109/D/1874/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

7 janvier 2014

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 1874/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 109e session(14 octobre-1er novembre 2013)

Communication présentée par:Rabiha Mihoubi, représentée par Track Impunity Always (TRIAL)

Au nom de:Nour-Eddine Mihoubi (fils de l’auteur) et en son nom propre

État partie:Algérie

Date de la communication:4 mars 2009 (date de la lettre initiale)

Références:Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 29 avril 2009 (non publiée)

Date de l’adoption des constatations:18 octobre 2013

Objet:Disparition forcée

Question de procédure:Épuisement des recours internes

Questions de fond:Droit à la vie, interdiction de la torture et des traitements cruels et inhumains, droit à la liberté et à la sécurité de la personne, respect de la dignité inhérente à la personne humaine, reconnaissance de la personnalité juridique et droit à un recours effectif

Articles du Pacte:2 (par. 3), 6, 7, 9 (par. 1 à 4), 10 et 16

Article du Protocole facultatif:5 (par. 2 b)

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (109e session)

concernant la

Communication no 1874/2009 *

Présentée par:Rabiha Mihoubi, représentée par Track Impunity Always (TRIAL)

Au nom de:Nour-Eddine Mihoubi (fils de l’auteur) et en son nom propre

État partie:Algérie

Date de la communication:4 mars 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 18 octobre 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1874/2009 présentée par Rabiha Mihoubi en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, datée du 4 mars 2009 est Rabiha Mihoubi, citoyenne algérienne née le 13 mars 1933. Elle fait valoir que son fils, Nour-Eddine Mihoubi, de nationalité algérienne, né le 15 mars 1962, est victime de violations par l’Algérie du paragraphe 3 de l’article 2, des articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte. Elle affirme en outre être elle-même victime d’une violation du paragraphe 3 de l’article 2 et de l’article 7 du Pacte. L’auteur est représentée par Track Impunity Always (TRIAL).

1.2Le 4 juin 2009, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de ne pas séparer l’examen de la recevabilité de celui du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Le 27 janvier 1993 à 16 h, Nour-Eddine Mihoubi et son frère Hocine Mihoubi ont été arrêtés au domicile de ce dernier, situé à Diss (Bou Saâda), par des policiers de la ville. Hocine Mihoubi a été relâché dès le lendemain. Il a immédiatement alerté l’auteur, qui s’est aussitôt rendue à Bou Saâda. Elle a cherché en vain à se renseigner auprès des services de police, ces derniers lui signifiant tout ignorer concernant l’arrestation de Nour-Eddine Mihoubi.

2.2 Nour-Eddine Mihoubi a été localisé dans un premier temps au commissariat de Bou Saâda. Il y est resté 11 jours, jusqu’à ce qu’il soit remis à la sûreté de la wilaya d’Alger. D’après des informations parvenues en 1995 à sa famille par le biais de codétenus libérés, il a ensuite été transféré au Centre de Châteauneuf, où il aurait été détenu au secret pendant 18 mois. Ces mêmes sources affirment qu’il a été victime de torture pendant sa détention à Châteauneuf, et que son état de santé s’y est sérieusement détérioré. Sa famille n’a plus réussi à le localiser par la suite, et n’a pu avoir aucun contact avec lui ni obtenir de ses nouvelles des autorités algériennes.

2.3L’auteur a déposé plainte pour l’enlèvement de son fils auprès du procureur de Bou Saâda. C’est à la suite de cette plainte que, trois ans et demi après la disparition de Nour-Eddine Mihoubi, le 22 juillet 1996, le procureur adjoint de Bou Saâda reconnaîtra explicitement que la sûreté de la daïra de Bou Saâda avait bien procédé à l’arrestation de Nour-Eddine Mihoubi et qu’il avait été remis à la sûreté de la wilaya d’Alger, le 7 février 1993. Néanmoins, l’enquête diligentée à la demande du parquet n’a révélé aucune information concernant le lieu où ce dernier pourrait se trouver, ce qui a pu lui arriver lorsqu’il était aux mains des services de sécurité, ni les raisons de son arrestation.

2.4Le père de Nour-Eddine Mihoubi, Mohamed Mihoubi, a également porté à la connaissance du procureur d’Alger l’enlèvement de son fils. En outre, il a écrit à de nombreuses autorités nationales susceptibles de l’aider, dont le Président de la République et le Ministre de la Justice. Le 21 octobre 1995, face au silence des autorités concernées, M. Mihoubi s’est adressé de nouveau au procureur d’Alger, au Ministre de la Justice et au Président de la République, toujours en vain.

2.5La famille Mihoubi a ensuite saisi l’Observatoire national des droits de l’homme (ONDH) d’une demande de localisation. Elle a reçu pour toute réponse un courrier daté du 12 mai 1996, les informant que Nour-Eddine Mihoubi était recherché en vertu d’un mandat d’arrêt no 25/93 du parquet et 143/93 de l’instruction, décerné par la Cour spéciale le 31 mars 1993, soit deux mois après son arrestation.

2.6Le 16 janvier 2000, la sûreté de la Daïra de Bourouba a adressé une convocation non motivée à l’auteur, l’invitant à se présenter le lendemain au siège de l’Inspection générale de la Direction générale de la Sûreté nationale d’Alger. Il s’est avéré qu’il s’agissait de recueillir sa déposition, en tant que mère du disparu, concernant l’enlèvement et la disparition de son fils. Les membres de la famille n’ont plus été contactés ultérieurement pour les besoins de l’enquête et n’ont eu écho d’aucune investigation en cours.

2.7Lorsque la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l’homme (CNCPPDH) a été instituée pour remplacer l’ONDH, la famille Mihoubi l’a également saisie. Leur plainte, enregistrée le 28 septembre 2002, n’a pas non plus permis de connaître le sort du disparu.

2.8Par ailleurs, le cas de Nour-Eddine Mihoubi a été transmis au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, qui a demandé à l’Algérie d’entamer des recherches à son sujet. Cependant, l’État partie n’a, à ce jour, pas donné suite à cette requête ni apporté d’éclaircissements sur cette affaire.

2.9Le 9 mars 2006, la famille Mihoubi a entamé une procédure de déclaration de décès, dans le cadre prévu par l’ordonnance no 06-01 du 27 février 2006 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, ce qui a donné lieu à l’établissement d’un constat de disparition de Nour-Eddine Mihoubi par la Gendarmerie nationale de Bourouba (Alger) le 12 avril 2007.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur considère que son fils a été victime de disparition forcée en violation des articles 2, paragraphe 3; 6, paragraphe 1; 7; 9, paragraphes 1 à 4; 10, paragraphe 1; et 16 du Pacte. L’auteur considère en outre qu’elle est elle-même victime d’une violation de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.

