Nations Unies

CAT/C/50/D/439/2010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

17 juillet 2013

Original: français

Comité contre la torture

Communication n o 439/2010

Décision adoptée par le Comité à sa cinquantième session(6 mai-31 mai 2013)

Présentée par:M. B. (représenté par SAJE)

Au nom de:Le requérant

État partie:Suisse

Date de la requête:22 novembre 2010 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:31 mai 2013

Objet:Expulsion vers l’Iran

Questions de procédure:Néant

Questions de fond:Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Article de la Convention:3

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquantième session)

concernant la

Communication no 439/2010

Présentée par:M. B. (représenté par SAJE)

Au nom de:Le requérant

État partie :Suisse

Date de la requête:22 novembre 2010 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 31 mai 2013,

Ayant achevél’examen de la requête no 439/2010, présentée au nom de M. B. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la Torture

1.1Le requérant est M. B., ressortissant iranien,né en 1970. Sa demande d’asile politique en Suisse ayant étérejetée, il risque un renvoi vers l’Iran. Il considère que son renvoi forcé vers l’Iran constituerait une violation, par la Suisse, de ses droits au titre de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est assisté par un conseil.

1.2En vertu de l’article 108 du règlement intérieur du Comité, lors de l’enregistrement de la requête, le 29 novembre 2010, le Comité, agissant par son Rapporteur des nouvelles communications et mesures provisoires, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Iran tant que sa requête était à l’examen.

Les faits tels que présentés par le requérant

2.1Le requérant a déposé une demande d’asile en Suisse en janvier 2005. Àl’appui de sa demande, il a fait valoir qu’il était d’appartenance ethnique arabe, originaire d’Iran, d’une ville proche de la frontière irakienne où il a exercé la profession de tailleur pendant 10ans. Il a un frère qui est engagé politiquement et membre d’un parti arabe prônant l’indépendance de la province du Khouzistan. Son frère participait notamment à la distribution de tracts (ses autres activités étant inconnues au requérant). Son frère n’avait pas de domicile fixe et se cachait des autorités. Depuis cinqans environ, les autorités se rendaient régulièrement au domicile familial, à la recherche de son frère, à des moments de la journée différents, deux fois par semaine en moyenne. Elles cherchaient à savoir où le frère en question se trouvait et quelles étaient ses activités exactes. Les agents fouillaient la maison à la recherche d’armes, entre autres, et parfois battaient les membres de la famille. Une fois, les autorités ont vu le frère en question s’enfuir de la maison par les toits et les agents ont ouvert le feu, sans toutefois le toucher. Après la mort de son père, le requérant est devenu le chef de famille et est ainsi devenu la cible des questions et perquisitionsdes autorités.

2.2Au bout d’un an, en 2005, le requérant a décidé de quitter le pays pour échapper auharcèlement des autorités qui envahissaientsa vie privée et ne lui laissaient pas de repos..

2.3Son frère cadet, perçu comme étant le chef de famille après le départ du requérant, a été arrêté par les services de sécurité iraniens pour une durée d’une semaine; une autre fois il aurait été arrêté pour « deux ou trois jours ». Son frère aurait été menacé de prison et auraitété torturé (il aurait eu les parties génitales brûlées au cours de l’une de ces détentions). La famille a également été harcelée par les services secrets, et un des frères du requérant est menacé de prison. La famille B.,au sens large de clan, installée dans le sud du pays, est surveillée par les autorités; plusieurs personnes portant le nom de B. ont été arrêtées et tuées, surtout des jeunes hommes, et d’autres ont disparu. Le requérant n’est pas en mesure de téléphoner ou de communiquer par courrier avec sa famille en Iran dans la mesure où les autorités iraniennes contrôlent le courrier et surveillent les communications téléphoniques.

2.4En 2006, le requérant a participé à une manifestation publique devant l’ambassade d’Iran à Berne avec un groupe arabe. Une photographie où le requérant apparaît lors de cette manifestation a été publiéesur un site Internet et de ce fait, selon le requérant, les autorités iraniennes sont au courant qu’il a manifesté, au vudespressions exercées sur son frère en Iran. Pour protéger ses proches en Iran, le requérant a décidé decesser toute activité politique en Suisse.

