Nations Unies

CAT/C/58/D/616/2014

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

19 septembre 2016

Français

Original : anglais

Comité contre la tor ture

Décision adoptée par le Comité au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention concernant la communication n° 616/2014 * , **

Communication p résentée par :

J. I. (représenté par un conseil, Johan Lagerfeld)

Au nom de :

Le requérant

État partie :

Suède

Date de la requête :

10 juillet 2014 (lettre initiale)

Date de la présente décision :

12 août 2016

Objet :

Expulsion vers la Fédération de Russie

Questions de fond :

Torture ; non-refoulement

Questions de procédure :

Néant

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est J. I., de nationalité russe, né en 1984. Sa demande d’asile en Suède a été rejetée et, à l’époque de la présentation de la requête, il était en attente de renvoi forcé vers la Fédération de Russie. Dans sa requête, il affirme que son expulsion constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Le requérant est représenté par un conseil, Johan Lagerfeld.

1.2Le 11 juillet 2014, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a demandé à l’État partie de ne pas expulser l’auteur vers la Fédération de Russie tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est né dans le village de Gettyn Kele (district de Chatoy), situé à environ 60 kilomètres de la ville de Grozny, en Tchétchénie. En 2007, une personne de son village a rejoint les rebelles et, plus tard dans l’année, deux de ses cousins ont été enrôlés de force.

2.2Pendant l’été 2008, les autorités ont arrêté le requérant, qui a ensuite été interrogé par des agents des forces de sécurité russes. Ceux-ci lui ont réclamé des informations sur le villageois qui avait volontairement rejoint les rebelles, affirmant qu’ils savaient que lerequérant était en contact avec lui. Après quelques heures d’interrogatoire, ils l’ont laissé partir.

2.3Après son mariage, le requérant a déménagé à Grozny avec sa femme. En 2010, à une date non précisée, sa femme l’a appelé sur son lieu de travail pour le prévenir que des hommes armés s’étaient présentés à leur domicile et le cherchaient. La même chose s’est produite le lendemain. Le requérant a eu peur de rentrer chez lui et est resté sur son lieu de travail. Quelques temps après, il a été arrêté sur le marché de Grozny par un policier en civil. Il a été poussé dans une voiture dans laquelle se trouvaient plusieurs militaires. On lui a mis un sac sur la tête, de sorte qu’il n’a pas pu voir où on l’emmenait. Il a ensuite découvert qu’on l’avait emmené dans le district de Chatoy.

2.4À son arrivée dans le district de Chatoy, le requérant a subi des décharges électriques pendant deux ou trois heures environ. En même temps, les militaires le questionnaient sur le villageois qui avait rejoint les rebelles. Ils l’ont aussi frappé à coups de pied et battu, à tel point qu’il s’est presque évanoui, puis on lui a versé de l’eau froide sur la tête pour le réveiller. Le requérant a ensuite été traîné dans la cour et laissé à demi inconscient près d’une voiture. Il a réussi à sortir du lieu où on le retenait et a été conduit chez ses parents par une connaissance. Après ces événements, le requérant s’est rendu à Grozny, où il a vécu chez son oncle pendant environ un an.

2.5Pendant qu’il vivait à Grozny, les militaires russes se sont rendus chez ses parents à plusieurs reprises. Ses parents ont dit aux militaires que le requérant avait rejoint les rebelles.

2.6Le requérant est retourné dans son village natal, où il a vécu chez divers membres de sa famille afin d’éviter une nouvelle arrestation. Pendant ce temps, ses parents ont été placés sous surveillance et interrogés à plusieurs reprises, ce qui explique que le requérant n’a pas maintenu de contacts avec eux. À la date à laquelle le requérant a soumis sa plainte, il ne parlait pas à ses parents et n’avait aucun contact avec son ex-femme, qui l’avait quitté car elle était incapable de supporter la pression et la peur. L’un des frères du requérant a été arrêté en 2009 et condamné à un an de prison parce qu’il aurait apporté de l’aide au requérant.

