Nations Unies

CAT/C/50/D/431/2010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

12 juillet 2013

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Communication no 431/2010

Décision adoptée par le Comité à sa cinquantième session(6-31 mai 2013)

Communication p résentée par:

Y. (représentée par un conseil, M. Oliver Brunetti)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Suisse

Date de la requête:

31 août 2010 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

21 mai 2013

Objet:

Expulsion de la requérante vers la Turquie

Questions de fond:

Risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine

Questions de procédure :

Griefs non étayés

Article de la Convention:

3

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peinesou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquantième session)

concernant la

Communication no 431/2010 *

Présentée par:

Y. (représentée par un conseil,M. Oliver Brunetti)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Suisse

Date de la requête:

31 août 2010 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 21 mai 2013,

Ayant achevé l’examen de la requête no 431/2010, présentée par Oliver Brunetti au nom de Y. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par la requérante, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1La requérante est Y., de nationalité turque. Elle affirme que son expulsion vers la Turquie constituerait une violation par la Suisse de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Elle est représentée par un conseil, M. Oliver Brunetti.

1.2En application de l’article 114 (ancien art. 108) de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.5), le Comité a demandé, le 3 septembre 2010, à l’État partie de ne pas expulser la requérante vers la Turquie tant que sa requête serait à l’examen. L’État partie a informé le Comité qu’il accédait à sa demande.

Rappels des faits présentés par la requérante

2.1La requérante est une ressortissante turque d’origine kurde, née à Istanbul. Elle a commencé à travailler au Centre culturel mésopotamien d’Istanbul, où elle donnait des cours de danse folklorique en 1997. Elle vient d’une famille connue pour ses positions et activités politiques libérales prokurdes.

2.2La requérante ressemble très fortement à sa sœur aînée, X. Sa sœur, très engagée dans la vie politique, appartenait à la guérilla léniniste d’un parti illégal, le Parti travailliste communiste de Turquie/Léniniste. Elle était donc recherchée par la police, qui venait régulièrement fouiller le domicile de la famille et menaçait d’arrêter la requérante afin de contraindre X. à se rendre. La sœur de la requérante a été arrêtée en 1995 et torturée par la police, qui voulait la faire parler de ses activités pour le Parti communiste travailliste de Turquie/Léniniste. Comme elle refusait de coopérer, la police a recommencé à menacer ses proches pour qu’elle cède. La requérante a été détenue pendant une journée et battue par la police dans le but de contraindre sa sœur à parler.

2.3En 2001et 2002, la sœur de la requérante a participé à un mouvement national de grève de la faim des prisonniers politiques et a refusé de s’alimenter pendant cent quatre‑vingts jours. Elle a été libérée sous condition pendant six mois − comme de nombreux autres participants à la grève − pour se soigner. Elle a alors dû s’engager à vivre chez ses parents, à cesser la grève de la faim et à retourner en prison après six mois. Malgré une surveillance étroite des services de sécurité, la famille a réussi à organiser la fuite de X. vers la Suisse, où elle a obtenu l’asile le 31 octobre 2003. En 2006, la police turque l’a placée sur la liste de l’Organisation internationale de police criminelle (Interpol). Le 29 avril 2008, ayant appris que X. vivait en Suisse, les autorités turques ont demandé son extradition, que la Suisse a refusée en invoquant le principe de non-refoulement.

2.4Depuis l’arrestation de sa sœur en 1995, la requérante est allée lui rendre visite en prison au moins une fois par semaine, et chaque jour pendant la grève de la faim. À chacune de ses visites, la requérante était retenue par les agents pénitentiaires. Elle était alors soumise à une fouille au corps; son visage était palpé et ses empreintes digitales étaient prises. Apparemment les agents de sécurité la soupçonnaient de vouloir user de sa ressemblance avec sa sœur pour prendre sa place et lui permettre de quitter la prison. La requérante a été placée sous surveillance et régulièrement suivie et son téléphone a été mis sur écoute, les autorités la soupçonnant apparemment de mener les mêmes activités que sa sœur et d’avoir repris les activités de celle-ci dans le mouvement politique clandestin. Le nouvel emploi de la requérante au Centre culturel mésopotamien a accru ces soupçons. En effet, ce centre est vu comme une institution du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et fait l’objet d’une surveillance étroite des services de sécurité turcs.

2.5Le 1er février 1998, la police a fait une descente au domicile de la requérante et l’a arrêtée. L’intéressée a été détenue pendant sept jours; on lui a bandé les yeux et elle a été soumise à des brutalités, y compris dans ses parties intimes, harcelée sexuellement et privée de nourriture. Elle a été accusée d’avoir été en possession d’un tract illicite et d’avoir assisté aux funérailles d’un militant politique. Elle a ensuite été libérée, faute de preuves. La police et les services de sécurité ont cependant continué de la persécuter. L’intéressée a régulièrement été détenue pour de brèves périodes, interrogée et intimidée, que ce soit lors des visites qu’elle rendait à sa sœur en prison ou sur son lieu de travail.

2.6Après la fuite de sa sœur en août 2002, la police a continué de surveiller la requérante, convaincue que X. se cachait dans le pays et espérant manifestement que la requérante les mènerait à elle. La police pensait également que la requérante pourrait utiliser sa ressemblance avec sa sœur pour permettre à celle-ci de circuler librement. Cette intimidation était en outre un moyen de maintenir la pression sur X. afin qu’elle se rende. De plus, les autorités commençaient à soupçonner fortement la requérante elle-même, en raison non seulement de ses liens étroits avec X. mais également de ses propres activités au Centre culturel mésopotamien. En 2006, lorsque les autorités se sont rendu compte que X. avait quitté la Turquie, la surveillance de la requérante s’est resserrée car celle-ci était devenue la seule cible et elle était soupçonnée d’avoir aidé sa sœur à fuir et de lui avoir succédé dans le mouvement politique clandestin.

2.7En raison de cette surveillance et de ces intimidations constantes, la requérante, marquée par ses arrestations successives et les mauvais traitements qu’elle avait subis, a développé de graves troubles de santé mentale. Elle avait peur de sortir de chez elle et, à chaque fois qu’elle le faisait, elle craignait d’être à nouveau arrêtée et maltraitée. En 2002, elle s’est adressée au Centre de réadaptation de la Fondation TOHAV, spécialisé dans les soins de santé mentale pour les victimes de torture. Elle a suivi le programme de réadaptation proposé par ce centre de 2002 à 2006. En 2006, elle a cessé le traitement car elle craignait d’être suivie et arrêtée étant donné le rôle très actif de la TOHAV dans les domaines de la défense des droits de l’homme et de la prévention de la torture, qui en faisait une cible.

