Nations Unies

CCPR/C/109/D/1923/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

28 novembre 2013

Original: français

Comité des droits de l’homme

Communication no 1923/2009

Décision adoptée par le Comité à sa 109e session (14 octobre-1er novembre 2013)

Présentée par :R.C. (non représenté par un conseil)

Au nom de :L’auteur

État partie:France

Date de la communication :4 août et 9 octobre 2009 (date de la lettre initiale)

Références :Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 29 décembre 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :28 octobre 2013

Objet :Légalité de la procédure par laquelle le pourvoi de l’auteur a été considéré par le Conseil d’État

Questions de procédure :Épuisement des recours internes, incompatibilité ratione materiae

Question de fond :Droit à un procès équitable

Article du Pacte :14 (par. 1)

Article du Protocole facultatif :2

Annexe

Décision du Comité des droits de l’homme en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (109e session)

concernant la

Communication no 1923/2009*

Présentée par :R.C. (non représenté par un conseil)

Au nom de:L’auteur

État partie:France

Date de la communication:4 août et 9 octobre 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2013,

Adopte ce qui suit:

Décision concernant la recevabilité

1.1L’auteur de la communication, datée des 4 août et 9 octobre 2009, est R.C., de nationalité française. Il affirme être victime d’une violation par la France de l’article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Il n’est pas représenté par un conseil. Le Pacte et le Protocole facultatif s’y rapportant sont entrés en vigueur pour la France respectivement les 4 février 1981 et 17 mai 1984.

1.2Le 22 avril 2010, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a décidé que la recevabilité de la communication devait être examinée séparément du fond.

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1L’auteur est fonctionnaire de l’État, en qualité de professeur agrégé de l’université. Il a fait l’objet d’un contrôle fiscal par la direction des services fiscaux des Pyrénées-orientales pour les années 2004, 2005 et 2006.

2.2Dans le cadre de ce contrôle, l’auteur a été amené à demander à l’administration fiscale la communication de divers documents, dont une fiche dite «3609». Par lettre du 25 février 2008, le directeur des services fiscaux des Pyrénées-orientales a estimé que la communication de cette fiche n’était pas possible, au motif qu’elle porterait atteinte à la recherche, par les services compétents, des infractions fiscales et douanières au sens de la loi du 17 juillet 1978.

2.3Le 19 mars 2008, l’auteur a saisi la Commission d’accès aux documents administratifs, laquelle, par décision du 18 avril 2008, et se fondant sur les indications données par le directeur des services fiscaux des Pyrénées-orientales, a émis un avis défavorable à la communication de la fiche «3609». Le 19 mai 2008, le directeur des services fiscaux des Pyrénées-orientales confirmait implicitement le rejet de la demande de l’auteur. Ce dernier a par conséquent introduit un recours pour excès de pouvoir devant le tribunal administratif de Montpellier, en demandant l’annulation de la décision implicite du directeur des services fiscaux des Pyrénées-orientales. Le 23 avril 2009, le tribunal administratif de Montpellier rendait sa décision en faveur de l’auteur, considérant que c’était à tort que l’administration fiscale avait refusé de lui communiquer la fiche «3609», annulant la décision implicite de rejet du directeur des services fiscaux des Pyrénées-orientales, et enjoignant à ce dernier de communiquer le document en question à l’auteur dans un délai de 15 jours.

2.4Le 7 juillet 2009, l’auteur était informé par la section du contentieux du Conseil d’État que l’administration fiscale s’était pourvue en cassation, qu’elle avait introduit une requête en sursis à l’exécution du jugement du tribunal administratif de Montpellier et que cette requête allait être examinée d’extrême urgence, l’auteur disposant d’un délai de cinq jours pour qu’un avocat au Conseil d’État et à la Cour de Cassation, obligatoirement constitué, produise un mémoire en défense.

2.5Ne disposant que de cinq jours en pleines vacances estivales pour trouver un avocat qui accepte le dossier, et rédige un mémoire, l’auteur décida de procéder lui-même à la rédaction d’un tel mémoire, qu’il adressait d’urgence au Conseil d’État sans le faire viser par un avocat. Dans son mémoire, l’auteur estimait: que son mémoire était recevable sans constitution de ministère d’avocat; qu’il y avait en l’espèce rupture du principe d’égalité quant à la dispense du ministère d’avocat dont seule bénéficiait l’administration; que cette rupture du principe d’égalité était contraire au principe du droit au procès équitable.

