Nations Unies

CCPR/C/CMR/CO/5

Pacte internatio nal relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

30 novembre 2017

Original : français

Comité des droits de l’homme

Observations finales concernant le cinquième rapport périodique du Cameroun *

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné le cinquième rapport périodique du Cameroun (CCPR/C/CMR/5) à ses 3426e et 3427e séances (CCPR/C/SR.3426 et 3427), les 24 et 25 octobre 2017. À sa 3444e séance, le 6 novembre 2017, il a adopté les observations finales ci-après.

A.Introduction

2.Le Comité sait gré à l’État partie d’avoir accepté la procédure simplifiée de présentation des rapports et d’avoir soumis, quoiqu’avec du retard, son cinquième rapport périodique en réponse à la liste des points à traiter avant la soumission des rapports établie au titre de cette procédure (CCPR/C/CMR/Q/5). Il apprécie l’occasion qui lui a été offerte de renouer un dialogue constructif avec la délégation multisectorielle de l’État partie sur les mesures prises par celui-ci pour donner effet aux dispositions du Pacte. Il remercie l’État partie pour les réponses fournies oralement par sa délégation.

B.Aspects positifs

3.Le Comité salue les mesures législatives et institutionnelles prises par l’État partie, notamment :

a)L’arrêté no 081/CAB/PM du 15 avril 2011 créant le Comité interministériel de suivi de la mise en œuvre des recommandations et/ou décisions issues des mécanismes internationaux et régionaux de protection des droits de l’homme ;

b)L’adoption de la loi no 2011/024 du 14 décembre 2011 relative à la lutte contre le trafic et la traite des personnes ;

c)L’adoption de la loi no 2012/001 portant Code électoral introduisant l’approche genre pour l’établissement des listes électorales ;

d)La création de nouvelles incriminations en vertu de la loi no 2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code pénal, relatives notamment aux mutilations génitales et aux mariages forcés et précoces.

4.Le Comité accueille avec satisfaction la ratification par l’État partie du Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, en 2013.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Applicabilité du Pacte dans l’ordre juridique interne et suite donnée aux constatations du Comité

5.Le Comité note que l’article 45 de la Constitution camerounaise consacre la primauté des traités internationaux sur la législation interne et accueille favorablement les quelques exemples d’invocation du Pacte devant les juridictions nationales cités par la délégation de l’État partie. Le Comité regrette les retards souvent importants dans la mise en œuvre de ses constatations, notamment quant aux indemnisations (art. 2).

6. L’État partie devrait : a) poursuivre ses mesures destinées à sensibiliser les juges, les avocats et les procureurs aux dispositions du Pacte, de sorte que celles-ci soient prises en compte devant et par les tribunaux nationaux  ; et b) prendre toutes les mesures pour garantir le plein effet des constatations du Comité dans des délais raisonnables et garantir un recours utile en cas de violation du Pacte.

Commission nationale des droits de l’homme et des libertés

7.Le Comité accueille favorablement la réaccréditation au statut « A » de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés auprès de l’Alliance globale des institutions nationales des droits de l’homme. Il s’inquiète toutefois des informations indiquant que la Commission n’est pas perçue comme un organe totalement indépendant et en particulier : a) du processus non participatif et peu transparent de sélection de ses membres ; b) de la présence parmi ses membres de parlementaires ou sénateurs disposant du droit de vote ; et c) des informations faisant état de moyens financiers limités et de restrictions d’accès à certains lieux de détention (art. 2).

8. L’État partie devrait : a) revoir la loi n o 2004/016 du 22 juillet 2004 afin d’assurer un processus de sélection et de nomination des membres de la Commission nationale des droits de l’homme et des libertés transparent et indépendant et inclure une disposition relative aux règles de conflits d’intérêt pour ses membres  ; et b) doter la C ommission de ressources suffisantes et d’une pleine autonomie et liberté lui permettant d’accomplir pleinement son mandat, en conformité avec les Principes concernant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme (Principes de Paris).

Lutte contre la corruption

9.Tout en prenant acte des mesures prises par l’État partie pour lutter contre la corruption (opération Épervier), le Comité constate avec préoccupation le caractère systémique de la corruption sur le territoire de l’État partie. Il s’inquiète des informations faisant état d’extorsions courantes par les administrations, notamment le secteur policier, judiciaire, fiscal, éducatif et sanitaire, pour fournir un service. Il prend note des mesures prises par l’État partie pour lutter contre la corruption, mais s’inquiète toutefois des allégations d’instrumentalisation et de détournement desdites mesures pour cibler certaines personnalités, notamment politiques (art. 2, 14, 25 et 26).

