Nations Unies

CED/C/AUT/CO/1

Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées

Distr. générale

6 juillet 2018

Français

Original : anglais

Comité des disparitions forcées

Observations finales concernant le rapport soumis par l’Autriche en application du paragraphe 1 de l’article 29 de la Convention *

1.Le Comité des disparitions forcées a examiné le rapport présenté par l’Autriche en application du paragraphe 1 de l’article 29 de la Convention (CED/C/AUT/1) à ses 241e et 242e séances (voir CED/C/SR.241 et 242), tenues les 23 et 24 mai 2018. À sa 252e séance, tenue le 31 mai 2018, il a adopté les présentes observations finales.

A.Introduction

2.Le Comité prend acte avec satisfaction du rapport présenté par l’Autriche en application du paragraphe 1 de l’article 29 de la Convention, ainsi que des renseignements qui y figurent. Ils se réjouit du dialogue constructif qu’il a eu avec la délégation de l’État partie sur les mesures prises pour appliquer les dispositions de la Convention, qui a permis de dissiper plusieurs de ses préoccupations, et salue, en particulier, la compétence, la rigueur et l’ouverture d’esprit avec lesquelles la délégation a répondu aux questions qu’il a posées. En outre, il remercie l’État partie de ses réponses écrites (CED/C/AUT/Q/1/Add.1) à la liste de points à traiter (CED/C/AUT/Q/1), qui ont été complétées par les réponses données oralement par la délégation pendant le dialogue et les informations complémentaires fournies par écrit

B.Aspects positifs

3.Le Comité note avec satisfaction que l’État partie a reconnu la compétence du Comité pour examiner des communications émanant de particuliers et d’États, en application des articles 31 et 32 de la Convention.

4.Le Comité félicite en outre l’État partie des mesures prises dans des domaines touchant la Convention, notamment :

a)La modification apportée au Code pénal, le 1er janvier 2015, consistant en l’ajout des article 312 b et 321 a 3) et 5) qui érigent la disparition forcée en infraction ;

b)La modification apportée au Code de procédure pénale, le 1er juin 2016, qui vise à étendre les droits des victimes d’infractions.

5.Le Comité félicite l’État partie d’avoir ratifié la quasi-totalité des grands instruments de l’Organisation des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme, ainsi que le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

6.Le Comité note aussi avec satisfaction que l’État partie a adressé à tous les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme une invitation permanente à se rendre dans le pays.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

7.Le Comité considère qu’au moment de la rédaction des présentes observations finales, le cadre législatif en vigueur dans l’État partie pour prévenir et réprimer les disparitions forcées n’était pas pleinement conforme aux obligations qui incombent aux États ayant ratifié la Convention. Il engage l’État partie à tenir compte de ses recommandations, qui ont été formulées dans un esprit constructif et dans le but de l’aider, pour faire en sorte que le cadre législatif en vigueur et la manière dont il est appliqué par les pouvoirs publics, au niveau fédéral comme à celui des Länder, soient pleinement conformes aux droits et obligations énoncés dans la Convention.

1.Informations générales

Institution nationale des droits de l’homme

8.Le Comité note que le Bureau du Médiateur autrichien assure aussi la fonction de mécanisme national de prévention au titre du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est toutefois préoccupé par le fait que cet organe n’ait obtenu que le statut « B » auprès du Sous-comité d’accréditation de l’Alliance globale des institutions nationales des droits de l’homme. En particulier, le Comité juge préoccupant que le mandat du Bureau du Médiateur soit restreint en ce qui concerne les allégations de mauvais traitements infligés par les forces de l’ordre et que les membres du Bureau soient désignés par les trois principaux partis politiques. Le Comité note également avec préoccupation l’absence de consultations publiques officielles et de participation de la société civile au cours du processus de désignation et de nomination desdits membres (art. 2).

9. Le Comité encourage l’État partie à prendre des mesures pour élargir le mandat du Bureau du Médiateur autrichien, notamment en ce qui concerne les allégations de violations commises par des agents de la force publique, et à revoir la procédure de désignation des membres du Bureau en vue de mettre ce dernier en pleine conformité avec les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris).

2.Définition et criminalisation de la disparition forcée (art. 1 à 7)

Indérogeabilité de l’interdiction de la disparition forcée

10.Le Comité note avec satisfaction que la Constitution soumet le recours à des mesures d’exception à toute une série de garanties procédurales et que l’État partie n’a jamais promulgué de telles mesures. Il constate toutefois avec préoccupation que le droit interne n’établit pas expressément qu’aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, ne peut être invoquée pour déroger à l’interdiction de la disparition forcée (art. 1).

11. Le Comité recommande à l’État partie d’envisager de prendre des mesures législatives en vue d’incorporer expressément dans le droit interne l’interdiction absolue de la disparition forcée, conformément au paragraphe 2 de l’article premier de la Convention.

Peines appropriées

12.Le Comité prend acte de l’explication donnée par l’État partie au sujet de l’opportunité des peines prévues pour l’infraction de disparition forcée par rapport à celles qu’emportent d’autres infractions en vertu du Code pénal (voir CED/C/AUT/Q/1/Add.1, par. 19 et 20). Il est néanmoins préoccupé par l’écart existant entre les peines minimale et maximale encourues, qui laisse aux tribunaux une large marge d’appréciation. Le Comité estime également que les peines minimales prévues aux articles 312 b et 312 a 3) et 5) du Code pénal ne sont pas appropriées en ce qu’elles ne prennent pas en compte l’extrême gravité de la disparition forcée (art. 7).

13. Le Comité encourage l’État partie à songer à adopter les mesures législatives voulues pour réduire l’écart entre les peines minimale et maximale applicables à l’infraction de disparition forcée, notamment en veillant à ce que la peine minimale tienne compte de l’extrême gravité de l’acte, conformément à l’article 7 de la  Convention.

3.Responsabilité pénale et entraide judiciaire en matière de disparition forcée (art. 8 à 15)

Prescription

14.Le Comité note que les disparitions forcées constituant un crime contre l’humanité sont imprescriptibles et il prend acte de l’explication fournie par la délégation, selon laquelle le délai de prescription pour une infraction de disparition forcée non constitutive de crime contre l’humanité est comparable à celui qui s’applique à d’autres infractions pénales en vertu du Code pénal (art. 8).

15. Le Comité recommande à l’État partie de faire en sorte, conformément à l’article 8 de la Convention, que le délai de prescription soit de longue durée et à la mesure de l’extrême gravité de l’infraction.

Enquêtes sur les cas de disparition forcée

16.Tout en prenant note des dispositions du Code de procédure pénale qui garantissent une enquête rapide sur les allégations d’infraction, le Comité partage les préoccupations exprimées par d’autres organes conventionnels des droits de l’homme (voir CAT/C/AUT/CO/6, par. 36, et CCPR/C/AUT/CO/5, par. 21), qui ont constaté qu’en dépit du nombre élevé de plaintes pour mauvais traitements infligés par des agents publics, le nombre des inculpations auxquelles elles donnent lieu reste faible. Le Comité prend note avec intérêt de l’information communiquée par la délégation, selon laquelle en 2017, l’État partie a enquêté sur un cas de disparition forcée présumée (art. 12 et 14 à 16).

17.L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que les auteurs présumés d’actes de disparition forcée soient dûment jugés et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines à la mesure de la gravité de leurs actes. Il  encourage l’État partie à poursuivre ses efforts pour enquêter sur les cas de disparition forcée qui se seraient produits dans des pays étrangers, notamment en demandant une assistance aux pays concernés au titre de l’entraide judiciaire.

Suspension des fonctions

18.Tout en prenant note de l’information donnée par la délégation, selon laquelle en cas de conflit d’intérêts les fonctionnaires concernés ne peuvent participer à l’enquête, le Comité regrette l’absence d’informations sur la question de savoir si les agents de l’État faisant l’objet d’une enquête pénale ou disciplinaire pour crime de disparition forcée sont immédiatement suspendus de leurs fonctions et le restent tout au long de l’enquête (art. 12).

19. Aux fins de renforcer le cadre juridique en vigueur et de garantir une application appropriée du paragraphe 4 de l’ article  12 de la Convention, le Comité recommande à l’État partie d’adopter des dispositions législatives qui prévoient expressément la suspension, pendant la durée de l’enquête, de tout agent de l’État soupçonné d’avoir commis une infraction de disparition forcée, qu’il soit civil ou militaire .

4.Mesures de prévention des disparitions forcées (art. 16 à 23)

Non-refoulement

20.Le Comité prend note des renseignements fournis par l’État partie au sujet des mesures législatives, et autres mesures, prises en matière d’extradition et d’asile afin d’assurer le respect du principe de non-refoulement. Toutefois, le Comité est préoccupé par l’absence de critères clairs et précis et/ou de procédures pour mesurer le risque qu’un demandeur d’asile soit victime d’une disparition forcée en cas de renvoi. Tout en prenant note des informations fournies par l’État partie dans ses réponses à la liste des points à traiter (CED/C/AUT/Q/1/Add.1, par. 48 à 50), le Comité est préoccupé par le fait que le Gouvernement fédéral soit autorisé à adopter un décret d’urgence en cas d’afflux de demandeurs d’asile et qu’en conséquence, des procédures spéciales telles que la procédure d’asile accélérée aux frontières peuvent être mises en place pour maintenir l’ordre public. À cet égard, le Comité est particulièrement préoccupé par le fait que la procédure accélérée aux frontières peut priver des personnes sollicitant une protection internationale de l’accès à une procédure d’asile équitable et utile. Le Comité est également préoccupé par le fait que l’Office fédéral des migrations et de l’asile soit habilité à refuser d’accorder l’effet suspensif à un recours introduit par des personnes venant de pays considérés comme sûrs et que le Tribunal administratif fédéral dispose seulement d’une semaine pour examiner ce refus (art. 16).

21.Le Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que le principe de non ‑refoulement, consacré au paragraphe  1 de l’ article  16 de la Convention, soit strictement respecté en toutes circonstances. À cet effet, l’État partie devrait :

a) Envisager d’inscrire expressément dans sa législation nationale l’interdiction d’expulser, de refouler, de remettre ou d’extrader une personne lorsqu’il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à une disparition forcée ;

b) Faire en sorte qu’il y ait des procédures ou des critères clairs et précis pour mesurer et vérifier le risque que court une personne d’être victime de disparition forcée dans le pays de destination ;

c) Garantir l’effet suspensif des recours contre une décision d’expulsion, de refoulement, de remise ou d’extradition.

Formation relative à la Convention

22.Le Comité prend note avec satisfaction des informations fournies par l’État partie au sujet de la formation complète dispensée aux juges, aux membres des forces de l’ordre et au personnel des prisons, y compris dans le domaine du droit international des droits de l’homme. Il note toutefois qu’aucune formation portant spécifiquement sur les dispositions applicables de la Convention n’est actuellement fournie, contrairement à ce que prévoit l’article 23.

23. Le Comité recommande à l’État partie de veiller à ce que tous les membres de la force publique, tant civils que militaires, les professionnels de la santé, les agents de l’État et les autres personnes intervenant dans la garde ou le traitement des personnes privées de liberté, notamment les juges, les procureurs et les autres fonctionnaires de l’administration de la justice quel que soit leur rang, reçoivent régulièrement une formation appropriée sur les dispositions de la Convention, comme le prévoit l’article 23 de celle-ci.

5.Mesures de réparation et mesures de protection des enfants contre la disparition forcée (art. 24 et 25)

24.Le Comité note la position de l’État partie selon laquelle les dispositions actuelles du Code pénal, notamment les articles 302 (abus de pouvoir), 195 (enlèvement d’enfants), 223 (falsification de documents officiels), 224 (falsification de documents officiels faisant l’objet d’une protection spéciale) et 229 (destruction de documents officiels), couvrent suffisamment la question de l’enlèvement de mineurs en les soustrayant aux soins de leurs parents. Le Comité note cependant avec préoccupation qu’il n’existe pas de disposition portant spécifiquement sur les actes visés au paragraphe 1 de l’article 25 de la Convention et rappelle qu’il incombe aux États parties de prévenir et de réprimer les actes visés dans cet article (art. 25).

25. Le Comité recommande à l’État partie de revoir sa législation pénale en vue d’ériger en infractions distinctes les actes visés au paragraphe 1 de l’article 25 de la Convention et de prévoir des peines appropriées pour ces actes, à la mesure de leur extrême gravité.

D.Diffusion et suivi

26. Le Comité tient à rappeler les obligations auxquelles les États ont souscrit en devenant parties à la Convention et, à ce propos, engage l’État partie à s’assurer que toutes les mesures qu’il adopte, quelles que soient leur nature et l’autorité dont elles émanent, sont pleinement conformes aux obligations qu’il a assumées en devenant partie à la Convention et à d’autres instruments internationaux applicables en la matière. À cet égard, sachant que l’Autriche est un État fédéral, le Comité demande à l’État partie de veiller à ce que la Convention soit pleinement appliquée, tant au niveau fédéral qu’à celui des Länder .

27. Le Comité tient également à souligner l’effet particulièrement cruel qu’ont les disparitions forcées sur les droits fondamentaux des femmes et des enfants qui en sont victimes. Les femmes soumises à une disparition forcée sont particulièrement vulnérables à la violence sexuelle et aux autres formes de violence sexiste. Les femmes parentes d’une personne disparue sont particulièrement susceptibles d’être gravement défavorisées sur les plans économique et social et de subir des persécutions et des représailles du fait des efforts qu’elles déploient pour localiser leur proche. L es  enfants victimes d’un acte de disparition forcée, qu’ils y soient soumis eux-mêmes ou subissent les conséquences de la disparition d’un membre de leur famille, sont particulièrement exposés à de nombreuses violations des droits de l’homme, notamment la substitution d’identité. C’est pourquoi le Comité insiste particulièrement sur la nécessité, pour l’État partie, de suivre des approches qui tiennent compte des questions de genre et des besoins des enfants lorsqu’il met en œuvre les droits et obligations énoncés dans la Convention.

28. L’État partie est invité à diffuser largement la Convention, le rapport qu’il a soumis en application d u paragraphe  1 de l’article 29 de la Convention, ses réponses écrites à la liste de points élaborée par le Comité et les présentes observations finales en vue de sensibiliser les autorités judiciaires, législatives et administratives, la société civile, les organisations non gouvernementales qui sont actives dans le pays et le grand public. Le Comité invite aussi l’État partie à encourager la société civile à participer à la mise en œuvre des présentes observations finales.

29. Conformément au règlement intérieur du Comité, l’État partie doit communiquer, au plus tard le 1 er  juin 2019, des informations sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité fig urant aux paragraphes 15, 21 et  25.

30. En applicatio n du paragraphe  4 de l’article  29 de la Convention, le Comité demande à l’État partie de lui soumettre, au plus tard le 1 er  juin 2024, des informations précises et à jour sur la mise en œuvre de toutes ses recommandations, ainsi que tous renseignements nouveaux concernant l’exécution des obligations découlant de la Convention, dans un document conforme aux directives concernant la forme et le contenu des rapports que les États parties doivent soumettre en application de l’article 29 de la Convention (voir CED/C/2, par. 39). Le Comité encourage l’État partie à promouvoir et à faciliter la participation de la société civile à la compilation de ces informations.