Nations Unies

CAT/C/50/D/430/2010

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

17 juillet 2013

Original: français

Comité contre la torture

Communication no 430/2010

Décision adoptée par le Comité à sa cinquantième session (6 mai -31 mai 2013)

Présentée par :Inass Abichou (née Seifeddine), représentée par l’ACAT-France – Action des Chrétiens pour l ’ abolition de la torture

Au nom de :Onsi Abichou (son époux)

État partie :Allemagne

Date de la requête :25 août 2010 (lettre initiale)

Date de la présente décision :21 mai 2013

Objet:Expulsion de l’Allemagne vers la Tunisie

Questions de procédure :Affaire considérée par une autre instance internationale de règlement et épuisement des voies de recours internes

Questions de fond :Risque de torture après extradition

Article s de la Convention :3 et 22, paragraphe 5 a

Annexe

Décision du Comité c ontre la t orture au titre de l ’ article 22 de la Convention c ontre la t orture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ( cinquant ième session)

concernant la

Communication no430/2010

Présentée par:Inass Abichou (née Seifeddine), représentée par l’ACAT-France – Action des Chrétiens pour l ’ abolition de la torture

Au nom de:Onsi Abichou (son époux)

État partie :Allemagne

Date de la requête:25 août 2010 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ré uni le21 mai 2013,

Ayant achevé l’examen de la requête no430/2010, présentée au nom d’Inass Abichouen vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil, et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1La requérante, Inass Abichou (née Seifeddine), née le 22 août 1983 à Beyrouth au Liban, et domiciliée en France, soumet la communication au nom de son époux, Onsi Abichou, né le 21 août 1982 à Zarzis (Tunisie), de nationalité française, détenu à la prison de Sarrebruck, en Allemagne, au moment de la soumission de la communication au Comité. Elle soutient que l’extradition d’Onsi Abichou vers la Tunisie constituerait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture. La requérante est représentée par l’ACAT- France (Action des Chrétiens pour l’abolition de la torture).

1.2Le 25 août 2010, en application de l’article 114 (ancien art. 108) de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.5), le Comité a prié l’État partie de ne pas extraderOnsi Abichou vers la Tunisie tant que sa requête serait à l’examen.

1.3Le 26 août 2010, le conseil de la requérante a informé le Comité que l’État partie avait procédé à l’extradition d’Onsi Abichou vers la Tunisie le 25 août 2010. Dans la même communication, le conseil affirmait souhaiter maintenir la communication de la requérante devant le Comité.

1.4Le 21 janvier 2011, le Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires a décidé, au nom du Comité, d’examiner simultanément la recevabilité et le fond de la communication.

Rappel des faits présentés par la requérante

2.1Le 17 octobre 2009, Onsi Abichou, citoyen français, a été arrêté par la police allemande lors d’un contrôle d’identité effectué en Allemagne, où il s’était rendu pour des raisons professionnelles. Après vérification de son identité, les policiers ont procédé à son arrestation, au motif qu’il était visé par un mandat d’arrêt international délivré par la Tunisie le 14 mars 2008. Onsi Abichou a ensuite été incarcéré à la maison d’arrêt de Sarrebruck. L’ordre de détention à son encontre a été renouvelé à plusieurs reprises par le tribunal supérieur régional, au motif que, compte tenu de la lourde peine encourue en Tunisie, il existait un sérieux risque d’évasion du suspect en cas de libération provisoire.

2.2L’affaire pour laquelle Onsi Abichou est poursuivi en Tunisie est la suivante: le 15 février 2008, un dénommé Mohamed Jelouali a été arrêté au port de la Goulette, en Tunisie, alors qu’il s’apprêtait à monter à bord d’un navire à destination de Gênes, au volant d’un camion dans lequel la police de la douane avait saisi du cannabis. Au cours de son interrogatoire, Mohamed Jelouali a livré le nom d’un de ses présumés complices, Mohamed Zaied, qui a été arrêté le jour même à l’aéroport de Tunis, où il s’apprêtait à embarquer dans un vol à destination de la France. Lors de son interrogatoire, Mohamed Zaied a «avoué», vraisemblablement sous la contrainte, avoir effectué un transfert de cannabis similaire en octobre-novembre 2007, avec Onsi Abichou.

2.3À l’issue des interrogatoires, des poursuites ont été engagées contre cinq personnes, dont seulement deux, Mohamed Jelouali et Mohamed Zaied, seront effectivement arrêtées, les autres suspects étant considérés par le juge tunisien comme étant en fuite. Les suspects seront poursuivis dans deux affaires se rapportant aux mêmes faits.

2.4Le 14 mars 2008, le substitut du procureur de la République a publié deux mandats d’amener internationaux à l’encontre d’Onsi Abichou, dans les deux affaires. À ce moment-là, Onsi Abichou était en France, et aucunement inquiété par la justice française. Le 28 avril 2008, INTERPOL Tunis a transmis au Secrétariat général d’INTERPOL une demande d’arrestation et d’extradition vers la Tunisie à son encontre.

2.5Le 27 juin 2009, le tribunal de première instance de Tunis (quatrième chambre pénale) a condamné Onsi Abichou, dans chacune des deux affaires à l’examen, à l’emprisonnement à perpétuité et à cinq ans d’emprisonnement avec exécution provisoire pour la constitution, en Tunisie et à l’étranger, d’une bande dans le but de commettre des délits relatifs aux stupéfiants.