2.8Au printemps 2008, la requérante s’est sentie incapable de vivre dans ces conditions, pratiquement comme une prisonnière dans sa propre maison et constamment dans la peur. Une de ses cousines avait été arrêtée lors d’une manifestation le 1er mai 2007 par la police, qui lui avait dit que leur famille devrait être exterminée. L’avocat de la requérante lui a vivement recommandé de quitter le pays. La requérante a donc quitté illégalement la Turquie pour la Suisse, où elle est arrivée le 11 septembre 2008. Depuis sa fuite, ses parents l’ont informée que la police était passée à plusieurs reprises la chercher chez eux.

2.9La requérante a demandé l’asile le 15 septembre 2008. Elle a été entendue une première fois par l’Office fédéral des migrations le 25 septembre 2008, puis une deuxième fois le 22 juin 2009. À cette occasion, elle a soumis des documents à l’appui de ses allégations. Le 19 mars 2010, l’Office a rejeté sa demande en expliquant que, même si la requérante avait effectivement pu subir certaines menaces et intimidations en raison des activités politiques de sa sœur et des siennes, l’intensité des persécutions décrites par la requérante semblait tout à fait exagérée; il ne paraissait pas vraisemblable que les autorités turques l’aient persécutée de façon répétée pendant de longues années pour le même motif. Une mise en examen aurait été prononcée si elle avait été réellement soupçonnée. L’Office fédéral des migrations faisait valoir que si la requérante avait réellement été soupçonnée d’avoir aidé sa sœur à s’enfuir, des poursuites auraient été engagées contre elle. En outre, il paraissait hautement improbable qu’elle ait été retenue à chaque fois qu’elle rendait visite à sa sœur en prison dans la mesure où un tel comportement de la part des autorités pénitentiaires aurait semble-t-il été totalement inefficace. L’Office fédéral des migrations soulignait de surcroît plusieurs incohérences dans les allégations de la requérante concernant les périodes auxquelles elle aurait été persécutée par les autorités. Il en concluait que l’intensité et la persistance alléguées des persécutions subies dans le passé et la probabilité en découlant de persécutions à venir n’étaient pas établies de manière suffisamment crédible.

2.10En outre, l’Office fédéral des migrations a estimé que les allégations de la requérante concernant son arrestation et les mauvais traitements subis en 1998 étaient crédibles et étayées par des preuves substantielles mais que ces événements étaient trop anciens pour permettre d’établir le lien de causalité nécessaire avec son actuelle demande d’asile. L’Office relevait que, si les persécutions pour activités politiques illégales à l’encontre de militants ou de leurs proches étaient répandues en Turquie jusqu’à la fin des années 1990, ce n’était plus le cas, la situation s’étant considérablement améliorée depuis 2001 et depuis que la Turquie, en 2005, avait défini de nouvelles garanties applicables aux procédures pénales. L’Office expliquait que, même si on pouvait concevoir qu’une personne soupçonnée d’être en contact avec une personne recherchée ou bien faisant elle-même partie d’une organisation illégale soit exposée à des mesures policières, celles-ci, dans la plupart des cas, ne sauraient plus être qualifiées de persécutions justifiant l’asile. L’Office fédéral des migrations a estimé que les événements survenus en 1998 et certaines persécutions passées étaient crédibles mais il n’a pas jugé crédible que la requérante subisse encore des persécutions aussi fortes que ce qu’elle affirme. Enfin, l’Office a conclu que rien ne démontrait qu’à son retour en Turquie la requérante subirait fort probablement des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

2.11Le 21 avril 2010, la requérante a saisi le Tribunal administratif fédéral et soumis des documents supplémentaires à l’appui de ses allégations. Elle expliquait que les persécutions variaient en fonction des phases de la procédure visant sa sœur et de son propre engagement auprès du Centre culturel mésopotamien. Ainsi les raisons qui poussaient la police à la surveiller, l’intimider, l’arrêter et la maltraiter étaient multiples: il s’agissait par exemple de faire pression sur sa sœur afin que celle-ci se rende et parle, de l’empêcher de se faire passer pour sa sœur grâce à leur ressemblance et de reprendre les activités illégales de sa sœur, d’exercer sur elle des pressions en raison de ses activités au sein du PKK liées au Centre culturel mésopotamien et de la punir pour les activités illégales de sa sœur et sa fuite du pays. Pour expliquer qu’elle n’ait pas été arrêtée pour avoir aidé sa sœur à s’enfuir en 2002, la requérante soulignait que ce qui lui était reproché était d’avoir permis à sa sœur de fuir parce que leur ressemblance avait donné à celle-ci la possibilité de se déplacer librement et donc de s’enfuir. Il ne s’agissait manifestement pas là d’une infraction pénale pouvant donner lieu à une mise en examen.

2.12Pour ce qui est de l’inutilité de la retenir à chaque fois qu’elle rendait visite à sa sœur en détention, la requérante a rappelé que l’objet de ces mesures était de l’empêcher de prendre la place de sa sœur en prison pour que celle-ci s’échappe. Elle a également fait valoir plusieurs arguments expliquant qu’il n’y avait pas d’incohérences dans ses allégations, contrairement à ce que soutenait l’Office fédéral des migrations. Quant au lien de causalité entre les événements traumatisants non contestés de 1998 et sa fuite en 2008, la requérante soulignait qu’elle n’avait pas du tout fondé sa demande d’asile sur ces seuls événements mais plutôt sur les intimidations, la surveillance, les arrestations et les brutalités continuellement exercées par les forces de sécurité depuis le moment où sa sœur s’était engagée dans des activités illégales, jusqu’à ce qu’elle quitte la Turquie en 2008.

2.13Dans son recours, la requérante contestait également l’avis exprimé par l’Office fédéral des migrations selon lequel la situation des droits de l’homme en Turquie s’était sensiblement améliorée et le risque de persécution en raison de ses activités antérieures ou celles de proches était peu vraisemblable. Elle s’appuyait sur la jurisprudence récente du Tribunal administratif fédéral (par exemple sa décision du 8 septembre 2005, EMARK 2005/21), dont il ressortait que les réformes législatives récemment mises en œuvre en Turquie ne s’étaient en réalité pas concrétisées, que les forces de sécurité turques continuaient à s’en prendre aux membres d’organisations kurdes, que la torture était encore si répandue qu’on devait même la qualifier de pratique officielle ordinaire et que les membres des familles de militants kurdes soupçonnés risquaient toujours de subir une sévère répression. Elle citait également de nombreux rapports récents d’organisations internationales et nationales sur la situation des droits de l’homme en Turquie et présentait à l’appui de ses affirmations des rapports d’Amnesty International (2009), de Human Rights Watch (2010) et de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (2008).