2.7À une date non précisée, le requérant est arrivé en Suède, où il a déposé une demande d’asile. Le 1er juillet 2013, l’Office des migrations a rejeté sa demande. À une date non précisée, le requérant a fait appel de cette décision. Le 5 novembre 2013, le Tribunal des migrations a rejeté son appel. Le 14 janvier 2014, la Cour d’appel des migrations a rejeté sa demande d’autorisation aux fins d’interjeter appel. Le requérant affirme avoir épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.Le requérant affirme que son expulsion vers la Fédération de Russie constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention car il courrait personnellement le risque d’être persécuté, torturé et maltraité à son retour.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note verbale datée du 12 décembre 2014, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond. Il rappelle les faits de l’espèce et cite des extraits de la législation interne pertinente. L’État partie indique que le dossier du requérant a été examiné conformément à la loi de 2005 relative aux étrangers. Les autorités de l’État partie, après examen des faits, ont conclu que le requérant « n’a[vait] pas démontré qu’il avait besoin d’une protection ».

4.2En outre, pour présenter le raisonnement sous-tendant la décision qu’il a prise d’expulser le requérant, l’État partie soumet une traduction non officielle des pièces de procédure établies par les autorités suédoises de l’immigration. Les conclusions confirment que le requérant n’a pas besoin d’une protection et peut être expulsé vers la Fédération de Russie.

4.3Le requérant est arrivé en Suède le 25 octobre 2012 et a déposé une demande d’asile le jour suivant. Les autorités de l’immigration de l’État partie ont rejeté la demande et ont décidé, le 1er juillet 2013, d’expulser le requérant. Il a été fait appel de la décision, mais le Tribunal des migrations a rejeté cet appel le 5 novembre 2013. Le 14 janvier 2014, la Cour d’appel des migrations a rejeté la demande d’autorisation aux fins d’interjeter appel déposée par le requérant et la décision d’expulsion est devenue définitive.

4.4Le 4 février 2014, le requérant a fait valoir à l’Office des migrations qu’il « existait des obstacles à l’exécution de la décision d’expulsion le concernant » et a demandé le réexamen de son affaire. Cette demande a été rejetée le 18 février 2014 et cette décision n’a pas fait l’objet d’un recours.

4.5L’État partie ne conteste pas le fait que tous les recours internes disponibles ont été épuisés dans la présente affaire. Il affirme toutefois que les demandes présentées par le requérant sont « manifestement infondées » et devraient par conséquent être jugées irrecevables en application du paragraphe 2 de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b)du Règlement intérieur du Comité.

4.6En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie explique que, dans le cadre de l’examen de la présente affaire, il a étudié la situation générale des droits de l’homme en Fédération de Russie et, en particulier, la question du risque que courrait personnellement le requérant d’être soumis à la torture s’il y était renvoyé. L’État partie note qu’il incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables, d’établir qu’il court personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture. Deplus, si le risque de torture doit certes être évalué en fonction d’éléments qui ne se limitent pas àde simples supputations, il n’est pas nécessaire de montrer que ce risque est hautement probable.

4.7En ce qui concerne la situation actuelle des droits de l’homme en Fédération de Russie et plus particulièrement dans le Caucase du Nord, l’État partie note qu’il ressort de rapports récents que le niveau général de violence a diminué au cours des dernières années. Dans le même temps, l’État partie ne sous-estime pas les préoccupations concernant la situation des droits de l’homme, puisque des rapports récents comportent toujours des informations faisant état de violations des droits de l’homme commises contre la population civile, telles que des détentions arbitraires, des enlèvements, des actes de torture et des exécutions extrajudiciaires. Toutefois, la situation actuelle en Tchétchénie ne permet pas en soi d’établir que le requérant courrait un risque de torture s’il était expulsé vers son pays d’origine.

4.8L’État partie affirme que plusieurs dispositions de la loi relative aux étrangers visent les mêmes principes que ceux figurant à l’article 3 de la Convention et que, par conséquent, les autorités de l’État partie appliquent le même type de critères lorsqu’elles examinent les demandes d’asile. En vertu des articles 1 à 3 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers, un demandeur d’asile ne peut pas être renvoyé dans un pays où il existe des motifs raisonnables de croire qu’il courrait le risque de subir la peine de mort, des châtiments corporels, des actes de torture ou d’autres peines ou traitements dégradants.

