Trente-sixième session

7-25 août 2006

Observations finales du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes : Cuba

Le Comité a examiné le rapport unique présenté par Cuba valant quatrième et cinquième rapports périodiques (CEDAW/C/CUB/5-6) à ses sept cent trente-neuvième et sept cent quarantième réunions, le 8 août 2006 (voir CEDAW/SR.739 et 740). On trouvera la liste des points et questions soulevés par le Comité dans le document CEDAW/C/CUB/Q/6 et les réponses apportées par Cuba dans le document CEDAW/C/CUB/Q/6/Add.1.

Introduction

Le Comité remercie l’État partie d’avoir présenté son rapport unique valant quatrième et cinquième rapports périodiques qui respectait les directives du Comité et rappelait les observations finales précédentes, tout en regrettant le retard pris dans sa présentation. Il remercie également l’État partie pour les réponses écrites qu’il a fournies aux questions soulevées par le groupe de travail présession et pour les précisions qu’il a apportées en réponse à ses demandes orales d’éclaircissement.

Le Comité félicite l’État partie du haut niveau de sa délégation présidée par le Vice-Ministre des affaires étrangères et composée du Secrétaire général de la Fédération des femmes cubaines, d’un membre du Conseil d’État, et des représentants du Ministère de la santé publique, du Ministère du travail et de la sécurité sociale, de la Fédération des femmes cubaines, de l’Office national de la statistique et d’institutions spécialisées. Le Comité se félicite du dialogue franc et constructif qui s’est instauré entre la délégation et les membres du Comité.

Aspects positifs

Le Comité note que les effets de l’embargo se répercutent sur la situation économique et sociale difficile dans laquelle se trouve le pays, ce qui à son tour à des répercussions sur la jouissance par les femmes de leurs droits fondamentaux, en particulier dans le domaine socioéconomique, situation qui entrave l’application pleine et entière de la Convention.

Le Comité se réjouit de l’adoption de la loi sur la maternité des travailleuses (décret-loi no 234) en 2003, visant à renforcer la reconnaissance de la responsabilité des deux parents dans l’éducation des enfants.

Le Comité félicite l’État partie d’avoir modifié les dispositions de son Code pénal relatives à la violence familiale qui est maintenant une circonstance aggravante quand les actes de violence sont perpétrés par un conjoint ou un membre de la famille.

Le Comité félicite aussi l’État partie d’avoir déployé des efforts pour évaluer et actualiser le Plan d’action national pour le suivi de la quatrième Conférence mondiale sur les femmes, dans le cadre de séminaires de suivi nationaux, ayant pour but de veiller à la mise en place de politiques efficaces afin que les droits fondamentaux des femmes et l’égalité entre les sexes soient reconnus.

Le Comité note avec satisfaction que les femmes sont davantage représentées à tous les niveaux, y compris dans les organismes gouvernementaux aux niveaux municipal, provincial et national. Il se félicite également de la forte représentation des femmes au Parlement.

Le Comité se réjouit du pourcentage élevé de femmes ayant un emploi et poursuivant une carrière dans les domaines scientifique et technique comme étant une importante réalisation.

Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Tout en rappelant l ’ obligation qui incombe à l ’ État partie d ’ appliquer de manière systématique et constante toutes les dispositions de la Convention, le Comité estime que les préoccupations et recommandations énoncées dans les présentes observations finales doivent faire l ’ objet d ’ une attention prioritaire de l ’ État partie à partir de maintenant et jusqu ’ à la présentation du prochain rapport périodique. Par conséquent, le Comité demande à l ’ État partie de centrer son attention sur ces domaines dans ses activités de mise en œuvre et d ’ indiquer, dans son prochain rapport, les mesures prises et les résultats obtenus. Il demande également à l ’ État partie de transmettre les présentes observations finales à tous les ministères concernés et au Parlement afin d ’ assurer leur application pleine et entière .

Le Comité s’inquiète du fait que, même si les articles 41 et 42 de la Constitution disposent que tous les citoyens sont égaux en droit et que la discrimination fondée sur le sexe est interdite, il n’existe pas dans la législation de l’État partie de définition explicite de la discrimination à l’égard des femmes, qui soit conforme à l’article premier de la Convention.

Le Comité encourage l ’ État partie à incorporer intégralement, dans sa Constitution ou dans d ’ autres dispositions législatives nationales appropriées, la définition de la discrimination englobant la discrimination tant directe qu ’ indirecte, qui figure à l ’ article premier de la Convention. Il l ’ encourage à renforcer les programmes d ’ éducation et de formation concernant la Convention et son applicabilité dans le droit interne , et la signification et la portée de la discrimination indirecte, notamment ceux destinés aux juges, avocats et personnel des organes de répression. Il l ’ encourage en outre à renforcer les mesures en matière de sensibilisation et d ’ éducation pour mieux faire connaître aux femmes leurs droits et la Convention .