2.6Le 24 octobre 2009, à la suite de l’arrestation d’Onsi Abichou par la police allemande, le juge d’instruction chargé du huitième bureau au tribunal de première instance de Tunis a adressé aux autorités judiciaires allemandes une «demande des autorités tunisiennes aux autorités allemandes pour l’extradition du citoyen tunisien Onsi Abichou». Le 25 mars et le 6 mai 2010, l’État partie a adressé deux notes verbales à la Tunisie, sollicitant des garanties concernant le respect des droits d’Onsi Abichou en cas d’extradition vers la Tunisie. Par deux courriers, le Ministère des affaires étrangères tunisien a répondu en garantissant notamment que la nouvelle procédure déclenchée dès l’extradition d’Onsi Abichou respecterait les critères du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Tunisie, et qu’en cas de condamnation, Onsi Abichou purgerait sa peine dans une prison respectant l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.

2.7Le 20 mai 2010, le tribunal supérieur régional de la Sarre a établi la licéité de l’extradition, autorisant ainsi le Ministère des affaires étrangères allemand à ordonner formellement l’extradition d’Onsi Abichou. Assisté de son conseil, Onsi Abichou a attaqué la décision du 20 mai 2010, au motif que le tribunal supérieur régional avait omis de se prononcer sur plusieurs points d’argumentation, notamment sur le risque de torture. Bien que ce recours ne soit pas suspensif, le parquet s’est engagé à ne pas expulser Onsi Abichou tant que le tribunal ne se serait pas prononcé sur ces points.

2.8Le 8 juillet 2010, le Ministère des affaires étrangères allemand a adressé une note verbale à l’ambassade tunisienne à Berlin, confirmant le consentement de l’Allemagne à l’extradition d’Onsi Abichou. Ce n’est que le 19 août 2010, et à sa demande, que le conseil d’Onsi Abichou a pris connaissance de ce courrier.

2.9Le 12 juillet 2010, le tribunal supérieur régional de la Sarre a confirmé sa décision du 20 mai 2010, au motif que, bien qu’ayant pris connaissance de documents d’organisations non gouvernementales internationales concernant les risques de torture encourus en Tunisie, le tribunal a souhaité accorder sa confiance au Gouvernement tunisien. Le tribunal a par ailleurs invoqué l’absence de preuves d’une menace directe pesant sur le demandeur.

2.10Le 22 juillet 2010, Onsi Abichou a saisi la Cour constitutionnelle allemande d’une demande d’urgence et d’une demande d’annulation de la décision du tribunal supérieur régional. Ce recours a été rejeté le 28 juillet 2010, suite à quoi le parquet de Sarrebruck a adressé un courrier à l’administration centrale de la police judiciaire allemande à Wiesbaden, leur demandant d’organiser l’extradition d’Onsi Abichou.

2.11Le 20 août 2010, Onsi Abichou a saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) d’une mesure d’urgence, en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour. La requête a été rejetée par la Cour le 23 août 2010, sans précision du motif du rejet.

2.12Le 25 août 2010, la requérante apprenait que l’extradition de son époux Onsi Abichou était planifiée ce même jour à 13 heures. L’extradition a effectivement eu lieu le 25 août 2010.

Teneur de la plainte

3.1La requérante se réfère aux observations finales du Comité des droits de l’homme concernant la Tunisie, adoptées le 28 mars 2008, notant que la torture est utilisée en Tunisie comme une méthode d’enquête à part entière, tant à l’encontre des détenus d’opinion que des personnes suspectées d’avoir commis un crime de droit commun. Ces dernières sont presque systématiquement victimes de traitements cruels, inhumains ou dégradants tels que des coups de pied, gifles et coups de poing, pendant l’interrogatoire. Les suspects récalcitrants sont ensuite soumis à la torture. Telle qu’elle est utilisée à l’encontre de détenus de droit commun, la torture vise à extorquer des aveux concernant le crime prétendument commis par le prévenu et à clore certaines affaires non résolues.

3.2Selon la requérante, les assurances données par le Gouvernement tunisien dans ses deux notes verbales concernant la préservation de l’intégrité physique et psychologique d’Onsi Abichou n’ont pas valeur de garantie, car la Tunisie est déjà passée outre les promesses faites à l’État auquel elle demandait l’extradition ou le renvoi d’un de ses ressortissants. Par ailleurs, au cours d’un entretien téléphonique, l’avocat de Mohamed Jelouali, prévenu dans la même affaire, a indiqué au conseil de la requérante que son client lui avait affirmé avoir été violenté par les douaniers qui l’ont arrêté, puis torturé par les policiers du poste de la Goulette, auxquels il avait été remis le même jour. Il a été roué de coups de poing, coups de pied et coups de bâton pendant les cinq jours qui ont suivi son arrestation. Il a été interrogé pendant la première nuit pour le priver de sommeil. Il n’a été présenté au juge d’instruction que 25 jours après son arrestation, en violation de la loi tunisienne qui limite la garde à vue à six jours. Tous ces faits ont été rapportés par Mohamed Jelouali et son avocat au juge d’instruction, aux juges du tribunal de première instance et aux juges d’appel, mais aucun d’entre eux n’a tiré les conséquences des graves violations dont l’accusé avait été victime. Selon son avocat, Mohamed Zaied, deuxième prévenu dans la même affaire, aurait subi des traitements similaires. Les deux décisions du 27 juin 2009, rendues par le tribunal de première instance de Tunis, font allusion au recours à la torture à l’encontre de Mohamed Zaied et Mohamed Jelouali, dénoncé par leurs avocats et invoqué comme moyen de défense. Le juge a cependant refusé d’en tenir compte dans les deux affaires, sans justification sérieuse.

3.3Au vu du recours fréquent à la torture en Tunisie, et considérant les mauvais traitements infligés aux deux prévenus qui ont été arrêtés dans la même affaire, il existe de sérieux risques qu’Onsi Abichou soit lui aussi soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants en cas d’extradition vers la Tunisie, en violation de l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 19 octobre 2010, l’État partie a contesté la recevabilité de la communication au titre de l’alinéa a du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention.