2.14La requérante expliquait également dans son recours que, depuis son arrivée en Suisse, elle avait souffert de plusieurs épisodes dépressifs. Elle arguait enfin que, compte tenu des graves persécutions, intimidations, arrestations et mauvais traitements qu’elle avait subis jusqu’à ce qu’elle fuie la Turquie en raison de ses activités et de celles de sa sœur, compte tenu du zèle montré par les autorités turques pour arrêter sa sœur par son intermédiaire, du fait que depuis son départ la police avait continué à la chercher au domicile de ses parents et de la situation des droits de l’homme toujours critique en Turquie, en particulier pour les militants kurdes et leurs proches, elle serait exposée à un risque élevé en cas de retour en Turquie, retour qui ne manquerait pas de nuire gravement à sa très fragile santé mentale.

2.15Le 5 août 2010, le Tribunal administratif fédéral a rendu sa décision sur le fond, confirmant la décision de l’Office fédéral des migrations. Comme celui-ci, le Tribunal jugeait crédibles les événements de 1998 et certains actes d’intimidation subis par la requérante après cela. Il considérait cependant non crédibles les persécutions dont l’intéressée aurait été victime après 2002, dans la mesure où il lui paraissait très peu probable que les autorités turques aient continué à persécuter la requérante pendant de nombreuses années sans découvrir avant 2008 que sa sœur avait obtenu l’asile en Suisse. Que la requérante n’ait pas été accusée d’avoir aidé sa sœur à s’enfuir montrait que les autorités turques n’avaient rien à lui reprocher sur ce plan. Le Tribunal a jugé que l’intéressée avait inventé des pans entiers de ses récits de persécution pour appuyer sa demande d’asile. Il a conclu que ni les arguments de la requérante ni les documents disponibles ne montraient qu’elle serait exposée à un risque réel de traitement contraire à l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ou à l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants si elle était renvoyée en Turquie. Le Tribunal ajoutait que la requérante ne souffrait d’aucune maladie empêchant l’exécution de l’ordre d’expulsion.

2.16Le 9 août 2010, l’Office fédéral des migrations a demandé à la requérante de quitter la Suisse le 6 septembre 2010 au plus tard.

2.17La requérante déclare que depuis son départ de Turquie elle a souffert de plusieurs épisodes dépressifs. En juin 2010, elle a consulté un psychiatre et suivi la psychothérapie prescrite. Après le prononcé du jugement du Tribunal administratif fédéral, elle a traversé une crise; le psychiatre a adapté la thérapie en conséquence. D’après le rapport médical du 23 août 2010, la requérante souffre d’épisodes dépressifs accompagnés de syndromes somatiques, de convulsions dissociatives et peut-être (le diagnostic était en cours d’établissement au moment de la présentation de la communication) de troubles post‑traumatiques. Selon le rapport, l’état de la requérante à l’époque ne permettait pas de la renvoyer en Turquie. La crainte d’être à nouveau arrêtée et maltraitée à son retour provoquait des convulsions dissociatives. Un retour entraînerait une détérioration de son état de santé, avec un risque élevé de suicide. Le 26 août 2010, ce rapport a été présenté au bureau cantonal des migrations de Bâle chargé de l’exécution de l’ordre d’expulsion, accompagné d’une demande de sursis à l’expulsion pour raisons médicales.

Teneur de la plainte

3.1La requérante soutient que son expulsion vers la Turquie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention. Elle affirme qu’à son retour elle serait arrêtée, interrogée, intimidée et maltraitée par la police. Elle pourrait également être soumise au même système de surveillance constante, de persécution, d’arrestations et d’intimidations qu’elle a déjà subi par le passé et qui a entraîné chez elle de graves troubles de santé mentale.

3.2La requérante rappelle à l’appui de ses allégations: a) qu’elle a été arrêtée et gravement maltraitée pendant sept jours en 1998, fait que ne contestent pas les autorités suisses chargées des migrations; b) qu’elle a été arrêtée à plusieurs reprises pendant de courtes périodes alors qu’elle rendait visite à sa sœur en prison; c) que depuis que sa sœur s’est engagée dans des activités illégales prokurdes, elle a été soumise à une étroite surveillance accompagnée d’intimidations régulières et de brèves périodes de détention; d) qu’elle a travaillé de nombreuses années pour le Centre culturel mésopotamien, une organisation que les autorités turques considèrent comme très proche du PKK; e) que sa sœur a été condamnée à la prison à vie pour activités prokurdes illégales et pour le prétendu meurtre d’un policier, et que la Suisse a refusé de l’extrader en vertu du principe de non‑refoulement; f) que les autorités turques savent ou sauraient au moment de son retour en Turquie que la requérante a séjourné avec elle en Suisse, où elle a demandé l’asile; g) que de nombreuses organisations internationales, ainsi que la jurisprudence récente du Tribunal administratif fédéral lui-même, confirment que la situation des droits de l’homme en Turquie demeure largement inchangée, en particulier pour les Kurdes, et que les arrestations arbitraires, les mauvais traitements et la torture des personnes accusées d’activités prokurdes ou de leurs proches doivent encore aujourd’hui être considérés comme des pratiques ordinaires; h) qu’elle souffre de maladie mentale depuis plusieurs années, a été soignée par le Centre de réadaptation des victimes de la torture de la TOHAV à Istanbul pendant quatre ans et suit actuellement un traitement auprès d’un psychiatre qui a confirmé qu’elle ne serait pas en mesure de faire face à une autre arrestation par les autorités turques.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Par une note verbale du 16 février 2011, l’État partie a présenté ses observations, accompagnées d’un bref résumé des faits et des allégations formulées par la requérante dans le cadre de la procédure d’asile, qui coïncident avec les informations données par la requérante aux paragraphes 2.1 à 2.8 du présent document. L’État partie note que la requérante affirme devant le Comité qu’elle serait arrêtée et maltraitée à son retour en Turquie, en violation de l’article 3 de la Convention. L’intéressée fait en outre valoir qu’elle souffre de troubles de santé mentale et qu’un renvoi l’exposerait à un risque de suicide élevé. L’État partie affirme qu’à l’exception de ses problèmes de santé mentale, la requérante fait état des mêmes faits et arguments que ceux qu’elle a présentés aux autorités nationales et ne produit aucun nouvel élément qui mettrait en cause la décision de l’Office fédéral des migrations du 19 mars 2010 et le jugement du Tribunal administratif fédéral du 5 août 2010.

4.2L’État partie fait valoir qu’en vertu de l’article 3 de la Convention, il est interdit aux États parties d’expulser, de refouler ou d’extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour déterminer s’il y a de tels motifs, les autorités compétentes doivent tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l’existence, dans l’État intéressé, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. L’État partie rappelle les critères établis par le Comité dans son Observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22 qui requiert du requérant d’apporter la preuve qu’il court un risque personnel, actuel et sérieux d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers le pays d’origine. L’existence d’un tel risque doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons; les faits allégués doivent démontrer qu’un tel risque est réel. L’État partie rappelle que, conformément au paragraphe 8 de l’Observation générale no 1 du Comité, les éléments suivants doivent être pris en compte pour apprécier le risque associé à l’expulsion d’une personne: preuves de l’existence dans l’État concerné d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives; allégations de torture ou de mauvais traitements dans un passé récent et existence d’éléments de preuve émanant de sources indépendantes; activités politiques de l’auteur dans son pays d’origine ou à l’extérieur de celui-ci; existence de preuves de la crédibilité de l’auteur; existence d’incohérences factuelles dans ce que l’auteur affirme.