2.5Sa demande d’asile a été rejetée par l’Office fédéral des migrations (ODM) le 19janvier 2006. Le 23 décembre 2009, le conseildu requérant a déposé une demande de reconsidération de rejet de la demande et de renvoi, que l’ODM a considérée comme une nouvelle demande d’asile qu’ila rejetée le 26 février 2010. Aucun appel n’a été interjeté contrecette décision de l’ODM. Le 1er juin 2010, le SAJE a déposé une nouvelle demande de reconsidération à l’appui de faits nouveaux (en déposant un rapport médical daté du 24avril 2010, selon lequel le requérant souffrait d’insomnie, d’angoisses, d’anxiété, de nervosité et de déprime, ainsi que d’une virémie HCV positive). Le 11 juin2010, l’ODM a rejeté cette demande sans entrer en matière. Le 8 juillet 2010, l’association SAJE a soumis un recours contre la décision de l’ODM auprès du Tribunal administratif fédéral (TAF), qui a été rejeté par un arrêt du 3 septembre 2010,au motif que la demande de réexamen a été déposée plus de 90 jours après la notification de la dernière décision de l’ODM et que les troubles médicaux invoqués n’étaient pas d’une gravité suffisante pour justifier un réexamen.. Le requérant estime que l’ODM a fait une application erronée de la loi, alors même qu’il était tenu de réexaminer son cas sur la base du nouvel élément apporté, à savoir le rapport médical du 24 avril 2010. Dans ce contexte, il se réfère extensivement à la pratique des autorités nationales en matière de révision sur la base d’éléments de preuve soumis après l’entrée en vigueurde décisions antérieures, notamment concernant des cas de non-refoulement vers un pays oùun risque de torture est invoqué.

2.6Le requérant argueque la situation politique des minorités ethniques arabes est maintenant suffisamment documentée, ce qui n’était pas le cas au moment du dépôt de sa demande d’asile dans l’État partie. Il fait référence au« Country of origin information report » de la « UK Border Agency » sur l’Iran (2009), et note que quelque 3 % de la population de l’Iran est d’origine arabe, dont la moitié vit au Khouzistan. Plus d’un million d’Arabes ont été déplacés par la force depuis 1999 dans le but d’iraniser ces populations en les répartissant parmi la population iranienne. Plus de 80% du pétrole iranien se trouve dans la région duKhouzistan, ce qui en fait une région stratégique. Les violations des droits de l’homme comme les arrestations arbitraires, la détention de durée indéterminée et les violences physiques touchent principalement les membres des minorités ethniques, et notamment la minorité arabe.

2.7Le requérant explique que, par peur de la répression, les Arabes évitent de parler leur langue en Iran. Les partis arabes d’opposition ont reçu par le passé le soutien de l’Irak et certains, agissant en secret, prônent l’indépendance. Le requérant allègueaussi que des attaques à la bombe ont eu lieu au Khouzistan en 2005. En réponse, les autorités ont exécuté huitArabes et plusieurs autres ont été arrêtés. Après les manifestationsd’Abadan en 2005 pour protester contre la mauvaise qualité de l’eau, la population duKhouzistan est d’autant plus surveillée et réprimée, la torture en détention est systématique et la capacité d’accueil des prisons est gravement dépassée, entraînant des conditions de vie inhumaines. Le requérant ajoute que les exécutions sommaires sont fréquentes en Iran.

2.8Il note également que le TAF de l’État partie a admis que, d’une manière absolue, les services secrets iraniens peuvent exercer une surveillance sur les activités politiques déployées contre le régime à l'étranger. Toutefois, l'attention des autoritésse concentre pour l'essentiel sur les personnes possédant un profil particulier, qui agissent au-delà du cadre habituel d'opposition de masse et qui occupent des fonctions ou déploient des activités d'une nature telle (le critère de dangerosité se révélant déterminant) qu'elles représenteraient une menace sérieuse et concrète pour le régime iranien.