3.2L’arrestation de Nour-Eddine Mihoubi par des agents de l’État partie a été suivie d’un déni de reconnaissance de sa privation de liberté et d’une dissimulation du sort qui lui était réservé. Son absence prolongée ainsi que les circonstances et le contexte de son arrestation laissent penser qu’il a perdu la vie en détention. Se référant à l’observation générale no 6 (1982) du Comité concernant l’article 6, l’auteur allègue que la détention au secret comporte un risque élevé d’atteinte au droit à la vie, puisque la victime se trouve à la merci de ses geôliers, qui, de par la nature même des circonstances, échappent à toute surveillance. Même dans l’hypothèse où la disparition n’aboutirait pas au pire, la menace qui pèse à ce moment-là sur la vie de la victime constitue une violation de l’article 6, puisque l’État ne s’est pas acquitté de son devoir de protéger le droit fondamental à la vie. Ce manquement est aggravé par le fait que l’État partie n’a déployé aucun effort pour enquêter sur le sort de Nour-Eddine Mihoubi. L’auteur considère donc qu’il y a eu violation par l’État partie de l’article 6 seul et lu conjointement avec l’article 2, paragraphe 3, du Pacte.

3.3Se référant à la jurisprudence du Comité, l’auteur allègue que le seul fait d’être soumis à une disparition forcée est constitutif de traitement inhumain ou dégradant. Ainsi, l’angoisse et la souffrance provoquées par la détention indéfinie de Nour-Eddine Mihoubi sans contact avec sa famille ni le monde extérieur équivaut à un traitement contraire à l’article 7 du Pacte. En outre, Nour-Eddine Mihoubi a vraisemblablement été soumis à des actes de torture au Centre de Châteauneuf. Tous les détenus rescapés de ce centre ont affirmé y avoir été torturés, avoir assisté à des séances de torture infligées à leurs codétenus, et y avoir vécu un véritable calvaire. Dès lors, il paraît tout à fait probable que Nour-Eddine Mihoubi, qui y a séjourné pendant plus d’une année, ait subi le même sort. Plusieurs codétenus l’ayant côtoyé ont du reste rapporté à sa famille qu’il avait subi aux mains de ses geôliers des sévices sévères, qui doivent être qualifiés d’actes de torture. Ils ont ajouté qu’en conséquence de ces sévices, sa santé s’était sérieusement détériorée. L’auteur considère en outre que la disparition de son fils a constitué et continue de constituer pour elle, et pour ses proches, une épreuve paralysante, douloureuse et angoissante, dans la mesure où la famille du disparu ignore tout de son sort et, s’il est décédé, des circonstances de sa mort et du lieu de son inhumation. Se référant à la jurisprudence du Comité, l’auteur conclut que l’État partie a également violé ses droits au regard de l’article 7, lu seul et conjointement avec l’article 2, paragraphe 3 du Pacte.

3.4L’auteur note que les autorités auxquelles la famille Mihoubi s’est adressée ont nié détenir la victime. Ce n’est qu’en juillet 1996 que le procureur a enfin reconnu l’arrestation et la détention de Nour-Eddine Mihoubi, sans pour autant informer ses proches du lieu de sa détention, ni de son sort. La famille n’a appris son transfert au Centre de Châteauneuf que de source indirecte et officieuse. En conséquence, l’auteur soutient que l’État partie a agi en violation du paragraphe 1 de l’article 9 du Pacte, parce que Nour-Eddine Mihoubi a été arrêté le 27 janvier 1993 sans mandat de justice, et sans être informé des raisons de son arrestation. Aucun membre de sa famille ne l’a revu ni n’a pu communiquer avec lui depuis que son frère a été remis en liberté. À aucun moment ne lui ont été notifiées les charges pénales portées contre lui, en violation du paragraphe 2 de l’article 9. En outre, il n’a pas été présenté devant un juge ou une autre autorité judiciaire, ni à l’issue de la période légale de garde à vue ou à son terme. Le document établi par le procureur adjoint du tribunal de Bou Saâda ne mentionne pas que Nour-Eddine Mihoubi a été présenté devant le parquet avant sa remise aux services de la sûreté d’Alger, alors qu’il avait passé 11 jours en garde à vue. En tout état de cause, rappelant que la détention au secret peut entraîner per se une violation de l’article 9, paragraphe 3, l’auteur conclut que cette disposition a été violée dans le cas de son fils. Enfin, ayant été soustrait à la protection de la loi pendant toute la durée de sa détention, qui reste indéterminée, Nour-Eddine Mihoubi n’a jamais pu introduire un recours pour en contester la légalité ni demander au juge sa libération, en violation du paragraphe 4 de l’article 9 du Pacte.

3.5L’auteur soutient que, du fait de sa détention au secret, son fils n’a pas été traité avec humanité et dans le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, en violation de l’article 10, paragraphe 1, du Pacte.

3.6L’auteur fait également valoir qu’ayant été victime d’une disparition forcée, Nour-Eddine Mihoubi a été soustrait à la protection de la loi, en violation de l’article 16 du Pacte.

3.7L’auteur soutient qu’aucune suite n’ayant été donnée à toutes les démarches qu’elle a entreprises pour connaître le sort de son fils, l’État partie a manqué à ses obligations de garantir à Nour-Eddine Mihoubi un recours utile, puisqu’il aurait dû mener une enquête approfondie et diligente sur sa disparition et tenir la famille informée des résultats. L’absence de recours utile est d’autant plus patente qu’une amnistie totale et généralisée a été décrétée après la promulgation le 27 février 2006 de l’ordonnance no 6-01 portant mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, qui interdit, sous peine d’emprisonnement, le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves comme les disparitions forcées, assurant ainsi l’impunité des responsables de violations. Cette loi d’amnistie viole l’obligation de l’État d’enquêter sur les violations graves des droits de l’homme et le droit des victimes à un recours effectif. L’auteur conclut à la violation par l’État partie de l’article 2, paragraphe 3, du Pacte à son égard et à l’égard de son fils.

3.8S’agissant de l’épuisement des recours internes, l’auteur souligne que toutes les démarches entreprises par l’auteur et sa famille ont été vaines. La famille a répété ses demandes à toutes les institutions susceptibles de les aider, y compris l’ONDH (devenu la CNCPPDH), le Ministre de la justice et le Président de la République. Aucune de ces institutions n’a répondu à leurs requêtes, en dépit de la reconnaissance par les autorités judiciaires en juillet 1996, que Nour-Eddine Mihoubi avait bien été arrêté et détenu par la sûreté de la Daïra de Bou Saâda. La famille Mihoubi s’est par ailleurs toujours montrée diligente, l’auteur s’étant présentée aux convocations lui ayant été notifiées. Toutefois les enquêtes n’ont jamais permis de clarifier le sort de Nour-Eddine Mihoubi. Les conclusions communiquées à sa famille sont non seulement incomplètes, mais de plus incongrues, puisque, d’après le courrier de l’ONDH du 12 mai 1996, un mandat d’arrêt aurait été émis contre Nour-Eddine Mihoubi, alors qu’il était déjà détenu depuis deux mois par les services de sécurité. Force est donc de constater, au vu de ce qui précède, que toutes les démarches intentées par la famille Mihoubi se sont avérées vaines et inaptes à leur donner satisfaction.

