Nations Unies

CRPD/C/18/D/28/2015

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

5 octobre 2017

Français

Original : anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Décision adoptée par le Comité en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif, concernant la communication no28/2015 * , **

Communication p résentée par :

O. O. J. (représenté par un conseil, Lars Andén)

Au nom de :

E. O. J., O. O. J., F. I. J. et E. J.

État partie :

Suède

Date de la communication :

18 mars 2015 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 64 et 70 du règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 19 mars 2015 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision :

18 août 2017

Objet :

Expulsion d’un enfant autiste et de sa famille vers le Nigéria

Question(s) de procédure :

Épuisement des recours internes ; fondement des griefs ; recevabilité ratione materiae; recevabilité ratione personae

Question(s) de fond :

Reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité ; accès à la justice ; droit de ne pas être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants ; droit à l’éducation ; droit aux services de santé ; droit à des services d’adaptation et de réadaptation ; droit à un niveau de vie adéquat et à la protection sociale

Article(s) de la Convention :

3, 4, 5, 7, 12, 13, 15, 24, 25, 26 et 28

Article(s) du Protocole facultatif:

1, 2 b), d) et e)

1.1L’auteur de la communication est O. O. J., de nationalité nigériane, né en 1984. Il soumet la communication en son nom propre ainsi qu’au nom de son fils, E. O. J., né en 2010, de son épouse F. I. J., née en 1982, et de sa fille E. J., née en 2012. En 2013, le fils de l’auteur, E. O. J. a fait l’objet d’un diagnostic établissant qu’il était atteint d’autisme et de handicaps psychosociaux non précisés. Le 30 avril 2014, la demande d’asile de l’auteur et de sa famille a été rejetée par l’État partie. L’auteur affirme que l’expulsion de sa famille de la Suède vers le Nigéria constituerait une violation des articles 3, 4, 5, 7, 12, 13, 15, 24, 25, 26 et 28 de la Convention. Le Protocole facultatif est entré en vigueur pour l’État partie le 14 janvier 2009. L’auteur est représenté par un conseil.

1.2Le 19 mars 2015, en application de l’article 64 du règlement intérieur du Comité, le Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, agissant au nom du Comité, a adressé à l’État partie une demande de mesures provisoires en vertu de l’article 4 du Protocole facultatif et l’a prié de surseoir à l’expulsion d’E. O. J. et de sa famille vers le Nigéria tant que leur communication serait à l’examen.

A.Résumé des renseignements fournis et des arguments avancés par les parties

Rappel des faits présentés par l’auteur

2.1Du 1er août 2008 au 2 octobre 2010, l’épouse de l’auteur était titulaire d’un permis de séjour temporaire pour étudiant. Du 21 janvier au 2 octobre 2010, l’auteur était également titulaire d’un permis de séjour temporaire, qu’il avait obtenu au titre du regroupement familial. En septembre 2010, il a déposé une demande de permis de séjour en tant que travailleur indépendant. E. O. J. est né en décembre 2010, en Suède. Le 25 janvier 2012, la demande de permis de séjour de l’auteur et de son épouse a été rejetée par l’Office suédois des migrations et un arrêté d’expulsion a été délivré à leur encontre. Les recours qu’ils ont ensuite soumis au Tribunal des migrations et à la Cour d’appel des migrations ont aussi été rejetés et la décision d’expulsion est devenue définitive le 13 novembre 2012. Cependant, le Nigéria étant alors en proie à l’insécurité, la famille craignait d’y retourner, raison pour laquelle l’auteur et sa famille ont déposé une demande d’asile dans l’État partie le 10 janvier 2013. En automne 2013, le fils de l’auteur, E. O. J., a fait l’objet d’un diagnostic établissant qu’il était atteint d’autisme et d’autres handicaps psychosociaux non précisés. Des indices sous-jacents de troubles déficitaires de l’attention avec hyperactivité (TDAH) ont également été détectés. L’auteur a fait parvenir ces informations à l’Office des migrations, auxquelles il a joint un certificat médical établi par un psychologue et un rapport émanant d’un travailleur social, afin d’étayer la demande d’asile. Les autorités ont informé l’auteur que le dossier médical de son fils serait traité à part, indépendamment de la demande d’asile. L’auteur a prié l’Office des migrations de lui fournir des explications à ce sujet, mais il n’a reçu aucune réponse.

2.2Le 30 avril 2014, la demande d’asile de la famille a été rejetée par l’Office des migrations, qui a considéré que la demande devait être examinée essentiellement à la lumière de la situation qui régnait dans la ville d’origine des intéressés, à savoir Lagos. L’Office a conclu qu’ils n’avaient pas démontré de manière crédible qu’ils courraient personnellement un risque de préjudice s’ils étaient renvoyés au Nigéria.

2.3En juin 2014, l’Office des migrations a rejeté la demande de permis de séjour de la famille fondée sur les besoins médicaux d’E.O.J. (ci-après « la demande de permis de séjour pour raisons médicales »). Dans sa décision, il a indiqué que des informations obtenues par le site Web du service d’information sur les prestations médicales dans les pays d’origine (MedCOI) montraient qu’E. O. J. pourrait bénéficier d’une assistance auNigéria. Il a cité le nom de deux hôpitaux qui proposaient des traitements et des services aux enfants autistes, à savoir l’hôpital national d’Abuja et l’hôpital neuropsychiatrique fédéral de Yaba. Il a souligné qu’il existait dans le pays des établissements préscolaires qui accueillaient les enfants autistes. Il a également souligné que la famille n’avait pas produit de certificat médical à l’appui de sa demande et qu’elle n’avait soumis qu’un article de presse. L’auteur affirme que la décision ne faisait aucune mention des rapports joints à la demande d’asile, parmi lesquels figurait un diagnostic établi par un psychologue sur les troubles dont était atteint son fils.

2.4À la suite de la décision de juin 2014, l’auteur et ses proches ont tenté de contacter les hôpitaux cités dans ce document. Ils sont parvenus à joindre un médecin chef de l’hôpital national, qui leur a répondu que cet établissement ne proposait pas de services destinés aux enfants autistes. Le responsable du service de pédiatrie de l’hôpital leur a indiqué en outre que ni le Gouvernement ni le Ministère de la santé n’avaient mis en place de centres spécialisés dans la prise en charge d’enfants autistes. L’auteur a également tenté de contacter l’hôpital neuropsychiatrique fédéral de Yaba, sans succès. Toutefois, d’après les renseignements sur les services proposés affichés sur son site Web, cet établissement ne prenait pas en charge les enfants autistes. L’Office des migrations ayant indiqué en outre dans sa décision que la plupart des centres médicaux et hôpitaux universitaires fédéraux au Nigéria proposaient des services destinés aux enfants autistes, l’auteur a cherché à obtenir des informations à ce sujet. Cependant, il n’a trouvé aucune information montrant que ces services étaient disponibles. Après plusieurs tentatives, l’auteur est parvenu à joindre un médecin à l’hôpital universitaire d’Abuja. Au cours de leur conversation téléphonique, ce médecin a déclaré que son établissement ne proposait pas de services pour les enfants autistes. L’auteur a aussi fait des recherches sur Internet pour déterminer s’il existait des établissements préscolaires pour enfants autistes au Nigéria, mais il n’en a trouvé aucun.