2.9Ainsi, selon lui, le requérant cumule plusieurs critères potentiels de répression en Iran: il est membre de la minorité arabe, il appartient au clan B., il est membre de la famille d’une personne politiquement active et recherchée par les autorités (son frère) alors même qu’il est chefde famille du fait de la mort de son père; il a pris part à une manifestation d’opposition en Suisse et estime que ceci est connu des autorités iraniennes. Même s’il n’est pas un dirigeant de parti politique et que ses activités politiques ont été sommaires, le requérant estime que, dans l’examen de son cas, il importe de tenir compte de l’ensemble des circonstances de l’affaire.

2.10Le requérant fait valoir qu’il est difficile d’obtenir des preuves à partir de l’Iran, où les services de sécurité ne documentent pas leurs recherches et où les dossiers sont secrets jusqu’à leur transmission au tribunal. Finalement, il estime qu’il n’était pas anormal qu’il ignore le nom exact du parti pour lequel son frère militait ni la nature exacte des activités de son frère, vu le mode secret de fonctionnement de tels partis en Iran.

2.11Finalement, le requérant estime qu’il risquerait également d’être soumis à la torture en Iran du seul fait qu’il a quitté ce pays illégalement.

2.12Sur la base des considérations ci-dessus, le requérant estime qu’il ne devrait pas être renvoyé en Iran, où il risquerait la torture.

Teneur de la plainte

3.Le requérant soumet que s’il est expulsé vers l’Iran, il va être certainement arrêté et torturé par les forces de sécurité du fait de son appartenance ethnique, son appartenance au clan B., du fait qu’il est membre de la famille d’une personne politiquement active et recherchée par les autorités (son frère) et qu’il est chefde famille. Son renvoi forcé vers l’Iran constituerait ainsi une violation par l’État partie de ses droits au titre de l’article3 de la Convention.

Observations de l’ É tat partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 19 mai 2010, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et le fond de la communication. Il rappelle que le requérant est Iranien d’origine arabe, etqu’il a fait valoir, aussi bien devant les autorités compétentes en matière d’asile qu’au Comité, qu’il avait quitté l’Iran du fait que son domicile avait étéperquisitionné par les autorités à la recherche de son frère – membre du parti des Arabes luttant pour les droits de la population arabe locale. Le requérant serait ainsi arrêté s’ilétait renvoyéen Iran, d’autant plus que, en règle générale, les familles des opposants politiques, arabes en particulier, souffrent de répression, de discrimination et de mauvais traitements. De plus, il a pris part à une manifestation en 2006 devant l’ambassade d’Iran à Berne où des photographies ont été prises. Le fait d’avoir quitté l’Iran illégalement le mettait également en danger. Enfin, le requérant s’est également plaint qu’au vu de ses problèmes de santé, son retour forcé ne devrait pas être raisonnablement exigible.

4.2L’État partie rappelle que le requérant est entré en Suisse le 15 décembre 2005 et y a déposé une demande d’asile. Le 19 janvier 2006, sa demande a été rejetée par l’ODM qui a aussi demandé le renvoi du requérant. Par jugement du 2 février 2006, la Commission suisse de recours en matière d’asile (CRA à l’époque, actuellement Tribunal administratif fédéral, TAF) a confirmé cette décision. Le 23 décembre 2009, le requérant a introduit une nouvelle demande d’asile, qui a été rejetée par l’ODM le 26 février 2010. Le requérant n’a pas interjeté appel contre cette décision. Néanmoins, le 1er juin 2010, le requérant a déposé une demande de reconsidération de son cas; cette demande a été rejetée par l’ODM le 11juin 2010. Le TAF a confirmé cette décision par un arrêt du 3 septembre 2010.