3.9À titre subsidiaire, l’auteur soutient qu’elle se trouve devant l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 précitée. Si tous les recours intentés étaient déjà inutiles et inefficaces, ils sont depuis devenus indisponibles.

Observations de l’État partie

4.1Le 29 mai 2009, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication dans un «mémorandum de référence sur l’irrecevabilité des communications introduites devant le Comité des droits de l’homme en rapport avec la mise en œuvre de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale». Il considère en effet que les communications alléguant la responsabilité d’agents publics ou exerçant sous l’autorité des pouvoirs publics dans la survenance de cas de disparitions forcées durant la période considérée, c’est-à-dire de 1993 à 1998, doivent être traitées dans un cadre global, les faits allégués devant être remis dans le contexte sociopolitique et sécuritaire intérieur d’une période où le Gouvernement luttait contre le terrorisme.

4.2Durant cette période, le Gouvernement combattait des groupes non-structurés. Par conséquent, plusieurs interventions ont été menées de manière confuse au sein de la population civile pour laquelle il était difficile de distinguer les interventions de groupes terroristes de celles des forces de l’ordre. Les disparitions forcées sont donc d’origine diverses et, d’après l’État partie, ne sont pas imputables au Gouvernement. Sur la base de données documentées par de nombreuses sources indépendantes, la notion générique de personne disparue en Algérie durant la période considérée renvoie à six cas de figure distincts, dont aucun n’est imputable à l’État. L’État partie cite le cas de personnes déclarées disparues par leurs proches, alors qu’elles avaient choisi de rentrer en clandestinité pour rejoindre les groupes armés et demandé à leur famille de déclarer qu’elles avaient été arrêtées par les services de sécurité afin de «brouiller les pistes» et d’éviter le «harcèlement» par la police. Le deuxième cas concerne les personnes signalées comme disparues suite à leur arrestation par les services de sécurité mais qui en ont profité pour rentrer dans la clandestinité après leur libération. Il peut s’agir aussi d’une personne disparue ayant été enlevée par des groupes armés qui, parce qu’ils ne sont pas identifiés ou ont agi en usurpant soit leur uniformes soit leurs documents d’identification à des policiers ou des militaires, ont été assimilés, à tort, à des agents des forces armées ou des services de sécurité. Le quatrième cas concerne des personnes qui ont pris l’initiative d’abandonner leurs proches, et parfois même de quitter le pays, suite à des problèmes personnels ou des litiges familiaux. Le cinquième cas est celui de personnes signalées comme disparues par leur famille et qui étaient en fait des terroristes recherchés, tués, enterrés dans le maquis à la suite d’un conflit entre groupes armés rivaux. L’État partie évoque enfin le cas de personnes recherchées comme disparues, qui vivaient en fait soit sur le territoire national soit à l’étranger sous de fausses identités réalisées grâce à un incroyable réseau de falsification de documents.

4.3L’État partie souligne que c’est en considération de la diversité et de la complexité des situations couvertes par la notion générique de disparition que le législateur algérien, suite au plébiscite populaire de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, a préconisé le traitement de la question des disparus dans un cadre global de prise en charge de toutes les personnes disparues dans le contexte de la «tragédie nationale», le soutien de toutes les victimes afin qu’elles puissent surmonter cette épreuve et l’octroi d’un droit à réparation pour toutes les victimes et leurs ayant droits. Selon des statistiques du Ministère de l’intérieur, sur 8 023 disparitions déclarées, 6 774 dossiers ont été examinés, dont 5 704 ont été acceptés pour indemnisation, 934 rejetés et 136 sont en cours d’examen; 371 459 390 DA de compensation ont été versés à toutes les victimes concernées, auxquels s’ajoutent 1 320 824 683 DA sous forme de pensions mensuelles.

4.4L’État partie fait également valoir que tous les recours internes n’ont pas été épuisés. L’État partie remarque qu’il ressort des déclarations de l’auteur qu’elle a adressé des lettres à des autorités politiques ou administratives, saisi des organes consultatifs ou de médiation et transmis une requête à des représentants du parquet sans avoir, à proprement parler, engagé de recours judiciaires qu’elle aurait menés à terme par l’exercice de toutes les voies de recours disponibles en appel et en cassation. Parmi toutes ces instances, seuls les représentants du ministère public sont habilités par la loi à ouvrir une enquête préliminaire et à saisir le juge d’instruction. Dans le système judiciaire algérien, le procureur de la République reçoit les plaintes et, le cas échéant, met en mouvement l’action publique. Cependant, afin de protéger les droits de la victime ou de ses ayants droits, le Code de procédure pénale autorise ces derniers à agir par voie de plainte avec constitution de partie civile directement devant le juge d’instruction. Dans ce cas, c’est la victime et non le procureur qui met en mouvement l’action publique en saisissant le juge d’instruction. Ce recours prévu aux articles 72 et 73 du Code de procédure pénale n’a pas été utilisé alors qu’il aurait suffi à déclencher l’action publique et obliger le juge d’instruction à instruire, même si le parquet en avait décidé autrement.

4.5L’État partie note en outre que, selon les auteurs, l’adoption par référendum de la Charte et ses textes d’application, notamment l’article 45 de l’ordonnance no 06-01 rend impossible de considérer qu’il existe en Algérie des recours internes efficaces, utiles et disponibles pour les familles de victimes de disparition. Sur cette base, les auteurs se sont crus dispensés de l’obligation de saisir les juridictions compétentes en préjugeant de leur position et de leur appréciation dans l’application de cette ordonnance. Or les auteurs ne peuvent invoquer cette ordonnance et ses textes d’application pour s’exonérer de n’avoir pas engagé les procédures judiciaires disponibles. L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle la croyance ou la présomption subjective d’une personne quant au caractère vain d’un recours ne la dispense pas d’épuiser tous les recours internes.

4.6L’État partie s’arrête ensuite sur la nature, les fondements et le contenu de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale et des textes de son application. Il souligne qu’en vertu du principe d’inaliénabilité de la paix qui est devenu un droit international à la paix, le Comité est invité à accompagner, consolider cette paix et favoriser la réconciliation nationale pour permettre aux États affectés par des crises intérieures de renforcer leurs capacités. Dans cet effort de réconciliation nationale, l’État a adopté l’ordonnance no 06-01 qui prévoit des mesures d’ordre juridique emportant extinction de l’action publique et commutation ou remise de peines pour toute personne coupable d’actes de terrorisme ou ayant bénéficié des dispositions de la discorde civile, à l’exception de ceux ayant commis, comme auteurs ou complices, des actes de massacres collectifs, de viols ou d’attentats à l’explosif dans des lieux publics. Elle prévoit également des mesures d’appui à la prise en charge de la question des disparus par une procédure de déclaration judiciaire de décès qui ouvre droit à une indemnisation des ayant droits en qualité de victimes de la «tragédie nationale». En outre, des mesures d’ordre socio-économique ont été mises en place telles que des aides à la réinsertion professionnelle ou l’indemnisation de toute personne ayant la qualité de victime de la «tragédie nationale». Enfin, l’ordonnance prévoit des mesures politiques telles que l’interdiction d’exercer une activité politique à toute personne responsable de l’instrumentalisation de la religion ayant conduit à la «tragédie nationale»; et déclare irrecevable toute poursuite engagée à titre individuel ou collectif à l’encontre des éléments des forces de défense et de sécurité de la République, toutes composantes confondues, pour des actions menées en vue de la protection des personnes et des biens, de la sauvegarde de la nation et de la préservation des institutions de la République.