4.3Pour décider s’il existe des motifs sérieux de croire qu’un requérant risque d’être soumis à la torture s’il est renvoyé, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, en particulier de l’existence d’un ensemble systématique de violations des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives dans l’État de destination. Le but de l’appréciation est cependant de déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. L’existence d’un ensemble de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme ne constitue pas en soi un motif suffisant de penser qu’un individu serait victime de torture à son retour dans son pays d’origine; d’autres motifs doivent exister pour que le risque de torture puisse être qualifié, au sens de l’article 3, de prévisible, réel et personnel. À l’inverse, comme le Comité l’a rappelé dans ses décisions, l’absence de violations systématiques et flagrantes des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne risque pas d’être victime de torture dans la situation qui est la sienne.

4.4L’État partie fait valoir que le Comité a déjà eu l’occasion d’examiner des communications dans lesquelles des plaignants d’origine kurde soutenaient qu’ils risquaient d’être victimes de torture s’ils étaient renvoyés en Turquie. Le Comité a relevé, dans ces cas-là, que la situation des droits de l’homme en Turquie posait problème, particulièrement pour les militants du PKK. Il a cependant conclu qu’un requérant donné courrait un risque réel et personnel de torture à son retour en Turquie seulement dans les cas où des éléments supplémentaires qui lui étaient propres pouvaient être établis, en particulier l’importance de ses activités politiques en faveur du PKK, l’éventuelle motivation politique des poursuites pénales à son encontre et la question de savoir si le requérant avait déjà été victime de torture par le passé. S’agissant d’activités politiques ou d’actes de persécution passés, le Comité accorde un poids important à la question de savoir si ces faits ont eu lieu récemment ou non.

4.5L’État partie affirme que la requérante n’a pas démontré qu’elle courait un risque prévisible, réel et personnel d’être soumise à la torture en cas de retour en Turquie. La torture ou les mauvais traitements qu’elle aurait subis par le passé sont l’un des éléments à prendre en considération pour apprécier le risque de torture ou de mauvais traitements en cas de retour. La requérante affirme qu’elle a été maltraitée par les autorités turques lors de sa détention pendant une semaine en février 1998. Si les autorités suisses n’ont pas contesté que la requérante ait été arrêtée cette année-là, elles ont relevé que dix ans ont passé depuis. Après avoir examiné la situation actuelle de la requérante, les autorités suisses ont jugé que celle-ci n’avait pas établi de lien de causalité entre les événements de 1998 et sa fuite du pays en 2008 et conclu qu’il n’existait pas de risque actuel de persécution en cas de retour à Istanbul. De plus, l’État partie rappelle que, pour le Comité, des mauvais traitements qui auraient eu lieu dans le passé ne démontrent pas un risque actuel de torture en cas de retour d’un requérant, en particulier lorsque de tels actes n’ont pas eu lieu dans un passé récent.

4.6L’État partie relève que la requérante affirme qu’elle serait persécutée en raison des activités politiques passées de sa sœur et de la fuite de celle-ci en Suisse. L’intéressée déclare également avoir été soupçonnée de soutien au PKK en raison de son travail au Centre culturel mésopotamien d’Istanbul, ce qui serait également à l’origine des persécutions. Les autorités suisses compétentes n’ont pas contesté que la requérante ait été détenue en 1998. De la même manière, elles ont jugé crédibles les allégations de persécution en raison des activités de sa sœur.

4.7L’Office fédéral des migrations a observé que la requérante se contredisait au sujet des périodes auxquelles elle aurait été harcelée par les autorités turques. Il a notamment jugé peu vraisemblable que la requérante ait été arrêtée «chaque fois» qu’elle rendait visite à sa sœur en prison en raison de leur ressemblance. Les autorités turques auraient eu intérêt, dans de telles circonstances, à prendre des mesures pour éviter une telle confusion, d’autant plus que la requérante avait à certaines périodes rendu quotidiennement visite à sa sœur en prison.

4.8Les autorités suisses ont également jugé d’autres allégations de la requérante exagérées et peu vraisemblables. Celle-ci a notamment affirmé que, sur une période de sept ans, elle avait en moyenne été arrêtée une fois par semaine. Elle a en outre prétendu avoir été harcelée, menacée et surveillée pendant des années. Elle a affirmé avoir été suivie presque chaque jour, le harcèlement n’ayant pas pris fin même lorsque la police avait appris que sa sœur se trouvait à l’étranger. Les autorités suisses ont estimé qu’il n’était pas logique que la police ait intimidé la requérante pour la même raison pendant de longues années de manière aussi soutenue et persistante.

4.9L’État partie ne voit pas de raison d’apprécier la situation autrement que ne l’a fait le Tribunal administratif fédéral, qui a conclu qu’il était peu vraisemblable que les autorités turques aient investi autant dans la surveillance de la requérante, compte tenu notamment du fait que sa sœur avait quitté la Turquie en 2002. Lors de son audition du 22 juin 2009, la requérante a affirmé que sa famille et elle-même avaient, en mars 2008, informé la police que sa sœur avait quitté le pays. Il semble probable que la requérante, en affirmant avoir fait l’objet d’une surveillance ininterrompue, tente d’établir un lien entre les événements de 1998 et son départ pour la Suisse en 2008.

4.10S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel elle aurait été soupçonnée d’avoir aidé sa sœur à fuir, les autorités suisses chargées des migrations ont souligné à juste titre que l’intéressée fait état d’actes qui auraient normalement entraîné l’ouverture de poursuites pénales. Cependant aucune poursuite n’a été engagée contre elle. Les autorités suisses ont finalement considéré qu’aucun lien de causalité suffisant n’avait été établi entre les problèmes et persécutions subis par la requérante en 1998 et les raisons pour lesquelles elle aurait fui le pays en 2008. Les persécutions dont la requérante a été en mesure d’apporter la preuve aux autorités suisses remontent en fait à plus de dix ans avant son départ. Le Tribunal administratif fédéral a donc conclu que les problèmes que la requérante avait connus dans les années 1990 n’étaient plus pertinents au regard de sa demande d’asile. L’Office fédéral des migrations a notamment souligné que la situation des droits de l’homme en Turquie s’était sensiblement améliorée au cours des dernières années, particulièrement dans le cadre des négociations pour une entrée dans l’Union européenne. C’est pour cela que l’Office et le Tribunal ont estimé peu probable que la requérante ait été ou soit victime de persécutions à Istanbul.