2.6Le 24 juillet 2009, le Conseil d’État écartait les conclusions de l’auteur, car présentées sans le ministère d’un avocat; ordonnait le sursis à l’exécution du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 23 avril 2009; et rejetait les arguments de l’auteur quant à la violation du principe de l’égalité des armes, et du droit à un procès équitable.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le droit français (Code de justice administrative) rompt le principe d’égalité entre les parties devant les tribunaux, puisque l’État est dispensé du ministère d’avocat devant le Conseil d’État statuant comme juge de cassation, tandis que les parties privées sont astreintes à présenter leurs mémoires par l’intermédiaire d’un avocat, sous peine de voir leurs demandes déclarées irrecevables. De la sorte, le Conseil d’État l’ayant débouté dans sa décision du 24 juillet 2009 au seul motif qu’il n’était pas représenté par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, l’auteur estime que l’État partie a violé l’article 14 paragraphe 1 du Pacte à son égard.

3.2L’auteur allègue également que le droit français viole l’article 14 paragraphe 1 du Pacte en ce que le Conseil d’État français ne répond pas aux critères communément admis d’indépendance et d’impartialité. L’auteur évoque entre autres le fait que les membres du Conseil d’État exercent cumulativement des fonctions juridictionnelles et des fonctions consultatives auprès du gouvernement, que ses juges ne sont pas inamovibles, qu’ils sont fonctionnaires et non magistrats, et que le déroulement de leur carrière et leur promotion dépendent en grande partie du pouvoir exécutif. Il note que l’arrêt du Conseil d’État du 24 juillet 2009 a été rendu par un président de sous-section à l’impartialité objective douteuse, vu qu’il a exercé plusieurs fonctions gouvernementales comme membre du Conseil des impôts, membre du Comité consultatif de la législation et de la règlementation financière, membre et président du Comité consultatif pour la répression des abus de droit, et membre du Conseil national de la comptabilité.

3.3La décision contestée par l’auteur a été rendue en dernier ressort par le Conseil d’État, qui est la plus haute juridiction administrative française. Elle n’est susceptible d’aucun recours.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 1er mars 2010, l’État partie conteste la recevabilité de la communication. Il fait tout d’abord valoir que la décision de sursis à exécution adoptée par le Conseil d’État le 24 juillet 2009 n’est qu’une mesure provisoire, qui n’affecte en rien le fond de l’affaire. Le Conseil d’État s’est borné à suspendre, dans l’attente de la décision au fond, les effets du jugement de première instance favorable à l’auteur, jugement dont l’exécution immédiate, compte tenu de l’objet du litige (communication d’un document fiscal) aurait eu des conséquences irréversibles. La question du droit d’accès à ce document ne sera tranchée que par l’arrêt au fond. En conséquence, l’État partie prie le Comité de déclarer cette partie de la communication irrecevable au titre de l’article 3 du Protocole.

4.2L’État partie fait valoir, en outre, que l’auteur n’a pas épuisé les recours internes, puisqu’il n’a jamais soulevé une quelconque violation des stipulations du Pacte devant le juge interne dans le cadre de son contentieux avec l’administration fiscale. S’agissant de la question de l’obligation de présenter son mémoire par l’intermédiaire d’un avocat au Conseil d’État, il s’est borné à soulever une prétendue méconnaissance du principe d’égalité des armes entre les parties, en se référant de manière imprécise aux dispositions de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Quant à la prétendue absence d’impartialité du Conseil d’État, l’auteur ne s’en est nullement plaint devant cette juridiction. Alors qu’il se plaint devant le Comité de l’absence d’impartialité objective du président de la 8e sous-section du Conseil d’État, il n’a à aucun moment sollicité le déport de ce dernier, alors même qu’il savait que l’affaire serait appelée à la séance de ladite sous-section. Pour ces motifs, l’État partie considère la communication irrecevable au titre de l’article 5, paragraphe 2 b) du Protocole facultatif.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 28 mars 2010, l’auteur affirme que le fait que la décision rendue par le Conseil d’État ne soit que provisoire, et n’affecte pas sa décision au fond, n’a pas d’incidence sur ses allégations. Selon lui, la violation de l’article 14 du Pacte ne concerne pas une question de fond non encore tranchée par le Conseil d’État, mais le caractère inéquitable de la procédure dès lors que l’État est dispensé du ministère d’avocat, contrairement aux autres parties. Cette iniquité se retrouve dans toutes les affaires jugées par le Conseil d’État, aussi bien dans les mesures provisoires ordonnées dans le cadre d’un sursis à exécution, que dans les décisions tranchant le fond. Dès lors, selon l’auteur, le Conseil d’État n’a pas examiné ses arguments de façon contradictoire et équitable, au seul motif qu’ils n’étaient pas visés par un avocat au Conseil d’État.