4.7Le peuple souverain d’Algérie a, selon l’État partie, accepté d’engager une démarche de réconciliation nationale, seul moyen pour cicatriser ses plaies. La proclamation de la Charte s’inscrit dans une volonté d’éviter des situations de confrontation judiciaire, de déballage médiatique et de règlements de compte politiques. L’État partie considère dès lors que les faits allégués par les auteurs sont couverts par le mécanisme interne global de règlement prévu par le dispositif de la Charte.

4.8Il demande au Comité de constater la similarité des faits et des situations décrites par l’auteur et celle du contexte sociopolitique et sécuritaire durant lequel les faits se sont produits; le non-épuisement par les auteurs des recours internes; et la mise en œuvre par les autorités d’un mécanisme interne de traitement et de règlement global des cas visés par les communications en cause, selon un dispositif de paix et réconciliation nationale conforme aux principes de la Charte des Nations Unies et des pactes et conventions subséquentes; de conclure à l’irrecevabilité de ladite communication; et de renvoyer l’auteur à mieux se pourvoir.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Dans ses commentaires, datés du 25 avril 2013, l’auteur considère que l’adoption par l’État partie de mesures législatives et administratives internes visant à prendre en charge les victimes de la «tragédie nationale» ne peut être invoquée au stade de la recevabilité pour interdire aux particuliers relevant de sa juridiction de recourir au mécanisme prévu par le Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Dans le cas d’espèce, les mesures législatives adoptées constituent en elles-mêmes une violation des droits contenus dans le Pacte, comme le Comité l’a déjà relevé.

5.2L’auteur rappelle que la promulgation de l’état d’urgence le 9 février 1992 par l’Algérie n’affecte nullement le droit des individus de soumettre des communications individuelles devant le Comité. L’auteur estime donc que les considérations de l’État partie sur l’opportunité de la communication ne constituent pas un motif d’irrecevabilité valable.

5.3Quant à l’argument de l’État partie selon lequel l’exigence d’épuisement des voies de recours internes requiert que l’auteur mette en œuvre l’action publique par le biais d’un dépôt de plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d’instruction, conformément aux articles 72 et suivants du Code de procédure pénale, l’auteur se réfère à la jurisprudence du Comité et considère que, pour des faits aussi graves que ceux allégués, la constitution de partie civile ne saurait être invoquée pour pallier l’absence de poursuites qui devraient être engagées ex officio par l’État partie. Tant les autorités judiciaires que gouvernementales ont été informées de la disparition de Nour-Eddine Mihoubi, mais les circonstances entourant sa disparition, ainsi que son sort actuel, demeurent inconnus. L’État partie n’a pas rempli son devoir d’enquêter et d’instruire toute infraction grave aux droits de l’homme.

5.4S’agissant de l’argument de l’État partie selon lequel la simple «croyance ou la présomption subjective» ne dispense pas l’auteur d’une communication d’épuiser les recours internes, l’auteur se réfère aux articles 45 et 46 de l’ordonnance no 06-01. L’État partie n’a pas démontré de manière convaincante comment le dépôt de plainte avec constitution de partie civile aurait permis aux juridictions compétentes non seulement de recevoir et d’instruire ladite plainte, ce qui impliquerait une violation de l’article 45 de l’ordonnance, mais aussi de protéger l’auteur contre l’application de l’article 46 de l’ordonnance. La lecture de ces dispositions mène objectivement à la conclusion que toute plainte concernant les violations dont l’auteur et son fils ont été victimes serait non seulement déclarée irrecevable, mais aussi pénalement réprimée. L’auteur note que l’État partie n’apporte aucune illustration d’une quelconque affaire qui, malgré l’existence de l’ordonnance susmentionnée, aurait abouti à la poursuite effective des responsables de violations de droits de l’homme dans un cas similaire au cas d’espèce.

5.5Sur le fond de la communication, l’auteur note que l’État partie s’est contenté d’énumérer les contextes dans lesquels les victimes de la «tragédie nationale», de façon générale, auraient pu disparaître. Ces observations générales ne contestent nullement les faits allégués dans la présente communication. Elles sont du reste énumérées de manière identique dans d’autres affaires, démontrant ainsi que l’État partie ne souhaite toujours pas traiter ces affaires de manière individuelle et répondre, pour ce qui concerne l’auteur de la présente communication, aux souffrances qu’elle et sa famille ont subies.

5.6L’auteur invite le Comité à considérer ses allégations comme suffisamment étayées, vu qu’elle n’est pas en mesure de fournir plus d’éléments à l’appui de sa communication, puisque seul l’État partie dispose d’informations exactes sur le sort de l’intéressé.

5.7L’auteur considère que l’absence de réponse sur le fond constitue un acquiescement tacite de la véracité des faits allégués. Le silence de l’État partie emporte reconnaissance du manquement de son devoir de mener une enquête sur la disparition forcée portée à sa connaissance, sans quoi il aurait été en mesure de fournir une réponse détaillée sur la base des résultats des enquêtes qu’il était tenu de mener. L’auteur maintient, sur le fond, l’ensemble des allégations présentées dans sa communication initiale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1En premier lieu, le Comité rappelle que la jonction de la recevabilité et du fond décidée par le Rapporteur spécial n’exclut pas un examen séparé des deux questions par le Comité. La jonction de la recevabilité et du fond ne signifie pas la simultanéité de leur examen. Par conséquent, avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2En vertu du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité doit s’assurer que la même question n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note que la disparition de Nour-Eddine Mihoubi a été signalée au Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires. Toutefois, il rappelle que les procédures ou mécanismes extraconventionnels mis en place par la Commission des droits de l’homme ou le Conseil des droits de l’homme, et dont les mandats consistent à examiner et à faire rapport publiquement sur la situation des droits de l’homme dans tel ou tel pays ou territoire ou sur des phénomènes de grande ampleur de violation des droits de l’homme dans le monde, ne relèvent généralement pas d’une procédure internationale d’enquête ou de règlement au sens du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif. En conséquence, le Comité estime que l’examen du cas de Nour-Eddine Mihoubi par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires ne rend pas la communication irrecevable en vertu de cette disposition.