4.3L’État partie note que, dans sa communication, le requérant prétend que le TAF, dans son arrêt du 3 septembre 2010, n’aurait pas apprécié ses allégations de torture au cas où il serait renvoyé en Iran, limitant son examen uniquement auxaspects médicaux invoqués. L’État partie observe que l’ensemble des arguments avancés concernant le risque de persécution en Iran a été apprécié de manière circonstanciée par les autorités compétentes lors de l’instruction des trois procédures devant l’ODM, la présente communication ne contenant aucun élément nouveau susceptible demodifier les décisions de l’ODM du 19 janvier 2006, 26 février et 11 juin 2010 ni les décisions de l’autorité supérieure du 2 février 2006 et 3 septembre 2010 confirmant les conclusions de l’ODM.

4.4L’État partie indique que, dans sa première décision, l’ODM a conclu à l’invraisemblance d’une persécution en rapport avec un frère prétendument engagé politiquement, et ceci a été confirmé dans le jugement du TAF du 2 février 2006. Dans sa deuxième décision du 26 février 2010, l’ODM a considéré que les motifs subjectifs invoqués – activité politique en Suisse – ne pouvaient être qualifiés de pertinents pour la reconnaissance du statut de réfugié. En même temps, l’ODM a souligné que l’évocation générale de la situation à laquelle sont susceptibles d’être confrontés les ressortissants arabes iraniens, en particulier certains clans ou familles, n’était pas suffisante pour conclure à l’existence d’une persécution personnelle du requérant. Pour justifier l’absence de recours contre cette décision, le requérant a invoqué la surcharge de travail de son mandataire. Or, comme le Comité l’a expliqué dans sa jurisprudence, les manquements de mandataires ne sauraientêtre imputables à l’État partie. En outre, le requérant n’a pas fourni d’explication sur le fait qu’il n’a pas confiéson affaire à l’une des nombreuses organisations défendant les intérêts des demandeurs d’asile en Suisse.

4.5L’État partie explique ensuite que, dans sa troisième décision, du 11 juin 2010, l’ODM a précisé qu’en ce qui concerne le requérant, les motifs liés à l’engagement politique d’un de ses frères; à son appartenance à l’ethnie arabe; et à ses activités en Suisse avaient déjà été appréciés en procédure ordinaire. Quant aux problèmes médicaux avancés (polytoxicomanie; hépatite chronique), il a été constaté que leur allégation devait être qualifiée de tardive.

4.6Au vu des considérations précédentes, l’État partie rejette l’invocation selon laquelle les autorités compétentes n’auraient pas examiné sur le fond la question de savoir si le requérant risquait des persécutions en Iran.

4.7En ce qui concerne les problèmes médicaux allégués du requérant, l’État partie estime qu’ils ne sont pas d’une gravité telle à rendre illicite son renvoi en Iran. De tels problèmes, ou le certificat médical tendant à les établir, ne revêtent aucun caractère de nouveauté car ils auraient pu et dû, selon l’État partie, être invoqués bien avant la demande de réexamen du requérant en 2010, étant connus par le requérant depuis 2008. L’État partie rappelle la pratique du Comité selon laquelle l’aggravation de l’état physique ou mental d’un requérant due à l’expulsion est insuffisante en général, pour constituer, en l’absence d’autres facteurs, un traitement dégradant contraire à la Convention.

4.8L’État partie procède ensuite à un examen de la communication sous l’angle de l’article 3 de la Convention. Il rappelle à ce titre qu’aucun État partie n’expulsera, ne refoulera ni n’extradera une personne vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture; pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence dans l’État concerné d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité a concrétisé les éléments de l’article 3 dans sa jurisprudence et dans son observation générale no 1 (1997), qui prévoit que les requérants doivent établir qu’il existe pour eux un risque personnel, actuel et sérieux d’être soumis à la torture en cas de retour dans leur pays d’origine. L’existence d’un tel risque ne doit pas être appréciée uniquement sur la base de simples supputations ou soupçons. Les faits allégués doivent faire apparaître le risque comme étant sérieux.