4.2L’État partie rappelle qu’Onsi Abichou, de nationalité française et tunisienne, a été condamné par contumace à la prison à perpétuité pour plusieurs chefs d’accusation liés au trafic de drogue et à la contrebande à large échelle. Onsi Abichou a fait l’objet d’un avis d’INTERPOL, ce qui a mené à son arrestation à Sarrebruck le 17 octobre 2009. La Tunisie a demandé son extradition aux fins de l’exécution de sa peine. Conformément aux procédures internes relatives à l’extradition au sein de l’État partie, l’extradition a été approuvée par le tribunal supérieur régional de Sarrebruck, qui a établi que la loi tunisienne autorisait une procédure d’appel dans les cas où un jugement a été rendu par contumace, et qu’Onsi Abichou, bien qu’il ait été condamné à l’emprisonnement à perpétuité, bénéficiait de la possibilité d’une libération conditionnelle après 15 ans de prison. En conséquence, le Gouvernement fédéral de l’État partie a autorisé l’extradition. Cette décision a été notifiée au Gouvernement tunisien par note verbale le 8 juillet 2010.

4.3Onsi Abichou a formé un recours contre cette décision auprès de la Cour constitutionnelle allemande, alléguant qu’il ferait face à un risque sérieux d’être soumis à la torture s’il était extradé en Tunisie, et que le jugement adopté à son encontre se fondait sur des témoignages obtenus sous la torture. La Cour constitutionnelle a rejeté ce recours. En conséquence, le 23 août 2010, Onsi Abichou a déposé une requête auprès de la CEDH (requête no 33841/10), au titre des articles 3 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales [Convention européenne des droits de l’homme], ainsi que du Protocole no7 de la Convention, qui n’a toutefois pas été ratifié par l’État partie. Dans la même requête, Onsi Abichou formulait également une demande de mesures provisoires en vertu de l’article 39 du Règlement intérieur de la Cour. La Cour n’accéda toutefois pas à cette demande.

4.4Selon l’État partie, ce n’est que lorsque la CEDH a refusé d’accéder à sa demande de suspension de la procédure d’extradition par l’État partie qu’Onsi Abichou s’est tourné vers le Comité, pour lui soumettre la présente communication. Le Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires a demandé à l’État partie de ne pas procéder à l’extradition d’Onsi Abichou vers la Tunisie. Cette demande a été communiquée à l’État partie le 25 août 2010. Elle n’est cependant parvenue aux autorités compétentes de l’État partie qu’après l’extradition d’Onsi Abichou. Par conséquent, l’État partie n’a pas été en mesure de se conformer à la demande de mesures provisoires du Comité. Selon les dossiers de l’État partie, la Mission permanente de l’État partie à Genève a reçu la demande de mesures provisoires du Comité le 25 août 2010 à 12 h 05. La personne compétente l’a immédiatement transmise au Ministère des affaires étrangères (unité droits de l’homme) à Berlin par email, à 12 h 10. La communication a été à ce stade directement traitée par les départements responsables du droit international au sein du Ministère. A 13 h 39, le Ministère de la justice était informé de la demande du Comité. La personne responsable contacta immédiatement l’autorité responsable de la région (Länder) en charge de la procédure d’extradition (Ministère de la justice de Saarland). Cette personne a été informée qu’Onsi Abichou avait été remis aux autorités tunisiennes à l’aéroport de Francfort vers 13 h 15.

4.5L’État partie est d’avis que le temps écoulé pour la transmission interne de la demande de mesures provisoires du Comité en faveur d’Onsi Abichou était raisonnable sous tous aspects, tenant compte du temps nécessaire pour alerter les autorités compétentes au sein d’un État fédéral. Dans les circonstances, le temps de réaction alloué était trop court. L’État partie est convaincu de la nécessité d’agir promptement dans le contexte de l’article 3 de la Convention, et réaffirme sa volonté de se conformer aux demandes du Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires au titre de l’article 108 du Règlement intérieur du Comité.

4.6L’État partie ajoute que la communication est irrecevable in limine en vertu du paragraphe 5 a de l’article 22 de la Convention, puisqu’Onsi Abichou a déposé une requête devant la CEDH portant sur les mêmes faits. La Cour a en outre rejeté sa demande de mesures provisoires. Cette requête portait sur les mêmes faits que ceux invoqués devant le Comité, à savoir l’allégation qu’Onsi Abichou ferait face à un risque sérieux d’être torturé en cas de retour en Tunisie. Le fait que dans sa requête à la CEDH, Onsi Abichou ait invoqué des violations supplémentaires de la Convention européenne des droits de l’homme est sans conséquence. L’État partie ajoute que l’usage des mesures provisoires devrait exclure les cas tombant clairement sous le motif d’irrecevabilité du paragraphe 5 a de l’article 22 de la Convention.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1 Le 23 décembre 2010, la requérante a formulé des commentaires sur les observations de l’État partie. Elle rejette l’argument de l’État partie, selon lequel la communication devrait être déclarée irrecevable au titre du paragraphe 5 a de l’article 22 de la Convention au motif qu’Onsi Abichou avait saisi la CEDH d’une demande d’urgence, en vertu de l’article 39 du Règlement de la Cour, et visant à ordonner à l’Allemagne de surseoir à l’extradition d’Onsi Abichou en attendant que la Cour soit saisie et se prononce sur le fond de l’affaire.