2.5Le 30 octobre 2014, la décision de rejet de la demande d’asile de la famille de l’auteur a été confirmée par le Tribunal des migrations. Le 2 décembre 2014, l’auteur et son épouse ont saisi la Cour d’appel des migrations d’une demande d’autorisation de faire appel. Dans cette demande, le conseil de l’auteur aborde la question de la séparation de la demande d’asile pour raisons médicales d’E. O. J. de la demande d’asile de sa famille. La demande d’autorisation de faire appel a été rejetée par la Cour d’appel des migrations le 22 décembre 2014.

2.6En novembre 2014, l’auteur et son épouse ont sollicité un sursis à exécution de l’arrêté d’expulsion, invoquant l’existence d’un obstacle à l’application de la décision de renvoi, et demandé qu’on leur délivre un permis de séjour en raison du handicap de leur fils. Ils ont joint à leur demande les renseignements reçus des hôpitaux nigérians, une description des symptômes que présentait leur fils et un rapport du psychologue qui le suivait en Suède. Le 9 janvier 2015, l’Office des migrations a rejeté la demande et maintenu sa décision initiale de juin 2014, affirmant qu’il existait des soins médicaux et des établissements préscolaires pour enfants autistes au Nigéria.

2.7Le 30 janvier 2015, l’auteur et sa femme ont déposé une nouvelle demande invoquant l’existence d’obstacles à l’exécution de l’arrêté d’expulsion, à laquelle ils ont joint des renseignements émanant de trois sources au Nigéria, dont il ressortait que leur fils ne pourrait bénéficier d’aucune assistance au Nigéria et qu’il ne pourrait être pris en charge ni par les hôpitaux mentionnés par l’Office des migrations ni par les hôpitaux publics. Parmi les éléments de preuve produits par l’auteur figurait une déclaration d’un orthophoniste nigérian précisant que le système de santé public ne proposait pas de services spécifiquement destinés aux autistes, et un article d’un psychologue et d’un défenseur des droits des enfants autistes au Nigéria, qui affirmaient que les services pour enfants autistes laissaient à désirer ou étaient inexistants dans le pays, même pour les parents qui avaient les moyens de payer des services de santé privés. L’auteur et son épouse ont également fourni un article de presse sur la situation des enfants autistes au Nigéria qui montrait qu’aucune politique publique pour le traitement de l’autisme n’avait été adoptée ainsi qu’un certificat établi par le médecin de leur fils en Suède, qui précisait que le cas d’E. O. J. était distinct de celui d’autres d’enfants autistes d’intelligence moyenne car il était accompagné de plusieurs troubles du développement. Ce médecin a indiqué qu’E. O. J. suivait un traitement qui ne pouvait pas être interrompu et qui devait être suivi pendant une année et demie supplémentaire si l’on voulait obtenir des résultats positifs et prévenir l’apparition de nouvelles complications. L’auteur a également joint à la demande des rapports de l’établissement préscolaire de son fils qui décrivent son évolution et expliquent qu’il serait souhaitable qu’il reste dans le même environnement pour qu’il puisse progresser.

2.8Le 26 février 2015, la demande a été rejetée par l’Office des migrations au motif qu’une assistance était disponible au Nigéria. Le fonctionnaire chargé du dossier a fait observer que la mauvaise santé d’E. O. J. n’était pas suffisamment attestée par des certificats médicaux établis conformément aux normes du Conseil national de la santé et de la protection sociale. Il a toutefois considéré que l’existence d’un certificat médical valable n’était pas déterminante en l’espèce. Il a estimé que l’article de presse sur la situation des enfants autistes au Nigéria était un article d’opinion et ne correspondait pas au type de renseignements objectifs qui pouvait être utilisé pour évaluer la disponibilité des soins dans le pays. De même, il a considéré que le rapport du psychologue et du défenseur des droits des personnes atteintes d’autisme au Nigéria était un document à thèse et non un rapport objectif sur l’accès aux soins des autistes au Nigéria. Le fonctionnaire a relevé que, dans sa déclaration, l’orthophoniste avait uniquement indiqué que le système de santé public ne proposait pas de services spécialisés, mais qu’il n’avait donné aucun renseignement sur la situation dans le secteur privé. La décision de l’Office des migrations n’était pas susceptible de recours.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur soutient que, par l’intermédiaire de son Office des migrations, la Suède a violé les droits que son fils tient du paragraphe 2 de l’article 7 de la Convention. L’auteur souligne que l’Office des migrations a constamment maintenu sa position concernant l’expulsion d’E. O. J. et de sa famille au Nigéria et ce, sans tenir compte des graves conséquences médicales que pouvait avoir cette mesure. L’auteur souligne que, d’après le certificat médical établi par le médecin d’E. O. J., son fils a besoin d’une prise en charge continue et d’un accompagnement par du personnel spécialisé, qui peut aider ses parents ainsi que ses médiateurs d’apprentissage à trouver les aménagements qui lui conviennent le mieux.

3.2L’auteur considère en outre que l’État partie a également violé les droits que son fils tient du paragraphe 4 de l’article 12 de la Convention dans la mesure où les autorités nationales n’ont pas veillé à ce que toutes les mesures possibles soient prises pour lui permettre d’exercer sa capacité juridique. L’auteur considère que l’Office des migrations n’a pas respecté les droits, la volonté et les préférences d’E. O. J. Il considère également qu’on ne saurait dire que les mesures prises étaient exemptes de conflits d’intérêts et qu’elles n’ont donné lieu à aucun abus d’influence car la demande de permis de séjour pour raisons de santé a été examinée par le même service de l’Office des migrations et la décision concernant cette demande n’était pas susceptible de recours. L’auteur affirme que le fait qu’aucune audience n’ait été tenue sur la demande de permis de séjour pour raisons de santé d’E. O. J. constitue également une violation de l’article 12 de la Convention.

