Nations Unies

CMW/C/DZA/CO/1

Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille

Distr. générale

19 mai 2010

Français

Original: anglais

Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille

Douzième session

26-30 avril 2010

Examen des rapports présentés par les États parties en application de l’article 74 de la Convention

Observations finales du Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille

Algérie

1.Le Comité a examiné le rapport initial de la République algérienne démocratique et populaire (CMW/C/DZA/1) à ses 128e et 129e séances (voir CMW/C/SR.128 et 129), tenues les 26 et 27 avril 2010, et a adopté les observations finales suivantes à sa 136e séance, tenue le 30 avril 2010.

A.Introduction

2.Le Comité, bien que regrettant la soumission tardive du rapport initial de l’État partie, accueille avec satisfaction le rapport ainsi que les réponses apportées à la liste des points à traiter. Il se félicite du dialogue constructif et fructueux qui s’est engagé avec une délégation compétente.

3.Le Comité constate que l’Algérie est un pays d’origine, de transit et de destination pour les travailleurs migrants.

4.Le Comité relève que bon nombre des pays employant des travailleurs migrants algériens ne sont pas encore parties à la Convention, ce qui peut constituer un obstacle à la jouissance par ces travailleurs des droits que leur reconnaît la Convention.

B.Aspects positifs

5.Le Comité note avec satisfaction qu’en vertu de l’article 132 de la Constitution, les instruments internationaux, dont la Convention, priment sur la législation nationale.

6.Le Comité salue la création récente du Conseil consultatif de la communauté nationale à l’étranger, qui a pour objectif de permettre à l’État partie de mieux prendre en compte les questions relatives à la communauté nationale vivant à l’étranger.

7.Le Comité accueille avec satisfaction la suppression du visa de sortie pour les étrangers par la loi no 08-11 du 25 juin 2008 relative aux conditions d’entrée, de séjour et de circulation des étrangers en Algérie.

8.Le Comité accueille aussi avec satisfaction la conclusion par l’État partie d’accords bilatéraux et multilatéraux, aux niveaux régional et international, dans la mesure où ils promeuvent des conditions saines, équitables et dignes en ce qui concerne les migrations.

9.Le Comité se félicite de l’adhésion récente de l’État partie aux instruments suivants:

a)Le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants et le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnels à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, en 2003;

b)Les Protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant, l’implication d’enfants dans les conflits armés et concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, en 2009 et en 2006 respectivement.

C.Principaux sujets de préoccupation, suggestions et recommandations

I.Mesures générales d’application (art. 73 et 84)

Législation et mise en œuvre

10.Le Comité note que l’Algérie n’a pas encore ratifié la Convention no 143 de l’OIT sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires), de 1975.

11. Le Comité invite l ’ État partie à envisager la possibilité d ’ adhérer à la Convention n o 143 de l ’ OIT sur les travailleurs migrants (dispositions complémentaires), de 1975.

Collecte de données

12.Le Comité regrette l’insuffisance de données et de statistiques sur les flux migratoires, y compris en ce qui concerne la population des travailleurs migrants en situation irrégulière. Le Comité rappelle que ce type de renseignement est indispensable pour évaluer la situation des travailleurs migrants et élaborer les mesures nécessaires à l’application de la Convention.

13. Le Comité encourage vivement l ’ État partie à améliorer sa collecte de données sur les migrations, données qui devrai en t être dûment ventilée s (y compris par sexe , âge et origine ) , afin d ’ évaluer et de contrôler la situation des travailleurs migrants en Algérie, y compris de ceux qui sont en situation irrégulière, et l ’ application des droits énoncés dans la Convention.

Formation à la Convention et diffusion de celle-ci

14.Le Comité prend note des renseignements fournis sur les efforts entrepris en vue de la sensibilisation aux normes internationales relatives aux droits de l’homme, notamment dans le cadre de la formation des acteurs judiciaires, mais il a relevé l’absence d’informations sur les mesures plus spécifiques qui sont prises pour s’assurer que les travailleurs migrants sont informés des droits que leur confère la Convention.

15. Le Comité encourage l ’ État partie à:

a) Renforcer et étendre ses programmes de formation à tous les fonctionnaires qui travaillent dans le dom aine des migrations, notamment les acteurs judiciaires et les travailleurs sociaux ;

b) Veiller à ce que les travailleurs migrants aient accès à l ’ information sur les droits que leur reconnaît la Convention;

c) Travailler en coopération avec les organisations de la société civile afin de promouvoir la Convention et de diffuser des informations sur celle-ci.