5.2Selon la requérante, la requête adressée à la CEDH par Onsi Abichou, par l’entremise de son conseil, est intitulée «requête article 39». De même, la décision de rejet prise par la Cour ne concerne que la demande faite au titre de l’article 39. Selon la requérante, à aucun moment la Cour n’a été saisie, ni n’a examiné de requête au fond, tendant à la condamnation, par la Cour, de l’autorisation d’extradition d’Onsi Abichou vers la Tunisie formulée par les autorités judiciaires allemandes. Seul le Comité contre la torture a été saisi d’une telle demande, si bien que l’on peut affirmer que «la même question n’a pas été, et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement», tel que l’envisage le paragraphe 5 a de l’article 22 de la Convention.

5.3Pour ce qui est de la question du non-respect par l’État partie de la demande de mesures provisoires formulée par le Comité, que l’État partie attribue aux délais trop courts, la requérante précise que ce n’est que le 25 août 2010 au matin qu’Onsi Abichou a appris qu’il allait être extradé l’après-midi même, en dépit de la demande formulée par le parquet allemand à la police judiciaire d’annoncer la date de l’extradition deux semaines à l’avance. Selon la requérante, les autorités ont ainsi décidé d’accélérer l’extradition, ce qui ne lui a laissé d’autre choix que de saisir le Comité quelques heures avant l’extradition effective.

Observations de l’État partie sur le fond

6.1Le 19 avril 2011, l’État partie a formulé des commentaires sur le fond de la communication. L’État partie revient en premier lieu sur la recevabilité de la communication et rejette l’argument de la requérante, selon lequel Onsi Abichou n’a présenté qu’une demande de mesures provisoires à la CEDH et que, partant, cette dernière n’a pas examiné le fond de l’affaire, n’entraînant donc pas l’irrecevabilité de la communication devant le Comité au titre du paragraphe 5 a de l’article 22 de la Convention. Selon l’État partie, l’interprétation de la requérante est erronée, puisque la procédure devant la CEDH ne permet pas un examen séparé d’une demande de mesures provisoires. De telles mesures de protection ne servent qu’à suspendre une mesure d’expulsion pendant que l’affaire est à l’examen devant la Cour. Par ailleurs, il apparaît clairement qu’il s’agissait d’une requête présentée devant la CEDH par Onsi Abichou en bonne et due forme, au titre de l’article 34 de la Convention européenne des droits de l’homme. En tout état de cause, il s’agissait de la seule manière de présenter une demande de mesures provisoires à la Cour, et le conseil d’Onsi Abichou ne pouvait l’ignorer. Le 12 août 2010, la CEDH a informé Onsi Abichou que sa demande de mesures provisoires avait été rejetée. Le 24 août 2010, la Cour l’a informé que sa requête serait présentée à la Cour aussitôt que possible. Son conseil devait nécessairement savoir que sa soumission à la Cour avait été considérée comme une requête sur le fond, et serait traitée comme telle. L’État partie ajoute qu’il a demandé, et obtenu le 7 février 2011 une confirmation de la Cour que la plainte d’Onsi Abichou était bel et bien une requête intégrale, pendante devant la Cour. Ce n’est qu’à ce moment, réalisant que ces faits ne resteraient pas plus longtemps ignorés du Comité, que la requérante a décidé de retirer sa requête devant la CEDH. Ceci montre bien qu’elle savait que sa requête demeurait pendante devant la Cour. Selon l’État partie, il s’agit d’une fausse déclaration délibérée de la part de la requérante et, partant, un abus du droit de soumettre des communications, au sens du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention. En conséquence, l’État partie demande au Comité de rejeter sa communication comme étant un abus du droit de soumettre des communications, ainsi qu’au titre du paragraphe 5 a de l’article 22 de la Convention.

6.2Sur le fond, et tout en précisant que ces observations sont soumises bien qu’il demeure d’avis que la communication est dépourvue de base légale, l’État partie soutient que la procédure d’extradition comprend deux niveaux de contrôle. Toute demande de cette nature doit en premier lieu être approuvée par un tribunal régional supérieur, qui tient compte, dans sa décision, de rapports de nombreuses sources, y compris non-gouvernementales, sur la situation des droits de l’homme dans l’État requérant. La personne concernée est libre de soumettre toute information relative aux risques potentiels qu’elle allègue. Après l’approbation par le tribunal régional supérieur, le Gouvernement de l’État partie doit encore consentir à l’extradition. Le Ministère de la justice examine si les critères d’extradition – y compris les obligations de l’État partie en vertu du droit international – sont remplis. Le Ministère des affaires étrangères doit également consentir à l’extradition. Durant toutes les étapes de la procédure, les rapports de sources tant gouvernementales que non-gouvernementales sont consultés, de manière à dresser un constat réaliste de la situation au sein de l’État requérant. Si nécessaire, l’extradition peut faire l’objet de conditions.

6.3L’État partie affirme connaître les rapports cités par la requérante dans sa requête, qui soulèvent de sérieuses préoccupations quant à la situation des droits de l’homme en Tunisie. La décision d’extrader Onsi Abichou a été prise après une évaluation scrupuleuse et détaillée des risques spécifiques encourus par ce dernier. Le Ministère des affaires étrangères a demandé aux autorités tunisiennes des assurances diplomatiques garantissant, entre autres, qu’Onsi Abichou bénéficie d’un nouveau jugement qui respecte les droits prévus par le Pacte relatif aux droits civils et politiques et qu’il soit, en cas de nouvelle condamnation, incarcéré dans un lieu de détention qui respecte l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus. Le Ministère des affaires étrangères tunisien a fourni de telles assurances à l’État partie le 8 mai 2010. Le tribunal régional supérieur de Sarrebruck, à qui incombait d’approuver la demande d’extradition, a tenu compte, dans sa décision, de rapports relatifs à la situation des droits de l’homme en Tunisie provenant du Ministère des affaires étrangères de l’État partie, d’Amnesty International, et du Département d’État américain. Sur la base de ces rapports, le tribunal a considéré que le traitement illicite de suspects en Tunisie ne pouvait pas être exclu, mais qu’il n’y avait aucune indication qu’un tel traitement soit initié (instigated) ou consenti (acquiesced) par les autorités tunisiennes, du moins pas pour ce qui est des crimes autres que le terrorisme.