3.3L’auteur estime que les mesures prises par les autorités nationales n’étaient ni proportionnées ni adaptées à la situation d’E. O. J. car l’Office des migrations n’a pas contacté lui-même les hôpitaux au Nigéria pour vérifier le bien-fondé des allégations des parents d’E. O. J. concernant l’absence de prise en charge médicale et de possibilités d’éducation pour les enfants autistes dans leur pays. L’auteur considère que l’Office a délibérément ignoré toutes ses tentatives visant à montrer que les informations obtenues au moyen de la base de données MedCOI ne s’appliquaient pas à la situation de son fils. Il soutient en outre que les recours et les nouvelles demandes qu’il a soumis n’ont pas été examinés par un organe indépendant et impartial.

3.4L’auteur considère que les droits que son fils tient du paragraphe 2 de l’article 15 de la Convention ont été violés dans la mesure où une expulsion vers le Nigéria constituerait pour lui un traitement inhumain et dégradant, compte tenu de la nature de son handicap et de sa situation. À ce propos, l’auteur fournit une lettre adressée par son épouse à l’Office des migrations et à d’autres organes, dans laquelle elle indique ce qui suit : a) E. O. J. présente parfois des blessures dont l’auteur et elle-même ignorent la cause ; b) en tant que parents, ils ont quotidiennement des difficultés à aider et à protéger leur enfant ; c) ils ont besoin d’un soutien pour savoir comment faire face à ses réactions et ses comportements imprévisibles ; d) ils craignent que leur enfant et leur famille en général ne soient exclus de la société nigériane en raison de son handicap, qui est complétement méconnu dans leur pays.

3.5L’auteur souligne qu’actuellement E. O. J. bénéficie de l’accompagnement dont il a besoin dans son établissement préscolaire et qu’il fait des séances intensives de thérapie comportementale auxquelles participent ses parents et son médiateur d’apprentissage personnel. L’auteur affirme que l’expulsion d’E. O. J. au Nigéria, où il n’existe aucune possibilité d’accéder au type d’éducation et d’accompagnement dont il a besoin, constituerait une violation des droits que celui-ci tient de l’article 24 de la Convention, car l’exécution de cette mesure mettrait automatiquement fin à l’accompagnement et au traitement auxquels il a actuellement accès.

3.6En outre, l’auteur souligne que l’expulsion de sa famille vers le Nigéria empêcherait son fils de recevoir des soins de santé satisfaisants et de bénéficier des programmes d’adaptation et de réadaptation auxquels il participe, qui ont donné des résultats encourageants. En conséquence, l’auteur estime que le renvoi de sa famille vers le Nigéria constituerait une violation des droits que son fils tient des articles 25 a) et 26 de la Convention.

3.7Enfin, l’auteur affirme que, dans l’éventualité où sa famille serait renvoyée au Nigéria, le droit à un niveau de vie adéquat et à la protection sociale que son fils tient du paragraphe 2 de l’article 28 de la Convention serait violé car il serait privé d’accès à des services appropriés et abordables, à des appareils et à d’autres formes d’assistance propres à répondre à ses besoins liés à son handicap. L’auteur affirme que toutes ces violations sont contraires à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Observations de l’État partie concernant la recevabilité

4.1Le 22 juin 2015, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la communication. Il a demandé que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond, conformément au paragraphe 8 de l’article 70 du règlement intérieur du Comité. L’État partie estime que la communication devrait être déclarée irrecevable ratione personae au regard de l’article premier et de l’alinéa e) de l’article 2 du Protocole facultatif pour défaut manifeste de fondement.

4.2L’État partie décrit à grands traits la législation nationale se rapportant à l’expulsion des étrangers. Il indique qu’en vertu de la loi de 2005 relative aux étrangers, les questions afférentes à l’entrée et au séjour des étrangers sont généralement du ressort de trois organes : l’Office des migrations, le Tribunal des migrations et la Cour d’appel des migrations. Toute personne qui nourrit des craintes fondées d’être soumise à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants au cas où elle serait renvoyée dans son pays peut obtenir un permis de séjour en Suède et la législation consacre l’interdiction absolue de l’expulsion d’une personne vers un pays où celle-ci courrait le risque d’être soumise à de tels traitements. En outre, dans certains cas, un individu peut obtenir un permis de séjour même si un arrêté d’expulsion a été émis à son encontre et la décision est devenue définitive, lorsqu’apparaissent de nouvelles circonstances qui portent à croire que l’intéressé courrait le risque d’être condamné à mort ou soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants, ou lorsqu’il existe des raisons d’ordre médical ou autre de ne pas exécuter l’arrêté d’expulsion. En outre, une attention particulière est accordée à la situation des enfants, qui peuvent obtenir un permis de séjour même si les circonstances invoquées ne sont pas d’une gravité aussi importante que celle qui est requise dans le cas d’un adulte.

4.3L’État partie souligne que la plainte de l’auteur a été examinée par l’Office des migrations et par les tribunaux chargés des migrations. Les raisons de santé alléguées ont également été examinées par les autorités nationales, qui ont conclu que l’auteur et sa famille ne pouvaient pas prétendre à un permis de séjour. Dans leur décision, elles ont estimé que ces raisons de santé n’étaient pas d’une nature telle que l’on puisse considérer l’expulsion de l’auteur et de sa famille comme un traitement inhumain ou dégradant.

4.4L’État partie rappelle que l’article premier du Protocole facultatif dispose que le Comité a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation par cet État Partie des dispositions de la Convention. Il relève que les griefs que l’auteur tire des articles 7, 12, 24, 25, 26 et 28 de la Convention sont fondés sur l’hypothèse selon laquelle les droits de l’auteur et sa famille seraient violés au Nigéria s’ils y étaient expulsés. L’État partie fait observer que le Nigéria est partie à la Convention et au Protocole facultatif s’y rapportant. Il en conclut que la plainte ne relève pas de sa juridiction aux fins du Protocole facultatif. Il soutient qu’elle devrait être déclarée irrecevable ratione personae au regard de l’article premier du Protocole facultatif s’agissant des allégations de violation des articles 7, 12, 24, 25, 26 et 28 de la Convention.

4.5Pour ce qui est des griefs que l’auteur tire de l’article 15 de la Convention, l’État partie prie le Comité d’examiner la question de savoir si les dispositions de cet article englobent le principe de non-refoulement. À ce propos, l’État partie fait observer que plusieurs autres instances internationales chargées des droits de l’homme peuvent être saisies d’allégations de violation de ce principe. Si le Comité devait conclure que l’article 15 de la Convention couvre l’obligation de respecter le principe de non‑refoulement, cette obligation ne devrait concerner que les allégations relatives à l’existence d’un risque de torture en cas de renvoi dans le pays d’origine.

