Nations Unies

CAT/C/61/D/659/2015

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

15 septembre 2017

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communicationno 659/2015 * , **

Communication p résentée par :

R. R. L. (représenté par un conseil, Rachel Benaroch)

Au nom de :

R. R. L., son épouse, D. R. L., leurs enfants L. S. L., L. P. L., L. V. L. et L. D. L., et une de leursbelles-filles, P. S. A.

État partie :

Canada

Date de la requête :

2 février 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

10 août 2017

Objet :

Expulsion vers Sri Lanka

Question(s) de fond :

Non-refoulement

Question(s) de procédure :

Non-épuisement des recours internes ; griefs non étayés

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est R.R.L, de nationalité sri-lankaise et d’origine tamoule, né en 1966. Il soumet la requête en son nom propre, ainsi qu’au nom de son épouse, D. R. L. (née en 1969), de leurs quatre enfants, L. S. L. (né en 1991), L. P. L. (née en 1995), L. V. L. (née en 1995) et L. D. L. (née en 2000), et d’une de leurs belles-filles, P. S. A. (née en 1992). Tous sont nés dans la Province de l’Est de Sri Lanka. Ils sont chrétiens. Au moment du dépôt de la requête, ils étaient en attente d’expulsion vers Sri Lanka, car leur demande d’asile avait été rejetée par les autorités canadiennes. Le requérant affirme que son expulsion, ainsi que celle de sa famille, vers Sri Lanka constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil, Rachel Benaroch.

1.2 Le 16 février 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a demandé à l’État partie, conformément au paragraphe 1 de l’article 114 de son règlement intérieur (CAT/C/3/Rev.6), de ne pas expulser le requérant et sa famille vers Sri Lanka tant que la requête serait à l’examen. Le 29 octobre 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire du même rapporteur, a rejeté les demandes de l’État partie du 12 juin 2015 et du 14 août 2015 tendant à la levée de cette mesure.

Exposé des faits

2.1 Le 5 mai 1995, alors que le requérant et deux membres de sa fratrie rendaient visite à des proches à Trincomalee, ils ont été arrêtés par l’armée sri-lankaise et emmenés dans un camp de détention situé dans cette localité. Le requérant y a subi de graves violences et a été emmené à l’hôpital de Trincomalee pour y être soigné. Il affirme que T. S., un des militaires qui l’avaient arrêté et qui l’a violenté pendant sa détention, était un agent du renseignement, et qu’il est actuellement employé en tant qu’assistant de sécurité par le Département de la sûreté et de la sécurité des Nations Unies à Jaffna. Le requérant a reçu huit fois la visite de membres du Comité international de la Croix‑Rouge (CICR)pendant sa détention au camp de Trincomalee. Il a été relâché le 10 février 1996, et n’a pas été inculpé. Il n’a jamais été informé des raisons de sa détention.

2.2 En juillet 2006, le requérant a commencé à travailler pour le Département de la sûreté et de la sécurité des Nations Unies en tant qu’assistant de sécurité pour la Province de l’Est, couvrant les districts d’Ampara, de Batticaloa et de Trincomalee. Il était chargé d’envoyer à son superviseur des rapports sur la situation en matière de sécurité dans la Province de l’Est et de fournir un appui technique au coordonnateur de secteur et à tout le personnel de l’ONU présent dans la province. Dans ce cadre, il avait régulièrement affaire à l’armée sri-lankaise, à la police, aux Forces spéciales et à d’autres représentants de l’État, ainsi qu’à des groupes paramilitaires et aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE).

2.3 Certains aspects des responsabilités professionnelles du requérant lui ont attiré le ressentiment de groupes officiels ou paramilitaires, notamment le Tamil Makkal Viduthalai Pulikal (TMVP) et les LTTE, qui étaient mécontents que des rapports soient envoyés à l’ONU sur ce qui se passait dans la Province de l’Est. Le 28 juin 2008, le requérant a reçu un appel téléphonique menaçant, au cours duquel son interlocuteur lui a dit de ne pas se mêler de « leur » travail, et l’a accusé d’être un partisan des LTTE. À une date non précisée, il a déposé plainte auprès de la police de Batticaloa. La police n’a toutefois jamais identifié l’auteur de l’appel. Entre-temps, le requérant a continué à recevoir des appels menaçants environ une fois par mois. Son interlocuteur faisait référence aux rapports qu’il avait établis sur la situation sécuritaire et disait « On sait que tu es un ancien cadre des LTTE, on sait qui tu es, fais attention, on va te tuer ».

2.4 En août 2009, un membre des TMVP, armé et entouré de quatre ou cinq hommes, s’est présenté au domicile du requérant et a menacé celui-ci de mort. Le requérant a appelé la police, qui a dispersé le groupe. Avant de partir, les hommes armés lui ont dit « On se reverra ». Le requérant ajoute qu’à cette époque, les TMVP enlevaient des enfants et les enrôlaient de force. Il pense qu’une des raisons du ressentiment à son égard était qu’il servait d’interprète entre le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et les TMVP dans les camps où certains de ces enfants étaient retenus.

2.5 Le 22 août 2011, vers 2 heures du matin, des personnes non identifiées ont lancé des projectiles dans la direction de la maison du requérant pendant une vingtaine de minutes. Ces faits ont été relatés dans le rapport hebdomadaire de l’ONU du 26 août 2011.

2.6 En novembre 2011, le requérant a été affecté par l’ONU à Trincomalee. Dans le cadre de ses fonctions, il devait être en contact avec T. S., l’agent du renseignement qui l’avait arrêté en 1995. Celui-ci lui a demandé son nom, s’il était déjà venu auparavant à Trincomalee et s’ils se connaissaient. Le requérant a répondu que oui. Le lendemain, T. S. a été réaffecté à Jaffna.

2.7 En janvier 2012, le requérant a remarqué que, quand il quittait son domicile, il était souvent suivi par des hommes à moto, et que celles-ci n’avaient pas de plaques d’immatriculation. Les conducteurs portaient des casques noirs avec des visières opaques qui cachaient complètement leur visage. Malgré une vingtaine de plaintes orales du requérant auprès de la police, rien n’a été fait. Pendant environ huit mois, les membres de sa famille ont également été suivis par des hommes à moto. La famille a pris peur, et les enfants ont cessé d’aller à l’école.

2.8 En juin 2012, le requérant a démissionné de son poste au Département de la sûreté et de la sécurité des Nations Unies, car il estimait que son travail mettait sa vie et celles des membres de sa famille en danger.

2.9 En juillet 2012, le fils du requérant, L. S. L., est sorti à moto, et a été abordé par un homme qui portait un casque noir à visière opaque et qui lui a demandé où était son père et s’il avait quitté le pays. Le 24 août 2012, le requérant marchait avec une de ses filles, L. V. L., quand un homme à moto a essayé d’attraper celle-ci par le bras. Il s’est enfuit quand elle a commencé à crier.

2.10 Le 28 août 2012, le requérant a trouvé sa voiture avec les phares avant cassés. Un passant lui a dit que quatre hommes portant des casques de moto noirs à visière opaque étaient arrivés sur deux motos, avaient cassé les phares et étaient repartis. Le 30 août 2012, le requérant a retrouvé sa voiture avec les rétroviseurs cassés. Le requérant ajoute que des voitures ont commencé à se garer près de chez lui pendant de longues périodes, en particulier la nuit, à un endroit d’où on avait une bonne vue sur sa maison. Les voitures partaient dès que les lumières de la maison s’allumaient.

2.11Le 9 septembre 2012, le requérant et sa famille ont quitté leur domicile et se sont rendus à Colombo, d’où ils ont pris un vol pour les États-Unis le 12 septembre 2012. Le 22 septembre 2012, ils sont allés en bus de Buffalo (New York) à Plattsburgh (New York), et ont ensuite pris un taxi jusqu’à la frontière canadienne, près de Lacolle (Québec). Le 23 septembre 2012, ils ont passé la frontière illégalement en empruntant une route qui n’était pas surveillée, mais ils ont été arrêtés peu de temps après par les autorités d’immigration. C’est à ce moment qu’ils ont demandé le statut de réfugié.

2.12Le requérant et sa famille ont été entendus ensemble, à Montréal, le 16 avril 2014. Le 13 mai 2014, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté leur demande, concluant à un manque de crédibilité, et a estimé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes ayant besoin d’une protection . La décision leur a été notifiée le 20 mai 2014.

2.13Le 11 juin 2014, le requérant et sa famille ont déposé auprès de la Cour fédérale du Canada une demande d’autorisation de contrôle juridictionnel de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Cette demande a été rejetée le 17 septembre 2014.

2.14Le 20 janvier 2015, le requérant et sa famille ont déposé, au titre de l’article 50 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, une demande de sursis administratif à l’exécution de la mesure de renvoi auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada. Le 28 janvier 2015, un agent d’exécution de l’Agence a informé le conseil du requérant et de sa famille du rejet de la demande, et a expliqué qu’il estimait que la situation de la famille du requérant ne justifiait pas de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi.

2.15Après le rejet de leur demande d’asile, le requérant et sa famille ont dû attendre douze mois avant de pouvoir présenter une demande d’examen des risques avant renvoi ou une demande de résidence permanente pour raisons humanitaires. Leur expulsion vers Sri Lanka était toutefois prévue avant la fin de ce délai de douze mois.

2.16Le 9 janvier 2015, le requérant et sa famille ont déposé une demande de résidence permanente pour raisons humanitaires en invoquant l’intérêt supérieur de leur enfant mineure et ont demandé à être dispensés du délai de douze mois. Cette procédure n’a toutefois pas d’effet suspensif sur l’expulsion. Le requérant et sa famille affirment qu’ils ont épuisé tous les recours internes disponibles.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que s’il était renvoyé à Sri Lanka avec sa famille, ils courraient tous un risque sérieux d’être torturés pour les raisons suivantes : 1) ils sont des Tamouls de la Province de l’Est ; 2) le requérant a été soupçonné d’être lié aux LTTE, et il a été détenu et torturé en 1995 ; 3) il a été employé par l’ONU comme assistant de sécurité pendant six ans, et du fait de ses responsabilités professionnelles, il a été en conflit avec les autorités et avec des groupes paramilitaires ; 4) lui et sa famille ont vécu pendant deux ans et demi au Canada, où il y a une diaspora sri-lankaise importante qui soutient les LTTE. Il soutient qu’ils seraient donc soupçonnés d’avoir été en contact avec les LTTE au sein de la diaspora.

3.2Le requérant ajoute qu’en tant que déboutés du droit d’asile au Canada, sa famille et lui-même pourraient être soupçonnés de liens avec les LTTE, ou d’activités antigouvernementales. Il cite des rapports selon lesquels les déboutés du droit d’asile et les rapatriés semblent courir le risque d’être torturés s’ils sont accusés d’activités antigouvernementales ou de liens avec les LTTE. Le requérant affirme que le fait de demander le statut de réfugié, notamment quand on a comme lui une connaissance approfondie de la situation à Sri Lanka en matière de sécurité, équivaut à une activité antigouvernementale. Il affirme qu’au vu de ces éléments, il craint d’être torturé par les autorités sri-lankaises, notamment par le groupe paramilitaire TMVP, et que les membres de sa famille ne le soient également. Par conséquent, en les expulsant, lui et sa famille, vers Sri Lanka, l’État partie violerait l’article 3 de la Convention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1En date du 12 juin 2015 et du 14 août 2015, l’État partie indique que la présente plainte repose sur les mêmes éléments que ceux qui ont été invoqués devant les autorités canadiennes. Il affirme que la requête est irrecevable. Premièrement, le requérant et sa famille n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles, car leur demande de résidence permanente pour raisons humanitaires et leur demande d’examen des risques avant renvoi sont toujours pendantes. Ces deux procédures constituent des recours utiles, car une décision favorable dans le cadre de l’une ou de l’autre permettrait au requérant et à sa famille de rester au Canada. En cas de refus, ils seraient en outre autorisés à faire une demande de contrôle juridictionnel auprès de la Cour fédérale. S’il était fait droit à la demande de procédure de contrôle juridictionnel, un réexamen de la décision contestée serait ordonné. Il est également possible de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant l’issue d’une demande auprès de la Cour fédérale.

4.2Deuxièmement, l’État partie affirme que le requérant et sa famille n’ont même pas apporté un début de preuve à l’appui de leurs allégations, ce qui rend la requête irrecevable car manifestement infondée au titre de l’article 113 b) du règlement intérieur du Comité. Le requérant n’a pas établi qu’en tant que demandeurs d’asile déboutés, sa famille et lui-même risqueraient d’être torturés s’ils étaient renvoyés à Sri Lanka. L’État partie indique que les demandeurs d’asile dont la demande a été rejetée ne risquent d’être persécutés à leur retour que si les autorités sri-lankaises les perçoivent comme ayant été impliqués dans des activités antigouvernementales ou comme étant favorables aux LTTE. Le requérant et sa famille n’ont présenté aucun élément prouvant qu’ils ont participé à de telles activités ou qu’ils pourraient être perçus comme y ayant participé. En outre, le requérant n’a pas établi que le fait d’avoir été employé par le Département de la sûreté et de la sécurité des Nations Unies lui faisait courir un risque de torture ou de persécution. Les rapports objectifs sur la situation des droits de l’homme à Sri Lanka ne corroborent pas les affirmations du requérant selon lesquelles les autorités sri-lankaises représenteraient une menace pour les employés de l’ONU. Si certains rapports indiquent que les militants et les agents de l’aide humanitaire risquent davantage d’être persécutés que le reste de la population, les employés de l’ONU ne rentrent pas dans ces catégories.

4.3Il ressort du récit du requérant que les autorités sri-lankaises ont cherché à protéger sa famille, et s’en sont montrées capables. L’intéressé indique qu’en 2009, quand il a été harcelé devant chez lui par des membres du TMVP, les autorités ont répondu à son appel et ont dispersé les hommes du TMVP. En outre, il a joint à sa plainte de nombreux rapports de police, dont l’existence montre que la police de Batticaloa l’a pris au sérieux quand il a dit être menacé et harcelé.

4.4Par ailleurs, l’État partie indique que, même si les faits dénoncés par le requérant et sa famille relevaient de la persécution ou de la torture, le requérant n’a pas prouvé qu’ils couraient toujours un risque. L’État partie estime que les incidents qui sont survenus entre 2008 et 2012 ne constituent pas une base crédible à partir de laquelle le Comité pourrait conclure que le requérant et sa famille risqueraient d’être torturés s’ils étaient renvoyés à Sri Lanka. Le requérant a fourni des preuves postérieures à la date à laquelle ils ont quitté Sri Lanka. Le requérant affirme que sa fille et son gendre, qui sont restés à Sri Lanka, ont reçu des appels téléphoniques menaçants, au cours desquels leur interlocuteur demandait le retour du requérant dans le pays. Il affirme également que quelqu’un est entré dans leur jardin en septembre 2014. Enfin, le gendre du requérant a eu un accident de la circulation, dont il affirme qu’il a été causé volontairement par deux hommes à moto. Selon un rapport médical, il aurait été blessé au dos. L’État partie indique que ces incidents, même s’ils étaient pris pour argent comptant, ne sauraient suffire à prouver que le requérant et sa famille courent toujours un risque. Il ressort au contraire des affirmations du requérant que sa fille et son gendre ont vécu relativement en sécurité à Batticaloa pendant plus de deux ans. Les incidents susmentionnés montrent que, dans le pire des cas, le requérant et sa famille pourraient être à nouveau harcelés s’ils étaient renvoyés à Sri Lanka. L’État partie indique également que le requérant n’a pas affirmé qu’il existait un lien entre sa détention sans inculpation pendant dix mois en 1995 et 1996 et la crainte persistante qu’a sa famille d’être persécutée. L’intéressé ne fait qu’affirmer que l’homme qui était responsable de sa détention a lui aussi été embauché par l’ONU.

4.5À l’appui de son argument selon lequel la plainte devrait être déclarée irrecevable au titre de l’article 113 b) car manifestement infondée, l’État partie indique également qu’il serait malvenu que le Comité réévalue les décisions des autorités internes quant à la demande de protection du requérant pour lui-même et sa famille. Il affirme que le Comité n’a pas pour rôle d’apprécier les éléments de preuve ni de réexaminer les constatations de fait des juridictions ou des décideurs nationaux.

4.6Dans l’éventualité où la communication serait déclarée recevable, l’État partie affirme que les griefs exposés sont totalement dénués de fondement. À cet égard, il reconnaît que, d’une manière générale, des violations graves des droits de l’homme sont toujours commises à Sri Lanka. Toutefois, malgré les problèmes de droits de l’homme que rencontrent les Tamouls en général, tous ne risquent pas d’être torturés. En effet, des rapports objectifs, tels que ceux fournis par le requérant, confirment que seuls les individus présentant certaines caractéristiques personnelles courent un tel risque. Certains demandeurs d’asile déboutés peuvent présenter ces caractéristiques, mais ce n’est pas le cas du requérant et de sa famille. L’État partie reconnaît également que certains demandeurs d’asile déboutés ont été détenus ou torturés lorsqu’ils ont été renvoyés à Sri Lanka. Toutefois, il ressort clairement de la plupart des rapports que ces personnes ont été détenues parce qu’elles étaient accusées d’être liées aux LTTE, à des militants ou à des partis d’opposition. Le consensus entre les organisations de défense des droits de l’homme fiables semble être qu’en l’absence de perception d’un tel lien, les demandeurs d’asile déboutés qui sont renvoyés à Sri Lanka ne courent pas un risque justifiant une protection internationale. L’État partie estime donc que, même si le requérant et sa famille sont identifiés par les autorités sri-lankaises comme des demandeurs d’asile déboutés d’origine tamoule, cela ne mènera pas celles-ci à les torturer. Le requérant et sa famille n’ont indiqué aucune raison pour laquelle les autorités sri-lankaises les considéreraient comme des partisans des LTTE. Rien n’indique non plus qu’un des membres de la famille du requérant fasse l’objet d’un jugement non exécuté ou d’un mandat d’arrêt, ou figure sur une liste d’exclusion ou de surveillance.

4.7Quant au grief du requérant selon lequel son ancien emploi au sein de l’ONU lui ferait courir un risque d’être torturé, l’État partie fait à nouveau valoir son argument selon lequel les employés de l’ONU ne courent pas particulièrement de risque d’être torturé par les autorités sri-lankaises. En outre, l’argument du requérant selon lequel le Gouvernement sri-lankais pourrait déduire de son rôle auprès de l’ONU des liens entre lui et les LTTE n’a pas été étayé. Le requérant n’a fourni aucune preuve que le Gouvernement pourrait voir en lui un partisan des LTTE, ou un opposant. L’ONU n’est pas en conflit avec le Gouvernement et ne soutient pas les LTTE, et y travailler ne peut pas être perçu comme une activité antigouvernementale. Quant à l’argument du requérant selon lequel présenter une demande de statut de réfugié lorsqu’on connaît très bien la situation en matière de sécurité à Sri Lanka revient à mener une activité antigouvernementale, l’État partie estime qu’il est sans fondement, car l’intéressé n’a pas démontré que les employés de l’ONU couraient un plus grand risque de subir un préjudice que les autres demandeurs d’asile déboutés. L’État partie estime donc qu’il n’existe aucun motif sérieux de croire que le renvoi vers Sri Lanka du requérant et de sa famille les exposerait à un risque d’être soumis à la torture, en violation des obligations de l’État partie au titre de la Convention.

4.8La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a estimé que de nombreuses déclarations du requérant quant aux menaces envers sa famille n’étaient pas crédibles. La Commission a souligné des contradictions dans la déposition orale du requérant, ses déclarations lors de son audition par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada, son formulaire de renseignements personnels et les autres justificatifs qu’il a fournis. La Commission a en particulier noté qu’au cours de certains entretiens, le requérant a omis de mentionner les allégations d’incidents de harcèlement qu’il avait mentionnées à d’autres occasions. Quand on a demandé au requérant s’il avait été torturé, il a également fourni des réponses contradictoires. La Commission a également noté que certains aspects des preuves présentées par le requérant n’étaient pas vraisemblables. Elle se demandait par exemple pourquoi certains incidents avaient été signalés à la police et d’autres pas. Pour arriver à la conclusion que la version des événements présentée par le requérant n’était pas crédible, la Commission a également pris en compte l’évolution de la situation politique à Sri Lanka. Elle a noté que, selon son cartable national de documentation concernant Sri Lanka, le groupe TMVP, qui aurait menacé le requérant devant chez lui en 2009, a déposé les armes la même année et cessé ses activités paramilitaires. La Commission a conclu que les menaces reçues par le requérant et sa famille en 2009 ne prouvaient pas l’existence d’un risque persistant.

4.9L’État partie ajoute que le requérant et sa famille étaient représentés par un conseil lors de leur audition par la Commission, et qu’ils ont eu la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations. Le requérant a fourni un témoignage quant aux risques que courrait sa famille. Celui-ci a été examiné en détail par la Commission dans sa décision.

4.10Le requérant et sa famille ont ensuite déposé auprès de la Cour fédérale une demande d’autorisation de contrôle juridictionnel de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La Cour a rejeté cette demande le 17 septembre 2014. Conformément à sa pratique dans ce domaine, elle n’a pas communiqué les motifs de sa décision.

4.11En janvier 2015, le requérant et sa famille ont déposé une demande de sursis administratif à l’exécution de la mesure de renvoi. Le 28 janvier 2015, un agent d’exécution des bureaux intérieurs de l’Agence des services frontaliers du Canada a fait part de sa décision de rejet et de ses raisons au conseil du requérant et de sa famille. En l’occurrence, l’agent a résumé les preuves présentées par le requérant et souligné les diverses contradictions que renfermait la demande. Les deux facteurs de risque soulevés dans la présente requête − le statut de demandeurs d’asile déboutés des intéressés et l’ancien emploi du requérant auprès de l’ONU − ont été clairement exposés à l’agent, et il les a pris en compte dans sa décision. En fin de compte, il n’a pas été convaincu qu’il existait un risque personnel de mort ou de peine ou traitement excessif ou inhumain qui justifierait un sursis à exécution de la décision de renvoi. Le requérant et sa famille n’ont pas déposé de demande d’autorisation de contrôle juridictionnel de la décision.

4.12Le 9 janvier 2015, le requérant et sa famille ont déposé une demande de résidence permanente pour raisons humanitaires. Au moment où l’État partie a soumis ses observations complémentaires au Comité, cette demande était encore pendante. Lors de l’examen d’une demande de résidence permanente pour raisons humanitaires, on prend en considération l’intérêt supérieur de tout enfant de moins de 18 ans qui sera directement touché par la décision, en tenant notamment compte de son âge, de son degré d’établissement au Canada, de sa santé ou de ses autres besoins spécifiques.

4.13L’État partie affirme que la demande de résidence permanente pour motifs humanitaires est un recours interne utile dont dispose toute personne dont la demande de protection a été rejetée. Il regrette que le Comité ait adopté, dans ses dernières décisions, la position selon laquelle les demandes de résidence permanente pour motifs humanitaires n’étaient pas des recours devant être épuisés aux fins de la recevabilité. Les autorités canadiennes considèrent que les motifs pour lesquels un requérant est autorisé à rester au Canada ne devraient pas importer, du moment que l’intéressé est protégé contre un renvoi vers un pays où il affirme qu’il serait en danger.

4.14Après avoir saisi le Comité, le requérant et sa famille ont eu la possibilité de présenter une demande d’examen des risques avant renvoi et ont déposé leur demande le 28 mai 2015. Ils bénéficient maintenant d’un sursis judiciaire à leur expulsion en attendant la fin de cette procédure.

4.15L’État partie prend également note de la jurisprudence récente du Comité, dans laquelle celui-ci a renvoyé au paragraphe 4 de l’article 18.1 de la loi sur les cours fédérales, qui énonce les motifs de contrôle juridictionnel, et a observé que l’examen au fond des griefs selon lesquels le requérant serait torturé en cas de renvoi dans son pays d’origine ne figure pas parmi ces motifs. C’est sur ce fondement que le Comité a accepté l’argument des requérants selon lequel le contrôle juridictionnel des décisions de rejet de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ou de celles concernant l’examen des risques avant renvoi ne constituait pas, dans leur situation, un recours utile. Le Comité a en outre estimé que l’État partie était tenu de prévoir de soumettre à un contrôle juridictionnel au fond les décisions de renvoi d’une personne lorsqu’il existait des motifs sérieux de croire que celle‑ci risquait d’être soumise à la torture.

4.16L’État partie n’accepte pas la position générale selon laquelle son système de contrôle juridictionnel, en particulier devant la Cour fédérale, n’offre pas de recours utile contre une décision de renvoi lorsqu’il existe des raisons sérieuses de croire que la personne concernée risque d’être soumise à la torture. Il estime que le Comité a mal compris la nature du contrôle juridictionnel par la Cour fédérale, puisque le système actuel prévoit bien un contrôle au fond.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1En date du 19 août et du 17 décembre 2015, le requérant a rappelé ses griefs. En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel l’intéressé n’établit aucun lien entre sa détention en 1995 et la peur qu’a sa famille d’être persécutée, il indique que la détention en question, qui relevait du paragraphe 2 de l’article 19 des mesures d’urgence relatives au terrorisme, n’est qu’un des facteurs expliquant sa peur d’être soumis à la torture dans son pays d’origine. Il renvoie à un récent rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés selon lequel les autorités sri-lankaises conservent des registres des arrestations qui couvrent plusieurs années.

5.2Le requérant rappelle que sa famille et lui-même ont été harcelés pendant plusieurs années. À cet égard, il fait valoir que la torture ne consiste pas uniquement à infliger des souffrances physiques, mais aussi des souffrances psychologiques, et que de nombreux actes qui peuvent ne pas constituer en eux-mêmes des actes de torture peuvent, s’ils sont cumulés, être considérés comme tels.

5.3En ce qui concerne les arguments de l’État partie, qui affirme qu’en tant qu’ancien employé de l’ONU, le requérant ne court pas particulièrement de risque d’être torturé par les autorités sri-lankaises et que le fait de travailler pour l’ONU ne peut tout simplement pas être considéré comme une activité antigouvernementale, l’intéressé indique que l’État partie n’a pas pris en compte la nature de ses fonctions auprès de l’ONU. Il ajoute que, selon un principe reconnu du droit des réfugiés, ce qui constitue ou non des activités antigouvernementales dépend du point de vue du pays d’origine, et non de celui dans lequel est déposée la demande d’asile. Rendre compte de la situation en matière de sécurité à Sri Lanka peut grandement faire du tort aux deux parties au conflit, car toutes deux ont commis des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. En outre, les fonctions du requérant ne se limitaient pas à rendre compte de la situation en termes de sécurité ; il était également attaché de liaison entre les forces sri-lankaises, y compris les groupes paramilitaires, et les LTTE. Dans ce cadre, il a eu de nombreux problèmes avec les forces sri-lankaises et les groupes paramilitaires. Sa dernière évaluation de service réalisée par l’ONU indique que sa famille et lui-même ont été menacés. Le requérant indique en outre qu’en tant qu’employé de l’ONU, il était également travailleur humanitaire car il collaborait avec diverses agences, dont l’UNICEF, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et le Programme alimentaire mondial. Contrairement à ce qu’affirme l’État partie, sa situation personnelle lui fait courir un risque grave de persécution, car ses activités en tant qu’employé de l’ONU et travailleur humanitaire étaient considérées comme des activités antigouvernementales.

5.4Plusieurs rapports récents sur la situation générale des droits de l’homme à Sri Lanka et sur les risques que courent les demandeurs d’asile déboutés indiquent que tout lien avec les LTTE, même s’il n’existe plus depuis longtemps, peut faire courir à une personne déboutée du droit d’asile le risque d’être torturée. En l’espèce, ce lien existe du fait de la détention du requérant en 1995, de son emploi auprès de l’ONU, de sa tentative d’obtenir avec sa famille l’asile au Canada − pays où la diaspora tamoule est la plus importante − et de leur longue absence de Sri Lanka.

5.5Le requérant affirme que le fait que sa fille et son gendre, qui sont restés à Sri Lanka, n’aient pas été tués − malgré une tentative (voir par. 4.4) − ne signifie pas que lui et sa famille ne risquent pas de subir un grave préjudice à leur retour. Affirmer le contraire reviendrait à dire qu’à moins que toute sa famille demeurée à Sri Lanka soit tuée, ni lui ni les autres membres de sa famille ne courent un risque grave.

5.6Le requérant rappelle qu’au moment où sa requête a été soumise au Comité, tous les recours utiles ayant un effet suspensif avaient été épuisés, et que les mesures provisoires du Comité sont la seule raison pour laquelle sa famille et lui-même n’ont pas été expulsés vers Sri Lanka. De surcroît, sa demande de permis de résidence pour raisons humanitaires a été rejetée le 30 octobre 2015 par un agent du Ministère de l’immigration, des réfugiés et de la citoyenneté du Canada. Les raisons de cette décision ont été communiquées au requérant à sa demande, le 9 décembre 2015. L’agent chargé du dossier a indiqué qu’il était également chargé de la demande d’examen des risques avant renvoi déposée par le requérant et sa famille. Les critères pris en compte dans l’examen d’une demande de permis de résidence pour raisons humanitaires ne sont pas les mêmes que pour l’examen d’une demande d’examen des risques avant renvoi, mais la décision est presque toujours la même dans les deux cas. Le requérant n’a pas encore reçu la décision concernant sa demande d’examen des risques avant renvoi, mais il craint que celle-ci soit rejetée pour les mêmes raisons que sa demande de permis de résidence pour raisons humanitaires.

Commentaires complémentaires du requérant

6.1 En date du 28 novembre 2016, le requérant a informé le Comité que sa demande d’examen des risques avant renvoi avait été rejetée le 30 octobre 2015, au motif que sa famille et lui-même ne seraient pas exposés au risque d’être persécutés, torturés, tués ou victimes d’une peine ou d’un traitement cruel ou inusité s’ils retournaient à Sri Lanka.

6.2 Le requérant a indiqué que sa famille et lui-même avaient décidé de ne pas contester les décisions de rejet de la demande d’examen des risques avant renvoi et de la demande de permis de résidence pour raisons humanitaires devant la Cour fédérale à cause des coûts que ces procédures induiraient, et parce qu’ils pensaient qu’elles seraient vaines. Ils ont déposé une nouvelle demande de permis de résidence pour raisons humanitaires en août 2016. Cette demande leur a toutefois été renvoyée en novembre 2016 car ils n’avaient pas utilisé le nouveau formulaire. Ils ont déposé une nouvelle demande le même mois.

Observations complémentaires de l’État partie sur les commentaires du requérant

7.1 Dans une note verbale en date du 30 janvier 2017, l’État partie a formulé des observations sur les commentaires du requérant. Il fait de nouveau valoir que la communication est irrecevable vu que le requérant et sa famille n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles et que l’affirmation selon laquelle leur renvoi à Sri Lanka constituerait une violation de l’article 3 de la Convention est manifestement infondée. Dans le cas où le Comité déclarerait la communication recevable, l’État partie estime qu’elle doit être déclarée sans fondement.

7.2 L’État partie fait valoir que l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a indiqué en détail, dans sa décision du 30 octobre 2015, les raisons pour lesquelles il rejetait la demande déposée par le requérant en son nom et au nom de son épouse et de leur fille. L’agent a examiné tous les éléments de preuve qui lui ont été soumis, et a identifié les documents pouvant constituer de nouvelles preuves de l’existence d’un risque de préjudice et pouvant donc être considérés comme pertinents dans le cadre de l’examen des risques avant envoi. À cet égard, il a tenu compte des rapports de police que le requérant a présentés comme des éléments nouveaux auxquels il n’avait pas eu accès précédemment. Pendant l’examen du dossier, l’agent a relevé une contradiction entre les dires du requérant et les rapports fournis. En effet, le requérant, le demandeur principal, avait expliqué pourquoi il n’avait pas déposé plainte à la suite des incidents avec les motards, alors qu’un des rapports indiquait bien qu’une plainte avait été déposée. Cette contradiction réduisait encore la crédibilité du requérant, et l’agent a considéré que les éléments présentés n’avaient qu’une faible valeur probante.

7.3 L’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a également estimé que le requérant ne fournissait pas suffisamment de preuves pour établir un lien entre les menaces qu’aurait reçues sa fille mariée qui vit à Sri Lanka et son ancien emploi auprès de l’ONU. En outre, après examen de plusieurs rapports sur la situation à Sri Lanka, l’agent chargé de l’examen des risques avant renvoi a estimé que le profil du requérant et de sa famille en tant que personnes déboutées du droit d’asile ne les exposait pas à un risque de torture en cas de renvoi à Sri Lanka.

7.4 L’État partie ajoute que l’agent chargé de l’examen de la demande de permis de résidence pour raisons humanitaires a aussi expliqué de manière détaillée les raisons du rejet de la demande déposée par le requérant en son nom et en celui de son épouse et de sa fille, alors âgée de 15 ans. L’agent a estimé qu’il n’était pas établi que le requérant et sa famille feraient face à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou démesurées s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente depuis l’étranger.

7.5 Pour arriver à cette conclusion, l’agent chargé d’examiner la demande a pris en compte différents facteurs, dont l’intérêt supérieur de l’enfant. À cet égard, il a considéré que les membres de la famille seraient renvoyés ensemble à Sri Lanka et que le requérant n’avait pas démontré que sa fille serait privée d’accès à des services éducatifs, sanitaires ou sociaux adéquats. L’agent a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments pour conclure que le fait de devoir présenter la demande de résidence permanente depuis l’étranger nuirait à l’enfant.

7.6 L’État partie soutient que le requérant et sa famille n’ont pas épuisé tous les recours internes disponibles car ils n’ont pas présenté à la Cour fédérale de demande d’autorisation de contrôle juridictionnel des décisions de rejet concernant la demande d’examen des risques avant renvoi et la demande de résidence permanente du 30 octobre 2015. L’État partie explique qu’un contrôle juridictionnel favorable aux demandeurs aboutirait à un réexamen des décisions contestées.

7.7 L’État partie affirme que le requérant et sa famille auraient aussi pu présenter une demande d’autorisation de contrôle juridictionnel de la décision rendue par l’Agence des services frontaliers du Canada le 28 janvier 2015 rejetant leur demande de sursis administratif à leur renvoi. L’État partie informe en outre le Comité qu’il est également possible de surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi en attendant l’issue d’une demande déposée auprès de la Cour fédérale.

7.8 L’État partie réaffirme que le contrôle juridictionnel est un recours qui doit être épuisé aux fins de la recevabilité, et que le contrôle juridictionnel effectué par la Cour fédérale porte sur le fond, et constitue un recours utile contre une décision de renvoi.

7.9 L’État partie soutient que les affirmations du requérant selon lesquelles la procédure de contrôle juridictionnel est coûteuse et vaine sont infondées. Il indique que de simples doutes quant à l’efficacité d’un recours ne suffisent pas à exempter une personne de l’obligation de chercher à épuiser ce recours, et qu’il n’est généralement pas de la compétence du Comité d’évaluer les chances de succès d’un recours interne. En outre, le requérant et sa famille n’ont pas prouvé, ni même affirmé, qu’ils n’avaient pas les moyens financiers d’utiliser cette voie de recours.

7.10 Enfin, l’État partie informe le Comité qu’une nouvelle demande de résidence permanente pour raisons humanitaires a été reçue en novembre 2016. La demande a été déposée par le requérant en son nom et au nom de son épouse et de sa fille. L’État partie informe le Comité qu’en cas de décision défavorable, les intéressés pourront déposer une demande d’autorisation de contrôle juridictionnel de cette décision auprès de la Cour fédérale.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

8.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la requête devrait être déclarée irrecevable au titre du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention car le requérant et sa famille n’ont pas épuisé tous les recours internes. Premièrement, ils n’ont pas déposé de demande d’autorisation de contrôle juridictionnel des décisions du 30 octobre 2015 rejetant leur demande d’examen des risques avant renvoi et leur demande de résidence permanente pour raisons humanitaires auprès de la Cour fédérale ; deuxièmement, ils n’ont pas présenté de demande d’autorisation de contrôle juridictionnel de la décision rendue par l’Agence des services frontaliers du Canada le 28 janvier 2015 rejetant leur demande de sursis administratif à leur renvoi et, troisièmement, en novembre 2016, le requérant a déposé une nouvelle demande de résidence permanente pour raisons humanitaires en son nom et au nom de son épouse et de leur fille. Le Comité prend également note de l’affirmation de l’État partie selon laquelle le contrôle juridictionnel de la Cour fédérale constitue un recours utile contre une décision de renvoi.

8.3À cet égard, le Comité rappelle sa jurisprudence, dont il ressort que ce contrôle juridictionnel porte principalement sur des points de procédure et ne comporte pas d’examen du fond de l’affaire. Le requérant ayant déjà soumis des demandes à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et à la Cour fédérale, ainsi que des demandes d’examen des risques avant renvoi et de résidence permanente pour considérations humanitaires, le Comité considère que l’on ne peut pas raisonnablement exiger de lui qu’il demande également un contrôle juridictionnel de la décision relative à l’examen des risques avant renvoi. Quant à la nouvelle demande de résidence permanente déposée en novembre 2016, le Comité rappelle qu’une demande de résidence permanente ne constitue pas, en tout état de cause, un recours utile aux fins de la recevabilité car elle n’a pas de caractère judiciaire ou d’effet suspensif sur l’expulsion du requérant. Il estime en conséquence que les dispositions du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêchent pas de procéder à l’examen de la communication.

8.4Le Comité rappelle que, pour être recevable en vertu de l’article 22 de la Convention et de l’article 113 b) de son règlement intérieur, une requête doit apporter le minimum d’éléments de preuve requis aux fins de la recevabilité. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui affirme que la communication est manifestement infondée faute d’être suffisamment étayée. Il considère néanmoins que les arguments avancés par le requérant soulèvent des questions importantes au titre de l’article 3 de la Convention, et qu’ils devraient être examinés au fond. En conséquence, le Comité déclare la communication recevable et procède à son examen au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2Le Comité doit déterminer si, en renvoyant le requérant et sa famille à Sri Lanka, l’État partie manquerait à l’obligation qui lui est faite en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Pour ce faire, il doit, en application du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de toutes les considérations pertinentes, y compris de l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé court personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour conclure qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires de penser que celle-ci serait personnellement en danger. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne risque pas d’être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

9.3Le Comité rappelle son observation générale no 1 (1997) sur l’application de l’article 3 de la Convention, où il est indiqué que l’existence du risque de torture doit être appréciée selon des éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire de démontrer que le risque couru est hautement probable (par. 6), le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe généralement au requérant, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il court un risque prévisible, réel et personnel. Bien que, conformément à son observation générale no 1, le Comité doive accorder un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, il n’est pas lié par de telles constatations et est au contraire habilité, en vertu du paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, à apprécier librement les faits en se fondant sur l’ensemble des circonstances de chaque affaire (par. 9).