4.9Lorsque le requérant a demandé l’asile, l’Office des migrations l’a entendu à plusieurs reprises pour lui permettre d’expliquer les raisons pour lesquelles il avait besoin de protection et de présenter tous les faits pertinents. Pendant ces entretiens, le requérant était représenté par un conseil. Lors du premier entretien, le 28 octobre 2012, le requérant a indiqué qu’il était satisfait de son conseil. En outre, il a pu présenter des observations par écrit en plus des entretiens. L’État partie fait valoir par conséquent que ses autorités disposaient de renseignements suffisants pour procéder à « une évaluation éclairée, transparente et raisonnable du risque » et du besoin de protection du requérant.

4.10L’État partie renvoie à l’observation générale no 1 (1997) concernant l’application de l’article 3 de la Convention, dans laquelle le Comité a indiqué qu’il accorderait un poids considérable, dans l’exercice de ses compétences, aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé. L’État partie renvoie également à la jurisprudence du Comité. L’Office des migrations et le Tribunal des migrations sont des organes spécialisés particulièrement compétents dans les domaines du droit et de la pratique de l’asile. Il n’y a donc aucune raison de conclure que l’examen par les autorités nationales a été inadéquat ou que son résultat a été arbitraire ou a constitué un déni de justice. De plus, en l’absence d’arbitraire et de déni de justice, l’État partie affirme qu’« il convient d’accorder un poids considérable » aux conclusions de ses autorités.

4.11L’État partie fait aussi observer que le requérant a présenté des éléments contradictoires aux autorités de l’immigration. Par exemple, pour prouver son identité, il a fourni uniquement son permis de conduire, pas son passeport. Il a affirmé que celui-ci se trouvait en Fédération de Russie et qu’il ne pouvait pas prendre contact avec sa famille pour qu’elle le lui envoie. L’Office des migrations estime toutefois que le requérant n’a pas démontré que sa « résidence habituelle la plus récente » était en Tchétchénie.

4.12En outre, pendant les entretiens et les auditions, le requérant a eu du mal à se souvenir des faits, dates et détails exacts, ce qu’il a expliqué par la forte anxiété qu’avaient entraînée ses blessures. Cette explication ne paraît toutefois pas plausible puisque le requérant semblait mal connaître des événements primordiaux de sa vie personnelle liés à sa demande d’asile. Les autorités de l’immigration ont aussi jugé peu crédible que le requérant ait pu s’échapper de la prison parce que le portail n’était pas fermé à clef.

4.13De plus, pendant le premier entretien, le requérant a affirmé que ses deux cousins avaient été forcés de rejoindre les rebelles mais, pendant le deuxième entretien, il a indiqué qu’ils avaient rejoint les rebelles volontairement. Le requérant n’a jamais affirmé que les autorités russes l’avaient expressément interrogé sur ces cousins en particulier. Compte tenu de ces faits, les raisons pour lesquelles le requérant susciterait à ce point l’intérêt des autorités de police russes ne sont pas claires.

4.14Le requérant a indiqué aux autorités de l’immigration qu’après son mariage, sa femme et lui-même avaient déménagé à Grozny. Il a ensuite été arrêté en 2010, sur le marché de Grozny, puis emmené dans le district de Chatoy, où il affirme avoir été torturé. Toutefois, devant le Tribunal des migrations, le requérant a déclaré qu’il avait déménagé à Grozny en 2008, qu’il avait été arrêté et torturé quelques mois plus tard, et qu’il avait ensuite réussi à s’enfuir. En outre, il a affirmé que l’un de ses frères avait été arrêté en 2009 et que ce frère avait été condamné à un an de prison pour l’avoir aidé. L’État partie juge étonnant que le requérant n’ait pas été poursuivi et condamné sur les mêmes bases que son frère. L’État partie ajoute que le requérant n’a fourni aucun document prouvant que son frère avait effectivement été poursuivi et condamné.

4.15En conclusion, l’État partie réaffirme que le requérant n’a pas fourni de document d’identité adéquat ni de preuve de sa résidence et a fait des déclarations contradictoires et présenté des éléments qui l’étaient également. L’État partie considère donc que le requérant ne remplissait pas les conditions concernant le risque d’être soumis à la torture, qui doit être prévisible, réel et personnel, et estime en conséquence que son expulsion vers son pays d’origine ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.