4.9En référence auxalinéasb et edu paragraphe 8 de l’observation générale no 1 du Comité, l’État partie note que le requérant n’allègue pas avoir subi de mauvais traitements dans le passé en Iran et déclare avoir été politiquement inactif là-bas. S’agissant des allégations concernant les activités politiques du frère du requérant en Iran, l’État partie note qu’aucune preuve n’a été apportée à cet égard. L’État partie ajoute que, dans sa décision du 19janvier 2006, l’ODM a constaté qu’il n’était pas vraisemblable que le frère du requérant n’aurait pas été appréhendé par les autorités alors même qu’il continuait d’habiter au domicile de ses parents, où des forces de sécurité l’auraient recherché à plusieurs reprises; et qu’il ne semblait pas logique, dans ces conditions, que seul le requérant ait fui le pays, mais pas ses parents nison frère.

4.10L’État partie note ensuite que, aussi bien l’ODM que la CRA ont jugé que les allégations du requérant relatives aux ennuis endurés avant son départ en raison de son appartenance ethnique étaient sans fondement. Dans sa décision du 26 février 2010, l’ODM a souligné que les rapports et articles de presse produits par le requérant à l’appui desa deuxième demande d’asile ne contenaient aucun élément nouveau démontrant que l’ensemble des membres de la communauté arabe en Iran, et le requérant en particulier, souffrait de persécutions par les autorités iraniennes.

4.11L’État partie note ensuite que le requérant a également allégué qu’il risquerait la torture en Iran pour avoir participé à une manifestation devant l’ambassade iranienne de Berne, documentée par deux photographies. L’État partie relève à ce sujet que l’ODM a constaté que le requérant n’avait commencé à exercer des activités politiques en Suisse que bien après son arrivée, alors qu’il n’avait jamais été politiquement actif en Iran; de plus, la publication sur une page Internet d’une photographie comprenant de nombreuses personnes parmi plusieurs centaines de photographies de ce type rend impossible aux autorités iraniennes la tâche d’identifier et de mettre un nom correct sur tous les visages. L’État partie rappelle que le requérant n’a apporté ni preuve ni indice concret rendantprobable l’allégation que sa participation àla manifestation en question l’exposerait à un risque de persécution.

4.12L’État partie observe que l’ODM a également souligné que, lorsque les autorités iraniennes sont averties des activités politiques exercées par leurs ressortissants à l’étranger, elles ne peuvent pas, au vu du grand nombre de ressortissants iraniens vivant hors du pays, surveiller et contrôler chaque personne. En outre, elles savent également que de nombreux migrants iraniens, ayant quitté leur pays surtout pour des raisons économiques, tentent d’obtenir un permis de séjour en Europe en exerçant toutes sortes d’activités critiques envers le régime. Les autorités iraniennes n’identifient de telles personnes que lorsquela nature de leurs activités représente une menace pour le système politique en place (décision de l’ODM du 26 février 2010).

4.13Dans ce contexte, concernant le requérant, l’ODM a constaté que des activités comme la participation à des manifestations non violentes ne sont pas propres à fonder l’existence d’une mise en danger concrète en cas de retour en Iran. Le requérant n’a pas exercé de fonction politique profilée au sein des organisations mentionnées, il n’a pas de passé politique en Iran et ne s’est pas préoccupé activement des’engager politiquement après son arrivée en Suisse. L’État partie note que l’ODM a également considéré que le comportement du requérant en Suisse n’était pas de nature à entraîner un sérieux préjudice de la part des autorités iraniennes, en particulier vu qu’il n’existait pas d’indice permettant de penser que les autorités avaient pris des mesures contre lui du fait de ses activités dans l’État partie. L’ODM a par ailleurs noté qu’il était contradictoire deprétendre que les autorités recherchaient le requérant en Iran alors même, comme allégué par le requérant lui-même, qu’ils le savaient en Suisse. Ainsi, l’ODM a conclu que le requérant ne présentait pas un profil politique tel qu’il pourrait sur cette base être exposé à un danger en Iran.