4.6Quelle que soit la position du Comité sur la question de savoir si l’existence d’une obligation de respecter le principe de non-refoulement peut être déduite de l’article 15 de la Convention, l’État partie estime que la plainte devrait être déclarée irrecevable pour défaut de fondement. Il renvoie à la jurisprudence du Comité contre la torture selon laquelle la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables établissant qu’il court personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture. L’État partie renvoie également à l’observation générale no 1 (1997) dudit Comité sur l’application de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, dans laquelle cet organe souligne qu’il n’est pas un quatrième degré de juridiction et qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé (par. 9). L’État partie renvoie encore à la jurisprudence du Comité contre la torture, selon laquelle il appartient aux tribunaux des États parties à la Convention d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans un cas d’espèce, sauf s’il peut être établi que la manière dont ces faits et ces éléments de preuve ont été appréciés était manifestement arbitraire ou équivalait à un déni de justice. L’État partie estime que ce principe devrait aussi être pris en considération lors de l’examen des plaintes soumises au Comité des droits des personnes handicapées.

4.7L’État partie affirme que les griefs de l’auteur ont été examinés de manière approfondie par les autorités nationales et qu’il n’y a aucune raison de considérer que les décisions rendues par celles-ci ont été inadéquates ou arbitraires ou qu’elles ont représenté un déni de justice. En conséquence, l’État partie estime qu’il convient d’accorder un poids considérable aux appréciations des organes nationaux chargés des migrations telles qu’elles figurent dans leurs décisions.

Commentaires de l’auteur sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité

5.1Les 24 et 28 juillet 2015, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Il maintient que la communication est recevable.

5.2En ce qui concerne la demande de permis de séjour fondée sur le handicap de son fils, l’auteur souligne qu’elle a été examinée uniquement par l’Office des migrations et que la décision de cet organe n’était pas susceptible de recours. En conséquence, la seule plainte de la famille qui ait été examinée par les autorités a été leur demande d’asile. L’auteur soutient que cela constitue en soi une violation des articles 3 (al. a) et b) et e) à f)), 4 (al. a) à e)), 5 (par. 1 à 4), 7 (par. 1 et 2), 12 (par. 4), 13 (par. 1 et 2), 24, 25, 26 (par. 1) et 28 de la Convention.

5.3L’auteur estime en outre que l’Office des migrations n’a pas les compétences médicales voulues pour traiter des cas aussi complexes que celui d’E. O. J. et qu’il ne sollicite pas l’avis d’un médecin dans le cadre de son processus décisionnel, en violation de l’article 12 de la Convention. En outre, l’auteur signale que les demandeurs d’asile ont accès à un conseil commis d’office, mais qu’il n’en va pas de même pour les auteurs de demandes pour motifs d’ordre humanitaire telles que la demande de permis de séjour d’E. O. J. pour raisons de santé, pour laquelle la famille a été représentée par un bénévole. L’auteur souligne que cela limite fortement les possibilités de demander et d’obtenir justice.

5.4L’auteur fait observer en outre que les griefs qu’il tire de l’article 12 de la Convention portent sur les procédures disponibles dans l’État partie. Il soutient que l’on peut prévoir que l’expulsion d’E. O. J. au Nigéria causera un préjudice irréparable à sa santé et à son développement et qu’elle constituera un traitement inhumain. Il estime qu’il incombe à l’État partie de prévenir un tel préjudice. En outre, on peut également prévoir que le Nigéria ne sera pas à même de protéger les droits dont jouit E. O. J. en vertu de la Convention si celui-ci est expulsé.

5.5Le 21 août 2015, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles communications et des mesures provisoires, a décidé de rejeter la demande de l’État partie tendant à ce que la recevabilité de la communication soit examinée séparément du fond.

Observations de l’État partie sur le fond et observations complémentaires de celui-ci sur la recevabilité

6.1Le 11 avril 2016, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la communication. Il affirme que les griefs tirés des articles 3, 4, 5, 7, 12, 13, 24, 25, 26 et 28 de la Convention devraient être déclarés irrecevables au regard de l’article premier du Protocole facultatif. Il répète ses objections concernant le grief de violation de l’article 15 de la Convention et soutient, au cas où la communication serait déclarée recevable par le Comité, qu’elle est dénuée de fondement.

6.2L’État partie décrit les dispositions de la loi relative aux étrangers régissant la délivrance de permis de séjour. Il rappelle que le paragraphe 2 de l’article 7 de la Convention prévoit que, dans toutes les décisions qui concernent les enfants handicapés, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est également inscrit dans la loi relative aux étrangers, qui dispose qu’une attention particulière doit être accordée à la santé et au développement de l’enfant ainsi que, plus généralement, à son intérêt supérieur.

6.3L’État partie signale en outre qu’en vertu de l’article 18 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers, l’Office des migrations peut soulever et examiner de sa propre initiative la question de l’existence d’un obstacle à l’exécution d’un arrêté d’expulsion. Les décisions de rejet d’une demande de permis de séjour prononcées en application de l’article 18 du chapitre 12 de ladite loi ne sont pas susceptibles d’appel. Toutefois, l’Office des migrations peut examiner différents points, selon les circonstances invoquées. Lorsqu’une demande de permis de séjour est rejetée en application de l’article 18 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers, l’Office des migrations peut décider de réexaminer la question au titre de l’article 19 dudit chapitre. En vertu des dispositions de cet article, un réexamen est effectué lorsqu’il y a des motifs de penser, compte tenu de nouvelles circonstances invoquées par le requérant, qu’il existe des obstacles durables à l’exécution de l’arrêté d’expulsion. Pour qu’une demande de réexamen de la demande de permis de séjour au titre de l’article 19 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers soit acceptée, les nouvelles circonstances invoquées doivent être liées à un besoin de protection en Suède. En conséquence, jusqu’à récemment, si les circonstances en question avaient trait par exemple à des motifs liés à l’état de santé du requérant, un nouvel examen au titre de l’article 19 du chapitre 12 de la loi sur les étrangers n’était pas autorisé. Toutefois, à la suite d’une décision rendue le 24 mars 2015 par la Cour d’appel des migrations, un nouvel examen peut désormais être réalisé dans des cas exceptionnels, notamment lorsque une maladie mortelle dont un requérant est atteint porte à croire que son expulsion représenterait un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci‑après « la Convention européenne des droits de l’homme »), et constitue de ce fait un motif de lui accorder une protection.