6.3Le Comité note que, selon l’État partie, l’auteur n’aurait pas épuisé les recours internes, puisque la possibilité de saisine du juge d’instruction en se constituant partie civile en vertu des articles 72 et 73 du Code de procédure pénale n’a pas été envisagée. Le Comité note également que, selon l’État partie, l’auteur se serait contentée d’adresser des lettres à des autorités politiques ou administratives, saisir des organes consultatifs ou de médiation et transmettre une requête à des représentants du parquet, sans avoir à proprement parler engagé de recours judiciaires, et les avoir menés jusqu’à leur terme par l’exercice de l’ensemble des voies de recours disponibles en appel. Le Comité relève, à cet effet, que dès le lendemain de l’arrestation de Nour-Eddine Mihoubi, l’auteur s’est adressée aux services de police de Bou Saâda, sans succès. Elle a ensuite déposé plainte pour l’enlèvement de son fils auprès du procureur de Bou Saâda, suite à quoi il a été explicitement reconnu que la sûreté de la Daïra de Bou Saâda avait procédé à l’arrestation de Nour-Eddine Mihoubi, qui avait ensuite été remis à la sûreté de la wilaya d’Alger, le 7 février 1993. La famille s’est également adressée au procureur d’Alger et a soumis de nombreuses demandes à des représentants du gouvernement de l’État partie, à l’ONDH et son successeur, sans succès. Aucune de ces démarches n’a débouché sur une enquête efficace, ni sur la poursuite et la condamnation des responsables.

6.4Le Comité rappelle que l’État partie a non seulement le devoir de mener des enquêtes approfondies sur les violations supposées des droits de l’homme portées à l’attention de ses autorités, en particulier lorsqu’il s’agit de disparitions forcées et d’atteintes au droit à la vie, mais aussi de poursuivre quiconque est présumé responsable de ces violations, de procéder au jugement et de prononcer une peine. À de nombreuses reprises, l’auteur a alerté les autorités compétentes de la disparition de son fils, mais l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse, alors qu’il s’agissait d’allégations graves de disparition forcée. Par ailleurs, l’État partie n’a pas apporté d’éléments permettant de conclure qu’un recours efficace et disponible était de facto ouvert, alors que l’ordonnance no 06-01 du 27 février 2006 continue d’être appliquée en dépit des recommandations du Comité en vue de sa mise en conformité avec le Pacte. En outre, étant donné le caractère imprécis des articles 45 et 46 de l’ordonnance, et en l’absence d’informations concluantes de l’État partie concernant leur interprétation et leur application dans la pratique, les craintes exprimées par l’auteur quant à l’efficacité de l’introduction d’une plainte sont raisonnables. Le Comité rappelle qu’aux fins de la recevabilité d’une communication, les auteurs doivent épuiser uniquement les recours utiles afin de remédier à la violation alléguée, en l’espèce, les recours utiles pour remédier à la disparition forcée. En outre, rappelant sa jurisprudence, le Comité réaffirme que la constitution de partie civile pour des infractions aussi graves que celles alléguées en l’espèce ne saurait remplacer des poursuites qui devraient être engagées par le procureur de la République lui-même. Le Comité conclut que le paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif ne fait pas obstacle à la recevabilité de la communication.

6.5Le Comité considère que l’auteur a suffisamment étayé ses allégations, dans la mesure où elles soulèvent des questions au regard des articles 6, 7, 9, 10, 16 et 2 (par. 3) du Pacte, et procède donc à l’examen de la communication sur le fond.

Examen au fond

7.1Le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations soumises par les parties, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif.

7.2L’État partie a fourni des observations collectives et générales sur les allégations graves soumises par l’auteur, et s’est contenté de maintenir que les communications mettant en cause la responsabilité d’agents de l’État ou de personnes agissant sous l’autorité des pouvoirs publics dans la survenance de cas de disparition forcée de 1993 à 1998 devaient être examinées dans le contexte plus général de la situation sociopolitique et des conditions de sécurité dans le pays, à une période où le Gouvernement luttait contre le terrorisme. Le Comité fait observer qu’en vertu du Pacte, l’État partie doit se soucier du sort de chaque individu, qui doit être traité avec le respect dû à la dignité inhérente à la personne humaine. Le Comité renvoie en outre à sa jurisprudence, et rappelle que l’État partie ne saurait opposer les dispositions de la Charte pour la paix et la réconciliation nationale à des personnes qui invoquent les dispositions du Pacte, ou qui ont soumis ou pourraient soumettre des communications au Comité. En l’absence des modifications recommandées par le Comité, l’ordonnance no 06-01 semble promouvoir l’impunité et ne peut donc, en l’état, être jugée compatible avec les dispositions du Pacte.

7.3Le Comité note que l’État partie n’a pas répondu aux allégations des auteurs sur le fond, et rappelle sa jurisprudence, selon laquelle la charge de la preuve ne doit pas incomber uniquement à l’auteur d’une communication, d’autant plus que celui-ci et l’État partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve, et que souvent seul l’État partie dispose des renseignements nécessaires. Il ressort implicitement du paragraphe 2 de l’article 4 du Protocole facultatif que l’État partie est tenu d’enquêter de bonne foi sur toutes les allégations de violations du Pacte portées contre lui et ses représentants, et de transmettre au Comité les renseignements qu’il détient. En l’absence de toute explication fournie par l’État partie à ce sujet, il convient d’accorder tout le crédit voulu aux allégations des auteurs, dès lors qu’elles sont suffisamment étayées.

7.4Le Comité note que, selon l’auteur, son fils a disparu depuis son arrestation le 27 janvier 1993 et que les autorités, bien qu’elles aient reconnu avoir procédé à son arrestation, n’ont pas mené d’enquête efficace susceptible de clarifier son sort. Il note que selon l’auteur, les chances de retrouver Nour-Eddine Mihoubi vivant sont infimes, et que son absence prolongée laisse à penser qu’il est décédé en détention; que la situation de détention au secret entraîne un risque trop élevé d’atteinte au droit à la vie, puisque la victime se trouve à la merci de ses geôliers qui, de par la nature même des circonstances, échappent à tout contrôle. Le Comité constate que l’État partie n’a fourni aucun élément réfutant une telle allégation. Le Comité conclut que l’État partie a failli à son obligation de protéger la vie de Nour-Eddine Mihoubi, en violation du paragraphe 1 de l’article 6 du Pacte.

7.5Le Comité reconnaît le degré de souffrance qu’implique une détention sans contact avec le monde extérieur pendant une durée indéfinie. Il rappelle son observation générale no 20 (1992) relative à l’article 7, dans laquelle il recommande aux États parties de prendre des dispositions pour interdire la détention au secret. Le Comité note que, selon l’auteur, Nour-Eddine Mihoubi a été arrêté par des agents de police de Bou Saâda le 27 janvier 1993, à Diss (Bou Saâda), au domicile de son frère, également arrêté le même jour. Il aurait de surcroît été exposé à des actes de torture aux mains de ses geôliers au Centre de Châteauneuf, selon certains de ses codétenus libérés par la suite. En l’absence de toute explication satisfaisante de l’État partie, le Comité constate une violation multiple de l’article 7 du Pacte concernant Nour-Eddine Mihoubi.