4.14L’État partie ajoute qu’on ne pouvait pas déduire de la seule participation du requérant à une ou même plusieurs manifestations en Suisse qu’il serait perçu comme constituant une menace potentielle pour le régime iranien et qu’il serait, de ce fait, exposé à un risque de torture à son retour. En tout état de cause, le requérant a failli àdémontrer que les autorités iraniennes en avaient pris connaissance et dans quelle mesure elles le considéraient comme un danger de ce fait. Il a également failli àdémontrer que lui personnellement ou encore son frère étaient recherchés en Iran.

4.15Au vu de l’ensemble des considérations précédentes, l’État partie conclut que le requérant ne court pas de risque d’être torturé en cas de retour en Iran.

Commentaires du requérant sur les observations de l’ É tat partie

5.1Le requérant a présenté ses commentaires sur lesobservations de l’État partie le 27juin 2011. Concernant les observations relatives à son frère politiquement actif en Iran, le requérant explique que celui-ci ne vivait au domicile de ses parents que depuis peu. Avant cela, il habitait dans une autre villeet ne rendait visite àses parents qu’occasionnellement. Le requérant a également déclaré aux autorités d’asile qu’une fois, des agents avaient vu son frère s’échapper de la maison de ses parents par les toits, qu’ils avaientouvert le feu, mais il avait pu s’échapper. Le frère du requérant rentrait pour une semaine parfois, après quoi il repartait pour 10jours et ainsi de suite, sans avoir d’adresse précise.

5.2Le requérant ajoute avoir choisi de fuir parce qu’il ne supportait plus d’être sans cesse harcelé par les services de sécurité. Il craignait pour son intégrité et pour sa vie. Si son frère n’a pas quitté le pays, il s’agissait d’un choix personnel, lié à son engagement politique vraisemblablement, doncce n’est pas une question de logique.

5.3Le requérant ne possède pas de preuves de persécutions. Les autorités iraniennes ne l’ont jamais convoqué officiellement et ne lui ont pas remis d’avis de recherche, de mandat d’arrêt ou un quelconque autre document pour démontrer que sa famille était sous surveillance. Quant aux activités politiques de son frère, il rappelle que la répression du régime est telle que les partis d’opposition n’agissent qu’avec la plus grande prudence, ils restent clandestins et très peu de documents attestent de leur existence. Par exemple, aucune carte de membre n’est délivrée. D’ailleurs, les autorités suisses ont reconnu que la culture politique d’opposition en Iran étaitfondée sur la méfiance et le secret (JAAC 1999 I no63.5, p.45; JJCRA 1998/4).

5.4Concernant les arguments sur ses activités politiques en Suisse, le requérant réitère les arguments de sa communication initiale et ajoute que l’État partie ignore quels Iraniens,parmi ceux quiont participé à des manifestations politiques publiques, ont ou n’ont pas été identifiés par les autorités iraniennes. Dans l’examen du risque de torture en cas de renvoi, il ne suffit pas de s’appuyer sur une simple probabilité ou supposition que le requérant n’a pas été reconnu par les autorités de son pays. Le seul fait que le requérant se soittrouvé en Europe est un indice de son opposition au régime en place, selon les autorités iraniennes, indice qui est renforcé par les autres éléments du dossier – il est membre d’une minorité ethnique persécutée, membre de la famille B., il a un frère politiquement actif et recherché par les autorités. D’après la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, arrêt du 9 mars 2010 dans l’affaireno 41827/07, R.C. c. Suède, la simple participation à une manifestation est susceptible d’entraîner l’arrestation, la détention et les tortures.

5.5Le requérant ajoute que le régime en Iran est imprévisible et répressif, guidé par l’idéologie et non par les procédures, et par une vision politique des menaces qui pèsent contre lui. Même quelqu’un qui n’a jamais exercé d’activités politiques peut être perçu comme opposant, si tel est l’avis du régime. Ainsi, le risque de persécution est élevé du fait même de l’imprévisibilité du régime.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6Avant d’examiner toute plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la plainte est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est actuellement pas examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Il note également que les recours internes ont été épuisés. En conséquence, le Comité considère qu’il n’existe aucun obstacle à la recevabilité de la requête, et la déclare recevable et procède immédiatement à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en expulsantle requérant vers l’Iran, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’y être soumis à la torture.

