Nations Unies

CCPR/C/109/D/1898/2009

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 décembre 2013

Français

Original: anglais

C omité des droits de l ’ homme

Communication no 1898/2009

Constatations adoptées par le Comité à sa 109e session(14 octobre‑1er novembre 2013)

Communication p résentée par:

Naveed Akram Choudhary (représenté par un conseil, Stewart Istvanffy)

Au nom de:

L’auteur, sa femme, Safia Naveed, et trois de leurs enfants (Asma, Saif et Rayan Naveed)

État partie:

Canada

Date de la communication:

31 août 2009 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application des articles 92 et 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 4 septembre 2009 (non publiée sous forme de document)

Date de l ’ adoption des constatations:

28 octobre 2013

Objet:

Expulsion vers un pays où la personne craint d’être torturée et persécutée

Questions de procédure:

Non-épuisement des recours internes; griefs non étayés; incompatibilité avec le Pacte

Questions de fond:

Droit à la vie, droit d’être protégé contre les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; droit de ne pas être détenu de manière arbitraire; droit d’être protégé contre toute immixtion arbitraire ou illégale dans la famille et le domicile; protection de la famille, droit des enfants à la protection

Articles du Pacte:

2, 6, 7, 9, 13, 14, 17, 23 et 24

Article s du Protocole facultatif:

2, 3, et 5 (par. 2 b))

Annexe

Constatations du Comité des droits de l’homme au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatifse rapportant au Pacte international relatif aux droitscivils et politiques (109e session)

concernant la

Communication no 1898/2009 *

Présentée par:

Naveed Akram Choudhary (représenté par un conseil, Stewart Istvanffy)

Au nom de:

L’auteur, sa femme, Safia, et trois de leurs enfants (Asma, Saif et Rayan)

État partie:

Canada

Date de la communication:

31 août 2009 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l ’ homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 28 octobre 2013,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1898/2009 présentée au nom de M. Naveed Akram Choudhary en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5du Protocole facultatif

1.1L’auteur de la communication, en date du 30 août 2009, est Naveed Akram Choudhary, un ressortissant pakistanais né au Pakistan le 26 février 1968. Il affirme que son expulsion par l’État partie vers le Pakistan constituerait une violation des droits qu’il tient des articles 6, 7 et 9 du Pacte et que les garanties procédurales énoncées aux articles 2, 13 et 14 du Pacte ont été violées par les procédures internes. Il affirme enfin que son expulsion entraînerait aussi une violation des droits que lui-même, ainsi que sa femme, Safia Naveed Choudhary, citoyenne pakistanaise née le 28 août 1972, et trois de ses enfants, Asma Naveed, Saif Naveed et Rayan Naveed, nés respectivement le 15 septembre 2002, le 12 octobre 2003 et le 23 octobre 2005, citoyens canadiens, tiennent des articles 17, 23 et 24 du Pacte. Il est représenté par un conseil, Stewart Istvanffy.

1.2Le 4 septembre 2009, le Comité, agissant par l’intermédiaire du Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, en application de l’article 97 du Règlement intérieur, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur et sa famille tant que la communication serait en cours d’examen.

Exposé des faits

2.1L’auteur est marié à Safia Naveed avec qui il a quatre enfants, dont trois sont citoyens canadiens. En tant que membre chiite actif de la communauté de l’imambargah de Jhelum, au Penjab, il a été la cible du groupe sunnite extrémiste Sipah-e-Sahaba (SSP) pour s’être élevé contre le fondamentalisme et la violence islamistes. La ville de Jhelum est un bastion du SSP.

2.2Les problèmes ont commencé en 1999 lorsque le SSP a ouvert un bureau dans le quartier de l’auteur. Entre 2000 et 2002, l’auteur a été victime d’agressions et de menaces de la part de membres du SSP, lui-même et les autres chiites étant notamment menacés de mort s’ils continuaient d’organiser des réunions d’«infidèles». Il a porté plainte auprès de la police et du bureau du directeur de la police de Jhelum, mais sans résultat. En particulier, l’auteur et sa femme ont été agressés en mars 2001 lors d’un rassemblement religieux, à la suite de quoi l’auteur a dû recevoir des soins à l’hôpital. Le 13 février 2002, lui et d’autres chiites ont essuyé des coups de feu de partisans du SSP. Il a ensuite appris que le SSP avait déposé une plainte auprès de la police, l’accusant d’avoir publiquement insulté la foi sunnite. L’auteur a alors décidé de quitter le Pakistan.

2.3Après son départ du Pakistan, l’auteur a appris qu’à la suite de la plainte portée contre lui pour insulte publique à la foi sunnite, il faisait l’objet d’une action pénale pour blasphème et que la police était venue à son domicile pour l’arrêter. Comme il ne s’y trouvait pas, un mandat d’arrêt a été délivré contre lui. L’auteur a fui avec sa femme vers le Canada via les États‑Unis d’Amérique en mars 2002, et a demandé le statut de réfugié à Montréal le 15 avril 2002.

2.4Par la suite, l’auteur a affirmé que leur fils, qui était resté au Pakistan, avait été enlevé en novembre 2006 à titre de représailles contre lui, et qu’il était encore porté disparu. Une fatwa a aussi été prononcée contre l’auteur par des radicaux sunnites de Jhelum.

2.5La Section de la protection des réfugiés de la Commission canadienne de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de l’auteur le 14 décembre 2004, au motif que lui-même et sa femme n’avaient pas prouvé leur identité de façon crédible. La Commission a considéré que le document d’identité de l’auteur paraissait faux car il ne présentait pas les caractéristiques normales généralement observées sur ce type de document. S’agissant du document d’identité présenté par sa femme, la Commission a relevé que le numéro de la carte figurait sur une liste de documents volés établie par le Gouvernement pakistanais. La Commission de l’immigration et du statut de réfugiéa dès lors conclu que ces éléments jetaient le doute sur la validité et l’authenticité des deux cartes, conformément à la jurisprudence de la Cour fédérale selon laquelle, lorsque des documents soumis par le demandeur sont considérés comme frauduleux et qu’il n’est proposé aucune explication satisfaisante, le tribunal administratif peut en déduire une conclusion négative quant à l’identité et la crédibilité du demandeur. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que ni l’auteur ni sa femme n’ayant prouvé leur identité, ils n’avaient pas établi l’élément central de leur demande.

2.6La Cour fédérale a rejeté, le 24 mars 2005, la demande présentée par l’auteur aux fins d’introduire une requête en contrôle juridictionnel. Une demande de réouverture du dossier sur la base de nouvelles pièces a été rejetée le 8 juillet 2005 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

2.7La demande de l’auteur pour motifs d’ordre humanitaire ainsi que sa demande relative à l’examen des risques avant renvoi (ERAR) ont été rejetées les 28 et 29 mai 2007, respectivement. L’auteur a présenté une demande d’autorisation aux fins de requête en contrôle juridictionnel de la décision ERAR, qui a été rejetée en avril 2008.

