Nations Unies

CAT/C/50/D/392/2009

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

12 juillet 2013

Original: français

Comité c ontre la t orture

Communication no 392/2009

Décision adoptée par le Comité à sa cinquantième session(6-31 mai 2013)

Présentée par:R. S. M. (représenté par un conseil, Carlos Hoyos-Tello)

Au nom de:R. S. M.

État partie:Canada

Date de la requête:9 juillet 2009 (lettre initiale)

Date de la présente décision:24 mai 2013

Objet:Expulsion du Canada vers le Togo

Question de procédure:Épuisement des voies de recours internes

Question de fond:Risque de torture après renvoi

Article s de la Convention:3 et 22, paragraphe 5 b)

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants(cinquantième session)

concernant la

Communication no392/2009

Présentée par:R. S. M. (représenté par un conseil, Carlos Hoyos-Tello)

Au nom de:R. S. M.

État partie :Canada

Date de la requête:9 juillet 2009 (lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ré uni le24 mai 2013,

Ayant achevé l’examen de la requête no392/2009, présentée au nom de R.S.M.en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu comptede toutes les informations qui lui ont été communiqués par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant, est R.S.M., citoyen togolais né le 7 février 1965. Il prétend que son renvoi vers le Togo constituerait une violation de l’article 3 de la Convention contre la torture. Le requérant est représenté par un conseil.

1.2Le 13 juillet 2009, le Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection a décidé de ne pas demander de mesures provisoires à l’État partie aux fins de suspension de l’exécution du renvoi vers le Togo.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Depuis 1993, le requérant était membre du parti d’opposition Union des forces de changement (UFC) au Togo. Il était d’abord membre ordinaire avant d’être élu, en 2002, responsable de la Jeunesse des forces de changement (JFC) de la sous-section Bé Pa de Souza. Entre autres, il organisait des conférences, activités sportives et réunions pour les jeunes du quartier dans le but de faire du recrutement. Plusieurs de ces jeunes ont été arrêtés alors qu’ils distribuaient des tracts à sa demande. À chacune de ces arrestations, le requérant était recherché et devait se cacher.

2.2En mars 2005, il a été choisi pour représenter son parti auprès de la Coalition des forces démocratiques. Cette coalition était composée de l’Alliance pour la démocratie et le développement intégral, le Comité d’action pour le renouveau, la Convention démocratique des peuples africains, le Pacte socialiste pour le renouveau, l’Union des démocrates socialistes-Togo et l’UFC. Il devait participer à la confection des listes électorales en vue des élections présidentielles du 24 avril 2005, la distribution de cartes d’électeurs à l’école primaire Ablogamé nº 2, au bureau de vote nº 2050, dans la commune de Lomé. Le requérant a dénoncé auprès des membres de la Coalition des anomalies qu’il avait constatées pendant l’exercice de ses fonctions, notamment le refus d’inscrire des personnes estimées proches de l’opposition et le gonflement des listes électorales en faveur du régime en place.

2.3Le 2 avril 2005, le requérant a reçu la visite de deux membres haut placés du Rassemblement du peuple togolais (RPT), le parti au pouvoir au Togo, qui lui ont proposé une somme d’un million de francs CFA s’il renonçait à l’UFC et devenait membre du RPT. Sa mission consisterait à utiliser son influence au sein de la Coalition pour mobiliser les jeunes afin qu’ils votent en faveur du candidat du RPT. Le requérant affirme avoir décliné cette offre.