Renseignements supplémentaires fournis par le requérant

5.1Dans une note en date du 16 janvier 2016, en réponse aux observations de l’État partie, le requérant affirme que la situation des droits de l’homme en Tchétchénie est très différente de la description qu’en donne l’État partie. Il renvoie à un rapport du Ministère suédois des affaires étrangères qui a également été cité par l’État partie. Selon ce rapport, l’administration russe se caractérise par une corruption généralisée, tandis que les militants des droits de l’homme, les journalistes et les lanceurs d’alerte seraient victimes de harcèlement et de violences d’une intensité telle qu’elles seraient parfois mortelles. Le rapport indique que les violations les plus graves continuent d’être commises dans le Caucase du Nord où, au nom de la lutte contre le terrorisme, la population civile est exposée à la torture, aux arrestations arbitraires et aux enlèvements.

5.2Le requérant mentionne aussi « des renseignements non confirmés faisant état d’assassinats politiques et de disparitions » ayant lieu avec l’aval des autorités, ce qui, selon lui, démontrerait clairement l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Diverses organisations qualifient la situation en Tchétchénie de grave et utilisent pour la décrire des expressions telles que « atmosphère de terreur » ou « climat de peur généralisée ». La Haut-Commissaire desNations Unies aux droits de l’homme a demandé que les auteurs de meurtres, d’actes d’intimidation et de harcèlement aient à rendre des comptes. De même, Human Rights Watch, dans un rapport intitulé « World report 2014: Russia », fait état d’un grand nombre de violations analogues et évoque en outre des condamnations à un traitement psychiatrique obligatoire.

5.3Le requérant affirme que les directives internes de l’Office des migrations prévoient la nomination d’un expert ou d’un spécialiste en médecine légale pour examiner les demandeurs qui affirment avoir été victimes de torture dans le passé, les coûts de cet examen devant être pris en charge par l’État partie. L’Office des migrations et le Tribunal des migrations ont choisi de ne pas tenir compte de leurs propres directives, ce qui devrait en fait être interprété comme un déni de justice.

Renseignements supplémentaires soumis par l’État partie

6.1Dans sa réponse aux commentaires du conseil, en date du 29 avril 2016, l’État partie réaffirme sa position selon laquelle bien qu’il ne souhaite pas sous-estimer les préoccupations concernant la situation actuelle des droits de l’homme en Fédération de Russie et en particulier dans la région du Caucase du Nord, la situation en elle-même ne permet pas d’établir qu’il y a un risque de violation de l’article 3 de la Convention. Le renvoi du requérant en Fédération de Russie constituerait une violation si celui-ci pouvait montrer qu’il courrait personnellement le risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3.

6.2L’État partie ajoute qu’il considère que les divergences et les contradictions observées dans les déclarations faites par le requérant à l’Office des migrations, au Tribunal des migrations et au Comité sont suffisamment graves pour jeter le doute sur la véracité de l’ensemble de ses déclarations. Le requérant a soumis des renseignements contradictoires sur des parties très importantes de son exposé des faits.

6.3En ce qui concerne l’affirmation du requérant selon laquelle les autorités de l’immigration de l’État partie étaient tenues d’examiner plus avant la question de savoir s’il avait été torturé, l’État partie souligne qu’il incombe au requérant de présenter des éléments qui prouvent qu’il courrait le risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Lorsque de tels éléments de preuve sont présentés, il incombe à l’État partie de dissiper tout doute à leur sujet. L’État partie réaffirme qu’il y a des raisons de mettre en doute la véracité des affirmations du requérant et estime par conséquent que les autorités de l’immigration n’étaient pas tenues d’examiner plus avant la question de savoir si le requérant avait été torturé dans le passé.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note que l’État partie a reconnu en l’espèce que tous les recours internes avaient été épuisés. Par conséquent, le Comité considère que rien ne s’oppose à la recevabilité ; il déclare la communication recevable en ce qu’elle soulève des questions au regard de l’article 3 de la Convention et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui avaient été communiquées par les parties.

8.2Le Comité doit déterminer si, en expulsant le requérant vers la Fédération de Russie, l’État partie violerait l’obligation qui lui est faite au paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler un individu vers un État où il existe des motifs sérieux de croire qu’il risque d’être soumis à la torture. Le Comité rappelle que l’existence dans un pays d’un ensemble de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme ne constitue pas en soi un motif suffisant pour conclure qu’un individu risque d’être soumis à la torture. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’un individu ne risque pas d’être soumis à la torture.