2.8L’expulsion de l’auteur et de sa famille était prévue pour le 8 septembre 2009. Une demande de sursis à l’exécution de l’expulsion a été présentée le 31 août 2009 et était pendante devant la Cour fédérale au moment de la soumission de la communication au Comité. Ce recours n’ayant cependant aucun effet suspensif sur la mesure de renvoi, l’auteur affirme avoir épuisé les recours internes.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que son expulsion constituerait une violation des articles 6, 7 et 9 du Pacte. Il affirme que, compte tenu de la fatwa et du mandat d’arrêt émis contre lui, son renvoi au Pakistan entraînerait de grands risques pour sa vie et sa sécurité personnelle. Le groupe Sipah‑e‑Sahaba est l’une des organisations radicales sunnites les plus dangereuses du Pakistan; elle échappe à tout contrôle des autorités pakistanaises et a maltraité l’auteur dans le passé.

3.2L’auteur a participé à la plupart des grandes manifestations religieuses de son imambargah et il est bien connu de la communauté chiite pakistanaise de Montréal. Il lui est donc impossible de se cacher dans son pays. L’auteur ajoute que les groupes qui agissent contre lui bénéficient au Pakistan d’une totale impunité. Bien que cela soit attesté de manière convaincante par des organisations de défense des droits de l’homme et des articles de presse, les autorités canadiennes n’estiment pas qu’un tel risque existe.

3.3La décision ERAR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve produits par l’auteur concernant les risques pour sa vie et le risque de torture, ce qui constitue une violation des garanties procédurales énoncées aux articles 13 et 14 du Pacte.

3.4S’agissant de la décision définitive de la Cour fédérale, elle ne vise que la légalité de la décision ERAR et n’évoque pas le danger pour la vie de l’auteur. Cette décision ne mentionne même pas les articles de presse et autres éléments de preuve relatifs à la disparition de son fils aîné au Pakistan en novembre 2006. Bien que l’auteur ait soumis plusieurs documents, attestations, lettres et articles de presse confirmant qu’il avait été persécuté au Pakistan et que sa vie serait en danger s’il retournait dans son pays, sa demande a été rejetée faute de reconnaissance par la Commission de l’immigration et du statut de réfugiéde l’ampleur du terrorisme sectaire au Pakistan et de l’absence de protection des pouvoirs publics à cet égard. Plus important encore, la décision a été essentiellement fondée sur l’absence de documents d’identité.

3.5L’auteur bénéficie d’un solide appui des dirigeants chiites dans sa ville et au Pakistan et a soumis plusieurs lettres aux autorités canadiennes confirmant le risque qu’il court. Selon lui, la décision rejetant sa demande ERAR a fait fi de tous ces éléments de preuve. Ceux‑ci comprenaient des rapports de police, le mandat d’arrêt, un rapport médical, la lettre d’un avocat et des attestations de son temple. L’auteur souffre de dépression et les enfants ont peur d’être renvoyés au Pakistan.

3.6Le contrôle juridictionnel de la Cour fédérale n’est pas un recours sur le fond mais consiste en un examen très restreint qui vise à déterminer si une erreur de droit grossière a été commise. Il est subordonné à une autorisation pour l’obtention de laquelle des arguments défendables doivent être présentés. De plus, il n’a aucun effet suspensif en cas d’expulsion. En l’espèce, la Cour fédérale a affirmé qu’elle ne pouvait procéder à une nouvelle évaluation du risque de préjudice irréparable en se fondant sur les mêmes arguments que ceux soumis à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ou à l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi (agent ERAR). L’auteur considère donc comme inutile le recours devant la Cour fédérale.

3.7L’auteur considère en outre que les agents ERAR ne remplissent pas les conditions nécessaires d’impartialité, d’indépendance et de compétence reconnue dans le domaine du droit international des droits de l’homme et des questions juridiques. Leurs décisions ne sont pas toujours conformes à la jurisprudence de la Cour fédérale ou de la Commission de l’immigration et du statut de réfugiéet ne tiennent pas compte de manière réaliste de la situation existant dans les pays d’où viennent les demandeurs d’asile.

3.8Le 6 septembre 2009, l’auteur a soumis de nouveaux griefs au Comité, faisant valoir que les droits de ses enfants, nés au Canada et citoyens canadiens, n’avaient pas été pris en considération dans les décisions les concernant, en dépit de preuves solides établissant les risques auxquels ils seraient exposés au Pakistan et les terribles conditions de vie qui seraient les leurs. Ces enfants ont droit à des mesures de protection de la part de l’État partie sans discrimination, et la décision d’expulser leurs parents est un manquement à cette obligation internationale. En cas de retour au Pakistan avec leurs parents, les enfants seront victimes d’une violation de l’article 24. Dans sa décision en date du 7 avril 2008, la Cour fédérale n’a pas pris en considération la protection de la famille ni les droits des enfants.

3.9L’auteur fait observer que les autorités canadiennes n’ont pas tenu compte du fait que lui-même et sa famille vivent au Canada depuis 2002. Le fils aîné du couple, resté au Pakistan, est tombé aux mains d’extrémistes islamistes et a disparu à la fin de 2006, comme cela est confirmé par des articles de presse et des lettres de membres de la famille qui ont été soumis aux autorités et, maintenant, au Comité. De plus, un des fils de l’auteur doit suivre un enseignement spécialisé qui ne pourrait pas lui être dispensé au Pakistan. Le renvoi de la famille au Pakistan serait contraire à l’intérêt supérieur des enfants et constituerait une violation des articles 17 et 23 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 1er mars 2010, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication.

4.2L’État partie conteste la recevabilité des griefs de l’auteur au titre des articles 6 et 7, en invoquant le non‑épuisement des recours internes car, au moment de la rédaction des observations de l’État partie, une demande d’autorisation aux fins de requête en contrôle juridictionnel était encore en instance devant la Cour fédérale. En outre, les griefs de l’auteur sont irrecevables, celui-ci n’ayant pas démontré qu’ils sont à première vue fondés. De fait, les griefs dont l’auteur a saisi le Comité sont fondés sur les mêmes faits et éléments de preuve que ceux présentés aux autorités canadiennes. Il n’appartient pas au Comité de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des éléments de preuve, sauf si l’appréciation par les autorités internes a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Il ne ressort nullement de la communication de l’auteur qu’il y ait eu arbitraire ou déni de justice. Néanmoins, si le Comité décidait de procéder à une nouvelle appréciation des faits et éléments de preuve en l’espèce, l’État partie fait valoir que l’auteur n’a pas démontré qu’il courrait personnellement un risque de subir un traitement contraire au Pacte.

4.3Les griefs de l’auteur fondés sur les articles 2, 9, 13 et 14 sont irrecevables pour incompatibilité avec les dispositions du Pacte, conformément à l’article 3 du Protocole facultatif.