2.4Le 16 avril 2005, date d’entrée officielle de la Coalition dans la campagne électorale, le requérant revenait d’un meeting animé par le leader de l’UFC lorsqu’il a été agressé par des individus non identifiés. Il affirme avoir eu la vie sauve grâce à l’intervention des jeunes du quartier suite à ses cris de secours. Le 24 avril 2005, jour du scrutin, il effectuait ses fonctions en tant que délégué de la Commission électorale locale indépendante, au bureau de vote nº 2018, pour veiller au bon déroulement des opérations. Il a alors reçu la visite de S. T., une des personnes qui lui avaient proposé de l’argent le 2 avril 2005. S. T. a réitéré son offre en lui proposant le double du montant initial. Il a de nouveau décliné l’offre et a informé les autres délégués de la Coalition présents au bureau de vote. Rapidement, les bruits ont couru dans l’enceinte de l’école qui abritait le bureau de vote et la foule présente à l’extérieur a hué S. T. et lancé des pierres contre sa voiture. S. T.  a quitté les lieux grâce à l’intervention des forces de sécurité. Quelques minutes plus tard, des militaires membres des bérets rouges sont arrivés dans deux voitures de l’armée et ont commencé à lancer des gaz et à frapper la foule à coups de gourdins. Ils sont entrés dans le bureau de vote afin d’emporter les urnes mais la population présente s’y est opposée. Ils ont alors commencé à tirer de façon aveugle. Le requérant a réussi à prendre la fuite en escaladant la clôture de l’établissement.

2.5Le 26 avril 2005, lorsque les résultats électoraux ont été annoncés proclamant la victoire du candidat du RPT, le requérant a invité les jeunes de son quartier et d’autres quartiers à manifester pacifiquement pour protester contre ces résultats qu’il estimait frauduleux. Or, les militaires ont réagi en faveur du gouvernement en utilisant la violence. Des maisons furent investies, des violences orchestrées, des tueries et viols furent commis.

2.6Le requérant a été enlevé le 27 avril 2005 alors qu’il regagnait la mission catholique, où il avait trouvé refuge depuis la veille. Dans un premier temps, il a été emmené dans une brousse, derrière l’état-major des forces armées, où étaient détenues d’autres personnes proches de l’opposition. En arrivant, il a reçu des coups de gourdins et de crosses de fusils. Le lendemain, il a été aspergé d’eau et saupoudré de sable avant d’être de nouveau battu par les militaires. Quatre jours plus tard, le requérant a été conduit les yeux bandés dans un lieu de détention secret au nord du pays, où il était frappé chaque jour et obligé d’effectuer des travaux forcés. Certains de ses co-détenus y ont trouvé la mort. Le requérant a pu s’échapper le 3 mai 2006, grâce à la complicité d’un militaire, ancien camarade de classe, qui l’a reconnu et l’a aidé à regagner le Bénin. Cependant, il n’était pas en sécurité dans ce pays car les forces togolaises commettaient des exactions en dehors de leurs frontières contre les personnes qui avaient fui le pays. C’est pour cette raison que le requérant a décidé de partir. Le 23 juillet 2006, muni d’un faux passeport français, il est parti pour la France où il a fait une escale avant d’aller au Canada. Le 25 juillet 2006 il est arrivé au Canada et s’est présenté au bureau Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), à Montréal, où il a demandé l’asile.

2.7Le 20 juin 2007, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) du Canada a conclu que le requérant n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention de 1951 ni de personne à protéger, car il n’avait pas été jugé crédible et la Commission n’a pas cru à son implication au sein de l’UFC. Le 17 décembre 2007, la demande d’autorisation de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée, sans motif, par la Cour fédérale du Canada. Le 10 avril 2008, étant donné qu’il était sous une mesure de renvoi effective, il a été convoqué par l’Agence des services frontaliers du Canada pour les arrangements de son départ. À cette occasion, on lui a offert la possibilité de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), demande qu’il a soumis le 23 avril 2008.