6.4En ce qui concerne la recevabilité de la communication, l’État partie maintient ses observations du 22 juin 2015 et souligne que, s’agissant des griefs tirés des articles 7, 12, 24, 25, 26 et 28 de la Convention, les allégations de l’auteur ne portent pas sur un traitement qui pourrait être infligé à son fils en Suède, mais sur un traitement qu’il risque de subir au Nigéria. En conséquence, l’État partie estime que la décision de renvoyer la famille au Nigéria ne saurait engager la responsabilité de la Suède en vertu des articles susmentionnés de la Convention. Il en conclut que le Comité n’a pas compétence pour se prononcer sur les griefs que l’auteur tire des articles 7, 12, 24, 25, 26 et 28 de la Convention à l’égard de la Suède et que ces griefs sont donc irrecevables ratione personae au regard du Protocole facultatif se rapportant à la Convention.

6.5L’État partie relève que l’auteur a également affirmé que les autorités de l’État partie avaient violé les droits que sa famille et lui-même tiennent des articles 3, 4, 5, 7, 12, 13, 24, 25, 26 et 28 de la Convention lors de l’examen de leurs demandes de permis de séjour. L’État partie estime que l’auteur n’a pas suffisamment étayé ces griefs aux fins de la recevabilité.

6.6En ce qui concerne le grief de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants tiré de l’article 15, l’État partie répète ses observations du 22 juin 2015. Il souligne que la notion de compétence aux fins de l’article 15 de la Convention doit être comprise dans le sens général qui lui est donné en droit international public. Les actes d’un État partie qui produisent des effets dans un autre État (effets extraterritoriaux) n’engagent sa responsabilité que dans des circonstances exceptionnelles. En l’espèce, ces circonstances ne sont pas réunies et la Suède ne saurait être tenue responsable de violations de la Convention qui sont susceptibles d’être commises par un autre État partie sur un territoire ne relevant pas de sa juridiction. L’État partie renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui a clairement insisté sur le caractère exceptionnel de la protection extraterritoriale des droits consacrés par la Convention européenne des droits de l’homme. Il fait observer que le Comité des droits de l’homme a adopté une approche similaire. En conséquence, l’État partie considère qu’on ne saurait déduire des dispositions de la Convention que toute personne jouit d’un droit exprès de ne pas être renvoyée dans son pays lorsqu’elle risque d’y être soumise à un traitement inhumain en raison de son état de santé et que, par conséquent, la plainte devrait être déclarée irrecevable ratione personae au regard de l’article premier du Protocole facultatif. L’État partie répète que, si le grief que l’auteur tire de l’article 15 devait être déclaré recevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif, il devrait alors être considéré comme irrecevable pour défaut manifeste de fondement.

6.7En ce qui concerne le fond de la communication, l’État partie estime que l’exécution de la décision de renvoi dont sont frappés l’auteur et sa famille ne constituerait pas une violation par la Suède de la Convention. Il fait valoir que, dans les affaires telles que le cas d’espèce, la charge de la preuve incombe à l’auteur, qui doit présenter des arguments défendables montrant qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel de torture s’il était renvoyé dans son pays. En outre, le risque de torture doit être apprécié en fonction d’éléments qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons. S’il n’est pas nécessaire que ce risque soit hautement probable, il doit en revanche être encouru personnellement et actuellement. L’État partie renvoie à ses observations du 22 juin 2015 concernant la jurisprudence et l’observation générale no 1 du Comité contre la torture.

6.8L’État partie fait observer que la loi relative aux étrangers prévoit plusieurs dispositions traitant des obstacles à l’exécution d’un arrêté d’expulsion. En vertu de l’article premier du chapitre 12 de ladite loi, aucun étranger ne peut être expulsé vers un pays où il y a de bonnes raisons de croire que l’intéressé risquerait d’être exécuté ou soumis à des châtiments corporels, à la torture ou à d’autres peines ou traitements dégradants. L’État partie répète que, dans certains cas, un permis de séjour peut être délivré à un étranger même si la décision de non-admission sur le territoire ou l’arrêté d’expulsion dont l’intéressé fait l’objet est devenu exécutoire (voir par. 4.2 ci-dessus).

6.9L’État partie souligne qu’un conseil a été chargé de représenter l’auteur et sa famille pendant la procédure d’asile et que leur demande d’asile a été examinée aussi bien oralement que par écrit, avec le concours d’un interprète et en présence de ce conseil. Un recours contre la décision relative à la demande d’asile a été examiné par le Tribunal des migrations et par la Cour d’appel des migrations. En outre, la question de savoir si le handicap du fils de l’auteur et ses besoins en matière de soins pourraient être considérés comme faisant obstacle à l’exécution de la décision de renvoi en vertu de l’article 18 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers a été examinée à quatre occasions différentes par l’Office des migrations. Par l’intermédiaire de leur conseil, l’auteur et sa famille ont été invités à soumettre des documents sur le diagnostic concernant E. O. J. et ses besoins en matière de soins. De plus, à travers le service d’information sur les prestations médicales dans les pays d’origine, l’Office des migrations a cherché à savoir quel type de soins seraient offerts à un enfant atteint du même handicap qu’E. O. J. au Nigéria. Le service d’information sur les prestations médicales dans les pays d’origine a contacté un médecin travaillant au Nigéria, auquel il a demandé si les enfants autistes pouvaient bénéficier d’une prise en charge ambulatoire et hospitalière assurée par des pédopsychiatres, des pédiatres et des pédopsychologues dans le pays et s’il existait des garderies spécialisées et, si tel était le cas, dans quelles villes. Ce médecin a répondu que la plupart des établissements de soins tertiaires comptaient parmi leur personnel des psychologues et des psychiatres et que ceux‑ci s’occupaient d’enfants. Il a ajouté que l’hôpital neuropsychiatrique fédéral de Lagos avait des services de pédopsychiatrie et de pédopsychologie et qu’il existait des garderies pour enfants autistes à Lagos.

6.10L’État partie prend note de l’allégation de l’auteur qui affirme que l’affaire n’a pas fait l’objet d’une procédure orale. Il objecte qu’une audience a eu lieu dans le cadre de la procédure d’asile devant l’Office des migrations et que l’auteur n’a pas sollicité une audience devant le Tribunal des migrations.