4.4Dans l’exposé écrit qu’il a présenté à l’appui de sa demande d’asile, l’auteur a indiqué qu’en tant que chiite engagé dans les activités religieuses de la ville de Jhelum, il avait organisé un rassemblement chiite en mars 2000. Des membres du SSP ont lancé des pierres contre sa maison et, bien que la police soit intervenue, personne n’a été arrêté. L’auteur a commencé à recevoir des menaces par téléphone et d’autres chiites ont été harcelés et passés à tabac. Le 10 mars 2001, l’auteur et sa femme ont été agressés par l’extrémiste sunnite F. M. et quatre acolytes; l’auteur a été blessé au nez et contusionné. En mai 2001, une vingtaine de sunnites ont attaqué l’imambargah, jetant des pierres contre les chiites et menaçant d’incendier le bâtiment. En février 2002, des motocyclistes auraient tiré des coups de pistolet contre l’imambargah en passant à proximité. L’auteur a continué de recevoir des menaces par téléphone et s’est donc rendu avec d’autres chiites au poste de police pour porter plainte. Alors que lui-même, sa femme et son fils rendaient visite à des proches dans un autre village, il a été informé que la police était venue à son domicile pour l’arrêter après qu’un extrémiste sunnite a déposé plainte contre lui pour avoir publiquement insulté la foi sunnite. La famille a donc décidé de quitter le pays. Un agent n’a pu organiser que le départ de l’auteur et de sa femme, mais leur a promis de prendre des dispositions pour que leur fils les rejoigne.

4.5Devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, l’auteur était représenté par un conseil et a fait une déposition orale pour compléter les éléments de preuve soumis. Il a pu expliquer toutes les ambiguïtés ou incohérences éventuelles et répondre aux questions. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié a décidé que l’auteur n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne ayant besoin de protection. Elle a considéré que les documents visant à établir l’identité de l’auteur étaient frauduleux. L’auteur avait reçu communication du rapport d’expert concluant que son document d’identité était un faux plus de trois mois avant son audition, en décembre 2004, devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, mais il a été incapable de fournir quelque autre document que ce soit prouvant son identité. Il s’est borné à réaffirmer que les documents étaient authentiques. L’auteur n’ayant pas prouvé son identité, qui constituait un élément central de sa demande, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’il n’était pas un réfugié. Le 24 mars 2005, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation aux fins de requête en contrôle juridictionnel de la décision de la Commissionprésentée par l’auteur.

4.6Lors de l’examen des risques avant renvoi (ERAR), l’auteur a formulé les mêmes allégations que celles qu’il avait présentées à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Il a ajouté que son fils, Awais, avait été enlevé alors qu’il rendait visite à ses grands-parents à Jhelum le 2 novembre 2006. S’agissant de l’identité de l’auteur, l’agent ERAR a noté que depuis son audition en 2004, l’auteur avait obtenu des cartes d’identité informatisées, ainsi que des passeports pakistanais pour lui-même et sa femme. L’agent ERAR a considéré comme une preuve concluante d’identité le fait que les autorités pakistanaises avaient effectivement délivré un passeport à l’auteur.

4.7L’agent ERAR, au vu des différents rapports sur la situation des droits de l’homme au Pakistan, a noté que la violence sectaire touchait tous les groupes minoritaires dans le pays, et que la majorité sunnite en était aussi victime. En 2005, le Gouvernement pakistanais avait pris des mesures énergiques contre les militants du SSP, et procédé à l’arrestation de nombre de ses membres, y compris son chef. Le Gouvernement avait aussi appliqué des mesures visant à limiter le recours abusif aux lois sur le blasphème, ce qui s’était traduit par une réduction importante des affaires de blasphème, l’abandon des poursuites et de faibles taux de condamnation. S’agissant de la fatwa prononcée contre l’auteur, l’agent ERAR s’est appuyé sur des documents probants laissant supposer qu’au Pakistan, n’importe qui peut prétendre prononcer une fatwa, mais que cela n’a de conséquence que si les fatwas émanent d’un organe approprié. L’agent ERAR n’a pas estimé que la photocopie à peine lisible de la fatwa prononcée contre l’auteur et produite par lui suffisait à conférer au document une quelconque valeur probante.

4.8S’agissant de l’enlèvement allégué du fils de l’auteur, l’agent ERAR n’a pas estimé que les articles de presse relatant sa disparition pendant six jours constituaient une preuve suffisante. Bien qu’il ait été interrogé sur ce point, l’auteur n’a pas indiqué à l’agent si son fils était toujours porté disparu; de ce fait, l’agent peu de poids a été accordé à cet élément pour apprécier le risque couru par l’auteur. L’agent a conclu que l’auteur n’avait pas démontré l’existence d’un risque personnel. Le 9 août 2007, l’auteur a présenté à la Cour fédérale une demande d’autorisation aux fins de requête en contrôle juridictionnel de la décision de rejet de sa demande ERAR. L’autorisation lui a été accordée le 20 décembre 2007. Sa demande a été jointe à sa demande d’autorisation aux fins de requête en contrôle juridictionnel de la décision de rejet de sa demande pour motifs d’ordre humanitaire.

4.9Dans le cadre de la demande pour motifs d’ordre humanitaire, outre les arguments déjà avancés devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et l’agent ERAR, l’auteur a fait valoir que ses trois enfants canadiens de naissance risqueraient de tomber aux mains d’extrémistes religieux si la famille devait retourner au Pakistan. La demande de l’auteur pour motifs d’ordre humanitaire a été rejetée le 28 mai 2007 en se fondant sur le même raisonnement que celui suivi par l’agent ERAR. En outre, l’agent chargé d’examiner la demande pour motifs d’ordre humanitaire a pris en considération le degré d’établissement de l’auteur au Canada et l’intérêt supérieur de ses enfants. Il a noté que l’auteur était resté au chômage pendant quatre ans au Canada et que son intense participation à des activités religieuses à Montréal ne suffisait pas à établir sa bonne intégration à la société canadienne. S’agissant des enfants, l’agent a considéré, compte tenu de leur jeune âge et du fait qu’ils se rendraient avec leurs parents au Pakistan, dont ils sont ressortissants, ainsi que de la présence d’une nombreuse famille au Pakistan qui pourrait les aider, que l’intérêt supérieur des enfants ne justifiait pas qu’il soit dérogé aux exigences normales de la législation. L’agent a conclu que les difficultés que la famille pourrait rencontrer à son retour n’étaient pas inhabituelles, injustifiées ou excessives et qu’en conséquence les motifs d’ordre humanitaire invoqués étaient insuffisants pour dispenser la famille de l’obligation d’obtenir un visa d’immigration depuis l’étranger.

4.10Après que l’auteur a été autorisé à introduire une requête en contrôle juridictionnel de la décision ERAR et de la décision pour motifs d’ordre humanitaire, la Cour fédérale a rendu sa décision le 7 avril 2008, rejetant les requêtes. La Cour a considéré que la décision prise par l’agent ERAR était raisonnable car fondée sur une analyse approfondie et réfléchie. S’agissant de la décision pour motifs d’ordre humanitaire, la Cour a réaffirmé que l’intérêt supérieur de l’enfant était un facteur parmi d’autres que l’agent devait prendre en considération, mais qu’il ne constituait pas nécessairement le facteur déterminant faisant obstacle à l’expulsion de la famille. La Cour a estimé que l’agent avait été «réceptif, attentif et sensible» à l’intérêt supérieur des enfants, comme l’exigeait la jurisprudence, et que ses conclusions étaient raisonnables et fondées sur les éléments de preuve.