2.8Le 7 avril 2009, la demande d’ERAR a été rejetée et le requérant a reçu l’ordre de quitter le Canada. Contre cette décision il a déposé, le 15 juin 2009, une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale du Canada qui a été rejetée, sans motif, le 22 septembre 2009. Entre-temps, une demande de sursis à l’exécution de l’ordre de déportation a été rejetée par l’Agence des services frontaliers du Canada et la date de départ a été fixée au 10 juillet 2009.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son renvoi vers le Togo serait contraire à l’article 3 de la Convention. Il ne serait pas en sécurité dans son pays du fait de son appartenance à l’UFC et craint non seulement d’être arrêté de nouveau mais aussi d’être éliminé physiquement. À cause de sa dissidence et de son combat en faveur de la démocratie, il a été détenu et a subi des conditions de détention pouvant être comparées à celles de camps de concentration. Il affirme que la décision négative concernant sa demande d’ERAR ne tient nullement compte du contexte togolais. Il demeure un dissident politique actif au sein de l’UFC, ce qui en soi est une activité dangereuse dans un pays dirigé par des militaires. Son évasion du camp militaire et le fait qu’il a été témoin de graves violations des droits de l’homme qui ont eu lieu dans ce camp (travaux forcés, enterrement de personnes mortes d’épuisement, tortures physiques et psychologiques, exécutions sommaires, etc.) contribuent aux risques auxquels il est exposé.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 10 février 2010, l’État partie a présenté des observations sur la recevabilité et le fond. Il soutient que les allégations du requérant devant le Comité ont fait l’objet d’examens approfondis par les autorités canadiennes, lesquelles ont conclu que ces allégations n’avaient aucun mérite. La requête ne contient aucun élément de preuve nouveau susceptible de modifier cette conclusion.

4.2Le 11 septembre 2006, suite à sa demande d’asile, le requérant a présenté à la Section de la protection des réfugiés, de la CISR, un formulaire de renseignements personnels à l’appui de sa revendication. Par la suite, lors d’une audience durant laquelle il a été accompagné de son avocat, il a été longuement interrogé par la CISR au sujet de ses activités politiques et de ses allégations selon lesquelles il était ciblé par les forces armées togolaises. La CISR, qui a estimé que ses réponses étaient insuffisantes et marquées d’incohérences et de contradictions, n’a accordé aucun poids aux pièces qu’il a déposées au soutien de ses affiliations politiques. La CISR a rejeté les explications du requérant sur les raisons pour lesquelles les autorités togolaises ne l’avaient pas arrêté entre 2002 et les élections d’avril 2005 alors qu’il prétend qu’il était ciblé à cause de ses activités politiques. La CISR a conclu que le requérant était dénué de toute crédibilité concernant la question de ses affiliations politiques en tant que membre de l’UFC depuis 1993, en tant que représentant de la Coalition des forces démocratiques en 2005 et en tant que délégué de la Commission électorale le jour des élections. La CISR n’a donc pas cru que le requérant avait été arrêté et détenu du 27 avril 2005 au 3 mai 2006.

4.3En ce qui concerne la demande d’ERAR, elle était fondée essentiellement sur les mêmes allégations que celles invoquées devant le CISR. Le requérant a ajouté qu’il avait écrit et produit une pièce théâtrale intitulée «Togo: État de terreur» dans laquelle il dénonçait le régime en place qui avait été jouée dans diverses ville entre 2004 et 2005. Toutes les personnes impliquées dans cette pièce ont dû fuir le Togo car elles étaient considérées comme des opposants au régime au pouvoir. Or, l’agent d’ERAR a noté que le requérant n’avait présenté aucun document fiable corroborant qu’il avait monté la pièce de théâtre, ni expliqué pourquoi il n’avait pas soumis ces informations lors de sa demande d’asile. Quant à la situation générale au Togo, l’agent a noté la documentation soumise par le requérant et celle consultée faisant état de graves violations des droits humains lors des élections de 2005. Or, le gouvernement actuel a pris des mesures pour améliorer son système de justice et s’attaquer à la corruption et à l’impunité, en particulier concernant les exactions commises en 2005. De plus, le gouvernement a conclu un accord politique global en avril 2006 avec les partis d’opposition et créé, en juin 2005, un Haut Commissariat aux rapatriés et à l’action humanitaire ayant pour mission de veiller à la protection et à l’assistance aux rapatriés qui avaient fui les affrontements suite aux élections de 2005. Les élections du 14 octobre 2007 ont été marquées par une très forte participation populaire et se sont déroulées dans le calme. Étant donné l’insuffisance de preuve pour établir un risque personnel et la situation actuelle au Togo, l’agent a conclu à l’absence de preuve concernant le risque du requérant d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités au Togo.