4.11L’État partie rappelle qu’aucune procédure pénale n’est en cours contre l’intéressée. De plus, la requérante ne fait pas état de persécutions contre des membres de sa famille proche, y compris ses parents vivant à Istanbul. Ce n’est que devant le Comité qu’elle affirme que la police l’a cherchée au domicile de ses parents depuis sa fuite en 2008. L’État partie observe que la requérante ne dit pas avoir été engagée dans la vie politique en Suisse ni avoir coopéré avec des membres du PKK, que ce soit en Turquie ou en Suisse. Il ne saurait exclure que la requérante pourrait être interrogée par les autorités turques à son retour à Istanbul. Cependant, même si c’était le cas, rien ne montre qu’elle serait victime de mauvais traitements ou de torture.

4.12L’État partie rappelle que le principe de non-refoulement au sens de l’article 3 de la Convention ne s’applique qu’aux cas dans lesquels une personne risque, en cas d’expulsion ou d’extradition, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention. Tout autre traitement qu’une personne peut subir à l’étranger, même s’il s’agit de traitement inhumain ou dégradant, ne relève pas de l’article 3. Compte tenu de ce qui précède, et à la lumière de la pratique du Comité dans d’autres affaires d’expulsion vers la Turquie, il est d’avis que la requérante ne peut pas être considérée comme une personne qui serait exposée à un risque réel et personnel de torture au sens de l’article premier de la Convention si elle était renvoyée à Istanbul.

4.13Quant à l’argument de la requérante faisant valoir qu’elle souffre de troubles de santé mentale, en particulier de dépression associée à un syndrome somatique, qu’elle est peut-être atteinte de troubles post-traumatiques et qu’elle serait sérieusement exposée à un risque de suicide en cas de retour forcé en Turquie, l’État partie est surpris de constater que l’intéressée n’a pas invoqué ces problèmes dans le cadre de la procédure de demande d’asile. Lors de l’audition du 22 juin 2009, elle a clairement indiqué qu’elle n’avait pas de problèmes de santé. En outre, l’origine de ses troubles de santé mentale n’est aucunement démontrée; de possibles troubles post-traumatiques ne sauraient être considérés comme un élément important indiquant qu’elle a été persécutée en Turquie. En tout état de cause, le simple fait que la requérante souffre actuellement de troubles de santé mentale ne saurait être considéré comme une raison suffisante pour renoncer à l’expulsion. L’État partie rappelle que, selon le Comité, l’aggravation de l’état de santé physique ou mentale d’une personne due à l’expulsion est généralement insuffisante pour constituer, en l’absence d’autres facteurs, un traitement dégradant en violation de la Convention. Le Comité a confirmé cette position dans plusieurs décisions. Il a rejeté des communications dans lesquelles les requérants avaient pu établir qu’ils avaient souffert de graves troubles post‑traumatiques provoqués par des mauvais traitements ainsi que des communications dans lesquelles le risque de suicide en cas de retour avait été démontré.

4.14Au vu de la pratique du Comité, les souffrances de la requérante n’atteignent pas le seuil exigé pour empêcher l’exécution de l’expulsion, d’autant plus que des traitements sont disponibles dans son pays d’origine et que des infrastructures médicales adaptées et accessibles existent à Istanbul. L’État partie indique enfin qu’en cas de risque de suicide, les autorités suisses prennent les mesures nécessaires pour garantir la sécurité de l’intéressé, par exemple en faisant accompagner la personne expulsée par un médecin. L’Office fédéral des migrations avait par exemple décidé de reporter l’expulsion de la requérante, étant donné son état de santé.

4.15Au vu de ce qui précède, l’État partie soutient qu’il n’existe pas de motifs sérieux de craindre qu’un renvoi de la requérante en Turquie l’exposerait à un risque réel et personnel d’être soumise à la torture. Les arguments de la requérante ne permettent pas de conclure que son expulsion l’exposerait à un risque prévisible, réel et personnel de torture. Dès lors, son expulsion ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie

5.1Le 20 avril 2011, la requérante a fait part de ses commentaires. En ce qui concerne le résumé des faits donné par l’État partie, elle précise que les graves mauvais traitements qu’elle a subis pendant sa détention de sept jours en 1998 ont été corroborés par de solides éléments de preuve et que tant l’Office fédéral des migrations que le Tribunal administratif fédéral ont expressément reconnu que ces faits étaient établis. Elle précise en outre que sa crainte en cas de renvoi vers la Turquie est double: premièrement, on doit s’attendre à ce qu’elle soit immédiatement interpellée par la police à son arrivée en Turquie, puis interrogée, intimidée et maltraitée; deuxièmement, on doit s’attendre à ce qu’elle soit soumise aux mêmes pratiques de surveillance constante, de persécution, d’arrestations répétées et d’intimidations que celles qu’elle a subies avant de fuir la Turquie et qui ont entraîné ses graves troubles de santé mentale. Pour ce qui est du renvoi par l’État partie aux critères énoncés dans l’Observation générale no 1 du Comité, la requérante relève que le critère défini au paragraphe 8 c) ne mentionne pas seulement l’existence de preuves indépendantes de torture − comme le met en avant l’État partie − mais pose également la question de savoir si la torture a laissé des séquelles. Cette précision est importante dans la mesure où la requérante, comme elle l’a indiqué dans sa lettre initiale, a souffert de telles séquelles.

5.2Pour ce qui est des observations de l’État partie sur la situation des droits de l’homme en Turquie et sur la jurisprudence du Comité concernant les renvois dans ce pays (supra,par. 4.3 et 4.4), la requérante rappelle les éléments personnels qui font qu’elle court un risque réel, comme elle l’indique dans sa requête. Elle rappelle en outre la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral, qui a été confirmée dans un jugement daté du 25 octobre 2010 (E-6587/2007), selon lequel la persécution des proches de militants politiques (ci-après la «persécution familiale») était toujours pratiquée par les autorités turques et qu’une telle répression pouvait être considérée comme un risque sérieux au sens de l’article 3 de la loi suisse sur l’asile. Le Tribunal a de surcroît déclaré que la probabilité d’être exposé à des persécutions familiales était particulièrement élevée dans les cas où les membres de la famille engagés dans la vie politique étaient recherchés par la police et où les autorités avaient des motifs de croire que le proche en question avait des liens étroits avec la personne recherchée. Citant un grand nombre de rapports d’organisations internationales, le Tribunal a confirmé que la situation des droits de l’homme en Turquie était pour l’essentiel demeurée inchangée depuis 2005. Compte tenu de ce qui précède, la requérante affirme que le Tribunal ne s’est, dans son cas, pas conformé à sa propre jurisprudence selon laquelle elle court le risque d’être persécutée si elle est renvoyée en Turquie.