7.6Le Comité prend également acte de l’angoisse et de la détresse que la disparition de Nour-Eddine Mihoubi a causée à sa mère, l’auteur. Il considère que les faits dont il est saisi font apparaître une violation de l’article 7 du Pacte à l’égard de cette dernière.

7.7En ce qui concerne les griefs de violation de l’article 9, le Comité a pris note des allégations de l’auteur, qui affirme que Nour-Eddine Mihoubi a été arrêté le 27 janvier 1993 par la police, sans explication; que suite à son arrestation, il a été détenu au commissariat de Bou Saâda, où il aurait été détenu pendant 11 jours, jusqu’à ce qu’il soit remis à la sûreté de la wilaya d’Alger. D’après des informations parvenues plus tard à sa famille, Nour-Eddine Mihoubi aurait ensuite été transféré au centre de Châteauneuf, où il aurait été détenu au secret pendant 18 mois et torturé. Les autorités de l’État partie n’ont depuis fourni aucune information à la famille sur le sort réservé à Nour-Eddine Mihoubi. Bien qu’il apparaisse, selon un courrier de l’ONDH du 12 mai 1996 adressé à sa famille, que l’intéressé était recherché en vertu d’un mandat d’arrêt décerné par la Cour spéciale le 31 mars 1993 – soit deux mois après son arrestation ‑, ce dernier n’a pas été mis en examen ni présenté devant une autorité judiciaire auprès de laquelle il aurait pu recourir contre la légalité de sa détention; par ailleurs, bien qu’en juillet 2006, le procureur de Bou Saâda ait reconnu l’arrestation et la détention de Nour-Eddine Mihoubi, aucune information officielle n’a été donnée à l’auteur et sa famille sur le lieu de la détention de l’intéressé, ni sur son sort. En l’absence d’explications satisfaisantes de l’État partie, le Comité conclut à une violation de l’article 9 du Pacte à l’égard de Nour-Eddine Mihoubi.

7.8S’agissant du grief au titre de l’article 10, paragraphe 1, le Comité réaffirme que les personnes privées de liberté ne doivent pas subir de privations ou de contraintes autres que celles qui sont inhérentes à la privation de liberté, et qu’elles doivent être traitées avec humanité et dans le respect de leur dignité. Compte tenu de sa détention au secret et en l’absence d’informations fournies par l’État partie à cet égard, le Comité conclut à une violation de l’article 10, paragraphe 1, du Pacte à l’égard de Nour-Eddine Mihoubi.

7.9Pour ce qui est du grief de violation de l’article 16, le Comité réitère sa jurisprudence constante selon laquelle le fait de soustraire intentionnellement une personne à la protection de la loi pour une période prolongée peut constituer un refus de reconnaissance d’une personne devant la loi si la victime était entre les mains des autorités de l’État lors de sa dernière apparition et si les efforts de ses proches pour avoir accès à des recours potentiellement utiles, y compris devant les cours de justice (par. 3 de l’article 2 du Pacte), sont systématiquement empêchés. Dans le cas présent, le Comité note que les autorités de l’État partie n’ont fourni aucune information à la famille sur le sort réservé à Nour-Eddine Mihoubi depuis son arrestation le 27 janvier 1993, et ce malgré les nombreuses demandes adressées à différentes autorités de l’État partie. Le Comité en conclut que la disparition forcée de Nour-Eddine Mihoubi depuis plus de 20 ans l’a soustrait à la protection de la loi, et privé de son droit à la reconnaissance de sa personnalité juridique, en violation de l’article 16 du Pacte.

7.10L’auteur invoque le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte qui impose aux États parties l’obligation de garantir un recours utile à tous les individus dont les droits reconnus dans le Pacte auraient été violés. Le Comité attache de l’importance à la mise en place par les États parties de mécanismes juridictionnels et administratifs appropriés pour examiner les plaintes faisant état de violations des droits. Il rappelle son observation générale no 31 (2004), qui indique notamment que le fait pour un État partie de ne pas mener d’enquête sur des violations présumées pourrait en soi donner lieu à une violation distincte du Pacte. En l’espèce, la famille de la victime a alerté à plusieurs reprises les autorités compétentes de la disparition de Nour-Eddine Mihoubi, y compris les autorités judiciaires telles que les procureurs d’Alger et de Bou Saâda, mais toutes les démarches entreprises se sont révélées vaines, et l’État partie n’a procédé à aucune enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de Nour-Eddine Mihoubi, alors que ce dernier avait été arrêté par des agents de l’État partie, qui a de surcroît reconnu cette arrestation. En outre, l’impossibilité légale de recourir à une instance judiciaire après la promulgation de l’ordonnance no 06-01 continue de priver Nour-Eddine Mihoubi et sa famille de tout accès à un recours utile, puisque cette ordonnance interdit, sous peine d’emprisonnement, le recours à la justice pour faire la lumière sur les crimes les plus graves comme les disparitions forcées.

7.11Le Comité observe de plus que la famille de Nour-Eddine Mihoubi a entamé une procédure de déclaration de décès, qui a mené à la constatation de la disparition de l’intéressé le 12 avril 2007, en vertu des articles 27 et suivants de l’ordonnance no 06-01, qui prévoient que, suite à l’établissement d’un constat de disparition établi par la police judiciaire, un jugement de décès peut être prononcé à la demande des ayants-droits, et donner lieu à une indemnisation, qui exclut toute autre réparation (voir par. 2.9 ci-dessus). Le Comité relève que l’indemnisation offerte dépend de la reconnaissance, par la famille, que leur proche disparu est décédé. Le Comité rappelle, à ce titre, l’obligation qui incombe aux États de procéder à des enquêtes approfondies et rigoureuses sur les violations graves de droits de l’homme, y compris les disparitions forcées, indépendamment des mesures d’ordre politique de «réconciliation nationale» qu’il peut prendre. Le Comité considère, en particulier, que l’octroi d’une indemnisation ne peut être conditionnée à l’existence d’une déclaration de décès de la personne disparue suite à une procédure civile.

7.12Au vu de ce qui précède, le Comité conclut que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec les articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte à l’égard de Nour-Eddine Mihoubi, et du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 7 du Pacte, à l’égard de l’auteur.

8.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, constate que les faits dont il est saisi font apparaître des violations par l’État partie des articles 6, 7, 9, 10 et 16 et du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte lu conjointement avec les articles 6, 7, 9, 10 et 16 du Pacte à l’égard de Nour-Eddine Mihoubi. Le Comité constate en outre une violation de l’article 7, et du paragraphe 3 de l’article 2 lu conjointement avec l’article 7 du Pacte à l’égard de l’auteur.