Le Comité note que l’âge minimum légal du mariage est de 18 ans pour les filles comme pour les garçons, mais il exprime son inquiétude quant au fait que l’âge minimum du mariage fixé à 14 ans pour les filles et à 16 ans pour les garçons puisse être autorisé dans des cas exceptionnels.

Le Comité engage l ’ État partie à modifier les dispositions législatives relatives à l ’ âge du mariage afin de supprimer les exceptions qui autorisent le mariage des filles à 14 ans et des garçons à 16 ans et mettre sa législation en conformité avec l ’ article premier de la Convention des droits de l ’ enfant qui définit un enfant comme étant tout être humain âgé de moins de 18 ans, avec le paragraphe 2 de l ’ article 16 de la Convention sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination à l ’ égard des femmes et avec la recommandation générale n o  21 du Comité .

Tout en comprenant les raisons pour lesquelles l’État partie a désigné comme mécanisme national pour la promotion de la femme, la Fédération des femmes cubaines, une organisation non gouvernementale ayant une expérience non négligeable en matière de sensibilisation et de mise en œuvre des droits fondamentaux des femmes cubaines, le Comité craint que ce statut institutionnel limite l’autorité et l’influence du mécanisme national au sein de la structure gouvernementale et diminue la responsabilité de l’État partie pour ce qui est de l’application de la Convention. Le Comité craint également que les ressources financières de la Fédération qui proviennent des cotisations et de ses activités économiques ne soient pas suffisantes et, de ce fait, l’empêchent de s’acquitter efficacement de ses fonctions, à savoir promouvoir la jouissance par les femmes de leurs droits et l’égalité des sexes.

Le Comité rappelle à l ’ État partie qu ’ il lui incombe d ’ assurer intégralement la transparence du Gouvernement en matière de respect et de protection de la jouissance par les femmes de leurs droits fondamentaux au titre de la Convention. À cet égard, il rappelle sa recommandation générale n o  6 intitulée « Dispositifs nationaux mis en route et publicité » et les orientations formulées dans le Programme d ’ action de Beijing sur le mécanisme national de promotion de la femme. Il recommande par ailleurs que l ’ État partie examine sans retard, et si besoin est, renforce les liens entre la Fédération des femmes cubaines et les organismes gouvernementaux pour veiller à intégrer une démarche soucieuse d ’ équité entre les sexes dans tous les domaines d ’ action du Gouvernement et allouer des ressources financières suffisantes pour permettre à la Fédération de s ’ acquitter pleinement de son mandat .

Le Comité se félicite des efforts déployés par l’État partie pour éliminer les stéréotypes fondés sur le sexe, en modifiant les manuels et les programmes scolaires, et en revoyant les méthodes pédagogiques, mais il est préoccupé par la persistance et l’omniprésence des comportements patriarcaux et des stéréotypes fortement ancrés dans la société sur le rôle et les responsabilités respectifs des deux sexes dans la famille. Ces stéréotypes continuent d’avoir un effet négatif sur la condition sociale des femmes, constituent de graves obstacles à la possibilité qu’elles ont de jouir de leurs droits fondamentaux, sont une entrave importante à la mise en œuvre de la Convention et une cause profonde de la persistance de la violence dont sont victimes les femmes.

Le Comité demande à l ’ État partie de redoubler d ’ efforts pour lutter contre l ’ acceptation largement répandue des rôles stéréotypés qui sont attribués aux hommes et aux femmes, en mettant notamment en place des programmes de sensibilisation dans les médias et d ’ information du public afin d ’ assurer la disparition des stéréotypes associés aux rôles traditionnellement dévolus aux hommes et aux femmes dans la famille et dans la société en général, conformément à l ’ alinéa f) de l ’ article 2 et à l ’ alinéa a) de l ’ article 5 de la Convention. Le Comité recommande que des mesures efficaces soient prises pour faire changer les attitudes et comportements dictés par certaines valeurs culturelles qui tolèrent encore la violence à l ’ égard des femmes .