4.11Le 23 juillet 2008, l’auteur a soumis une deuxième demande pour motifs d’ordre humanitaire, en reprenant les mêmes allégations de risque que dans ses précédentes demandes et en insistant sur l’intérêt supérieur de ses enfants canadiens de naissance et sur l’instabilité de la situation au Pakistan sur le plan des droits de l’homme. L’agent a noté que même si un des enfants avait besoin de bénéficier de services d’orthophonie, de tels services existaient au Pakistan. En outre, si le système éducatif pakistanais n’était pas idéal, les enfants pouvaient néanmoins bénéficier de l’enseignement public jusqu’à l’âge de 17 ans, ou fréquenter des écoles privées. De plus, en tant que citoyens canadiens, ils pourraient décider de revenir au Canada pour leurs études universitaires. L’agent a conclu que les enfants n’auraient donc pas à souffrir d’un retour avec leurs parents au Pakistan, où ils avaient aussi une famille élargie. Concernant les risques, l’agent a tenu compte de l’évolution de la situation des droits de l’homme au Pakistan. Il a noté que la violence sectaire continuait de sévir au Pakistan et qu’il existait un risque pour les membres de toutes les religions (ahmadis, chrétiens, hindous, chiites et sunnites). Il a estimé que l’auteur n’avait pas démontré qu’il courrait personnellement un risque à cet égard, et a souligné que son père, lui aussi un chiite actif, avait pu rester à la même adresse pendant plusieurs années, apparemment sans problème. À propos de l’enlèvement du fils de l’auteur, l’agent a estimé que les lettres d’amis de l’auteur provenaient de parties intéressées et n’avaient pas été soumises à la police ni à des organismes de défense des droits de l’homme qui auraient pu intervenir.

4.12Dans sa communication, l’auteur a fait référence à plusieurs organisations de défense des droits de l’homme, dont Amnesty International et Human Rights Watch, qui confirmeraient qu’au Pakistan, les «terroristes religieux et leurs actes criminels» bénéficient d’une impunité totale. L’auteur n’a produit aucun élément probant établissant qu’un responsable chiite local comme lui serait particulièrement exposé à un risque de torture ou de mort au Pakistan. Même si des atteintes aux droits de l’homme continuent d’être signalées, y compris contre des chiites, cela ne suffit pas à établir une violation du Pacte. En tout état de cause, il ne ressort pas des principaux rapports sur la situation des droits de l’homme au Pakistan que les chiites sont particulièrement exposés. Ainsi, selon un rapport du Département d’État des États-Unis d’Amérique, la plupart des accusations de blasphème sont formulées par des musulmans sunnites contre d’autres musulmans sunnites. Les cours d’appel rejettent la plupart des accusations de blasphème et, en 2005, une loi a été adoptée qui oblige les hauts responsables de la police à réexaminer les accusations de blasphème afin d’écarter celles qui ont un caractère fallacieux. L’État partie note que les allégations de l’auteur sont axées sur les actions d’extrémistes sunnites au Pakistan et non sur les actes des autorités publiques.

4.13Même si l’auteur est exposé à un risque de mauvais traitements à son retour au Pakistan, il n’a pas démontré qu’il lui serait impossible de trouver refuge dans une autre partie du pays. L’auteur n’a pas démontré, en particulier, que les extrémistes qui voudraient le tuer le rechercheraient hors de sa ville d’origine de Jhelum. Bien qu’il puisse connaître des difficultés s’il lui est impossible de revenir dans cette ville, ces difficultés ne constitueraient pas une violation de l’article 7 du Pacte.

4.14L’État partie fait en outre valoir que les griefs de l’auteur tirés des articles 2, 9, 13 et 14 sont incompatibles avec le Pacte ou, à titre subsidiaire, qu’ils sont insuffisamment étayés. Conformément à la jurisprudence du Comité, les dispositions de l’article 2 énoncent des obligations générales à l’intention des États parties et ne peuvent pas être invoquées isolément et par elles-mêmes dans une communication soumise en vertu du Protocole facultatif.

4.15S’agissant de l’article 9, l’État partie affirme qu’à la différence de l’article 7, il n’a pas d’application extraterritoriale, comme l’a indiqué le Comité dans son Observation générale no31 (2004) relative à la nature de l’obligation juridique générale imposée aux États parties au Pacte (par. 12). Même si l’auteur pouvait démontrer qu’il serait arrêté à son retour au Pakistan, cela ne mettrait pas en cause la responsabilité de l’État partie en vertu du Pacte. Seules les violations les plus graves des droits fondamentaux peuvent constituer des exceptions au pouvoir de l’État de déterminer les conditions dans lesquelles les étrangers sont autorisés à pénétrer sur son territoire et à y demeurer. Le fait de limiter le pouvoir d’un État de contrôler l’immigration en donnant un caractère extraterritorial à tous les articles du Pacte reviendrait à nier la souveraineté de cet État en matière d’expulsion des étrangers de son territoire.

4.16S’agissant de l’article 13, l’État partie considère les griefs de l’auteur comme irrecevables car non étayés et incompatibles avec le Pacte. Pour le cas où le Comité souhaiterait examiner sur le fond l’application de l’article 13, l’État partie souligne que cet article traduit le principe de droit international bien établi selon lequel les États ont le droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’expulsion des étrangers. L’article 13 ne confère pas aux non-ressortissants un droit général d’obtenir l’asile ou de demeurer sur le territoire d’un État partie. L’auteur a été autorisé à rester au Canada afin qu’il soit statué sur sa demande d’asile et sur sa demande ERAR. Dès lors qu’il a été conclu qu’il ne courrait pas de risque au Pakistan et qu’une décision régulière a été rendue contre lui, l’auteur ne se trouve pas légalement sur le territoire du Canada, et l’article 13 ne lui est donc pas applicable. En outre, l’article 13 ne régit que la procédure et non les motifs de fond d’une expulsion, et son objectif est de prévenir les expulsions arbitraires. L’État partie considère que les lois et procédures applicables à l’expulsion de l’auteur du Canada sont pleinement conformes à ces règles de procédure. L’auteur n’a pas démontré que la procédure ayant conduit à la décision d’expulsion le concernant n’était pas conforme aux dispositions légales ou que les autorités du pays ont agi de mauvaise foi ou outrepassé leurs pouvoirs. À titre subsidiaire, l’État partie affirme que la procédure contestée répond aux garanties énoncées à l’article 13. Ainsi qu’il a été relaté, l’auteur a pu faire examiner son cas par un tribunal indépendant, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié; il a été représenté par un conseil, a pleinement bénéficié de la possibilité de participer et d’être entendu, et a eu accès à un contrôle juridictionnel.

4.17En ce qui concerne l’article 14, les griefs de l’auteur ne sont pas étayés et sont incompatibles avec le Pacte, l’auteur n’ayant produit aucun argument ni élément de preuve à leur appui. De plus, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence du Comité, la procédure d’immigration contestée par l’auteur ne porte pas sur la détermination des «droits et obligations de caractère civil» et ne relève donc pas de l’article 14. Dans son Observation générale no 32 (2007) relative à l’article 14 (droit à l’égalité devant les tribunaux et les cours de justice et à un procès équitable) (par. 17), le Comité indique que cette disposition ne s’applique pas aux procédures d’extradition, d’expulsion et d’éloignement.