9.Conformément au paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à la famille de Nour-Eddine Mihoubi un recours utile, consistant notamment à: a) mener une enquête approfondie et rigoureuse sur la disparition de Nour-Eddine Mihoubi; b) fournir à sa famille des informations détaillées quant aux résultats de son enquête; c) libérer immédiatement l’intéressé s’il est toujours détenu au secret; d) dans l’éventualité où Nour-Eddine Mihoubi serait décédé, restituer sa dépouille à sa famille; e) poursuivre, juger et punir les responsables des violations commises; et f) indemniser de manière appropriée la famille de Nour-Eddine Mihoubi pour les violations subies, ainsi que Nour-Eddine Mihoubi s’il est en vie. Nonobstant l’ordonnance no 06-01, l’État devrait également veiller à ne pas entraver le droit à un recours effectif pour les victimes de crimes tels que la torture, les exécutions extrajudiciaires et les disparitions forcées. L’État partie est en outre tenu de prendre des mesures pour empêcher que des violations analogues ne se reproduisent à l’avenir.

10.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de 180 jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les présentes constatations et les diffuser largement dans les langues officielles.

[Adopté en anglais, en espagnol et en français (version originale). Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle de M. Fabián Omar Salvioliet M.Víctor Manuel Rodríguez-Rescia

Nous sommes d’accord avec l’opinion du Comité et les conclusions auxquelles il est parvenu dans l’affaire Mihoubic. Algérie (communication no 1874/2009). Nous estimons cependant que le Comité aurait dû constater que l’État avait enfreint l’obligation générale qui lui incombe en vertu du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte en adoptant l’ordonnanceno 06-01, dont certaines dispositions, en particulier l’article 46, sont clairement incompatibles avec le Pacte. Le Comité aurait également dû constater une violation du paragraphe 2 de l’article 2 lu conjointement avec d’autres dispositions de fond du Pacte. En ce qui concerne la réparation, nous estimons que le Comité aurait dû recommander à l’État partie de rendre l’ordonnanceno 06-01 conforme aux dispositions du Pacte. Enfin, nous sommes convaincus que l’obligation faite à la famille de la victime d’engager une procédure de déclaration de décès constitue un traitement cruel et inhumain au sens de l’article 7 du Pacte et que le Comité aurait dû en faire mention dans ses constatations.

Il existe actuellement des divergences au sein du Comité quant à l’application du principe jura novit curi æ, en vertu duquel un organe international est libre de déterminer le droit applicable en fonction des faits établis, indépendamment des arguments juridiques présentés par les parties.

Le principe jura novit curiæ est appliqué par les organes internationaux depuis près d’un siècle: d’abord introduit par la Cour permanente de Justice internationale, à laquelle a succédé la Cour internationale de Justice, il a été repris par la Cour européenne des droits de l’homme, dont la jurisprudence à cet égard est constante, etc’est sur les précédents établis par ces deux juridictions que d’autres organes telsquela Commission et la Cour interaméricaines des droits de l’homme et laCommission africaine des droits de l’homme et des peuples ont fondé leur pratiqueactuelle.

La position selon laquelle le principe jura novit curiæ ne peut être appliqué aux communications soumises au Comité ne tient pas compte du fait que la jurisprudence du Comité contient plusieurs exemples de constatations dans lesquelles le Comité a clairement appliqué des articles qui n’avaient pas été invoqués par les parties (principe jura novit curiæ); nous avons cité plusieurs de ces affaires dans de précédentes opinions individuelles.

Ce qui précède montre que le principe jura novit curiæfait partie intégrante de la pratique des organes internationaux juridictionnels et quasi juridictionnels, qu’ils soient d’envergure mondiale (ONU) ou régionale (européenne, interaméricaine et africaine); le Comité des droits de l’homme ne devrait pas renoncer à cette prérogative et la remplacer par des pratiques propres à des systèmes juridiques nationaux de droit civil ou de common law, dont la logique est totalement différente de celle qui préside au fonctionnement des systèmes internationaux de protection des droits de l’homme.

Il ne s’agit ni d’utilité ni d’opportunité, deux critères qui ne doivent pas entrer en ligne de compte dans les délibérations d’un organe international de protection des droits de l’homme; il s’agit d’appliquer correctement le droit. Plus précisément, lorsque les faits de la cause décrits et établis font apparaître une violation, le Comité doit inscrire correctement l’affaire dans le cadre du droit.

En appliquant le principe jura novit curiæcomme le font les organes internationaux de protection des droits de l’homme, le Comité développera une jurisprudence cohérente à l’égard de faits avérés de même nature (ce qui est non seulement souhaitable, mais aussi logique) et, en outre, se prémunira contre le piège des manœuvres politiques auxquelles pourraient se livrer les parties intéressées.

En l’espèce, plusieurs faits avérés font apparaître des violations du Pacte; le Comité en a correctement établi plusieurs, mais il a omis d’inclure parmi eux l’adoption d’un texte normatif incompatible avec le Pacte (ce qui constitue une violation de l’obligation générale incombant à l’État partie en vertu du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte et porte atteinte à plusieurs droits substantiels).

Le Comité constate souvent des violations du paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, ce qu’il a d’ailleurs fait en l’espèce; il n’existe aucun motif juridique valable qui l’empêche de se livrer au même exercice d’interprétation au regard du paragraphe 2 de l’article 2.

L’absence de cadre juridique adéquat n’est pas une question purement théorique ou académique; elle a une incidence sur les mesures de réparation. Bien que des progrès notables aient été faits en la matière ces dernières années, les formes de réparation recommandées jusqu’à présent dans les affaires de ce type sont à nos yeux insuffisantes. En l’espèce le Comité n’a pas recommandé, à titre de réparation, la mise en conformité de l’ordonnance no 06-01 avec les dispositions du Pacte, condition pourtant indispensable pour garantir que des faits analogues ne se reproduisent pas.

Pour conclure, le Comité aurait dû indiquer expressément que l’obligation faite à la famille d’une personne disparue de reconnaître le décès de cette personne pour pouvoir obtenir une indemnisation est un traitement cruel et inhumain et constitue de ce fait une violation de l’article 7 du Pacte. Au lieu de cela, le Comité a considéré que cette situation équivalait à une violation du droit à réparation des victimes de violations des droits de l’homme, et conclu à une violation du paragraphe 3 de l’article 2, lu conjointement avec l’article 7 (par. 7.11 et 7.12 des constatations).

L’auteur se borne à indiquer que la famille a entamé une procédure de déclaration de décès, conformément aux dispositions de l’ordonnance no 06-01 (par. 2.9 des constatations) mais elle n’en tire pas de grief de violation de ses droits puisqu’elle n’en fait nulle mention dans la teneur de la plainte ni dans ses commentaires concernant les observations de l’État.

Néanmoins, − nous réaffirmons ce point − le Comité aborde ce fait sous l’angle juridique aux paragraphes 7.11 et 7.12, appliquant ainsi, dans la présente affaire elle-même, un droit qui n’a pas été invoqué par les parties, ce qui constitue une mise en œuvre du principe jura novit curiæ.