II.Principes généraux (art. 7 et 83)

Droit à un recours utile

16.Le Comité prend note de l’information selon laquelle les organes compétents de l’État partie n’ont reçu aucune plainte pour violation des droits des travailleurs migrants. Toutefois, il redoute que l’absence de cas ne soit le reflet des difficultés auxquelles les travailleurs migrants et les membres de leur famille, en particulier ceux qui sont en situation irrégulière, se heurtent lorsqu’ils souhaitent exercer un recours pour violation de leurs droits fondamentaux.

17. Le Comité engage l ’ État partie à veiller à ce que les travailleurs migrants et les membres de leur famille, y compris ceux qui sont en s ituation irrégulière, jouissent , en droit et en fait, des mêmes droits que s es ressortissants de porter plainte pour violation de leurs droits fondamentaux et d ’ accéder aux mécanismes de réparation des instances judiciaires .

III.Droits de l’homme de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille (art. 8 à 35)

18.Le Comité est préoccupé de manière générale par l’association qui est faite entre migration irrégulière et délinquance et par l’utilisation du terme «clandestins» plutôt que des expressions «dépourvus de documents» ou «en situation irrégulière», qui est la terminologie utilisée dans la Convention. À cet égard, le Comité est préoccupé par le fait qu’un nombre considérable de travailleurs migrants se trouvant dans l’État partie sont dépourvus de documents et que l’irrégularité de leur situation est considérée comme un délit pénal passible d’un d’emprisonnement et/ou d’une amende au titre de la loi no 08-11 du 25 juin 2008.

19.Le Comité est inquiet de constater que les travailleurs migrants en situation irrégulière se trouvant dans l’État partie sont, en fait, privés de toute une série de droits pourtant garantis par la Convention à tous les travailleurs migrants, notamment les droits relatifs aux conditions de travail et aux conditions d’emploi (art. 25), le droit d’adhérer à un syndicat et une association (art. 26), le droit à la sécurité sociale (art. 27), et le droit de recevoir des soins médicaux (art. 28).

20.Le Comité juge particulièrement préoccupante la situation des travailleuses migrantes et des enfants de travailleurs migrants en situation irrégulière. Tout en prenant note de l’information fournie par l’État partie selon laquelle il n’existe aucun obstacle à l’enregistrement des naissances et à l’accès à l’éducation des enfants de travailleurs migrants en situation irrégulière, le Comité s’inquiète du fait que les enfants ne jouissent peut-être pas effectivement de ces droits fondamentaux car leurs parents cherchent à éviter tout contact avec les autorités, par crainte d’être frappés de sanctions et de mesures d’expulsion. Le Comité craint que le manque de données disponibles sur la situation des migrants en situation irrégulière, notamment en ce qui concerne la scolarisation des enfants, n’empêche l’État partie de mesurer correctement les problèmes par ceux-ci et leur famille et d’y remédier comme il convient.

21. Le Comité demande instamment à l ’ État partie de prendre toutes les mesures voulues pour s ’ assurer que le s travailleurs migrants et leur famille ne sont pas privés de l ’ un ou l ’ autre des droits que leur confère la Convention qui s ’ applique à tous les travailleurs migrants, y compris ceux qui sont en situation irrégul ière ou d ’ emploi. En particulier, le Comité engage l ’ État partie à mettre s a législation qui criminalise la migration irrégulière en conformité avec la Convention .

22.Le Comité prend note de l’information fournie par l’État partie selon laquelle la loi no 08-11 prévoit un droit de recours en cas d’expulsion d’un travailleur migrant en situation irrégulière, mais il se déclare préoccupé par la disposition figurant à l’article 36 de ladite loi, selon laquelle le droit de recours n’est pas garanti lorsque les arrêtés d’expulsion émanent des walis (gouverneurs). En outre, tout en prenant note des assurances données par la délégation de l’État partie, selon lesquelles les garanties adéquates interdisant les expulsions collectives des travailleurs migrants ont été mises en place, le Comité regrette que l’État partie n’ait apporté aucune réponse concernant les allégations faisant état de plusieurs expulsions collectives de migrants subsahariens.

23. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures appropriées pour mettre en place un cadre juridique régissant les procédures d ’ expulsion/de renvoi conformément aux articles 22 et 23 de la Convention, qui énoncent en particulier que les intéressés ont le droit de faire valoir les raisons pour lesquelles ils ne devraient pas être expulsés et de faire examiner leur cas par une autorité compétente. Le Comité recommande également à l ’ État partie d ’ assurer l ’ exercice des droits consécutifs à la perte d ’ un emploi, en particulier ceux relatifs au règlement des questions salariales et autres prestations, et de veiller à ce que les travailleurs migrants en voie d ’ expulsion aient suffisamment de temps pour déposer plainte à cet égard. De plus, le Comité recommande à l ’ État partie de mener une enquête sur les allégations d ’ expulsions collectives de migrants subsahariens qui o nt eu lieu ces dernières années , d ’ en poursuivre les responsables et de prendre des mesures efficaces pour rétablir les victimes dans leurs droits et éviter de telles expulsions à l ’ avenir.

24.Le Comité prend note de l’information concernant l’article 42 de la loi de finance pour 2010 adoptée par l’État partie, qui permet d’exproprier de manière définitive des biens abandonnés. Tout en prenant note de l’explication fournie par la délégation de l’État partie selon laquelle cette disposition ne s’applique pas aux travailleurs migrants expulsés et de son avis quant à la non-rétroactivité de la Convention, le Comité est préoccupé par le fait que la mise en œuvre de cette disposition pourrait donner lieu à l’expropriation de biens légitimes de travailleurs migrants expulsés, notamment les travailleurs migrants marocains expulsés par l’État partie par le passé.

25. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre toutes les mesures nécessaires pour restituer les biens légitimes des travailleurs migrants expulsés, notamment les travailleurs migrants marocains expulsés par le passé, ou de leur offrir une indemnisation juste et adéquate, conformément à l ’ article 15 de la Convention.

26.Le Comité constate avec préoccupation que les travailleurs migrants en attente d’expulsion peuvent être privés de leur liberté pendant de longues périodes, et que les ordonnances de mise en détention peuvent en principe être prolongées indéfiniment.

27. Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que la détention des travailleurs migrants en situation irrégulière soit considérée uniquement comme une mesure de dernier ressort et à ce que, en toutes circonstances, la détention soit appliquée conformément aux articles 16 et 17 de la Convention .

IV.Autres droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille qui sont pourvus de documents ou en situation régulière (art. 36 à 56)

28.Le Comité prend note de l’information fournie par l’État partie selon laquelle les travailleurs migrants en situation régulière peuvent constituer leurs propres associations, mais il est préoccupé par le fait que la loi régissant le droit de créer des syndicats n’est pas conforme à l’article 40 de la Convention en ce qu’elle dénie aux travailleurs migrants le droit de former des syndicats. En outre, même s’il note que les travailleurs migrants en situation régulière peuvent adhérer à des syndicats, le Comité constate avec préoccupation que, dans la pratique, aucun cas de participation de travailleurs migrants à des activités syndicales n’a été relevé en Algérie.

29. Le Comité recommande à l ’ État partie de modifier sa législation régissant le droit de former des syndicats pour garantir dans la pratique que les travailleurs migrants en situation régulière aient le droit de former des syndicats, conformément à l ’ article 40 de la Convention.

30.Le Comité s’inquiète de ce que les travailleurs migrants ne peuvent pas accéder au logement social, qui est réservé aux Algériens.

31. Le Comité encourage l ’ État partie à faire en sorte que les travailleurs migrants en situation régulière bénéficient de l ’ égalité de traitement avec les ressortissants de l ’ État d ’ emploi, en particulier en ce qui concerne l ’ accès au logement, y compris aux programmes de logements sociaux, conformément au paragraphe 1 d) de l ’ article 43 de la Convention.

32.Le Comité constate avec préoccupation que, en vertu de la loi no 81-10, la réglementation régissant la réunification familiale pour les travailleurs migrants ne s’applique qu’au conjoint.

33. Le Comité recommande à l ’ État partie de veiller à ce que la réglementation régissant la réunification familiale soit conforme aux articles 4 et 44 de la Convention .

34.Le Comité a reçu des informations selon lesquelles plusieurs anciens travailleurs migrants marocains continuent d’être séparés de leur famille suite à leur expulsion collective par le passé.

35. Le Comité recommande à l ’ État partie de prendre les mesures appropriées pour faciliter la réunification de ces travailleurs migrants marocains avec leur famille restée en Algérie .