5.3Pour ce qui est de l’argument de l’État partie concernant l’absence d’un lien de causalité suffisant entre son arrestation en 1998 et sa fuite de Turquie en 2008, la requérante rappelle que sa demande d’asile n’était pas fondée seulement sur les événements de 1998 mais aussi sur les persécutions et intimidations ininterrompues qu’elle a subies jusqu’à ce qu’elle quitte la Turquie en 2008, ainsi que sur le risque de persécution familiale qu’elle court en raison de ses liens étroits avec sa sœur. Par conséquent, les événements de 1998 constituent un élément important parmi d’autres pour établir le risque de torture en cas de retour en Turquie et doivent être envisagés dans le contexte des persécutions qu’elle a subies jusqu’à un passé récent et du gros risque de persécution familiale qu’elle court. L’État partie a donc tort de faire référence à l’affaire M. F. c. Suède car, dans cette affaire-là, le Comité ne disposait d’aucune information, hormis les mauvais traitements subis par le requérant six ans auparavant, sur les raisons pour lesquelles les autorités se seraient intéressées à lui.

5.4La requérante fait observer que l’État partie admet sur le principe les éléments clefs sur lesquels sa plainte se fonde, à savoir les graves mauvais traitements subis en 1998, le harcèlement par les autorités turques par la suite (même s’il en conteste l’intensité et la durée) et les activités politiques de sa sœur, qui entraînent un risque important de persécution familiale. La requérante conteste l’argument de l’État partie quant à l’existence de contradictions dans ses déclarations concernant les périodes au cours desquelles elle a été harcelée par les autorités turques et nie toute incohérence à ce sujet, comme elle l’a déjà expliqué en détail dans le recours qu’elle a formé contre la décision de rejet de l’Office fédéral des migrations.

5.5Pour répondre à l’État partie, qui fait observer que les détentions répétées et le harcèlement qu’elle allègue ne sont pas vraisemblables (supra,par. 4.8), qu’il semble peu probable que les autorités turques l’aient persécutée pendant des années pour ensuite être informées en 2008 par sa propre famille que sa sœur avait quitté la Turquie (par. 4.9) et qu’elle n’a pas été mise en examen pour avoir aidé sa sœur à quitter la Turquie (par. 4.10), la requérante rappelle les arguments qu’elle a présentés dans son recours contre la décision de l’Office fédéral des migrations (supra,par. 2.11) et ajoute qu’il n’est pas improbable du tout que les agents pénitentiaires l’aient détenue, fouillée et harcelée chaque fois qu’elle rendait visite à sa sœur en prison, dans la mesure où de telles démarches n’ont du sens, du point de vue des agents, que si elles sont effectuées sans aucune exception.

5.6La requérante souligne que ni l’Office fédéral des migrations, ni le Tribunal administratif fédéral n’apportent de preuve confirmant que la situation des droits de l’homme se serait améliorée en Turquie et ne formulent d’observations sur les nombreux rapports indiquant le contraire. Elle rappelle en outre que la position de l’État partie sur ce point est contraire à la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral, décrite plus haut, et renvoie aux rapports d’Amnesty International, de Human Rights Watch et du Département d’État des États-Unis. Elle cite également les observations finales de novembre 2010 dans lesquelles le Comité s’était à nouveau déclaré vivement préoccupé par la situation des droits de l’homme en Turquie.

5.7La requérante nie avoir déclaré devant le Comité seulement − comme l’affirme l’État partie − que la police avait continué à la chercher au domicile de ses parents après son départ de Turquie pendant l’été 2008: elle avait déjà porté ce fait à l’attention du Tribunal administratif fédéral. Pour répondre à l’argument de l’État partie selon lequel, s’il se peut qu’elle soit interrogée par la police à son retour, rien ne montre que cela entraînerait des mauvais traitements ou des actes de torture, l’intéressée rappelle les arguments qu’elle a formulés plus haut aux paragraphes 3.1 et 3.2.

5.8La requérante explique qu’elle n’a pas signalé ses problèmes de santé à son arrivée en Suisse parce qu’elle espérait qu’ils disparaîtraient. Qui plus est, ses troubles de santé mentale sont d’une nature telle qu’il est difficile pour elle d’en parler, de sorte qu’elle ne les mentionne pas aisément si elle est interrogée à titre général − ce qui a été le cas lors de l’audition auprès des autorités suisses. En réponse à l’argument de l’État partie selon lequel l’origine de ses problèmes de santé n’est pas démontrée, elle fait valoir le rapport médical établi par son psychiatre le 23 août 2010, dont il ressort qu’elle avait développé des troubles de santé mentale vers l’année 2000 après avoir rendu visite à sa sœur pendant des années et avoir été régulièrement retenue et intimidée, cela venant s’ajouter à sa détention et aux graves mauvais traitements subis en 1998. À cette époque, elle souffrait de convulsions dissociatives, de tensions musculaires et de pertes de connaissance nécessitant des hospitalisations d’urgence. Le rapport mentionne également sa prise en charge par le centre TOHAV de 2002 à 2006 et explique qu’en raison de la surveillance et des persécutions policières accrues après 2006, elle s’est presque entièrement retirée chez elle, ce qui a encore aggravé ses troubles de santé mentale et l’a poussée à quitter la Turquie en 2008. En Suisse, elle s’est sentie inutile, impuissante et déprimée, ressassant les humiliations qu’elle avait subies lors des gardes à vue et la torture mentale dont elle avait été victime. Elle s’est également sentie incapable d’affronter d’autres expériences de ce type, et craignait de s’en prendre à elle-même. La requérante est d’avis qu’avec ces observations d’un psychiatre, il est établi que ses troubles de santé mentale proviennent des traitements que les autorités turques lui ont infligés dans le passé.

5.9La requérante explique que ses troubles de santé mentale ne sont qu’un des éléments motivant le grief qu’elle tire de l’article 3. Par conséquent, les décisions du Comité auxquelles renvoie l’État partie, dans lesquelles il est dit que l’état de santé d’une personne ne constitue généralement pas à lui seul, en l’absence d’autres facteurs, un traitement dégradant de nature à interdire l’expulsion, ne s’appliquent pas à son cas. La requérante ne nie pas que des traitements médicaux adéquats sont en principe disponibles en Turquie mais le véritable problème est qu’un retour dans une atmosphère de surveillance et d’intimidation de la part des autorités, qui est précisément à l’origine de ses troubles de santé mentale, ferait qu’elle ne pourrait pas être convenablement soignée en Turquie.