4.18L’État partie prend note des critiques générales formulées par l’auteur à l’égard de la procédure d’octroi de l’asile et la procédure applicable en cas de refus. En ce qui concerne le grief de l’auteur relatif au manque d’indépendance des agents ERAR, l’État partie renvoie le Comité à plusieurs décisions de la Cour fédérale, dont la décision Say c. Canada, dans laquelle l’indépendance des fonctionnaires ERAR a été examinée en détail sur la base d’amples éléments de preuve et moyens de droit. De plus, contrairement à l’affirmation de l’auteur selon laquelle les décisions ERAR sont prises selon une logique de répression de l’immigration, depuis 2004, les agents ERAR exercent leurs fonctions sous l’autorité du Ministre de la citoyenneté et de l’immigration, qui est chargé des questions relatives à la protection des réfugiés et à l’immigration. C’est un autre ministre, celui de la sécurité publique, qui est chargé des questions d’expulsion.

4.19Pour l’ensemble des raisons ci-dessus énoncées, l’État partie considère que les griefs de l’auteur sont irrecevables. À titre subsidiaire, il les considère comme dépourvus de fondement.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.1Le 28 mars 2012, l’auteur a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie; il y reprend ses affirmations concernant les risques auxquels lui-même et sa famille seraient exposés en cas de retour au Pakistan.

5.2La Commission de l’immigration et du statut de réfugiéa décidé le 14 décembre 2004 que l’auteur et sa femme n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, en se fondant sur le fait qu’ils n’avaient pas prouvé leur identité. Il ressort clairement de la lecture de la décision qu’il n’y a eu aucune évaluation de la crédibilité de l’auteur et de sa femme. L’auteur a demandé un délai supplémentaire pour soumettre d’autres documents prouvant leur identité ou pour démontrer la validité de leurs cartes nationales d’identité, mais cela lui a été refusé. Cette décision fait suite à l’adoption de l’article 106 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de juin 2002, qui impose un examen plus attentif des documents d’identité. Après l’adoption de la loi de 2002, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié s’est montrée plus stricte sur cette question. De nombreuses demandes d’asile sont rejetées sans qu’il soit procédé à un examen de leur crédibilité.

5.3L’auteur et sa femme ont alors présenté de nouvelles cartes nationales d’identité pakistanaises informatisées, qui ont été admises comme moyen d’établissement de leur identité. Ces documents comportaient les mêmes numéros d’identité et renseignements que les cartes nationales d’identité qui avaient été précédemment jugées frauduleuses par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. À la suite de la décision négative de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, la demande d’autorisation aux fins de requête en contrôle juridictionnel a été rejetée par la Cour fédérale.

5.4L’auteur réaffirme que les deux décisions relatives à la demande pour motifs d’ordre humanitaire et la demande ERAR avaient un caractère abusif et arbitraire en ce qu’elles n’ont pas pris en considération des éléments de preuve dignes de foi concernant les risques encourus ou l’importance d’une protection des droits de la famille. L’auteur considère que ces décisions sont de très bons exemples de l’inefficacité du recours ERAR. Il renvoie à un mémoire présenté au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration par certaines ONG, dont Amnesty International, où sont relevés un certain nombre de problèmes systémiques dans le processus ERAR, notamment: a) le rejet d’éléments de preuve apparemment dignes de foi sans indication des raisons qui ont conduit à ce rejet; b) la détermination arbitraire des éléments de preuve documentaire; c) l’absence d’un examen indépendant de la crédibilité à la suite d’une conclusion défavorable de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié; d) le niveau de preuve exigé, qui est beaucoup plus élevé que celui prescrit par la loi et la jurisprudence. Le rapport conclut à l’absence d’obligation pour les agents ERAR de rendre des comptes, à leur manque d’indépendance institutionnelle et au manque de transparence en ce qui a trait aux compétences et à la formation de ces agents.

5.5En ce qui concerne le contrôle juridictionnel, l’auteur considère que les autorités canadiennes manifestent une réelle réticence à corriger des erreurs évidentes. La décision de la Cour fédérale du 7 avril 2008 passe sous silence la disparition du fils de l’auteur. De plus, deux questions avaient été soumises aux fins de certification; la première concernait la protection de la vie familiale, et la seconde portait sur les critères à prendre en considération pour l’examen des risques. Aucune des deux questions n’a été certifiée et il n’existe aucune possibilité d’appel sans certification.

5.6Au milieu de l’année 2009, l’auteur et sa famille ont été invités à se préparer à leur expulsion, qui était fixée au 8 septembre 2009. Une requête écrite a été présentée aux fins de reporter l’expulsion pour disposer du temps nécessaire pour examiner la deuxième demande pour motifs d’ordre humanitaire, ce qui a été refusé fin juin 2009. Une demande d’autorisation aux fins de requête en contrôle juridictionnel a été présentée et un mémoire exhaustif et une demande de sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion ont été soumis. La demande a été examinée le 31 août 2009; elle a été rejetée le 5 septembre 2009 au motif qu’elle ne soulevait pas une question sérieuse de droit, un rejet que l’auteur considère comme abusif au vu des graves risques allégués. L’auteur fait valoir qu’il est devenu beaucoup plus difficile d’obtenir un sursis à l’exécution d’une mesure d’expulsion, si bien que de nombreux avocats refusent désormais d’exercer ce recours en raison de ses faibles chances de succès. La Cour fédérale a relevé le seuil de ce qu’elle considère comme des arguments défendables à l’appui d’une demande de décision de surseoir à l’exécution d’une mesure d’expulsion à un niveau tel qu’il peut en résulter des atteintes manifestes aux obligations internationales de l’État partie.

5.7L’auteur affirme que, au moment où il soumet ses commentaires, tous les recours internes avaient été épuisés, la deuxième demande pour motifs d’ordre humanitaire et la demande d’autorisation aux fins de requête en contrôle juridictionnel ayant été rejetées respectivement à la fin du mois de septembre 2009 et en mars 2010.

5.8La famille de l’auteur a connu plusieurs problèmes de santé dus à l’instabilité de la situation. L’auteur a été atteint de paralysie partielle fin 2009 et les enfants sont suivis depuis longtemps par des organisations d’aide aux victimes de la torture à Montréal et par les services sociaux.

5.9En ce qui concerne les griefs tirés des articles 6 et 7, l’auteur réaffirme que de nombreuses preuves des risques encourus en cas de renvoi ont été portées à l’attention des autorités internes, notamment une lettre du président de l’imambargah de la famille en date du 3 juillet 2002 qui relate les principaux faits de persécution commis contre l’auteur avant son départ; un rapport médical détaillé relatif à l’agression commise contre lui le 10 mars 2001; une copie de la demande collective de protection adressée au directeur de la police le 13 février 2002; et une copie de la plainte (First Information Report) déposée contre lui par l’imam radical le lendemain de leur visite à la police. Rien ne permet de douter de la véracité de l’un ou l’autre de ces documents. Au moment où les demandes ERAR et pour motifs d’ordre humanitaire ont été présentées, des éléments supplémentaires de preuve des persécutions subies ont été produits, tels que des renseignements sur la fatwa prononcée contre l’auteur ou la disparition de son fils.