6.4Pour ce qui est de la torture prétendument subie par les auteurs des témoignages sur la base desquels Onsi Abichou aurait été condamné, le tribunal régional supérieur de Sarrebruck a considéré que ces allégations n’avaient pas été prouvées. Par ailleurs, la condamnation d’Onsi Abichou se fondait sur d’autres preuves corroboratives. D’autre part, vu que ce dernier avait la possibilité, en vertu du droit tunisien, de demander un jugement de novo– ce qui a été explicitement confirmé par les autorités tunisiennes dans les assurances données à l’État partie –, le tribunal a considéré qu’il n’y avait aucune raison de penser qu’Onsi Abichou ne bénéficierait pas d’un procès équitable. L’État partie ajoute que le tribunal régional prit également note des préoccupations liées aux conditions de détention en Tunisie telles qu’elles ressortent des rapports susmentionnés, mais estimé que les assurances données par la Tunisie, selon lesquelles Onsi Abichou serait incarcéré dans un lieu de détention qui respecte l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, étaient suffisantes pour écarter un tel risque. Les tribunaux et autorités compétentes de l’État partie ont donc soigneusement pris en considération les risques relatifs à l’extradition d’Onsi Abichou en Tunisie. Par ailleurs, l’ambassade d’Allemagne à Tunis a effectué un suivi des assurances diplomatiques accordées et Onsi Abichou a été pris en charge par des agents de l’ambassade de France à Tunis (vu sa citoyenneté française). L’ambassade d’Allemagne a également suivi les audiences de son nouveau procès en première instance, ainsi que de la procédure d’appel qui avait lieu. Il n’y a eu aucune indication qu’Onsi Abichou a été soumis à la torture ou à d’autres traitements inhumains.

6.5En ce qui concerne le risque de torture encouru, l’État partie fait valoir qu’il a connaissance du risque substantiel encouru par certains groupes de suspects et que ce risque peut être considéré comme faisant partie d’une pratique systématique. Toutefois, de l’avis du Gouvernement de l’État partie, Onsi Abichou ne fait pas partie des groupes qui pourraient être considérés comme courant un tel risque. La requérante se réfère au jugement de la CEDH dans l’affaire Ben Khemais c. Italie . Dans cette affaire, la Cour s’était explicitement référée aux risques spécifiques encourus par des personnes soupçonnées d’activités terroristes. Onsi Abichou n’entre pas dans cette catégorie. Si de telles charges avaient pesé contre lui, il est très peu probable qu’il ait été extradé. Le Comité pourra tirer lui-même les conclusions qui s’imposent, sachant que la CEDH, consciente de sa jurisprudence en matière d’extradition vers la Tunisie, a néanmoins refusé à plusieurs reprises la demande de mesures provisoires d’Onsi Abichou.

6.6L’État partie ajoute que les assurances diplomatiques ont une valeur différente, selon qu’elles sont accordées dans des cas d’extradition ou de déportation. Il est raisonnable de penser qu’un État requérant ne souhaitera pas compromettre de futures extraditions en ne respectant pas les assurances qu’il a données à l’État requis. Ceci est d’autant plus clair dans les cas dépourvus de connotation politique ou terroriste, comme le cas d’espèce, qui est une affaire de trafic de drogue sans complexité. Pour les raisons exposées, l’État partie maintient que ses tribunaux et autorités compétentes ont correctement évalué le risque encouru par Onsi Abichou en vue de son extradition en Tunisie. Au moment de la décision, il n’y avait aucune indication qu’Onsi Abichou serait soumis à la torture, que les autorités tunisiennes n’honoreraient pas leurs assurances, ou manqueraient de réagir à une plainte en la matière. Par conséquent, cette décision ne contrevient pas à l’article 3 de la Convention. L’État partie demande donc au Comité de considérer la plainte irrecevable comme constituant un abus du droit de soumettre des communications, ou, dans l’alternative, au titre du paragraphe 5 a de l’article 22 de la Convention. Si le Comité devait considérer la plainte comme recevable, l’État partie demande au Comité de la déclarer mal fondée.

Soumission additionnelle de l’État partie

7.1Le 27 mai 2011, l’État partie a soumis des informations supplémentaires, informant le Comité que le 19 mai 2011, la Cour d’appel de Tunis avait acquitté Onsi Abichou de toutes les charges pesant contre lui et que ce dernier avait été libéré. L’ambassade d’Allemagne a suivi le procès et il semblerait qu’Onsi Abichou ait été libéré suite à des déclarations de témoins de la défense.

7.2Selon l’État partie, ces faits démontrent que les autorités tunisiennes ont honoré leurs assurances diplomatiques, ce qui conforte l’État partie dans ses observations précédentes sur la recevabilité et le fond de la communication.

Commentaires de la requérante sur les observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

8.1Dans ses commentaires datés du 26 juin 2011, la requérante maintient qu’au moment de la soumission de sa plainte initiale au Comité le 25 août 2010, l’objet de sa requête n’avait pas été examiné par la CEDH et que ni Onsi Abichou ni son conseil ne savaient qu’une requête était pendante devant cette instance. La requérante rappelle la distinction qui doit être opérée, selon elle, entre une communication et une demande de mesures provisoires de protection. Le paragraphe 5 a de l’article 22 de la Convention interdit au Comité d’examiner une communication qui a été examinée ou est en cours d’examen devant une autre instance internationale, mais ne s’applique pas aux demandes de mesures provisoires de protection, pour des raisons évidentes liées à la nécessité de faire primer la protection de l’intégrité physique et psychologique de l’individu sur toute autre considération procédurale.