4.4Dans le cadre de sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de l’agent d’ERAR, le requérant a présenté une requête le 8 juillet 2009 demandant le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi prévue le 10 juillet 2009. À cette même date la Cour fédérale a rejeté la demande en sursis au motif que le requérant n’avait pas démontré: 1) l’existence d’une question sérieuse; 2) le risque de subir un préjudice irréparable; et 3) que la balance des inconvénients jouait en sa faveur.

4.5Le 13 juillet 2009, un mandat d’arrestation a été émis contre le requérant, ce dernier ne s’étant pas présenté à l’aéroport de Montréal le 10 juillet 2009 pour son renvoi. Des agents de l’Agence des services frontaliers ont tenté d’exécuter le mandat d’arrestation mais n’ont pas trouvé le requérant à son domicile.

4.6L’État partie soutient que la requête est irrecevable pour non-épuisement des recours internes aux fins de l’article 22, paragraphe 5 b) de la Convention. Le requérant avait la possibilité de présenter une demande de dispense de visa et de résidence permanente au Canada pour des considérations humanitaires («demande CH»), et de déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire auprès de la Cour fédérale du Canada advenant une décision négative. Le requérant n’a offert aucune explication pour son défaut d’épuiser ces recours ni fourni d’élément de preuve pour établir que ces recours excèdent des délais raisonnables ou ne sont pas susceptibles de lui apporter le remède qu’il recherche devant le Comité.

4.7L’État partie soutient également que la requête est irrecevable, au titre de l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité, faute d’être suffisamment étayée. Le requérant fonde sa requête en grande partie sur son allégation qu’il a été torturé lors de sa détention du 27 avril 2005 au 3 mai 2006 en raison de ses activités politiques et prétend que cela pourrait se reproduire s’il était renvoyé au Togo. Même s’il avait établi qu’il avait été torturé lors de sa prétendue détention, cela demeure insuffisant pour établir un risque de torture à l’avenir en cas de renvoi. La CISR est d’avis que le requérant est dénué de crédibilité et que la preuve qu’il a présentée pour attester de ses activités politiques n’a aucune valeur, concernant notamment son rôle au sein de l’UFC et en tant que représentant de la Coalition des forces démocratiques. Sur la base de son témoignage, marqué de contradictions et d’incohérences, et la preuve qu’il a déposée, la CISR n’a pas cru que l’auteur avait été détenu aux dates indiquées. Quant à l’agent d’ERAR, il était d’avis que le requérant n’avait pas prouvé son affiliation à l’UFC et ne croyait pas qu’il était recherché par les autorités togolaises, ni que ses circonstances personnelles le mettaient en danger au Togo. Ayant pris en considération les documents devant elle, la Cour fédérale n’a retenu aucune raison pour intervenir dans cette conclusion.

4.8La requête devant le Comité ne contient aucun élément de preuve nouveau qui mettrait en doute les conclusions des autorités canadiennes. Le requérant allègue qu’il risque l’exécution sommaire en raison de son évasion et du fait d’avoir vu et subi des violations des droits de l’homme, y compris la torture physique et psychologique. Or, il n’a pas apporté la preuve qu’il est personnellement recherché par les autorités togolaises. En outre, le requérant n’a fourni aucune preuve de son appartenance à l’UFC, ni de ses prétendues activités politiques. Pour étayer son allégation qu’être un opposant politique impliqué au sein de l’UFC est une activité dangereuse il s’appui sur la documentation publique qu’il a soumis avec sa demande d’ERAR. Or, ainsi que l’a conclu l’agent d’ERAR, cette documentation est d’ordre général et ne permet pas de conclure qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être personnellement détenu et qu’il est exposé au risque de torture. En outre, cette documentation n’indique pas que la torture dans les prisons togolaises est systématique ni endémique ou tolérée au point que l’ensemble de la population carcérale soit menacée. Selon le rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants concernant sa mission au Togo en avril 2007, le Gouvernement a pris de nombreuses mesures qui ont conduit à une amélioration de la situation dans les prisons depuis 2005, y compris en ce qui concerne les mauvais traitements. Le rapport ne mentionne pas l’existence de camps de concentration secrets, tels qu’allégués par le requérant. Dans un suivi des recommandations faites dans son rapport sur sa mission au Togo en avril 2007, le Rapporteur note avec satisfaction, dans un rapport paru en 2009, les mesures prises en application de celles-là.