5.10L’auteur indique qu’en mars 2009, en réponse à une convocation, la famille s’est présentée aux autorités de l’immigration. Un agent chargé des renvois a alors procédé à l’arrestation des deux parents et des trois enfants canadiens, prétextant l’absence de réponse à une lettre de l’administration. L’auteur et sa femme ont ensuite été libérés sous caution, ainsi que les enfants. L’auteur considère que cette détention, pendant plusieurs jours, au centre de Laval (centre de détention de l’immigration situé au nord de Montréal), n’était pas justifiée et a profondément traumatisé les enfants.

Observations supplémentaires des parties

6.1Dans une note en date du 1er mars 2013, l’État partie affirme que le conseil de l’auteur exprime des idées fausses et des contrevérités à propos de la procédure canadienne d’octroi de l’asile. En se fondant sur les éléments de preuve dont elle était saisie, la Cour fédérale a conclu que l’auteur n’avait pas soulevé une question grave et qu’il n’avait pas démontré l’existence d’un risque de préjudice irréparable. La Cour a également conclu que l’intérêt supérieur des enfants avait déjà été pris en considération dans la première décision pour motifs d’ordre humanitaire.

6.2Tout en notant que l’auteur formule des critiques générales à l’égard de la procédure d’asile qui ne sont pas justifiées, l’État partie ajoute que ces allégations n’ont jamais été portées devant les autorités internes, notamment la Cour fédérale.

6.3En ce qui concerne la brève détention de l’auteur et de sa famille en mars 2009, l’État partie relève que l’auteur n’en a contesté aucun aspect au cours des procédures internes qui se sont déroulées avant ou après la présentation de sa communication au Comité. Ce grief est donc irrecevable faute d’épuisement des recours internes, conformément au paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif. L’État partie soutient que les enfants n’ont jamais été détenus, contrairement à ce qu’affirme l’auteur. Les enfants ont été placés dans le centre de détention avec l’auteur à sa propre demande et pour éviter de séparer la famille.

6.4L’État partie note que le 19 décembre 2011, l’auteur a présenté une troisième demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire sur laquelle, au moment de la soumission des observations supplémentaires de l’État partie, il n’a pas encore été statué.

6.5Le 10 mai 2013, l’État partie ajoute que l’expulsion de l’auteur ne porterait pas atteinte à sa vie familiale, le Canada n’ayant rien fait pour séparer les membres de la famille. L’État partie n’empêche pas les enfants d’accompagner leurs parents au Pakistan où tous peuvent continuer à vivre ensemble. Les enfants, en tant que citoyens canadiens, sont autorisés à rester au Canada; la question de savoir si les enfants accompagneront leurs parents au Pakistan ou resteront au Canada relève de la seule décision des parents; ce n’est pas le résultat de la décision de l’État partie, et il n’y a donc pas d’immixtion. De plus, l’expulsion de l’auteur est justifiée, légale, raisonnable et proportionnée. Dans sa jurisprudence, le Comité a estimé que la naissance d’un enfant à qui la citoyenneté est attribuée à la naissance ou ultérieurement ne suffit pas en soi à rendre arbitraire l’expulsion envisagée de ses parents.

6.6Dans le cas de l’auteur, les motifs d’ordre humanitaire, qui comprenaient des considérations familiales tant au Canada qu’au Pakistan, ont été soigneusement examinés à l’occasion des deux premières demandes pour motifs d’ordre humanitaire présentées par l’auteur, comme l’a exposé l’État partie. L’auteur et sa femme sont venus au Canada où ils ont eu trois enfants tout en sachant qu’ils pourraient devoir quitter le pays en cas de rejet de leur demande d’asile. Le séjour de l’auteur au Canada n’a pu se prolonger qu’en raison des voies de recours dont il disposait en droit canadien.

6.7L’État partie affirme que le grief de l’auteur tiré de l’article 24 concerne en fait le risque de violence auquel les enfants seraient exposés au Pakistan de la part de militants fondamentalistes, c’est-à-dire une question qui relève davantage des articles 6 et 7 du Pacte et par rapport à laquelle l’État partie renvoie à ses observations du 1er mars 2013. S’agissant plus précisément de l’allégation selon laquelle l’intérêt supérieur des enfants de l’auteur n’a pas été suffisamment pris en considération, l’État partie note que la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés exige expressément que les décisions prennent en compte l’intérêt supérieur de l’enfant directement concerné, ce qui a été le cas en l’espèce.

7.1Le 21 juillet 2013, l’auteur a ajouté que les violences commises contre les chiites au Pakistan au cours des deux dernières années avaient été les plus graves depuis vingt ans et qu’il se produisait dans ce pays des violations systématiques, massives et flagrantes des droits de l’homme contre les minorités religieuses, qui restaient impunies. L’auteur considère que les éléments de preuve fournis aux autorités canadiennes font ressortir les graves risques que courraient l’auteur et sa famille en cas de retour au Pakistan.

7.2L’auteur souligne qu’il n’existe actuellement aucun recours utile au Canada puisque la procédure ERAR est une voie de recours administrative et que le contrôle juridictionnel n’a qu’une faible utilité vu qu’il ne porte que sur la légalité des décisions. La manière dont son affaire a été traitée montre l’absence de volonté des autorités d’offrir un moyen de corriger des erreurs, même lorsqu’il s’agit de questions de vie ou de mort comme dans le cas de l’auteur, qui est victime de ce qu’il considère être l’un des pires groupes terroristes du monde. L’auteur ne comprend pas pourquoi il n’a pas été accordé la moindre importance à cet élément crucial. C’est pourquoi, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, les griefs de l’auteur sont suffisamment étayés.

7.3 L’auteur réfute l’affirmation de l’État partie selon laquelle il aurait tenté d’induire le Comité en erreur au sujet de la procédure canadienne d’octroi de l’asile. Il maintient son avis sur le caractère restrictif de l’analyse juridique à laquelle il est procédé en matière de sursis à l’exécution des mesures d’expulsion. Il affirme aussi que les agents ERAR n’appliquent pas correctement la norme juridique fixée par la loi.

7.4S’agissant de la détention de l’auteur et de sa famille, l’auteur réaffirme que la détention de ses enfants, qui les a traumatisés, n’était aucunement justifiée.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité note, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions du paragraphe 2 a) de l’article 5 du Protocole facultatif, que la même affaire n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.3Le Comité prend note des nombreuses demandes de nature différente présentées par l’auteur pour ne pas être expulsé vers le Pakistan et, en particulier, d’une troisième demande pour motifs d’ordre humanitaire. Il rappelle sa jurisprudence selon laquelle les auteurs doivent faire usage de tous les recours judiciaires pour satisfaire à la prescription du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif, dans la mesure où de tels recours semblent être utiles en l’espèce et sont de facto ouverts à ces auteurs. Le Comité observe que la demande pour motifs d’ordre humanitaire encore en instance ne protège pas l’auteur contre une expulsion vers le Pakistan, et ne peut donc être considérée comme un recours utile. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif d’examiner les principaux griefs de la présente communication. En ce qui concerne les allégations ultérieures de l’auteur relatives à sa détention et à celle de ses enfants pendant plusieurs jours en mars 2009, le Comité note que l’auteur n’a pas contesté devant les juridictions internes cette mesure ni les traitements prétendument subis. Il considère en conséquence que cette partie de la communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.4En ce qui concerne le grief de l’auteur selon lequel l’État partie aurait violé l’obligation qui lui incombe, en vertu des articles 2, 13 et 14 du Pacte, d’offrir un recours utile permettant à l’auteur de contester son expulsion, le Comité considère que ces questions sont intimement liées au fond de l’affaire. Il conclut donc que les griefs ont été suffisamment étayés aux fins de la recevabilité.