6.11L’État partie relève en outre que l’auteur prétend que la décision de rejet de la demande de permis de séjour de son fils en vertu de l’article 18 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers (qui était liée à la demande de permis de séjour pour raisons de santé) n’était pas susceptible de recours, en violation de la Convention. L’État partie fait valoir que l’article 18 du chapitre 12 s’applique lorsque de nouvelles circonstances surviennent après que la décision d’expulsion est devenue définitive. Il fait également valoir que l’affaire de l’auteur et de sa famille a fait l’objet d’un examen approfondi par l’Office des migrations ainsi que par les tribunaux des migrations, qui sont des organes spécialisés particulièrement expérimentés dans le domaine du droit d’asile et de son application. L’État partie fait remarquer en outre que rien ne montre que le fils de l’auteur a été victime de discrimination fondée sur son handicap au cours de la procédure. Il fait également remarquer que, tant qu’il réside en Suède, le fils de l’auteur a accès aux garderies et aux soins de santé dans les mêmes conditions que les autres enfants vivant dans le pays, y compris à un accompagnement et à des soins spécialisés, compte tenu de son état de santé. L’État partie estime donc qu’il n’y a aucune raison de considérer que les décisions des organes nationaux ont été arbitraires ou qu’elles ont constitué un déni de justice. Il estime également que les griefs que l’auteur tire des articles 3, 4, 5, 7, 12, 13, 24, 25, 26 et 28 de la Convention devraient être déclarés irrecevables pour défaut de fondement.

6.12L’État partie prend note de l’affirmation de l’auteur qui soutient que l’expulsion de son fils vers le Nigéria lui ferait courir un risque de traitements inhumains car il n’aurait pas accès aux mêmes prestations en matière de soins, d’accompagnement, d’éducation et de formation qu’en Suède. L’État partie renvoie à la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme concernant l’expulsion des étrangers malades, selon laquelle les États contractants jouissent du droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux. Toutefois, dans l’exercice de leurs droits dans ce domaine, ils doivent prendre en considération les dispositions de l’article 3 de la Convention. L’État partie souligne en outre que la Cour a considéré que l’appréciation du minimum de gravité qui doit être atteint pour que des mauvais traitements tombent sous le coup de l’article 3 de la Convention était relative et dépendait de l’ensemble des circonstances de la cause, notamment de la nature et du contexte du traitement ainsi que de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la personne concernée. L’État partie renvoie à l’arrêt de la Grande Chambre de la Cour en l’affaire N. c. Royaume-Uni, selon lequel le fait qu’en cas d’expulsion de l’État contractant le requérant connaîtrait une dégradation importante de sa situation, et notamment une réduction significative de son espérance de vie, n’est pas en soi suffisant pour emporter une violation de l’article 3. La décision d’expulser un étranger atteint d’une maladie physique ou mentale grave vers un pays où les moyens de traiter cette maladie sont inférieurs à ceux disponibles dans l’État contractant est susceptible de soulever une question sous l’angle de l’article 3, mais seulement dans des cas très exceptionnels, lorsque les considérations humanitaires militant contre l’expulsion sont impérieuses. En outre, les non-nationaux qui sont sous le coup d’un arrêté d’expulsion ne peuvent en principe revendiquer le droit de rester sur le territoire d’un État contractant afin de continuer à bénéficier de l’assistance médicale, sociale ou autre, assurée par l’État qui expulse. Dans une autre affaire, la Cour a souligné que les progrès de la médecine et les différences socioéconomiques entre les pays faisaient que le niveau de traitement disponible dans l’État contractant et celui existant dans le pays d’origine pouvaient varier considérablement, et que si la Cour, compte tenu de l’importance fondamentale que revêt l’article 3 dans le système de la Convention, devait continuer de se ménager une certaine souplesse afin d’empêcher l’expulsion dans des cas très exceptionnels, l’article 3 ne faisait pas obligation à l’État contractant de pallier lesdites disparités en fournissant des soins de santé gratuits et illimités à tous les étrangers dépourvus du droit de demeurer sur son territoire. Dans l’affaire S. H. H. c. Royaume ‑ Uni, la Cour a estimé que le niveau élevé de gravité qui était requis pour qu’un acte tombe sous le coup de l’article 3 de la Convention était également un critère à prendre en considération dans le cadre de l’interprétation de cet article, lu conjointement avec les dispositions de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. L’État partie considère que les griefs tirés de l’article 15 de la Convention devraient atteindre un seuil de gravité aussi élevé que celui qui est établi par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

6.13L’État partie relève que, d’après la jurisprudence du Comité contre la torture, l’aggravation de l’état de santé d’un individu résultant de son expulsion est généralement insuffisante pour pouvoir être considérée comme un traitement dégradant.

6.14En ce qui concerne la question de savoir si les besoins du fils de l’auteur en matière de soins et d’accompagnement pourraient constituer un obstacle à l’exécution de l’arrêté d’expulsion, l’État partie rappelle qu’un examen rigoureux, au fond, des motifs invoqués a été effectué à plusieurs reprises par les autorités nationales. Au cours de la procédure interne, il n’a pas été possible d’avoir un diagnostic précis sur les troubles dont serait atteint le fils de l’auteur. Il ressort toutefois de la copie la plus récente d’un certificat médical délivré en janvier 2015 qu’il « est probablement atteint d’autisme », mais qu’il pourrait aussi être atteint d’hyperactivité et de troubles du développement et que, comme il est encore très jeune, il est encore trop tôt pour poser un diagnostic définitif. Dans ce certificat, le médecin précise que le fils de l’auteur suit une thérapie comportementale intensive qui se déroule avec la participation de ses deux parents et du personnel de son établissement préscolaire. L’État partie fait valoir qu’il existe au Nigéria des institutions qui peuvent accompagner les enfants ayant des besoins spéciaux en raison d’un handicap mental, dont l’autisme. On peut notamment trouver des pédopsychiatres et des pédopsychologues ainsi que des garderies pour enfants autistes, notamment dans la région de Lagos, d’où la famille est originaire. L’État partie considère donc que les motifs invoqués en l’espèce n’atteignent pas le seuil élevé fixé par les instances internationales et qu’ils ne peuvent donc pas être considérés comme étant d’une nature telle que l’expulsion de l’auteur et de sa famille constituerait une violation de l’article 15 de la Convention.

6.15L’État partie ajoute que, dans son examen, l’Office des migrations n’a attaché aucune importance au fait qu’un diagnostic précis n’avait pas été posé sur les troubles du fils de l’auteur, et qu’il a accepté les informations fournies à ce sujet et fait des recherches approfondies pour déterminer s’il existait des possibilités de prise en charge psychiatrique et pédopsychologique au Nigéria.