8.3Rappelant son observation générale no 1, le Comité réaffirme que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. Néanmoins, il n’est pas nécessaire de montrer que le risque de torture est hautement probable, mais il doit être encouru personnellement et actuellement, et doit être prévisible et réel.

8.4Le Comité prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle il a été arrêté et torturé à deux reprises. Le Comité note également que, selon le requérant, l’Office des migrations puis le Tribunal des migrations ont tous deux omis de prendre en considération ces éléments d’information.

8.5Le Comité fait en outre observer que, même s’il devait ajouter foi à l’affirmation du requérant selon laquelle il a été soumis à la torture ou à des mauvais traitements dans le passé, la question qui se pose est celle de savoir si le requérant risquerait actuellement d’être torturé dans la Fédération de Russie. Le Comité note que la situation actuelle des droits de l’homme en Fédération de Russie demeure un sujet de préoccupation à plusieurs égards, en particulier dans le Nord du Caucase. Le Comité rappelle qu’en 2012, dans ses observations finales concernant le cinquième rapport périodique de la Fédération de Russie, il avait exprimé des préoccupations quant aux informations nombreuses, persistantes et concordantes faisant état de graves violations des droits de l’homme commises par des agents de l’État ou d’autres personnes agissant à titre officiel dans le Caucase du Nord, notamment en Tchétchénie, ou à leur instigation, ou avec leur consentement exprès ou tacite ; il s’agirait notamment d’actes de torture et de mauvais traitements, d’enlèvements, de disparitions forcées et d’exécutions extrajudiciaires (CAT/C/RUS/CO/5, par. 13).

8.6Le Comité relève que l’État partie a attiré l’attention sur l’existence, dans le récit du requérant et dans les renseignements qu’il a fournis, d’incohérences et de contradictions qui jettent le doute sur sa crédibilité d’une manière générale ainsi que sur l’exactitude de ses affirmations. Il note en particulier que le requérant n’a pas pu confirmer de façon absolue que son lieu de résidence habituel et permanent se trouvait en Tchétchénie et n’a pu apporter aucun élément prouvant que son frère et d’autres membres de sa famille avaient été persécutés en raison de leurs liens avec lui. Il n’a en outre pas pu indiquer les dates exactes ni donner d’informations sur les lieux où s’étaient déroulés des événements essentiels pour sa demande de protection, ni les noms des personnes impliquées dans ces événements ; en particulier, il n’a été en mesure de fournir ni précision ni description concernant son lieu de résidence, les arrestations dont il aurait fait l’objet et les tortures que lui auraient infligées les autorités russes.

8.7Le Comité relève en outre que le requérant a simplement affirmé à l’Office des migrations et au Tribunal des migrations qu’il craignait d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Fédération de Russie, en prétendant qu’ayant subi des tortures dans le passé, il y serait de nouveau exposé. Le Comité constate cependant que le requérant n’a présenté aucun élément donnant à penser que les autorités russes s’en prendraient à lui s’il était renvoyé dans son pays. Le Comité rappelle que, dans son observation générale no 1, il a indiqué qu’il accorderait un poids considérable aux constatations de fait effectuées par l’État partie intéressé. Le Comité estime que, dans les circonstances de l’espèce, il n’est pas nécessaire de contester l’évaluation faite par l’État partie des éléments de preuve présentés par le requérant.

8.8Le Comité rappelle que l’existence d’un risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations et que c’est généralement au requérant qu’il incombe de présenter des arguments défendables. De ce point de vue, outre le manque d’informations concernant les actes de tortures dont le requérant aurait été victime, le Comité relève les incohérences décrites par l’État partie. Au vu de ce qui précède et compte tenu de toutes les informations soumises par le requérant, notamment sur la situation générale des droits de l’homme en Fédération de Russie, le Comité estime que le requérant n’a pas apporté d’éléments de preuve suffisants pour permettre au Comité de conclure que son renvoi forcé dans son pays d’origine l’exposerait personnellement à un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut en conséquence que le renvoi du requérant en Fédération de Russie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.