8.5Pour ce qui est des griefs de violation des droits que la famille de l’auteur tient des articles 17 et 23, le Comité note qu’ils ont un caractère général et que, vu l’âge des enfants (8, 10 et 11 ans), la séparation de la famille n’est pas envisagée. En conséquence, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé ses griefs au titre de ces dispositions et conclut que cette partie de la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.6S’agissant des griefs de l’auteur au titre de l’article 24 concernant le sort de ses enfants à leur retour au Pakistan, le Comité considère que l’auteur n’a pas suffisamment démontré, aux fins de la recevabilité, que l’éducation de ses enfants serait perturbée au Pakistan et qu’il ne pourrait être satisfait aux besoins particuliers de l’un des enfants dans ce pays. En conséquence, le Comité considère que ce grief est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

8.7En ce qui concerne les griefs tirés par l’auteur du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte, le Comité note que l’auteur a exposé les raisons qui lui font craindre de retourner au Pakistan, qui sont principalement fondées sur la fatwa et le mandat d’arrêt qui aurait été émis contre lui, ainsi que sur des faits de harcèlement et d’agression commis dans le passé par le groupe Sipah-e-Sahaba (SSP). Le Comité relève aussi que l’auteur a produit des preuves documentaires à l’appui de ces griefs qu’il convient d’examiner sur le fond. Le Comité juge donc recevables les griefs de l’auteur tirés du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif.

8.8Pour ce qui est des griefs tirés par l’auteur du paragraphe 1 de l’article 9, le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel ses obligations de non-refoulement ne s’étendent pas à une violation potentielle de cette disposition. Il note que, selon l’auteur, en raison de la fatwa prononcée contre lui, de la plainte (First Information Report) déposée auprès de la police et du mandat d’arrêt qui a ensuite été délivré contre lui en 2002, il risquerait d’être victime de détention arbitraire à son retour. Le Comité considère que, dans le contexte de la présente communication, ces griefs ne peuvent être dissociés de ceux tirés des articles 6 et 7 du Pacte et il ne les examinera donc pas séparément de ces derniers.

8.9En conséquence, le Comité déclare la communication recevable en ce qu’elle semble soulever des questions au regard de l’article 2, du paragraphe 1 de l’article 6, de l’article 7, du paragraphe 1 de l’article 9, et des articles 13 et 14 du Pacte, et il procède à leur examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité des droits de l’homme a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qu’il a reçues.

9.2Le Comité rappelle son Observation générale no 31 dans laquelle il vise l’obligation faite aux États parties de ne pas extrader, déplacer, expulser quelqu’un ou le transférer par d’autres moyens de son territoire s’il existe des motifs sérieux de croire qu’il y a un risque réel de préjudice irréparable (par. 12). Le Comité rappelle aussi qu’il appartient généralement aux instances des États parties au Pacte d’apprécier les faits et les éléments de preuve afin de déterminer l’existence d’un tel risque.

9.3Le Comité prend note des arguments de l’auteur, à savoir qu’entre 2000 et 2002, il a été victime d’agressions violentes de la part de membres du groupe SSP; qu’un rapport médical atteste la réalité des blessures causées par une agression en mars 2001; qu’une fatwa a été prononcée contre lui par le SSP et qu’à la suite d’une plainte (First Information Report) déposée par un des membres du groupe auprès de la police, celle-ci a délivré contre l’auteur un mandat d’arrêt pour blasphème en mai 2002. Le Comité note aussi l’affirmation de l’auteur selon laquelle en 2006, son fils resté au Pakistan a disparu.

9.4Le Comité note aussi que selon l’auteur, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d’asile le 14 décembre 2004 parce qu’il n’avait pas prouvé son identité; que la Cour fédérale a à son tour rejeté, le 24 mars 2005, la demande d’autorisation aux fins de requête en contrôle juridictionnel présentée par l’auteur; et qu’une demande de réouverture du dossier sur la base de nouvelles pièces a été rejetée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 8 juillet 2005. Le Comité note également l’argument de l’auteur selon lequel la Commission de l’immigration et du statut de réfugié n’aurait jamais évalué la crédibilité de sa demande d’asile quant au fond.

9.5Le Comité note qu’aux dires de l’État partie, les griefs de l’auteur ont été examinés de manière approfondie par les autorités canadiennes, notamment dans le cadre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, de la demande ERAR et de la procédure pour motifs d’ordre humanitaire, et que la procédure d’asile n’a entraîné aucun arbitraire ni déni de justice. Il prend note de l’affirmation de l’État partie indiquant que l’auteur était assisté d’un conseil durant la procédure devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et qu’il a pu compléter les preuves documentaires soumises par une déposition orale; qu’il lui a été accordé trois mois pour préparer son audition par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et qu’il n’a pas utilisé ce délai pour fournir d’autres éléments de preuve de son identité. À propos du risque que courrait personnellement l’auteur, le Comité note que, selon l’État partie, la violence sectaire au Pakistan touche tous les groupes minoritaires du pays; que les mesures prises pour l’application des lois sur le blasphème ont eu une incidence sur le classement des affaires dans ce domaine; que les documents soumis durant la procédure d’asile n’étaient pas suffisamment probants; que l’auteur n’a pas donné de précisions aux autorités canadiennes sur l’enlèvement prétendu de son fils, ce qui a nui à la crédibilité de son argument; et que l’auteur n’avait pas fourni la preuve que quelqu’un comme lui, responsable chiite local, serait exposé à un risque particulier de torture ou de mort au Pakistan.

9.6Le Comité observe que l’auteur n’ayant apparemment pas réussi à prouver son identité au stade initial de la procédure, il ne lui a été fourni aucune autre occasion, dans le cadre de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, de faire examiner sa demande d’octroi de l’asile bien que son identité ait été ultérieurement confirmée. Si l’affirmation de l’auteur concernant le risque d’être torturé et menacé de mort a été examinée au cours de la procédure ERAR, un examen aussi limité ne saurait remplacer l’évaluation approfondie à laquelle aurait dû procéder la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Malgré tout le respect dû aux autorités de l’immigration en ce qui concerne l’appréciation des éléments de preuve dont elles étaient saisies, le Comité considère que cette affaire méritait un examen plus approfondi.

9.7À cet égard, le Comité note que, selon des rapports récents, les minorités religieuses, notamment les chiites, continuent de subir de violentes persécutions et vivent dans l’insécurité; que les autorités pakistanaises n’ont pas la capacité, ou la volonté, de les protéger; que le Gouvernement pakistanais a retiré une proposition d’amendement de l’article 295 C) du Code pénal (loi sur le blasphème); qu’il y a eu une recrudescence d’affaires de blasphème en 2012.