Commentaires de l’auteur sur les observations complémentaires de l’État partie

7.1Le 17juin 2016, l’auteur a soumis ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. L’auteur renvoie à ses observations des 24 et 28juillet 2015. En ce qui concerne la recevabilité de la communication, il soutient que l’État partie est compétent pour déterminer si des permis de séjour devraient être délivrés aux membres de sa famille et qu’en conséquence les griefs soulevés à ce sujet devant le Comité sont recevables.

7.2L’auteur affirme qu’aucune audience ne s’est tenue sur la question de l’état de santé d’E. O. J. et que l’audience mentionnée par l’État partie portait sur la demande d’asile de la famille. L’auteur soutient que les renseignements cités par l’État partie, qui ont été obtenus au moyen du service d’information sur les prestations médicales dans les pays d’origine, ne sont pas suffisamment détaillés pour déterminer si un traitement adapté serait réellement disponible pour E. O. J. au Nigéria, compte tenu de la complexité de son cas.

7.3L’auteur affirme que le seul accompagnement dont bénéficie E.O.J. dans l’État partie est la thérapie comportementale et que ni lui ni sa femme ne reçoivent d’autres formes d’assistance. Il considère en outre que l’État partie a violé le droit d’E.O.J. à un niveau de vie adéquat et à la protection sociale tel qu’il est consacré au paragraphe2 de l’article28 de la Convention car il n’a pas pris de mesures d’aménagement adéquates en sa faveur.

7.4L’auteur relève que l’État partie affirme qu’un diagnostic précis sur le cas d’E. O. J. n’a pas pu être posé au cours de la procédure interne. Il objecte que les troubles dont est atteint E. O. J. ont été clairement définis comme de l’autisme comme l’attestent deux rapports de psychologues, un certificat médical et un rapport établi par un travailleur social, qui ont tous été fournis à l’Office des migrations.

Observations complémentaires

Réponse de l’État partie

8.1Le 11 décembre 2016, l’État partie a soumis ses observations complémentaires en réponse aux commentaires de l’auteur. L’État partie fait remarquer qu’en vertu de l’article 22 du chapitre 12 de la loi relative aux étrangers, une décision de non-admission sur le territoire ou d’expulsion qui n’émane pas d’une juridiction ordinaire expire dans les quatre ans à compter de la date à laquelle la décision est devenue définitive et non susceptible d’appel. Il souligne que la Cour d’appel des migrations a décidé de ne pas accepter la demande d’autorisation de faire appel soumise par la famille le 13 novembre 2012 et que la décision d’expulsion frappant les intéressés est devenue définitive et non susceptible d’appel à cette date. En conséquence, la décision d’expulsion visant l’auteur, sa femme et son fils tombait sous le coup de la prescription le 13 novembre 2016. L’État partie précise en outre que, lorsqu’une décision d’expulsion est frappée de prescription à une date donnée, elle n’est plus applicable à partir de la date en question et le demandeur peut de nouveau solliciter un permis de séjour et obtenir un nouvel examen approfondi par l’Office des migrations des motifs et des griefs qu’il souhaite invoquer. Les décisions de rejet de l’Office des migrations peuvent être contestées devant le Tribunal des migrations et la Cour d’appel des migrations.

8.2L’État partie souligne en outre que, le 13 novembre 2016, les décisions exécutoires sur la base desquelles l’auteur et sa famille auraient pu être expulsés n’étaient plus applicables. Il considère donc qu’à compter de cette date le Comité ne pouvait plus examiner la communication étant donné que l’auteur et sa famille n’avaient plus de raison d’affirmer qu’ils risquaient d’être victimes d’une violation de la Convention. L’État partie en conclut que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif, au motif qu’elle est incompatible ratione materiae avec la Convention.

8.3À titre subsidiaire, l’État partie affirme que la communication devrait être déclarée irrecevable au regard de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif pour non‑épuisement des recours internes. En effet, comme l’arrêté d’expulsion est désormais prescrit, l’auteur et sa famille peuvent soumettre une nouvelle demande de permis de séjour à l’Office des migrations et, le cas échéant, former des recours devant le Tribunal des migrations et la Cour d’appel des migrations. L’État partie fait valoir que ces possibilités constituent des recours utiles au sens de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif contre le risque allégué de violation de la Convention. L’État partie renvoie à la jurisprudence du Comité contre la torture et relève que plusieurs communications concernant la Suède soumises à cet organe ont été déclarées irrecevables pour non‑épuisement des recours internes au motif que les requérants avaient la possibilité d’engager une nouvelle procédure d’asile car la décision d’expulsion les concernant était tombée sous le coup de la prescription.

8.4En réponse aux commentaires de l’auteur du 17 juin 2016, l’État partie réaffirme que le fils de l’auteur a accès à des garderies et à des soins de santé comme les autres enfants résidant en Suède, y compris à un accompagnement et des soins spéciaux en raison de son état de santé.

Réponse de l’auteur

9.Le 16 décembre 2016 et le 6 février 2017, l’auteur a fait parvenir ses commentaires sur les observations complémentaires de l’État partie. L’auteur reconnaît que la décision d’expulsion a été frappée de prescription et qu’une nouvelle demande peut être soumise à l’Office des migrations. Il objecte toutefois qu’au moment où il a soumis sa communication au Comité, l’État partie violait la Convention et tous les recours internes avaient été épuisés. Il soutient que la période à prendre en considération pour déterminer si les recours internes ont été épuisés est celle pendant laquelle s’est produite la violation alléguée de la Convention. L’auteur affirme que l’issue d’une nouvelle procédure engagée devant l’Office des migrations sera fortement influencée par les décisions antérieures et qu’en réalité, seules les informations concernant les événements postérieurs à la dernière décision seront pris en considération. Il soutient également que, compte tenu des nouvelles modifications apportées à la législation, les chances de succès d’une nouvelle demande sont encore plus infimes que par le passé.