5.10La requérante n’est pas d’accord avec l’État partie lorsqu’il conclut qu’il n’existe aucun motif sérieux de penser qu’elle courrait un risque réel et personnel de torture si elle était renvoyée en Turquie. Selon elle, de multiples éléments démontrent l’existence d’un tel risque, tant au regard de sa situation personnelle qu’au regard de la situation des droits de l’homme en Turquie en général. La requérante fait référence aux documents qu’elle a soumis pour étayer l’existence d’un risque réel de torture en cas de renvoi et note que l’État partie n’a pas formulé d’observations sur certains d’entre eux, comme: a) la lettre du 1er avril 2010, dans laquelle son avocat confirme les graves persécutions qu’elle a subies jusqu’à ce qu’elle fuie la Turquie et affirme que sa vie et sa sécurité seraient en danger si elle retournait dans ce pays; b) la lettre du centre TOHAV confirmant qu’elle y a été traitée de 2002 à 2006; et c) les différents rapports des organisations internationales sur la situation des droits de l’homme en Turquie. La requérante réaffirme que son renvoi en Turquie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité note qu’en l’espèce l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la requête, pour quelque motif que ce soit. Il estime que le grief invoqué par la requérante sur le terrain de l’article 3 a été suffisamment étayé, déclare donc la requête recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente requête en tenant compte de toutes les informations communiquées par les parties.

7.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant la requérante en Turquie, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Il doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que la requérante risque personnellement d’être soumise à la torture en cas de renvoi en Turquie. Pour ce faire, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, y compris de l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme. Le Comité rappelle cependant que cet examen a pour objectif de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé.

7.3Le Comité rappelle son Observation générale no 1, selon laquelle «l’existence [du risque de torture] doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable» (par. 6), mais qu’il est encouru personnellement et actuellement. À cet égard, dans des décisions précédentes, le Comité a estimé que le risque d’être soumis à la torture devait être prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle en outre que, selon son Observation générale no 1, c’est à l’auteur qu’il incombe de présenter des arguments défendables (par. 5). En l’espèce, le Comité relève que l’argument de la requérante selon lequel elle court un risque d’être torturée si elle est renvoyée en Turquie se fonde sur les éléments suivants: elle a été détenue et torturée en 1998; elle a été l’objet de brèves arrestations lorsqu’elle rendait visite à sa sœur en prison; depuis que sa sœur a fui le pays en 2002, elle a été placée sous surveillance et harcelée, intimidée et détenue en raison des activités politiques de sa sœur et du soupçon qu’elle a utilisé leur ressemblance physique pour permettre à celle-ci de fuir la Turquie; elle a elle-même eu des activités au Centre culturel mésopotamien d’Istanbul; et elle court un risque de persécution familiale en raison des liens étroits qui l’unissent à sa sœur.

7.4Le Comité observe que, si l’arrestation de la requérante et les mauvais traitements qu’elle a subis en 1998 ne sont pas contestés, l’État partie affirme toutefois que la requérante n’est pas parvenue à établir un lien entre ces événements et son départ de Turquie en 2008. En outre, l’État partie trouve exagérée l’allégation de harcèlement et de surveillance ininterrompus de la requérante par les autorités turques pendant des années, y compris après le départ de sa sœur du pays en 2002, et fait valoir que ces autorités auraient pris d’autres mesures si la requérante avait présenté pour elles un intérêt.

7.5Le Comité rappelle que, selon son Observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé. Toutefois, il n’est pas lié par de telles constatations, étant habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

7.6Pour apprécier le risque de torture en l’espèce, le Comité note que la requérante a été arrêtée et a subi des mauvais traitements en 1998 et qu’elle souffrirait de troubles de santé mentale en raison des mauvais traitements dont elle a été victime par le passé et des actes de harcèlement et de persécution auxquels l’auraient continuellement soumise les autorités turques. Le Comité observe à ce sujet que la requérante produit pour preuve une lettre du centre de réadaptation de la Fondation TOHAV confirmant qu’elle a bien suivi un traitement de 2002 à 2006, ainsi qu’un rapport médical du 23 août 2010 établi par un psychiatre suisse qui évoque de possibles troubles post-traumatiques. Le Comité prend également note des arguments de l’État partie, qui avance que la requérante n’a pas fait état de ses problèmes de santé mentale lors de la procédure de demande d’asile, que l’origine de ces problèmes n’est pas démontrée, que des troubles post‑traumatiques présumés ne sauraient être considérés comme indiquant de manière déterminante que l’intéressée a été persécutée en Turquie, et qu’il existe des traitements adaptés en Turquie.

7.7Le Comité rappelle que les mauvais traitements ou les actes de torture subis par le passé ne constituent qu’un élément à prendre en compte, la question qui se pose à lui étant de savoir si la requérante court actuellement un risque de torture en cas de renvoi en Turquie. S’il est admis que l’intéressée a été torturée par le passé, il ne s’ensuit pas nécessairement que, quinze ans après les faits, elle court encore le risque d’être victime de torture si elle rentre en Turquie dans un avenir proche. Le Comité observe à ce sujet que la requérante affirme avoir été l’objet d’une surveillance continue, de harcèlement, de brèves arrestations et de persécution jusqu’à ce qu’elle fuie en Suisse en 2008, mais qu’elle n’a pas présenté d’éléments tendant à démontrer que ces faits sont constitutifs de torture. En outre, bien qu’elle affirme que les autorités l’ont «apparemment» soupçonnée d’avoir repris les activités de sa sœur dans le mouvement politique clandestin, elle n’a présenté aucun élément prouvant qu’elle ait été convoquée pour interrogatoire ou mise en examen pour participation aux activités du PKK; elle n’a pas non plus présenté de preuves à l’appui de son allégation selon laquelle la police l’aurait cherchée au domicile de ses parents depuis sa fuite en Suisse. Le Comité relève également que la requérante n’a jamais prétendu que les membres de sa famille vivant à Istanbul étaient persécutés en raison de sa fuite et de la fuite de sa sœur en Suisse. De plus, il n’est pas contesté que la requérante elle-même n’a pas été condamnée, poursuivie ou accusée d’une quelconque infraction en Turquie, qu’elle n’est pas engagée dans la vie politique en Suisse et qu’elle n’a pas coopéré avec des membres du PKK, que ce soit en Turquie ou en Suisse.

7.8Le Comité prend note des informations soumises par les parties sur la situation générale des droits de l’homme en Turquie. Il relève que d’après les informations figurant dans des rapports récents, globalement quelques progrès ont été faits sur le plan du respect du droit international des droits de l’homme par la Turquie, qui poursuit ses efforts pour renforcer les garanties juridiques contre la torture et les mauvais traitements dans le cadre de sa campagne de «tolérance zéro» vis-à-vis de la torture, et la tendance à la baisse du nombre de cas de mauvais traitements et de leur sévérité continue. Il ressort aussi de certains rapports qu’en dépit de la campagne actuelle de «tolérance zéro» à l’égard de la torture, les forces de l’ordre continuent à faire un usage disproportionné de la force et que des cas de torture sont toujours signalés. Le Comité remarque cependant qu’aucun des rapports dont il dispose n’indique que proches des militants du PKK sont particulièrement visés et sont victimes de torture. Quant à l’argument de la requérante selon lequel elle serait arrêtée et interrogée à son retour, le Comité rappelle que le simple risque d’être arrêté et interrogé ne suffit pas à conclure qu’il existe également un risque d’être soumis à la torture.