Nous ne sommes pas en désaccord avec l’application de ce principe à l’égard de cette partie de la communication mais nous estimons en revanche qu’il aurait été plus approprié, du point de vue juridique, de considérer l’obligation faite à la famille de reconnaître le décès d’un de ses membres victime d’une disparition forcée comme une violation de l’article 7 du Pacte en ce qu’une telle obligation constitue indubitablement un traitement cruel et inhumain.

[Fait en espagnol (version originale), en anglais et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Opinion individuelle de M. Gerald L. Neuman

Je souscris totalement aux constatations de la majorité des membres du Comité concernant la présente communication, tant pour ce qui est des éléments sur lesquels le Comité s’est prononcé qu’en ce qui concerne les éléments sur lesquels il ne s’est pas prononcé. J’écris ici dans le but d’apporter une réponse claire, en exposant mon point de vue personnel, à un argument dissident invoqué par MM.  Salvioli et Rodríguez-Rescia dans leur opinion individuelle. Par souci de concision, je partirai du principe que le lecteur connaît le Pacte et son interprétation et m’abstiendrai d’entrer dans des détails qu’il aurait été utile de donner à des lecteurs non avertis.

À plusieurs reprises depuis 2009, des membres du Comité ont rédigé des opinions individuelles dans lesquelles ils engageaient le Comité à modifier sa pratique traditionnelle afin d’inclure dans ses constatations d’éventuelles violations par les États parties du paragraphe 2 de l’article 2 du Pacte. Selon ces points de vue, il pourrait s’agir d’une violation du paragraphe 2 de l’article 2 considéré seul, ou bien d’une violation du paragraphe 2 de l’article 2 considéré conjointement avec un ou plusieurs autres droits énumérés aux articles 6 à 27 du Pacte.

Dans les deux cas à mon sens, les arguments avancés ne font pas ressortir clairement les avantages pratiques que présenterait ce changement pour la protection des droits de l’homme.

Je sais que lorsqu’elle constate une violation des dispositions de fond de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, la Cour interaméricaine des droits de l’homme associe généralement les articles concernés au paragraphe 1 de l’article premier de la Convention ou à l’article 2 (ou aux deux). La Cour interaméricaine avait sans doute ses raisons pour adopter cette approche au moment de son premier jugement et s’y tenir au fil du temps. À la différence de la Cour, le Comité des droits de l’homme est parvenu, dès ses premières délibérations, à constater directement des violations des dispositions de fond du Pacte sans avoir à invoquer les paragraphes 1 ou 2 de l’article 2 à titre subsidiaire.

Si la pratique actuelle du Comité concernant le paragraphe 2 de l’article 2 l’empêchait de déterminer la mesure dans laquelle des lois données d’un État partie ont contribué à la violation considérée, il pourrait être utile de la modifier. Mais, comme il ressort clairement des constatations adoptées en l’espèce, le Comité peut examiner l’incidence des lois sur le sort des victimes dans l’affaire en question.

Si la pratique actuelle du Comité concernant le paragraphe 2 de l’article 2 l’empêchait de recommander à un État partie de modifier son cadre juridique afin de protéger la victime ou d’autres personnes se trouvant dans une situation analogue contre de nouvelles violations, il pourrait être utile de la modifier. Mais, comme il ressort clairement duparagraphe 9 des constatations adoptées en l’espèce, le Comité peut formuler de telles recommandations. J’ajouterais que le libellé de la recommandation figurant à l’avant-dernière phrase du paragraphe 9 s’appuie sur un examen attentif de la situation dans l’État partie et non sur une pratique générale abstraite.

Non seulement la modification de la pratique du Comité ne semble pas présenter d’avantages, mais elle aurait aussi des inconvénients. L’ajout superflu de constatations de violations plus abstraites ou de formules du type «paragraphe 2 de l’article 2 lu conjointement avec les articles 6, 7 et10 (par. 1)» amoindrirait encore la lisibilité des constatations du Comité, qui sont déjà suffisamment compliquées. En outre, compte tenu du volume de communications dont le Comité est saisi et du temps de réunion limité dont il dispose, les discussions visant à déterminer s’il faut ou non constater une violation du paragraphe 2 de l’article 2 dans une affaire donnée empiéteraient sur le temps que le Comité pourrait consacrer à d’autres débats plus utiles ou l’empêcheraient de statuer plus rapidement sur les communications afin de réduire le délai d’attente pour les victimes.

Si l’approche proposée tend à ce que le Comité constate des violations du paragraphe 2 de l’article 2 pris isolément, l’adopter romprait avec la pratique générale du Comité qui est de ne jamais constater de violations distinctes d’un alinéa de l’article 2 dans les communications. Cette pratique l’aide à s’assurer que les communications sont présentées par des personnes qui ont été victimes d’atteintes concrètes à certains de leurs droits et non par des personnes qui invoquent des arguments abstraits pour protester contre la manière dont un État partie applique le Pacte.

Il y a également lieu de noter que les auteurs des opinions individuelles qui recommandent au Comité de constater une violation du paragraphe 2 de l’article 2 s’appuient à cette fin sur une interprétation large du principe jura novit curiæ selon laquelle le Comité aurait le devoir de constater les violations que font apparaître les faits, que ces violations aient été ou non dénoncées par les parties. À mon sens, le Comité a raison d’appliquer ce principe avec précaution s’agissant de reformuler les griefs présentés par les auteurs. Dans le contexte du paragraphe 2 de l’article 2, il faudrait également tenir compte du fait que les lois des États parties sont souvent écrites dans des langues que les membres du Comité ne connaissent pas et que l’interprétation d’une loi aux fins de son application ne découle pas toujours de manière évidente du texte de celle-ci. Les informations et les arguments présentés par les parties peuvent être très utiles au Comité pour déterminer dans quelle mesure les lois d’un État partie ont pu contribuer à la violation examinée et quels changements peuvent être nécessaires pour mettre le cadre juridique de l’État partie en conformité avec le Pacte.

En outre, les recommandations tendant à ce qu’un État partie modifie sa législation ont généralement des conséquences sur les intérêts de tierces parties qui ne peuvent pas participer à l’examen de la communication. À la différence de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, le Comité est tenu à des règles de confidentialité qui font que le grand public n’est pas au courant des affaires en cours d’examen et ne peut donc pas faire valoir des points de vue différents. De plus, à la différence de la Cour interaméricaine, le Comité procède à un examen public de la législation et des pratiques des États parties dans le cadre de la procédure d’examen des rapports périodiques. Je ne veux pas dire par là que les lois devraient être examinées uniquement dans le cadre de l’examen des rapports périodiques; je veux simplement appeler l’attention sur les différences qui peuvent justifier que le Comité fasse preuve d’une plus grande prudence lorsqu’il examine une loi dans le contexte d’une communication.

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]