4.9L’État partie ne nie pas que des rapports d’organismes non gouvernementaux aient fait état de violations des droits de l’homme lors des élections d’avril 2005. Or, la documentation publique ne révèle aucune répétition de ces événements. Le rapport de 2009 du Rapporteur spécial note que les élections d’octobre 2007 se sont déroulées dans le calme. De plus, une analyse approfondie de la preuve documentaire révèle que la situation des dissidents politiques a évolué progressivement. En août 2006, le Gouvernement et tous les partis d’opposition ont signé un accord politique global qui reconnaît à l’opposition le droit de participer aux affaires publiques. Par conséquent, la preuve soumise par le requérant ne permet pas de conclure qu’il risque d’être détenu au Togo du seul fait de son appartenance à l’UFC et de ses activités en tant que dissident politique. Même si un risque de détention existait, cela ne signifierait pas qu’il existe des motifs de croire que le requérant risque personnellement d’être torturé.

4.10Selon l’État partie, les allégations du requérant ont été analysées par des instances nationales indépendantes et impartiales dans le respect de la loi et de l’équité. En l’absence de preuve d’erreur manifeste, d’abus de procédure, de mauvaise foi, de partialité manifeste ou d’irrégularités graves dans la procédure, le Comité ne devrait pas substituer ses propres conclusions à celles des instances canadiennes. Il appartient aux tribunaux des États parties à la Convention d’apprécier les faits, la preuve et surtout la crédibilité des cas particuliers. De l’avis de l’État partie, le requérant n’a pas établi que les décisions rendues par les autorités canadiennes soient entachées d’un vice justifiant l’intervention du Comité.

4.11Outre ses observations sur la recevabilité et pour les mêmes motifs, l’État partie soutient que la requête devrait être rejetée sur le fond, puisqu’elle ne révèle aucune violation de l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 21 avril 2010, le requérant a présenté des commentaires aux observations de l’État partie. Concernant l’argument de l’État partie selon lequel le requérant aurait dû présenter une demande de dispense de visa et de résidence permanente pour des considérations humanitaires, le requérant rappelle la jurisprudence du Comité dans la communication no 133/1999, Falc ó n R í os c. Canada, dans laquelle le Comité a conclu que ce recours n’était pas un de ceux devant avoir été épuisés pour satisfaire à la règle de l’épuisement des recours internes.

5.2Concernant les éléments de preuve du risque personnel le requérant réitère ses allégations. Il affirme que le risque de torture est toujours présent et joint des articles de journaux faisant état des protestations et arrestations des membres de l’opposition qui auraient eu lieu dans le pays suite à l’élection présidentielle du 4 mars 2010. Il affirme avoir démontré que les instances canadiennes qui ont analysé son cas n’ont pas été impartiales et qu’il y a eu erreur manifeste, abus de procédure, mauvaise foi, partialité et irrégularités graves dans la procédure.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune requête sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Cette règle ne s’applique pas s’il est établi que les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables et s’il est peu probable qu’elles donnent satisfaction à la victime présumée à l’issue d’un procès équitable.