7.9Étant donné ce qui précède, le Comité estime que les faits dont il est saisi ne lui permettent pas de conclure que le renvoi de la requérante en Turquie l’exposerait personnellement à un risque prévisible et réel de torture au sens de l’article 3 de la Convention. En conséquence, il conclut que l’expulsion de la requérante vers la Turquie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, est d’avis que l’expulsion de la requérante vers la Turquie ne constituerait pas une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de M. Alessio Bruni

Je suis d’avis que le renvoi forcé de la requérante constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants pour les raisons suivantes:

a)Il ressort des informations communiquées au Comité que la requérante appartient à une famille qui est connue en Turquie pour ses opinions et ses activités politiques prokurdes, considérées comme illégales par le Gouvernement. La sœur de la requérante a été arrêtée en 1995 en raison de ses activités politiques en faveur du Parti travailliste communiste, illégal, et accusée d’avoir tué un policier au cours d’une fusillade au moment de son arrestation. Elle a été torturée et condamnée à la prison à vie. Lorsqu’elle a été libérée sous condition six mois plus tard, en 2002, elle s’est enfuie pour la Suisse où elle a obtenu l’asile en 2003. La Turquie a demandé son extradition, qui a été refusée par la Suisse en vertu du principe de non-refoulement;

b)Le fait que la requérante appartienne à une famille dont les membres sont recherchés par les autorités de police turques et qu’elle soit la sœur d’une personne dont l’extradition a été refusée par l’État partie en vertu du principe de non-refoulement l’expose à un risque personnel, réel et prévisible de subir des mauvais traitements si elle était renvoyée en Turquie. La requérante serait arrêtée et interrogée, et très probablement soumise à un traitement contraire à l’article premier de la Convention afin d’obtenir des informations sur les membres de sa famille et leurs activités à l’étranger;

c)L’État partie affirme que les parents de la requérante, qui vivent à Istanbul, n’ont pas été persécutés. Cela peut aisément s’expliquer par le fait que, vivant à Istanbul, ils n’ont aucune information de première main à communiquer à la police au sujet des activités des autres membres de la famille à l’étranger;

d)Les autorités de police turques s’intéresseraient également à la requérante pour les motifs suivants:

i)La requérante est soupçonnée d’avoir utilisé sa forte ressemblance avec sa sœur pour aider celle-ci à s’enfuir. Il convient de noter à ce propos qu’elle a été brièvement arrêtée plusieurs fois à cause de cette ressemblance lorsqu’elle rendait visite à sa sœur en prison. Ces arrestations auraient eu pour but de l’empêcher de remplacer sa sœur en prison pour permettre à celle-ci de s’évader. L’État partie fait valoir que si les autorités de police avaient soupçonné la requérante de vouloir utiliser sa ressemblance avec sa sœur pour aider celle-ci à s’évader de prison, des poursuites pénales auraient été engagées contre l’intéressée. Cela n’a pas été nécessaire tant que la requérante était sous la surveillance de la police, qui cherchait à intercepter tout contact avec sa sœur, mais cela pourrait l’être si elle était renvoyée en Turquie;

ii)En Turquie, de 1997 à 2004, la requérante a travaillé pour le Centre culturel mésopotamien, qui appartiendrait au PKK et qui fait l’objet d’une surveillance étroite par les services de sécurité;

iii)Après l’évasion de sa sœur, en août 2002, la requérante aurait été sous surveillance policière pendant quatre ans;

iv)La requérante a été arrêtée le 1er février 1998 puis détenue pendant sept jours et torturée pour ses activités illégales, avant d’être libérée, faute de preuves. Ces événements, ainsi que les persécutions subies ensuite par la requérante, sont considérés comme crédibles par l’État partie. Toutefois, de l’avis de l’État partie, il n’existe pas un lien de causalité suffisant entre ces événements et le départ de la requérante pour la Suisse en 2008. Au contraire, un lien de causalité évident se dégage des éléments suivants: l’arrestation de la requérante et les mauvais traitements qu’elle a subis en 1998 et la surveillance et les intimidations constantes auxquelles elle a été soumise de 2002 à 2006 sont la cause profonde de ses problèmes de santé mentale, comme l’ont attesté les médecins. Aucune autre explication à ces problèmes ne se dégage des informations communiquées au Comité par la requérante ou par l’État partie. À ce sujet, il convient de noter que la requérante a été traitée au Centre de réadaptation de la Fondation TOHAV, qui est spécialisé dans les soins de santé mentale aux victimes de la torture, de 2002 à 2006, et suivie par un psychiatre en 2010. Pour les raisons exposées plus haut, elle devait trouver un pays dans lequel elle ne vivrait pas constamment dans la peur. Ce pays, pour elle, ne pouvait être que la Suisse, où sa sœur avait trouvé asile;

e)Il convient de noter également qu’un rapport médical établi le 23 août 2010 par un psychiatre suisse faisait état de possibles troubles post-traumatiques. Le psychiatre avait considéré que l’état de la requérante à l’époque ne lui permettait pas de retourner en Turquie;

f)L’État partie considère que l’état de santé de la requérante n’indique pas de manière déterminante que l’intéressée a été persécutée en Turquie, mais il ne l’exclut pas non plus. Cet élément, ajouté aux autres éléments énumérés plus haut, rend la requérante particulièrement vulnérable et l’expose à un risque de mauvais traitements graves, voire de torture, en cas de renvoi dans son pays;

g)On se souviendra, à ce propos, que l’Observation générale no 1 du Comité dispose que «l’existence [d’un risque de torture] doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable» (par. 6). Il apparaît que les éléments exposés plus haut vont au-delà de simples supputations ou soupçons et que le risque couru par la requérante est personnel, réel et prévisible, même si le degré de probabilité ne peut pas être évalué.

Les cas signalés d’actes de torture et d’impunité de leurs auteurs, auxquels il est fait référence dans les observations finales adoptées par le Comité à l’issue de l’examen du troisième rapport périodique de la Turquie en novembre 2010 (CAT/C/TUR/CO/3) et les observations finales du Comité des droits de l’homme concernant le rapport initial de la Turquie examiné en octobre 2012 (CCPR/C/TUR/CO/1) confirment, entre autres, la situation de risque dans laquelle la requérante se trouverait si elle était renvoyée en Turquie.

(Signé) Alessio Bruni

[Fait en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]