V.Promotion de conditions saines, équitables, dignes et légales en ce qui concerne les migrations internationales des travailleurs migrants et des membres de leur famille (art. 64 à 71)

36.Le Comité note qu’un certain nombre d’organismes d’État traitent de la question des migrations, notamment l’Agence nationale de l’emploi, l’Inspection du travail et les directions de wilayas de l’emploi, mais il regrette le manque d’informations sur la coordination et l’interaction effective de ces organes.

37. Le Comité recommande à l ’ État partie de poursuivre ses efforts visant à coordonner les entités qui s ’ occupent des questions de migration afin d ’ assurer leur efficacité.

38.Le Comité s’inquiète de ce que la législation qui incrimine la traite d’êtres humains aux fins du travail et de l’exploitation sexuelle ne prévoie pas expressément la protection des victimes de la traite. Il note en outre l’absence de services de soutien spécifiquement destinés à ces victimes.

39. Le Comité prie instamment l ’ État partie de veiller à ce que la législation et les mesures visant à prévenir et à faire cesser la traite prévoient une protection et une assistance appropriées pour les victimes de la traite. En particulier, dans l ’ esprit des Principes et directives concernant les droits de l ’ homme et la traite des êtres humains recommandés par le Haut- Commissariat des Nations Unies aux droits de l ’ homme (E/2002/68/Add.1) , l ’ État partie devrait faire en sorte que:

a) Les victimes de la traite aient accès aux soins de santé primaires ainsi qu ’ à des services de conseil; des abris sûrs et appropriés, répondant aux besoins des victimes, soient prévus à leur intention;

b) Les victimes de la traite soient informées de leur droit d e prendre contact avec les représentants diplomatiques et consulaires de l ’ État dont elle s ont la nationalité;

c) Les procédures judiciaires concernant les victimes de la traite ne portent pas atteinte à leurs droits, à leur dignité ou à leur bien-être physique ou psychologique; et

d) Les victimes de la traite soient protégées efficacement contre les trafiquants ou leurs associés qui chercheraient à leur causer du tort, à les menacer ou à les intimider. Pour ce faire, il importe que le nom des victimes de la traite ne soit pas divulgué publiquement .

40.Le Comité se déclare préoccupé par le fait qu’un projet de loi, actuellement à l’étude, portant modification du Code pénal érige en infraction la tentative d’émigration illégale.

41. Le Comité recommande à l ’ État partie de réexaminer son projet visant à ériger en infraction la tentative, par des candidats à l ’ émigration, de quitter illég alement le territoire national et de veiller à ce que la nouvelle loi soit conforme au Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée .

VI.Suivi et diffusion

Suivi

42. Le Comité prie l ’ État partie de faire figurer dans son deuxième rapport périodique des informations détaillées sur les mesures prises pour donner suite aux recommandations formulées dans les présentes observations finales. Il lui recommande de prendre toutes les mesures voulues pour assurer la mise en œuvre de ces recommandations, notamment en les transmettant aux membres du Gouvernement et du Parlement, ainsi qu ’ aux autorités administratives et autres autorités compétentes, pour examen et suite à donner.

43. Le Comité regrette que les organisations non gouvernementales (ONG) et autres organisations de la société civile n ’ aient participé que de manière limitée à l ’ élaboration du présent rapport, et encourage l ’ État partie à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la participation des organisations de la société civile à la mise en œuvre de la Convention et à l ’ élaboration du deuxième rapport périodique de l ’ État partie .

Diffusion

44.De la même manière, le Comité prie l’État partie de diffuser largement les présentes observations finales, notamment auprès des organismes publics et du corps judiciaire, des ONG et autres membres de la société civile, et de prendre des mesures pour les faire connaître aux travailleurs migrants algériens à l’étranger, ainsi qu’aux travailleurs migrants étrangers en transit ou résidant en Algérie.

VII.Prochain rapport périodique

45.Le Comité invite l’État partie à soumettre son document de base conformément aux directives harmonisées pour l’établissement du document de base commun adoptées en 2006 (HRI/MC/2006/3 et HRI/MC/2006/3/Corr.1).

46.Le Comité note que le deuxième rapport périodique de l’État partie est attendu pour le 1er août 2011. Compte tenu des circonstances, il invite l’État partie à présenter son deuxième rapport périodique le 1er mai 2012 au plus tard.