8.2À la demande de l’ACAT-France (conseil de la requérante), le cabinet de Me William Bourdon a saisi la CEDH de deux demandes de mesures d’urgence, sur le fondement de l’article 39 du Règlement de la Cour, les 3 et 19 août 2010, afin que la Cour demande à l’Allemagne de surseoir à l’extradition d’Onsi Abichou vers la Tunisie. Les 12 et 23 août 2010 respectivement, la Cour a rejeté ces demandes. Les décisions de rejet de la Cour ne concernent que les demandes faites au titre de l’article 39 du Règlement de la Cour (mesures provisoires). Ainsi, la Cour ne s’est jamais prononcée sur la demande qui est en cours d’examen par le Comité, si bien qu’on ne peut pas prétendre que la demande faisant l’objet de la communication adressée au Comité ait déjà été examinée par une autre instance internationale.

8.3Lorsque la seconde demande de mesures d’urgence a été rejetée, un agent de la Cour a demandé par téléphone à Me Bourdon s’il souhaitait que la Cour examine le fond de la requête, ce à quoi Me Bourdon a répondu par la négative, conformément au souhait de l’ACAT-France et de la famille d’Onsi Abichou. Il n’a d’ailleurs envoyé aucun complément de dossier à la Cour concernant cette affaire. Depuis lors, Me Bourdon a cessé de suivre le cas d’Onsi Abichou, pris en charge exclusivement par l’ACAT-France. Ce n’est qu’à la réception par le cabinet de Me Bourdon de la lettre adressée au Gouvernement allemand par la CEDH, le 7 février 2011, que Me Bourdon et l’ACAT-France se sont aperçus que, contrairement aux instructions données, l’affaire était pendante devant la Cour.

8.4L’ACAT-France a donc demandé à Me Bourdon de rectifier cette méprise de toute urgence, ce qu’il a fait en adressant à la Cour le 8 mars 2011 un courrier rappelant qu’après le rejet de la seconde demande de mesures d’urgence, il avait signifié à la Cour ne pas vouloir que cette dernière examine la requête au fond. Dans un courrier du 25 mars 2011, le greffier de la Cour a répondu à Me Bourdon que celui-ci aurait dû se désister par écrit et que, par conséquent, la requête avait été maintenue. Le 7 avril 2011, à la demande expresse de Me Bourdon, la Cour a finalement rayé la requête d’Onsi Abichou du rôle de la Cour. L’ACAT-France n’ayant pas pris part aux échanges ayant eu lieu entre le cabinet de Me Bourdon et le greffe de la Cour, elle n’est pas en mesure de déterminer qui est responsable du malentendu et demande au Comité de s’assurer qu’Onsi Abichou, qui n’a aucune responsabilité dans ce malentendu, n’en subisse pas les conséquences.

8.5Sur le fond, la requérante conteste les affirmations de l’État partie, selon lesquelles les rapports consultés n’auraient pas permis d’établir un risque sérieux de torture à l’encontre d’Onsi Abichou, dans la mesure où ce dernier n’était pas poursuivi dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. La requérante se réfère à cet égard à de nombreux rapports, principalement de source non-gouvernementale, qui ont été envoyés à la CEDH le 19 août 2010 avec la demande de mesures d’urgence concernant Onsi Abichou et qui font état du recours à la torture exercée à l’encontre de prisonniers poursuivis pour des crimes de droit commun. La requérante revient sur l’arrêt de la CEDH Ben Khemais c. Italie , invoqué par l’État partie pour en inférer que le risque de torture ne concerne que les personnes suspectées de mener des activités terroristes. Le fait que cet arrêt concerne une personne suspectée d’activités terroristes par les autorités tunisiennes, et soumise à la torture, ne saurait signifier, a contrario, qu’en Tunisie, les personnes poursuivies pour d’autres types d’infractions ne risquent pas d’être torturées. De nombreuses sources crédibles ont documenté le recours à la torture à l’encontre d’opposants politiques, de syndicalistes, de journalistes et d’autres personnes arrêtées dans un autre cadre que la lutte antiterroriste.

8.6En ce qui concerne la question des assurances diplomatiques, la requérante relève que trois des assurances diplomatiques données par la Tunisie à l’État partie n’ont pas été respectées: (1) «La nouvelle procédure garantit notamment le droit de l’accusé à interroger, par l’organe du président de l’audience, les témoins à charge ainsi que les co-accusés et ce, en application de l’article 143 du Code de procédure pénale». Lors du nouveau procès d’Onsi Abichou, faisant suite à son extradition par l’Allemagne, le juge tunisien Mehrez Hammami – destitué suite à la révolution tunisienne – a refusé la confrontation de témoins. Il a condamné l’accusé à la prison à perpétuité, le 11 décembre 2010, sur la seule base des aveux obtenus sous la torture de ses présumés complices. Une confrontation d’Onsi Abichou avec ses présumés complices aurait été l’occasion pour ces derniers de rappeler les tortures subies pensant les interrogatoires; (2) «La nouvelle procédure respectera les critères du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par la Tunisie en vertu de la loi n° 30 du 29 novembre 1968, permettant à l’accusé d’être défendu efficacement».Onsi Abichou a été condamné le 11 décembre 2010, le jour de la première audience, sans que son avocate, Me Radhia Nasraoui, n’ait été autorisée à plaider au fond; (3) «En cas de condamnation, Onsi Abichou purgera sa peine dans une prison respectant l’Ensemble de règles minima des Nations Unies». Comme le note le Département d’État américain dans son rapport de 2009, consulté par les autorités de l’État partie, «de façon générale, les conditions de détention ne respectaient pas les standards internationaux », un constat confirmé par l’ACAT-France dans son rapport 2010 «Un monde tortionnaire».