9.8Compte tenu de la situation qui prévaut au Pakistan, il convient d’accorder le crédit voulu aux allégations de l’auteur. Dans ce contexte, le Comité a pris note des allégations selon lesquelles une fatwa avait été émise contre l’auteur et une plainte (First Information Report) avait été déposée contre lui en vertu de la loi sur le blasphème, et du fait que le droit pénal pakistanais punit le blasphème de la peine de mort. Si selon certaines informations les condamnations à mort ne sont pas exécutées, plusieurs cas d’assassinats extrajudiciaires, par des acteurs privés, de membres de minorités religieuses accusés en vertu de la loi sur le blasphème ont été signalés, sans que les autorités pakistanaises aient la volonté, ou la capacité, de les protéger. Le Comité considère donc, dans ces conditions, que l’expulsion de l’auteur et de sa famille constituerait une violation du paragraphe 1 de l’article 6 et de l’article 7 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

9.9Ayant conclu ce qui précède, le Comité décide de ne pas examiner séparément les griefs de l’auteur tirés des articles 2, 9 (par. 1), 13 et 14 du Pacte.

10.Compte tenu de ce qui précède, le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constate que le renvoi de l’auteur et de sa famille au Pakistan, s’il est effectué, constituerait une violation des droits que leur garantissent le paragraphe 1 de l’article 6 et l’article 7 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

11.Conformément au paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte, l’État partie est tenu d’assurer à l’auteur et à sa famille un recours utile, y compris en procédant à un réexamen complet du grief de l’auteur relatif au risque qu’il encourrait en cas de renvoi au Pakistan, compte tenu des obligations incombant à l’État partie en vertu du Pacte.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus par le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de cent quatre-vingts jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations. L’État partie est invité en outre à rendre publiques les constatations du Comité dans les langues officielles.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de M. Yuval Shany, Mme Anja Seibert‑Fohr, M. Konstantine Vardzelashvili,M. Cornelis Flinterman, M. Gerald L. Neumanet M. Walter Kälin

1.Nous ne pouvons souscrire à la conclusion du Comité selon laquelle la décision de l’État partie de renvoyer l’auteur au Pakistan constitue une violation des articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, pour les raisons exposées ci-après.

2.Conformément à sa jurisprudence constante, le Comité devrait respecter les appréciations faites par les autorités nationales chargées des questions d’immigration aux fins de déterminer, sur la base des faits, si une personne donnée serait exposée à un risque réel de subir des violations graves des droits de l’homme si elle était expulsée, car «il appartient généralement aux autorités des États parties au Pacte d’apprécier les faits dans ces affaires». Cette approche repose sur l’acceptation par le Comité du fait que les autorités nationales sont les mieux placées pour parvenir à des conclusions factuelles, étant donné qu’elles ont directement accès aux témoignages oraux et aux autres éléments apportés dans le cadre des procédures judiciaires au niveau national. Cette approche repose également sur le point de vue selon lequel le Comité ne devrait pas réexaminer les faits et les éléments déjà examinés par les institutions judiciaires nationales.

3.C’est pourquoi le Comité a considéré par le passé que les décisions des autorités nationales chargées des questions d’immigration étaient contraires au Pacte si l’auteur de la communication était en mesure de relever de graves irrégularités dans la procédure ayant conduit auxdites décisions, ou si la décision finale revêtait un caractère manifestement abusif ou arbitraire parce qu’il n’avait pas été dûment tenu compte, dans les procédures internes, des droits spécifiques que l’auteur tirait du Pacte, ou des éléments de preuve disponibles. Le Comité a ainsi conclu à une violation du Pacte lorsque les autorités nationales avaient omis de prendre en considération un facteur de risque important. Il a également conclu à une violation lorsque l’auteur avait pu démontrer, au moyen d’éléments de preuve non contestés, qu’il aurait couru un risque réel et personnel de préjudice irréparable s’il avait été expulsé.

4.L’auteur a pu saisir diverses instances judiciaires et administratives au Canada, lesquelles ont entendu et examiné sans réserve sa plainte − à savoir qu’il serait exposé à un risque réel de préjudice irréparable en cas de renvoi au Pakistan. Tous les facteurs de risques évoqués par l’auteur − la fatwa prononcée contre lui, la disparition alléguée de son fils, la plainte (First Information Report) déposée contre lui pour violation de la loi pakistanaise sur le blasphème − ont été dûment appréciés par les agents canadiens chargés de l’examen des risques avant renvoi et de la demande pour motifs d’ordre humanitaire, ainsi que par la Cour fédérale canadienne, qui a réexaminé leurs décisions. Au vu de toutes les informations dont elles disposaient, les autorités canadiennes ont conclu que la description que l’auteur faisait des événements le concernant qui se seraient produits au Pakistan avant son départ n’était pas étayée et que, d’une façon générale, les membres de la communauté chiite au Pakistan n’étaient pas exposés, à l’heure actuelle, à un risque particulier de subir un préjudice physique.

5.Nous ne sommes pas convaincus que la décision des autorités canadiennes avait un caractère manifestement déraisonnable ou arbitraire. Aucun élément du dossier ne donne à penser que les facteurs de risque à prendre en ligne de compte n’ont pas été dûment appréciés par les instances administratives et judiciaires qui ont examiné l’affaire de l’auteur. De plus, la version des faits donnée aux autorités canadiennes par l’auteur comportait un certain nombre d’affirmations non étayées − en particulier concernant l’enlèvement de son fils. Par conséquent, nous ne pouvons considérer comme manifestement abusif ou arbitraire le scepticisme des autorités canadiennes à l’égard d’aspects factuels essentiels de la plainte de l’auteur, qui affirme que sa situation personnelle l’expose à un risque réel de préjudice irréparable en cas de renvoi au Pakistan.

6.De même, nous ne voyons aucune raison, en présence des éléments de preuve dont nous disposons, de contester l’appréciation des risques factuels faite par les autorités canadiennes, dont la conclusion est que, d’une façon générale, les membres de la communauté chiite au Pakistan ne sont pas exposés, à l’heure actuelle, à un risque particulier de subir un préjudice physique. Étant donné que les facteurs de risques factuels, tant spécifiques que généraux, invoqués par l’auteur ont été minutieusement examinés puis écartés par les autorités judiciaires de l’État partie, nous ne pouvons conclure, au vu des éléments de preuve dont nous disposons, que l’auteur a démontré qu’il serait exposé à un risque réel de préjudice irréparable en cas de renvoi au Pakistan.

7.Nous ne sommes pas convaincus par l’avis de la majorité, selon lequel la procédure appliquée dans l’affaire de l’auteur était entachée d’un vice grave. Bien que les autorités canadiennes aient décidé de ne pas rouvrir les procédures de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié après que l’identité de l’auteur a été établie avec certitude, le risque de torture, de persécution ou de menace contre la vie de l’auteur a été apprécié dans le cadre de la procédure ERAR, devant la Cour fédérale ainsi que lors de l’examen des deux demandes pour motifs d’ordre humanitaire.

8.Au vu de ces considérations, nous sommes d’avis que l’auteur n’a pas étayé son grief selon lequel la décision de l’État partie de l’expulser vers le Pakistan serait contraire aux articles 6 (par. 1) et 7 du Pacte, lus conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte, et nous ne constatons par conséquent aucune violation du Pacte par le Canada.

[Fait en anglais seulement. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois, en espagnol, en français et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]