7.3Concernant les griefs soulevés par le requérant au titre de l’article 3, le Comité doit tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence dans l’État de renvoi d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Il s’agit cependant de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en Iran. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’il risquerait d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires de penser que l’intéressé court personnellement un risque.

7.4Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) relative à l’application de l’article 3, où il explique qu’il n’est pas nécessaire de montrer que le risque encouru est hautement probable, mais que ce risque doit être encouru personnellement et actuellement. À cet égard, le Comité a établi dans des décisions antérieures que le risque de torture devait être «prévisible, réel et personnel». En ce qui concerne la charge de la preuve, le Comité rappelle qu’il incombe généralement au requérant de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

7.5En outre, le Comité rappelle que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations factuelles de l’État partie, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.6Dans le cas d’espèce, le requérant fait valoir qu’il existe un risque qu’il soit torturé s’il est renvoyé en Iran en raison de son appartenance à la minorité arabe, persécutée en Iran, et au clan B. dont plusieurs membres auraient déjà été tués alors que d’autres auraient disparu, ainsi que du fait des activités politiques de son frère recherché par les autorités, et sa participation à une manifestation devant l’ambassade de l’Iran à Berne.

7.7Le Comité note, en premier lieu, que la situation générale des droits de l’homme en Iran peut être considérée comme problématique à de nombreux égards. Il note néanmoins que le requérant n’a pas été torturé dans le passé en Iran, ni sur la base de son appartenance ethnique ni sur une autre base. Même s’il prétend que sa famille a été persécutée par les autorités qui étaient à la recherche de son frère prétendument politiquement actif dans l’opposition arabe locale clandestine, le requérant n’en apporte aucune preuve en support. En ce qui concerne la plainte générale du requérant au sujet des persécutions de la minorité arabe, notamment dans la région duKhouzistan, le Comité est d’avis que cela ne justifie en aucun cas de conclure qu’un risque réel, personnel et sérieux, pour le requérant, existerait concernant ce grief.

7.8Le Comité note ensuite que le requérant n’a pas été politiquement actif dans son pays d’origine et qu’il ne court donc pas de risque à ce titre en cas de renvoi. Quant à ses activités politiques en Suisse, le Comité note que le requérant a participé, une seule fois, à une manifestation avec un groupe arabe devant l’ambassade iranienne à Berne, une photographie de groupe oùle requérant figurait ayant par la suite été publiéesur une page Internet parmi des centaines d’autres photographies. Le Comité note l’argument de l’État partie, resté non réfuté par le requérant, selon lequel la manifestation en question comptait plusieurs dizaines de participants. Le Comité considère que le fait d’avoir participé isolément à une manifestation de masse, même si les autorités iraniennes en avaient eu connaissance, en l’absence d’autres éléments, ne permet pas decroire que le requérant risquerait de ce fait d’être soumis à la torture ou autrement persécuté en cas de renvoi en Iran.

7.9En ce qui concerne l’explication du requérant sur les difficultés à produire des preuves concernant ses allégations, ou encore sur son impossibilité de fournir plus de détails, dû au secret qui les entoure, au sujet du nom du parti politique pour le compte duquel son frère serait politiquement actif ou encore sur les activités précises de son frère, le Comité rappelle que, conformément à sa jurisprudence, c’est habituellement aux requérants qu’il appartient de présenter des arguments défendables et que le risque de torture doit être apprécié selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons.

8.Au vu des considérations précédentes dans leur ensemble, et compte tenu de l’ensemble des renseignements portés à sa connaissance, le Comité est d’avis que le requérant n’a pas apporté suffisamment d’éléments qui permettraient de conclure qu’il encourt personnellement un risque réel et prévisible d’être torturé s’il est renvoyé dans son pays d’origine.

9.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que le renvoi du requérant en Iran ne constituerait pas une violation de ses droits au titre de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en français (version originale), en anglais, en espagnol, et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]