8.7La requérante réfute en tous points la conclusion que l’État partie tire de l’acquittement en appel et de la libération subséquente d’Onsi Abichou le 19 mai 2011, selon laquelle ces faits démontrent que la Tunisie a honoré ses assurances. Si Onsi Abichou a pu bénéficier d’un procès équitable en appel, ce n’est pas grâce aux assurances diplomatiques données par l’ancien Gouvernement tunisien, mais grâce aux changements positifs générés par la révolution du 14 janvier 2011 et à la mobilisation suscitée autour de cette affaire par l’ACAT-France et par Radhia Nasraoui, avocate de l’accusé. Cette mobilisation a notamment permis d’obtenir la confrontation de témoins, mesure inédite dans la pratique judiciaire tunisienne. L’État partie omet sciemment de tenir compte du changement politique radical qui a rendu possible l’acquittement d’Onsi Abichou, et fait impasse sur le procès inique auquel il a été soumis en première instance, un mois avant la révolution. La requérante relève finalement l’erreur du tribunal supérieur régional de Sarrebruck, qui avait estimé que la condamnation d’Onsi Abichou était fondée sur d’autres preuves corroboratives, et non sur la base unique de déclarations de témoins soumis à la torture. Selon la requérante, l’acquittement d’Onsi Abichou par le juge d’appel tunisien démontre l’opposé.

8.8Enfin, en réponse à l’argument avancé par l’État partie, selon lequel les allégations de torture perpétrées à l’encontre des présumés complices d’Onsi Abichou n’ont pas été prouvées, la requérante se réfère à deux comptes rendus d’entretiens réalisés par l’ACAT-France avec les détenus Mohamed Zaied et Mohamed Jelouali à la prison de Mornaguia, le 21 mars 2011, et qui attestent de la torture subie par les présumés complices d’Onsi Abichou lors de l’enquête. Elle cite également la plainte pour torture rédigée par Mohamed Abbou, avocat de Mohamed Zaied, et adressée au procureur de la République près le tribunal de première instance de Tunis le 19 avril 2011. La requérante conclut en réitérant que ces témoignages, corroborés par de nombreuses sources documentaires, attestent du phénomène tortionnaire en Tunisie et suffisent à prouver qu’un risque sérieux et grave de torture pesait sur Onsi Abichou lors de son extradition vers la Tunisie. La plupart de ces informations étaient à la disposition de l’État partie lorsqu’elle a procédé à l’extradition. Le fait qu’Onsi Abichou n’ait pas été torturé à son arrivée en Tunisie – certainement en grande partie grâce à l’attention, notamment médiatique, portée sur sa situation – ne saurait justifier rétrospectivement les agissements de l’État partie. Pour ces raisons, la requérante invite le Comité à établir que l’État partie a agi en violation de l’article 3 de la Convention et des mesures provisoires de protection qu’il avait ordonnées.

Délibérations du Comité

Non-respect de la demande de mesures provisoires adressée par le Comité en application de l’article 114 de son règlement intérieur

9.1Le Comité regrette que sa demande de mesures provisoires n’ait pas pu être respectée. Ilreconnaît les efforts entrepris par l’État partie pour la transmission de la demande de mesures provisoires du Comité dans les meilleurs délais possibles, au vu des circonstances, et conclut qu’en l’espèce, il ne peut lui être reproché d’avoir manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 22 de la Convention.

Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit décider si elle est recevable ou non au titre de l’article 22 de la Convention. À cet égard, le Comité note qu’Onsi Abichou a saisi la CEDH d’une requête enregistrée sous le numéro 33841/10 et relève que cette requête se rapportait aux mêmes faits. Toutefois, le Comité relève que la plainte a été retirée et rayée du rôle le 7 avril 2011, avant d’avoir été examinée sur le fond par cette instance. Par conséquent, le Comité considère que les dispositions du paragraphe 5 a de l’article 22 de la Convention n’empêchent pas l’examen de la requête.

10.2En l’absence d’obstacle supplémentaire à la recevabilité de la communication, le Comité procède à son examen au fond, au titre de l’article 3 de la Convention.

Examen au fond

11.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

11.2Le Comité doit déterminer si, en extradant le requérant vers la Tunisie, l’État partie a violé l’obligation qui lui est faite au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Le Comité souligne qu’il doit se prononcer sur la question à la lumière des renseignements dont les autorités de l’État partie devaient ou auraient dû être en possession au moment de l’extradition. Les événements ultérieurs ne sont utiles que pour évaluer la connaissance qu’avait ou aurait dû avoir l’État partie au moment de l’extradition.

11.3Le Comité rappelle que l’objectif de cette évaluation est de déterminer si l’intéressé courait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture à son retour en Tunisie. Le Comité rappelle également son observation générale no 1 (1997) relative à l’application de l’article 3, selon laquelle «l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. En tout état de cause, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque couru est hautement probable», mais qu’il est encouru personnellement et actuellement. À cet égard, le Comité a estimé que le risque d’être soumis à la torture devait être prévisible, réel et personnel. Le Comité rappelle en outre que, conformément à son observation générale no 1, il accorde un poids considérable aux constatations de faits des organes de l’État partie intéressé, mais qu’il n’est pas lié par de telles constatations et est, au contraire, habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire.