6.3Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la requête devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention étant donné que le requérant n’a pas présenté une demande de dispense de visa et de résidence permanente pour des considérations humanitaires («demande CH»). À cet égard, le Comité rappelle que lors de sa vingt-cinquième session, dans ses observations finales sur le rapport de l’État partie, il avait examiné la question de la demande de dispense ministérielle pour raisons d’ordre humanitaire. Le Comité avait noté que, bien que le droit de bénéficier d’une assistance pour des raisons humanitaires puisse fonder un recours prévu par la loi, cette assistance était accordée par un ministre sur la base de critères purement humanitaires et non sur une base juridique, et constituait ainsi plutôt une faveur. La décision relève plutôt du pouvoir discrétionnaire d’un ministre et donc du pouvoir exécutif. Le Comité rappelle également sa jurisprudenceselon laquelle, en vertu du principe de l’épuisement des recours internes, le requérant est tenu d’engager des recours qui soient directement en rapport avec le risque d’être soumis à la torture dans le pays où il serait envoyé, et non pas des recours qui pourraient lui permettre de rester dans le pays où il se trouve pour des raisons différentes à celles liées au risque de torture. En conséquence et compte tenu de sa jurisprudence en la matière, le Comité considère qu’en l’espèce la non-présentation d’une demande CH ne constitue pas un obstacle à la recevabilité pour non-épuisement des voies de recours internes.

6.4S’agissant des allégations de violation de l’article 3, le Comité considère que les arguments présentés par le requérant concernant le risque de torture s’il était renvoyé soulèvent des questions qui devraient être examinées quant au fond et pas seulement sur le plan de la recevabilité. En conséquence, il déclare la requête recevable.

Examen au fond

7.1Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant au Togo, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture.

7.2Le Comité rappelle sa jurisprudence et son observation générale relative à l’article 3 qui établissent qu’il incombe généralement au requérant de présenter des arguments défendables et que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Tout en prenant note de l’observation générale, il rappelle également que, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité examine les communications reçues en tenant compte de toutes les informations qui lui sont soumises par ou pour le compte du particulier et par l’État partie intéressé, et que donc il est habilité, en vertu de ce paragraphe, d’apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de l’affaire.

7.3Le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture au Togo. Pour ce faire, il doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Il s’agit cependant de déterminer si l’intéressé risque personnellement d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il serait renvoyé. Dès lors, l’existence dans un pays d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives, ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser qu’elle courrait personnellement un risque. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

7.4Le Comité est conscient que la situation des droits de l’homme au Togo est préoccupante, et a lui-même relevé dans ses observations finales après l’examen du deuxième rapport périodique du Togo, en novembre 2012, des violations graves des droits de l’homme surtout dans les lieux de détention. Il note cependant que les faits tels qu’ils ont été présentés ne lui permettent pas de conclure que le requérant court personnellement et actuellement un risque prévisible et réel de torture s’il est renvoyé au Togo. Le requérant n’a pas fourni d’éléments suffisants pour établir son affiliation à l’Union des forces de changement et ses activités au sein de ce parti politique. Il n’a pas non plus fourni de preuve démontrant qu’il est recherché et risque d’être arrêté. Il n’a pas fourni de preuves à l’appui de ses allégations de détention et torture, ni d’informations détaillées sur la nature de celles-ci. Le requérant n’a fourni aucun rapport médical ni aucun autre document permettant de vérifier son arrestation présumée et les mauvais traitements qu’il aurait subis en détention entre avril 2005 et mai 2006 et qui corroboreraient ses allégations ou confirmeraient d’éventuelles séquelles. Les arguments relatifs à la situation des droits de l’homme au Togo après son arrivée au Canada ne sont pas suffisants pour établir un risque personnel.

7.5Compte tenu de l’ensemble des informations qui lui ont été communiquées, le Comité conclut que le requérant n’a pas établi qu’il court personnellement un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture s’il est renvoyé au Togo à l’heure actuelle.

8.Le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, conclut que la décision de l’État partie de renvoyer le requérant au Togo ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.

[Adopté en français (version originale), en anglais, en espagnol et en russe. Paraîtra aussi ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]