B.Examen de la recevabilité

10.1Avant d’examiner tout grief formulé dans une communication, le Comité doit, conformément à l’article 2 du Protocole facultatif et à l’article 65 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

10.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément à l’alinéa c) de l’article 2 du Protocole facultatif, que la même affaire n’avait pas déjà été examinée par le Comité et qu’elle n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

10.3Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteur qui soutient qu’en expulsant sa famille au Nigéria, l’État partie violerait les droits que son fils tient des articles 7, 12, 15, 24, 25, 26 et 28 de la Convention étant donné que celui-ci n’aurait pas accès à des soins de santé adéquats, à l’éducation, à des services d’adaptation et de réadaptation, à un niveau de vie adéquat et à la protection sociale au Nigéria. Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui considère qu’il n’a pas compétence pour examiner ces griefs au titre du Protocole facultatif au motif qu’un État partie ne saurait être tenu responsable de violations de la Convention qui risquent d’être commises par un autre État sur un territoire ne relevant pas de sa juridiction. L’État partie rappelle que, conformément à l’article premier du Protocole facultatif, les États parties reconnaissent que le Comité a compétence pour recevoir et examiner les communications présentées par des particuliers ou groupes de particuliers ou au nom de particuliers ou groupes de particuliers relevant de sa juridiction qui prétendent être victimes d’une violation par cet État Partie des dispositions de la Convention. Le Comité estime que le renvoi par un État partie d’une personne vers un pays où elle risque d’être victime de violations de la Convention peut, dans certaines circonstances, engager la responsabilité de l’État de renvoi au titre de la Convention, qui ne prévoit pas de clause de restriction territoriale. Le Comité considère donc que le principe de l’effet extraterritorial ne l’empêche pas d’examiner la présente communication en vertu de l’article premier du Protocole facultatif.

10.4Le Comité prend néanmoins note de l’argument de l’État partie selon lequel l’arrêté d’expulsion du 13 novembre 2012 est frappé de prescription depuis le 13 novembre 2016 et qu’il n’est donc plus exécutoire. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur et sa famille peuvent soumettre de nouvelles demandes de permis de séjour à l’Office des migrations et, le cas échéant, former ensuite des recours devant le Tribunal des migrations et la Cour d’appel des migrations. Le Comité relève en outre que l’État partie soutient que la plainte devrait être déclarée irrecevable au regard de l’article premier du Protocole facultatif au motif qu’elle est incompatible ratione personae avec la Convention ou, à défaut, qu’elle devrait être déclarée irrecevable au regard de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif pour non-épuisement des recours internes. Le Comité relève également que l’auteur affirme qu’au moment où il a soumis sa communication au Comité, l’État partie violait la Convention, et que la question de la recevabilité de la communication devrait donc être examinée à la lumière des éléments qui étaient disponibles au moment de sa soumission.

10.5Le Comité prend note de la jurisprudence du Comité contre la torture se rapportant à des affaires d’expulsion de requérants vers leur pays d’origine dans lesquelles un arrêté d’expulsion était tombé sous le coup de la prescription pendant que la communication était à l’examen, comme dans le cas d’espèce. Le Comité contre la torture a déclaré ces requêtes irrecevables pour non-épuisement des recours internes au motif que les décisions d’expulsion visant les requérants étaient désormais prescrites, qu’en conséquence les intéressés ne risquaient plus d’être expulsés de l’État partie, qu’ils avaient la possibilité de soumettre de nouvelles demandes d’asile, lesquelles seraient examinées de manière approfondie par les autorités chargées des migrations, et que rien n’indiquait que la nouvelle procédure n’aboutirait pas au résultat escompté. Le Comité prend aussi note de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à des affaires dans lesquelles les arrêtés d’expulsion frappant les requérants étaient tombés sous le coup de la prescription. La Cour a constaté que, ces arrêtés étant prescrits, ils ne pouvaient plus être exécutés. Elle a également constaté que les requérants avaient la possibilité d’engager une nouvelle procédure pour demander le statut de réfugié et un permis de séjour, dans le cadre de laquelle leurs griefs seraient examinés au fond et dont l’aboutissement pourrait faire l’objet d’un recours. La Cour a conclu qu’il n’y avait plus aucun motif de poursuivre l’examen de ces requêtes au titre du paragraphe 1 de l’article 37 de la Convention européenne des droits de l’homme et elle les a radiées du rôle.

10.6Le Comité relève que l’auteur n’a pas contesté que l’arrêté d’expulsion frappant sa famille était prescrit ni que sa famille avait la possibilité d’engager une nouvelle procédure devant les autorités chargées de l’immigration. Le Comité prend également note de l’argument de l’auteur qui soutient qu’il est peu probable que sa famille obtienne un permis de séjour s’il soumettait une nouvelle demande en son nom compte tenu des résultats de la précédente procédure interne. À ce propos, le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle de simples doutes quant à l’efficacité d’un recours ne dispensent pas une personne de l’obligation de les épuiser. Le Comité rappelle la jurisprudence du Comité contre la torture et de la Cour européenne des droits de l’homme à laquelle il a précédemment renvoyé et souligne que rien ne permet de dire que, si l’auteur et sa famille soumettaient une nouvelle demande aux autorités de l’État partie, ils n’obtiendraient pas satisfaction. Le Comité relève en outre qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 71 de son règlement intérieur, il peut reconsidérer ultérieurement une décision par laquelle il a déclaré une communication irrecevable en vertu de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif s’il reçoit une demande écrite adressée par l’auteur ou les auteurs de la communication ou en leur nom contenant des renseignements dont il ressort que les motifs d’irrecevabilité ont cessé d’exister. Compte tenu de ce qui précède, le Comité conclut que les griefs de l’auteur, qui affirme que l’expulsion de sa famille vers le Nigéria constituerait une violation par l’État partie des droits que son fils tient des articles 7, 12, 15, 24, 25, 26 et 28 de la Convention, sont irrecevables au regard de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.7Le Comité prend note du grief de l’auteur qui soutient que l’État partie a violé le droit de son fils à un niveau de vie adéquat et à la protection sociale tel qu’il est garanti au paragraphe 2 de l’article 28 de la Convention au motif qu’il ne l’a pas fait bénéficier d’aménagements adéquats pendant que la famille résidait en Suède. Il prend également note de l’affirmation de l’État partie qui considère que la communication devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes. Le Comité relève de plus qu’aucun élément du dossier ne lui permet de conclure que l’auteur a soulevé ce grief au cours de la procédure interne. Il conclut par conséquent que cette partie de la communication est irrecevable au regard de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif.

10.8Au vu de ce qui précède, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner la recevabilité du grief de l’auteur qui soutient que, dans le cadre de la procédure interne, les autorités de l’État partie ont violé les droits que son fils tient des articles 3, 4, 5, 7, 12, 13, 24, 25, 26 et 28 de la Convention.

C.Conclusion

11.En conséquence, le Comité décide :

a)Que la communication est irrecevable au regard de l’alinéa d) de l’article 2 du Protocole facultatif ;

b)Qu’en application du paragraphe 2 de l’article 71 de son règlement intérieur, il pourra reconsidérer la présente décision s’il reçoit une demande écrite adressée par les victimes ou en leur nom contenant des renseignements d’où il ressort que les motifs d’irrecevabilité ont cessé d’exister ;

c)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteur.