NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/91/D/1031/200115 novembre 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑onzième session15 octobre‑2 novembre 2007

DÉCISION

Communication n o  1031/2001

Présentée par:

Amaranada Banda Weerasinghe (représenté par un conseil, M. Elmore M. Perera)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

18 janvier 2001 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du Règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 22 novembre 2001 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption de la présente décision:

31 octobre 2007

Objet:Droit à un procès équitable devant la Cour suprême suite à des plaintes formées au titre du droit du travail

Questions de procédure:Appréciation des éléments étayant les griefs aux fins de la recevabilité

Question de fond: Droit à un procès équitable

Article du Protocole facultatif:2

Article du Pacte:14

[ANNEXE]

ANNEXE

DÉCISION DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME EN VERTU DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑onzième session

concernant la

Communication n o  1031/2001 *

Présentée par:

Amaranada Banda Weerasinghe (représenté par un conseil, M. Elmore M. Perera)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Sri Lanka

Date de la communication:

18 janvier 2001 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Réuni le 31 octobre 2007,

Adopte ce qui suit:

DÉCISION SUR LA RECEVABILITÉ

1.L’auteur de la communication, dont la lettre initiale est datée du 18 janvier 2001, est Amaranada Banda Weerasinghe, de nationalité sri‑lankaise, qui se dit victime d’une violation par Sri Lanka de l’article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L’auteur est représenté par un conseil, M. Elmore Perera.

Rappel des faits

2.1L’auteur travaillait pour la Mahaweli Authority of Sri Lanka (l’«Authority»), organisme de droit public chargé d’un projet de développement rural intégré à grande échelle utilisant les ressources en eau de la Mahaweli et de six autres bassins hydrographiques. Depuis le 11 août 1988, il exerçait les fonctions de directeur des projets Victoria et Randenigala. Le 1er avril 1992, il a été transféré à un autre projet connu sous le nom de «Système L», en tant que directeur de projet. Le 5 septembre de la même année, il a enquêté sur l’allégation selon laquelle un collègue mécanicien, qui a été ultérieurement reconnu coupable des faits devant un Magistrate’s Court, aurait détourné des biens publics. Le mécanicien a agressé l’auteur, à la suite de quoi celui-ci est tombé malade. En septembre 1992, il a déposé un certificat médical demandant un congé de trois mois à compter du 15 septembre. Il a appris ultérieurement que le certificat n’était jamais parvenu à son destinataire. Le 21 octobre 1992, on lui a notifié son absence du travail sans autorisation, en l’informant qu’il serait considéré comme ayant quitté son poste de travail à compter du 10 septembre 1992 puisqu’il ne s’était pas présenté au bureau depuis cette date ni n’avait soumis de raisons valables (sous forme de certificat médical par exemple) motivant son absence. L’auteur a saisi le Président de la République d’une requête demandant à être rétabli dans ses fonctions et envoyé de nombreuses lettres et rappels à l’Authority lui demandant de revoir cette décision.

2.2Dans une lettre datée du 28 juin 1994, et après avoir découvert que le certificat médical était en fait parvenu à son destinataire, l’Authority a rétabli l’auteur dans ses fonctions de directeur du projet Victoria. Il était précisé dans cette lettre qu’il percevrait le traitement qu’il touchait antérieurement et que la période pendant laquelle il n’avait pas travaillé serait considérée comme un congé sans solde. Le 30 juin 1994, l’auteur s’est présenté au bureau et a demandé le paiement des arriérés de traitement accumulés du 9 septembre 1992 au 28 juin 1994, compte tenu de l’avancement, des promotions et autres avantages auxquels il était en droit de prétendre. Bien que l’auteur ait été officiellement rétabli dans ses fonctions, il déclare qu’il ne faisait office que d’adjoint car un de ses collègues avait repris les responsabilités normalement confiées au directeur de projet.

2.3Par une lettre du 1er août 1994, l’Authority a muté l’auteur à son siège à Colombo, avec effet immédiat, l’auteur étant appelé à travailler au Cabinet du Ministre du développement de la Mahaweli de l’époque. L’État partie conteste le fait que l’auteur ait effectivement exercé des fonctions à ce poste. Le 14 août 1994, l’auteur a été libéré de ses fonctions au sein du Cabinet du Ministre et a reçu l’ordre de reprendre ses fonctions au siège, l’État partie contestant là encore le fait que l’auteur ait effectivement repris ses fonctions. Le 24 août, l’auteur a demandé le renouvellement d’un arrêt de travail pour raisons médicales, un certificat étant censé suivre. Le 25 août 1994, il a été de nouveau considéré comme ayant quitté son poste depuis le 1er août 1994 puisqu’il ne s’était pas présenté au bureau. Le 30 août et le 17 octobre 1994, il en a appelé au Directeur général et, le 23 septembre 1994, au Ministre de tutelle, sans recevoir de réponse.

2.4Le 8 novembre 1994, en vertu de la loi sur les différends d’ordre professionnel, l’auteur a déposé plainte devant le tribunal du travail qui a examiné son affaire le 11 janvier 1997. À l’issue de trois ans d’enquête, le 11 novembre 1997, le tribunal s’est prononcé en faveur de l’auteur, décidant qu’il devait être rétabli dans ses fonctions avec effet au 1er décembre 1997 et indemnisé et que la période pendant laquelle il n’avait pas travaillé ne devrait pas être considérée comme une interruption de service. L’auteur a fait appel de la décision devant la Provincial High Court, s’élevant contre le fait que le tribunal n’avait pas ordonné le paiement des arriérés de deux ans de salaire. Il déclare que son recours a été «mis de côté» dans l’attente du règlement du différend devant la Cour suprême, mais l’État partie laisse entendre que l’auteur n’a pas fait montre de la diligence voulue pour poursuivre la procédure.

2.5Le 1er décembre 1997 et suite à la décision du tribunal du travail, l’auteur a repris ses fonctions au siège de l’Authority à Colombo. Cependant, il n’a touché aucun traitement avant février 1998 (et a alors reçu un traitement d’un montant égal à celui qu’il touchait en août 1994); on ne lui a fourni ni table ni chaise et on ne lui a pas proposé non plus de bénéficier du programme de départ anticipé volontaire proposé à tous les autres employés de l’Authority. Le 27 mars 1998, l’auteur a appris que deux de ses collègues, qui avaient moins d’ancienneté que lui, avaient été promus directeurs de projet du «Système L». Le 30 mars 1998, il a émis une protestation.

2.6Par une lettre datée du 23 avril 1998, l’auteur a été transféré au «Système L» en qualité de directeur de projet adjoint auprès d’un directeur de projet par intérim nouvellement nommé. Le 4 mai 1998, il a demandé que cette décision soit réexaminée au motif notamment qu’étant le directeur de projet le plus ancien de la division, il n’était pas juste qu’il soit nommé adjoint auprès d’un directeur de projet par intérim qui venait à peine d’entamer sa période de stage. Il faisait valoir que, ayant été directeur du même projet en 1992, cette dernière nomination équivalait à une rétrogradation et à une humiliation injustifiée et que, pendant ses longues années au service de l’Authority, son comportement avait toujours donné satisfaction. La décision de transfert n’a pas été réexaminée.

2.7L’auteur a alors adressé une nouvelle plainte à l’Authority dénonçant le régime auquel il était soumis depuis qu’il avait été rétabli dans ses fonctions le 1er décembre 1997. Il a réitéré ses plaintes et demandé à ce que sa démission soit acceptée au titre du programme de départ anticipé volontaire avec effet au 1er juin 1998. Il déclare que l’Authority lui a donné l’assurance qu’il serait fait droit à sa demande de départ à la retraite s’il soumettait les documents voulus, ce qu’il a fait.

2.8L’auteur n’a pas reçu de réponse à sa demande de démission, mais le 21 août 1998, il a reçu une lettre de l’Authority déclarant qu’il serait réputé avoir quitté son poste sans autorisation à compter du 1er juin 1998 parce qu’il n’avait pas obtempéré à l’ordre de transfert qui lui avait été notifié par la lettre du 23 avril 1998.

2.9Le 18 septembre 1998, l’auteur a saisi la Cour suprême au titre de l’article 126 de la Constitution, lui demandant l’autorisation de poursuivre son affaire, la reconnaissance que les droits qui étaient les siens aux termes du paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution avaient été violés et l’attribution de dommages et intérêts, la priant de donner l’ordre à l’Authority de lui verser rétroactivement son traitement compte tenu de l’avancement et des promotions auxquels il était en droit de prétendre et d’accepter son départ anticipé dans le cadre du programme de départ anticipé volontaire, et de la condamner à payer les dépens et à lui verser réparation. Le 23 septembre 1998, la Cour suprême a renvoyé l’affaire devant la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka conformément à l’article 12 de la loi de 1996 portant création de la Commission des droits de l’homme de Sri Lanka, la chargeant d’enquêter sur la question et de lui faire part de ses conclusions.

2.10Après avoir entendu les parties le 3 septembre 1999, la Commission des droits de l’homme a adressé son rapport le 20 août 1999 à la Cour suprême. S’agissant de la question du programme de départ anticipé à la retraite, elle a estimé qu’il était «clair que [l’auteur] n’avait pas fait une demande en bonne et due forme et dans les délais qui lui étaient impartis pour bénéficier du plan [de départ anticipé volontaire]». En revanche, elle a pris acte des arriérés de salaire et des promotions auxquels l’auteur était en droit de prétendre et conclu que les arriérés devaient lui être payés compte tenu des augmentations normales prévues selon le relevé dressé par l’auteur. Elle a aussi constaté qu’il existait des «indices suffisants» pour établir que les décisions de la direction et de l’administration de l’Authority avaient violé le paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution. Sur le point de savoir comment réparer ces violations, la Commission disait regretter ne pas pouvoir apprécier le montant de l’indemnisation qui pourrait être versée à l’auteur, en l’absence de règles énoncées par la Cour suprême à cet effet.

2.11Le 2 novembre 1999, la Cour suprême a accordé à l’auteur l’autorisation de poursuivre son action en justice. Le 6 juillet 2000, suivant les conclusions de la Commission, la Cour suprême a entendu les arguments des parties quant au fond et rejeté la requête sans frais. Par un arrêt du juge Amerasinghe, approuvé par les juges Wijetunga et Weeraskara, la Cour a estimé que l’auteur n’avait pas présenté sa demande de départ à la retraite avant le 31 décembre 1997 comme il aurait dû le faire et que les délais étaient donc échus. Quant à l’argument selon lequel, en ne lui confiant pas de fonctions appropriées, l’Authority aurait transféré l’auteur de manière discriminatoire et en violation du paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution, elle a estimé que la notification adressée à l’auteur par l’Authority qu’il avait quitté son poste sans autorisation faute de s’être présenté à son nouveau bureau «ne traduit pas la mauvaise foi [de l’Authority] et n’est pas sans justification» et qu’il n’existe «aucun élément de preuve» donnant à penser que l’Authority aurait «manqué aux règles élémentaires de l’équité et agi indirectement à des fins illégales». Dans ces conditions, il n’y avait pas violation du paragraphe 1 de l’article 12 de la Constitution.

Teneur de la plainte

3.L’auteur soutient que l’État partie a violé ses droits au titre de l’article 14 du Pacte. Il déclare que, sans avoir entendu son conseil en bonne et due forme, la Cour suprême a décidé sommairement et injustement que ses droits fondamentaux n’avaient pas été violés alors que la Commission avait constaté que ses droits en vertu de la Constitution l’avaient été.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Par des observations datées du 7 mars 2002, l’État partie a fait valoir que la communication devrait être déclarée irrecevable d’emblée pour erreur manifeste au motif que l’auteur avait intentionnellement donné une version falsifiée des faits au Comité en ne lui fournissant pas l’arrêt motivé de la Cour et en donnant à penser que celle-ci avait rejeté à tort sa requête. L’État partie fait aussi valoir que l’auteur n’ayant fourni aucun élément d’information sur l’épuisement de la procédure devant la Provincial High Court, la plainte devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes.

4.2L’État partie fait aussi valoir que, tout en invoquant l’article 14 du Pacte, l’auteur n’a donné au Comité aucun élément qui indiquerait comment ou en quoi cette disposition aurait été violée. En tout état de cause, l’État partie n’a pas violé ce droit que ce soit directement ou par le truchement de ses agents et la plainte est dénuée de tout fondement juridique.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie

5.Par une lettre du 17 février 2003, l’auteur a répondu en développant la présentation des faits et en contestant tel ou tel aspect des observations de l’État partie quant aux faits. Il soutient par ailleurs que le bref arrêt de la Cour suprême l’empêche de faire recours devant la cour d’appel et d’obtenir réparation devant la High Court.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son Règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

6.2Le Comité relève que l’État partie lui a fourni copie de l’arrêt motivé de la Cour suprême, rejetant la requête de l’auteur suite à une audition à laquelle l’auteur était représenté par son conseil. Il rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle il appartient aux juridictions des États parties d’interpréter les dispositions de la législation interne et d’apprécier les faits et les preuves, sauf s’il peut être établi que l’appréciation faite par la juridiction interne a été manifestement arbitraire ou a représenté un déni de justice. Les éléments dont le Comité est saisi ne lui permettent pas de conclure que la procédure devant la Cour suprême ait été entachée de telles irrégularités. Dans les circonstances de l’espèce, le Comité considère que l’auteur n’a pas étayé son grief de violation de l’article 14 du Pacte aux fins de la recevabilité et déclare donc la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif.

6.3À la lumière de ces constatations, il est inutile que le Comité examine les autres objections de l’État partie à la recevabilité de la communication.

7.En conséquence, le Comité décide:

a)Que la communication est irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’auteur de la communication et à l’État partie.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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