Le Comité note que des dispositions ont été adoptées dans le Code pénal et le Code de la famille pour lutter contre la violence familiale, mais il regrette l’absence d’informations suffisantes sur le contenu de ces dispositions et leur application effective. Aux yeux du Comité, il n’est pas clairement établi si la définition de la violence, telle qu’elle figure dans la législation, est conforme à la recommandation générale du Comité no 19 sur la violence à l’égard des femmes. Le Comité s’inquiète en outre de l’insuffisance des renseignements concernant les mesures prises pour mettre en œuvre les recommandations formulées par le Comité dans l’examen du quatrième rapport périodique, à savoir prendre davantage de mesures d’appui à l’intention des femmes victimes de violence dans le foyer, notamment la mise en place de services d’assistance téléphonique et de maisons d’accueil.

Le Comité demande à l ’ État partie d ’ examiner et de préciser le contenu des nouvelles dispositions et la définition de la violence et de fournir, dans son prochain rapport périodique, des informations détaillées sur les mesures prises pour assurer leur application effective. Le Comité demande une nouvelle fois de prendre davantage de mesures d ’ appui en faveur des femmes victimes de violence et de faire figurer, dans son prochain rapport périodique, des éléments d ’ information sur les effets de ces mesures .

Tout en notant les récents efforts déployés par l’État partie en ce qui concerne le secteur du tourisme pour décourager la prostitution, le Comité s’inquiète de l’absence de mesures, notamment juridiques, visant à décourager davantage la demande en matière de prostitution. Il s’inquiète en outre de l’insuffisance de la sensibilisation et des informations relatives aux causes profondes qui conduisent les femmes, y compris les femmes instruites, à se prostituer.

Le Comité demande à l ’ État partie de prendre toutes les mesures appropriées pour réprimer l ’ exploitation de la prostitution féminine en décourageant notamment la demande des hommes et des garçons en matière de prostitution. Il l ’ exhorte en outre à redoubler d ’ efforts pour mettre en œuvre, à l ’ intention des femmes et des hommes, des programmes et campagnes d ’ éducation préventifs sur la prostitution, à accroître les possibilités économiques ouvertes aux femmes, et à réaliser des études pour identifier les causes profondes qui conduisent les femmes à se prostituer, et à prendre des mesures correctives. Le Comité demande que l ’ État partie fournisse, dans son prochain rapport, des informations et des données sur les mesures prises pour lutter contre ce phénomène .

Tout en se félicitant des progrès accomplis en ce qui concerne la participation des femmes à la vie publique et politique, le Comité s’inquiète de la faible représentation des femmes au niveau local et dans le service diplomatique. Il juge en outre inquiétant le manque de connaissances de l’État partie quant à la nature et à l’objet des mesures temporaires spéciales et aux raisons pour lesquelles elles sont appliquées dans des domaines où les inégalités entre les hommes et les femmes, au détriment des femmes, perdurent.

Le Comité recommande le recours à des mesures temporaires spéciales conformément au paragraphe 1 de l ’ article 4 de la Convention et à sa recommandation générale 25 pour accélérer l ’ accroissement de la représentation des femmes dans les organes dont les membres sont élus ou nommés, dans tous les domaines de la vie publique, et en particulier au niveau local. Ces mesures devraient être notamment assorties d ’ objectifs et de délais clairement définis; il conviendrait en outre de poursuivre les mesures pédagogiques visant à réaliser une représentation équilibrée des femmes et des hommes au niveau local, dans le service diplomatique, et aux niveaux élevés de prise de décisions dans les organismes gouvernementaux et les organismes d ’ État .

Le Comité manque d’informations suffisantes concernant la participation des femmes au marché du travail, informations qui lui permettraient d’évaluer si elles peuvent être victimes de discrimination indirecte dans l’accès aux divers secteurs de l’économie, et l’ampleur de celle-ci. Le Comité est conscient de l’élargissement du rôle traditionnellement dévolu aux femmes au foyer grâce aux possibilités d’activités bénévoles, mais il s’inquiète de l’insuffisance des informations sur les facteurs qui conduisent au pourcentage élevé de femmes au foyer et sur le pourcentage de ces femmes qui souhaitent exercer une activité rémunérée. Tout en notant que le pourcentage de femmes poursuivant une carrière dans les domaines technique et scientifique, le Comité juge inquiétant l’absence de données, et les tendances à terme, sur la participation des femmes dans d’autres catégories professionnelles et secteurs du marché du travail, et sur la ségrégation verticale et horizontale de la main-d’œuvre et les niveaux de rémunérations ventilés par sexe.

Le Comité demande à l ’ État partie d ’ inclure des renseignements détaillés et des statistiques sur le nombre de femmes, par rapport à celui des hommes, dans les catégories professionnelles et secteurs du marché du travail, ainsi que sur la ségrégation verticale et horizontale de la main-d ’ œuvre et les salaires ventilés par sexe, et à terme. Il demande à l ’ État partie d ’ effectuer des études pour évaluer si les femmes, notamment les femmes au foyer, sont victimes de discrimination directe ou indirecte dans l ’ accès à certains types d ’ emploi et niveaux sur le marché du travail. Il invite l ’ État partie à faire figurer, dans son prochain rapport périodique, les résultats de ces études, y compris les mesures prises pour donner suite aux conclusions .

Le Comité est préoccupé par le fait que, compte tenu d’une sensibilisation et d’un accès insuffisants à la planification familiale et aux méthodes de contraception, l’avortement puisse être utilisé comme méthode de contrôle des naissances et conduise à des avortements multiples pendant la période où une femme est en âge de procréer. Il regrette l’absence de données sur l’incidence de l’avortement, ventilées par âge et par zones rurales et urbaines.

Le Comité demande à l ’ État partie de renforcer la mise en œuvre des programmes et politiques visant à assurer un accès effectif aux femmes et aux hommes à des informations et des services de planification familiale et à des méthodes de contraception accessibles financièrement et de qualité, et à faire mieux connaître les risques que présente l ’ avortement pour la santé des femmes. Il lui demande de fournir, dans son prochain rapport périodique, des informations détaillées sur la portée et les effets des mesures prises, ainsi que des données sur l ’ incidence de l ’ avortement, ventilées par âge, par zones rurales et urbaines, et faisant ressortir les tendances à terme .

Le Comité est préoccupé par le faible pourcentage des femmes qui possèdent des terres dans les zones rurales et par leur accès limité au crédit et à la formation.

Le Comité recommande que l ’ État partie porte une attention particulière à la situation des femmes rurales afin de mieux faire respecter l ’ article 14 de la Convention. En particulier, il demande à l ’ État partie de s ’ assurer que les femmes vivant en zones rurales aient un accès effectif à la terre, au crédit et à des possibilités d ’ emploi .

Le Comité demande à l ’ État partie de ratifier le Protocole facultatif se rapportant à la Convention sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination à l ’ égard des femmes et à accepter, dès que possible, l ’ amendement au paragraphe 1 de l ’ article 20 de la Convention concernant la durée des réunions du Comité.

Le Comité exhorte l ’ État partie à recourir pleinement, dans l ’ exécution des obligations qui lui incombent au titre de la Convention, de la Déclaration et du Programme d ’ action de Beijing, qui renforcent les dispositions de la Convention, et lui demande de faire figurer, dans son prochain rapport périodique, des éléments d ’ information sur la question.

Le Comité souligne qu ’ une application intégrale et effective de la Convention est indispensable pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement. Il invite à prendre en compte une perspective sexospécifique et à faire expressément référence aux dispositions de la Convention dans tous les efforts visant à la réalisation des objectifs, et demande à l ’ État partie de faire figurer, dans son prochain rapport périodique, des éléments d ’ information sur la question.

Le Comité note que l ’ adhésion des États aux sept principaux instruments internationaux relatifs aux droits de l ’ homme renforce la jouissance par les femmes de leurs droits humains et de leurs libertés fondamentales dans tous les aspects de la vie. Il encourage donc le Gouvernement cubain à envisager de ratifier ceux de ces traités auxquels il n ’ est pas encore partie – le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, et la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille.

Le Comité demande que les présentes observations finales soient largement diffusées à Cuba pour que la population du pays, en particulier les fonctionnaires, les responsables politiques, les parlementaires, les organisations de femmes, des organisations de défense des droits de l ’ homme, aient connaissance des mesures prises pour assurer l ’ égalité de droit et de fait entre les hommes et les femmes, ainsi que des dispositions qui restent à prendre à cet égard. Le Comité demande à l ’ État partie de continuer de diffuser largement, en particulier auprès des organisations de femmes et des organisations de défense des droits de l ’ homme, la Convention et son Protocole facultatif, les recommandations générales du Comité, la Déclaration et le Programme d ’ action de Beijing et les résultats de la vingt-troisième session extraordinaire de l ’ Assemblée générale, intitulée « Les femmes en l ’ an 2000 : égalité entre les sexes, développement et paix pour le XXI e  siècle ».

Le Comité prie l ’ État partie de répondre aux préoccupations exprimées dans les présentes observations finales dans le prochain rapport périodique qu ’ il doit présenter au titre de l ’ article 18 de la Convention. Il l ’ invite à présenter son septième rapport périodique, attendu en septembre 2006, et son huitième rapport périodique, attendu en septembre 2010, sous forme d ’ un rapport unique à soumettre en 2010.