9.4En l’espèce, le Comité note que les affirmations du requérant selon lesquelles lui et sa famille risquent d’être torturés en cas de renvoi vers Sri Lanka reposent sur les faits suivants : l’intéressé aurait été détenu et torturé en 1995 car il était soupçonné d’avoir des liens avec les LTTE ; il a été employé par le Département de la sûreté et de la sécurité des Nations Unies comme assistant de sécurité pendant six ans et, du fait de ses responsabilités professionnelles, il a été en conflit avec des autorités et avec des groupes paramilitaires ; depuis 2008, sa famille et lui-même ont été en plusieurs occasions harcelés et attaqués par des personnes non identifiées ; et il craint, qu’ayant été déboutés de leur demande d’asile au Canada, sa famille et lui-même ne soient soupçonnés de liens avec les membres des LTTE présents dans la diaspora.

9.5 Toutefois, le Comité prend également note des observations de l’État partie dont il ressort que les autorités de celui-ci ont estimé que de nombreuses déclarations du requérant quant aux menaces contre sa famille n’étaient pas crédibles, qu’il n’avait pas établi que le fait d’avoir été employé par le Département de la sûreté et de la sécurité des Nations Unies lui faisait courir un risque de torture, et que ni lui ni les membres de sa famille n’avaient fourni de preuves de leur implication dans des activités antigouvernementales ou de soutien aux LTTE, qui les auraient mis en danger en tant que demandeurs d’asile déboutés.

9.6 Le Comité prend en particulier note de l’argument de l’État partie selon lequel les informations fournies par le requérant, notamment les rapports de police, ne démontrent pas que les autorités sri-lankaises ne cherchent pas à protéger sa famille et lui-même et n’en sont pas capables. À cet égard, le Comité note qu’en août 2009, quand le requérant a été menacé de mort par un groupe d’hommes et un membre armé du TMPV, la police est intervenue et a dispersé les assaillants. Il note également que, lorsque le requérant a reçu un appel téléphonique menaçant une année auparavant, il a déposé une plainte auprès de la police de Batticaloa, laquelle n’a toutefois pas pu identifier l’auteur de l’appel.

9.7Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie selon lequel le requérant et sa famille n’ont pas démontré que les incidents qui auraient eu lieu entre 2008 et 2012 signifiaient qu’ils courraient encore un risque en cas de renvoi vers Sri Lanka. À cet égard, le Comité estime que le requérant n’a pas soumis suffisamment de preuves pour établir l’existence d’un lien entre les menaces que sa fille et son gendre, qui vivent toujours à Sri Lanka, auraient reçues en 2014, et son emploi au Département de la sûreté et de la sécurité des Nations Unies ou sa détention en 1995.

9.8 En ce qui concerne les affirmations générales du requérant selon lesquelles il risque d’être soumis à la torture à son retour à Sri Lanka en raison de son statut de Tamil ayant des liens réels ou supposés avec le LTTE et en tant que demandeur d’asile débouté revenant de l’étranger, le Comité convient que les Sri-Lankais d’origine tamoule qui ont eu des liens personnels ou familiaux, réels ou supposés, avec le LTTE et qui sont renvoyés de force à Sri Lanka peuvent courir un risque de torture. À cet égard, le Comité prend note de la situation des droits de l’homme à Sri Lanka et renvoie aux observations finales qu’il a formulées au sujet du cinquième rapport périodique de Sri Lanka, dans lesquelles il s’est notamment déclaré préoccupé par les informations faisant état de la persistance des enlèvements, des actes de torture et des mauvais traitements commis par les forces de sécurités sri-lankaises, y compris les militaires et la police et qui se sont poursuivis dans de nombreuses régions du pays après la fin du conflit avec les LTTE en mai 2009, et aux informations dignes de foi émanant d’organisations non gouvernementales concernant le traitement réservé par les autorités sri-lankaises aux personnes renvoyées à Sri Lanka. Le Comité rappelle toutefois que l’existence de violations des droits de l’homme dans le pays d’origine n’est pas en soi suffisante pour conclure qu’une personne court personnellement le risque d’être soumise à la torture. Le Comité rappelle aussi que, même si les faits passés peuvent être pertinents, la question principale dont est saisie le Comité est de savoir si le requérant court actuellement le risque d’être torturé s’il est renvoyé à Sri Lanka. Le Comité relève que les autorités de l’État partie, dans leur examen de la demande d’asile du requérant, ont examiné le risque de mauvais traitements auquel les demandeurs d’asile déboutés pouvaient être exposés à leur retour à Sri Lanka, et considère qu’en l’espèce, les autorités de l’État partie ont tenu compte comme il se devait des arguments du requérant.

9.9 Compte tenu de ces considérations, prises dans leur ensemble, le Comité conclut que le requérant et sa famille n’ont pas suffisamment démontré qu’il y avait des motifs suffisants de croire qu’ils courraient personnellement un risque réel, prévisible et personnel d’être soumis à la torture s’ils étaient renvoyés à Sri Lanka. De surcroît, le requérant n’a pas démontré que les autorités de l’État partie n’avaient pas mené d’enquête adéquate sur ses griefs. Le Comité considère donc que les éléments du dossier ne lui permettent pas de conclure que le renvoi du requérant et de sa famille constituerait une violation de l’article 3 de la Convention.

10.En conséquence, le Comité contre la torture, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant et de sa famille à Sri Lanka ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.