11.4Pour déterminer si l’extradition du requérant vers la Tunisie a constitué une violation des obligations de l’État partie au titre de l’article 3 de la Convention, le Comité doit tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il rappelle cependant que son examen a pour but de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture dans le pays dans lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays en question n’est pas en soi un motif suffisant pour établir que cette personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’elle serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne. En se prononçant sur l’existence d’un risque prévisible, réel et personnel, le Comité ne préjuge en rien de la véracité ou de la gravité des charges pénales qui pesaient contre Onsi Abichou au moment de son extradition.

11.5Le Comité rappelle que l’interdiction de la torture est absolue et non-susceptible de dérogation, et qu’aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée par un État partie pour justifier des actes de torture. Tout en prenant acte des mesures de suivi prises par l’État partie, le Comité rappelle que des assurances diplomatiques ne sauraient être utilisées pour éviter l’application du principe de non-refoulement inscrit à l’article 3 de la Convention. Le Comité a pris note des arguments de la requérante, selon lesquels, vu le recours fréquent à la torture en Tunisie et considérant les mauvais traitements infligés aux deux prévenus qui ont été arrêtés dans la même affaire, il existait de sérieux risques qu’Onsi Abichou soit lui aussi soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants en cas d’extradition vers la Tunisie. Il a en outre relevé l’argument de l’État partie, selon lequel Onsi Abichou ne faisait pas partie des groupes courant un tel risque, ne faisant pas face à des charges liées au terrorisme. L’État partie a également fait valoir devant le Comité que la demande d’extradition était accompagnée d’assurances diplomatiques de la Tunisie, indiquant qu’Onsi Abichou bénéficierait d’un nouveau jugement qui respecte les droits prévus par le Pacte relatif aux droits civils et politiques et qu’il serait, en cas de nouvelle condamnation, incarcéré dans un lieu de détention qui respecte l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.

11.6Nonobstant les assurances diplomatiques fournies, le Comité doit prendre en compte la situation réelle en matière de droits de l’homme en Tunisie au moment de l’extradition du mari de la requérante. Le Comité renvoie aux observations finales qu’il avait faites au sujet du deuxième rapport périodique de la Tunisie (CAT/C/20/Add.7) en 1998, et dans lesquelles le Comité s’était montré «particulièrement troublé par des rapports faisant état de pratiques répandues de torture et d’autres traitements cruels et dégradants perpétrées par les forces de sécurité et par la police et qui, dans certains cas, ont entraîné la mort de personnes placées en garde à vue».Plus récemment, en 2008, le Comité des droits de l’homme, à l’issue de son examen du rapport périodique de la Tunisie (CCPR/C/TUN/5), s’est montré «inquiet des informations sérieuses et concordantes selon lesquelles des cas de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants sont commis sur le territoire de l’État partie». Le Comité des droits de l’homme s’est en outre dit «préoccupé par des informations selon lesquelles, dans la pratique, des aveux obtenus sous la torture ne sont pas exclus comme élément de preuve dans un procès». Ces informations sont corroborées par de nombreuses sources non-gouvernementales citées tant par la requérante que par l’État partie, ce dernier ayant même reconnu la situation préoccupante des droits de l’homme qui prévalait en Tunisie au moment de l’extradition d’Onsi Abichou, allant jusqu’à considérer qu’«un traitement illicite de suspects en Tunisie ne pouvait pas être exclu».

11.7Dès lors, les autorités de l’État partie savaient, ou auraient dû savoir au moment de l’extradition d’Onsi Abichou, que la Tunisie avait recours de manière systématique, et sur une vaste échelle, à la torture à l’égard de prisonniers détenus pour des raisons politiques, mais également de détenus de droit commun. Le Comité a également pris note de l’allégation de la requérante, selon laquelle deux prévenus, inculpés dans la même affaire, ont été torturés dans le but de faire des aveux, non seulement lors de leur garde à vue, mais également durant la procédure judiciaire, après que le juge d’instruction ait demandé un complément d’enquête. Le Comité accorde le poids voulu aux informations fournies et documentées par la requérante à ce sujet, notamment les témoignages recueillis auprès des deux accusés eux-mêmes et leurs plaintes pour actes de torture déposées devant la justice tunisienne, qui ont été rejetées sans vérification ni enquête. La torture vraisemblablement subie par ces deux personnes n’a fait que renforcer le risque personnel encouru par Onsi Abichou, qui devait, en étant extradé en Tunisie, faire l’objet d’un nouveau procès et, par conséquent, être exposé à une nouvelle procédure judiciaire, y compris de nouvelles enquêtes, et était, dans ces circonstances, exposé à un risque réel de subir des tortures ou des mauvais traitements. L’obtention d’assurances diplomatiques n’était pas suffisante pour permettre à l’État partie d’ignorer ce risque manifeste, d’autant qu’aucune des garanties fournies ne concernait spécifiquement la protection contre des actes de torture ou de mauvais traitement. Le fait qu’Onsi Abichou n’ait ultimement pas fait l’objet de tels traitements après son extradition ne saurait remettre en cause ou diminuer, rétrospectivement, l’existence d’un tel risque au moment de l’extradition. Le Comité conclut que la requérante a suffisamment démontré qu’Onsi Abichou courait un risque prévisible, réel et personnel de torture au moment de son extradition en Tunisie. Il s’ensuit que son extradition par l’État partie a constitué une violation de l’article 3 de la Convention.

12.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, décide que les faits dont il est saisi constituent une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention.

13.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 (ancien art. 112) de son règlement intérieur, le Comité prie instamment l’État partie d’offrir réparation à Onsi Abichou, y compris par une indemnisation adéquate. Le Comité souhaite aussi recevoir, dans un délai de 90 jours, des informations sur les mesures prises par l’État partie pour donner suite à la présente décision.

[Adoptée en français (version originale), en espagnol, et anglais. Paraîtra ultérieurement en arabe, russe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]