5.2En réponse à l’argument de l’État partie relatif à l’épuisement des recours internes, l’auteur fait valoir que le fait qu’il n’ait pas invoqué explicitement le Pacte, mais la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, est sans conséquence, puisque ces deux instruments contiennent, en substance, la même disposition relative au droit à un procès équitable. Pour ce qui est de l’argument selon lequel il aurait dû se plaindre, devant le Conseil d’État, du manque d’impartialité de cette même juridiction, l’auteur soumet que la suspicion légitime qui concerne l’ensemble d’une juridiction n’est pas recevable devant le Conseil d’État, selon la jurisprudence constante de cette juridiction. Une telle demande ne serait recevable que s’il existait une juridiction supérieure. Or, il n’existe pas en l’espèce de juridiction supérieure au Conseil d’État, qui est la cour suprême en matière administrative.

5.3Pour ce qui est de la récusation du Président de la 8e sous-section du Conseil d’État, l’auteur allègue qu’il ignorait que ce dernier allait effectivement présider la formation de jugement. Ce n’est qu’à la notification de l’arrêt du Conseil d’État du 24 juillet 2009 qu’il a eu connaissance de l’existence et du nom du magistrat en question, et qu’il a pu effectuer des recherches mettant en évidence son absence d’impartialité objective, notamment au vu de ses fonctions au service de l’administration fiscale. En conclusion, l’auteur invite le Comité à considérer qu’il a épuisé les voies de recours internes.

Soumission additionnelle de l’auteur

6.Le 11 juin 2011, l’auteur soumet une copie de l’arrêt du Conseil d’État no 328914 rendu le 4 mai 2011 sur le fond de son affaire, qui rejette les conclusions de l’auteur, au motif que son mémoire a été présenté sans constitution d’avocat, bien qu’il ait été informé de cette obligation de représentation. L’arrêt annule en outre la décision du tribunal administratif de Montpellier du 23 avril 2009.

Délibérations du Comité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si cette communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.

7.2Le Comité a pris note des allégations de l’auteur selon lesquelles en rejetant ses prétentions, visant à se voir communiquer, par l’administration fiscale, une fiche dite «3609», au simple motif qu’il n’était pas représenté par un avocat au Conseil d’État, cette juridiction aurait violé son droit à un procès équitable, au titre de l’article 14, paragraphe1 du Pacte. Le Comité observe que l’auteur visait à se voir communiquer un document dans le cadre d’une procédure fiscale le concernant. L’administration fiscale des Pyrénées-orientales a estimé que la communication de cette fiche n’était pas possible, au motif qu’elle porterait atteinte à la recherche, par les services compétents, des infractions fiscales et douanières au sens de la loi du 17 juillet 1978. Le Conseil d’État, dans sa décision du 4 mai 2011, a confirmé le bien-fondé de cette décision, et n’a pas tenu compte des arguments de l’auteur, au motif que ce dernier n’était pas représenté par un avocat au Conseil d’État. Le Comité note que l’auteur n’a pas démontré en quoi la condition de représentation par un avocat au Conseil d’État a constitué une atteinte à son droit à l’égalité devant les tribunaux, et en conclut qu’il n’a pas suffisamment démontré une violation au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Cette partie de la communication est donc irrecevable au titre de l’article 2 du Protocole facultatif.

7.3L’auteur a également fait valoir que le Conseil d’État, de par sa composition, n’est pas un tribunal indépendant et impartial. Il a soulevé, en particulier, le manque d’impartialité objective du président de la sous-section du Conseil d’État ayant adopté l’arrêt du 24juillet 2009, ordonnant le sursis à l’exécution du jugement du 23 avril 2009. Le Comité observe que l’auteur n’a pas démontré que la participation de ce membre du Conseil d’État a affecté la légalité de la procédure au titre du paragraphe 1 de l’article 14. Le Comité observe en outre que dans sa décision du 4 mai 2011 sur le fond de l’affaire, le Conseil d’État, dans une composition différente qui excluait le membre précédemment mis en cause par l’auteur, a validé, sur le fond, la décision du directeur fiscaux des Pyrénées-orientales de refuser de communiquer à l’auteur le document qu’il réclamait. Dans ces conditions, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment démontré une violation au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte et conclut que cette partie de la communication est également irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.En conséquence, le Comité des droits de l’homme décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.

[Adopté en français (version originale), en anglais et en espagnol. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]