10. L’État partie devrait : a) redoubler d’efforts dans sa lutte contre la corruption et l’impunité qui y est associée  ; b) garantir que l’ensemble des affaires de corruption fassent l’objet d’enquêtes indépendantes et impartiales et , au besoin , de sanctions judiciaires adéquates  ; et c) établir une politique rigoureuse à l’égard des agents publics , et prononce r des sanctions disciplinaires à l ’ encontre des agents responsables d ’ actes de corruption et les poursuivre devant les tribunaux.

Lutte contre le terrorisme

11.Tout en reconnaissant la nécessité pour l’État partie d’adopter des mesures pour lutter contre le terrorisme, le Comité est particulièrement préoccupé par : a) la loi no 2014/028 du 23 décembre 2014 portant répression des actes de terrorisme, qui introduit de nouveaux motifs de peine de mort, des dispositions contraires aux garanties fondamentales de la personne, et la compétence des tribunaux militaires, y compris sur les civils ; b) les allégations selon lesquelles ladite loi est largement appliquée, notamment pour non-dénonciation supposée d’activités de terrorisme ; et c) les informations selon lesquelles de nombreux abus, tels que des détentions arbitraires, tortures ou exécutions extrajudiciaires, seraient commis au nom de la lutte contre le terrorisme (art. 2, 6, 7, 9 et 14).

12. L’État partie devrait adopter les mesures nécessaires pour : a) revoir les dispositions de la loi n o 2014/028 en vue de la rendre compatible avec le Pacte ; et b)  veiller à ce que les mesures adoptées pour lutter contre le terrorisme soient pleinement compatibles avec les obligations qui lui incombent en vertu du Pacte et des autres normes internationa les pertinent e s .

Discrimination pour orientation sexuelle et identité de genre

13.Le Comité réitère ses préoccupations quant à l’article 347 bis du Code pénal incriminant les relations sexuelles entre adultes consentants de même sexe. Il s’inquiète également de l’article 83 de la loi no 2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et à la cybercriminalité incriminant les propositions sexuelles à une personne adulte de même sexe par voie de communication électronique. Il déplore également les informations faisant état : a) de discriminations à l’égard des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées ; b) de détentions provisoires de personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées pour de longues périodes, en violation de l’article 221 du Code de procédure pénale ; et c) de violences commises sur ces personnes dans les lieux de détention, tant du fait des détenus que du personnel carcéral (art. 2, 7, 9, 17 et 26).

14.L’État partie devrait envisager de revoir l’article 347 bis du Code pénal ainsi que l’article 83 de la loi n o 2010/012 et prendre toutes les mesures nécessaires en vue : a) d’adopter une législation complète qui protège pleinement et efficacement contre la discrimination dans tous les domaines et contienne une liste exhaustive des motifs de discrimination, y compris l’orientation sexuelle et l’identité de genre  ; et b) de protéger les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées et garantir le ur s droits fondamentaux, et s’assurer que tous les cas de discrimination et de violence donnent systématiquement lieu à une enquête, que les auteurs sont poursuivis et condamnés et que les victimes reçoivent une indemnisation adéquate .

Discrimination des personnes handicapées

15.Le Comité prend note des efforts de l’État partie, en particulier de la loi no 2010/002 du 13 avril 2010, et de l’information fournie par la délégation selon laquelle 10 % de la population camerounaise souffrirait d’un handicap. Il regrette toutefois qu’en pratique, les personnes handicapées continuent de souffrir de discrimination dans l’accès à l’emploi et à la plupart des infrastructures et services publics (art. 2 et 26).

16. L’État partie devrait poursuivre ses efforts et en pa rticulier : a)  adopter un cadre juridique avec des objectifs précis et obligatoires en matière d’accessibilité à l’emploi , aux services publics , aux bâtiments, et aux routes et moyens de transports  ; et b)  envisager de ratifier la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Discrimination et égalité entre hommes et femmes

17.Tout en accueillant favorablement la réforme du Code électoral introduisant un quota de 30 % de femmes pour l’établissement des listes électorales, le Comité est préoccupé par : a) la faible représentation des femmes à des postes de décision et dans la vie politique et publique ; et b) la surreprésentation des femmes travaillant dans le secteur informel et exclues de la protection sociale. Il demeure également préoccupé par le maintien de discriminations relatives au droit de la famille, en particulier : a) les articles 229, 1421 et 1428 du Code civil (voir CCPR/C/CMR/CO/4, par. 8) ; b) le maintien de la polygamie ; et c) la différence entre l’âge minimum du mariage pour les filles et les garçons, respectivement de 15 et 18 ans (art. 2, 3 et 26).

18. L’État partie devrait  : a) poursuivre ses efforts afin d’augmenter le nombre de femmes dans les affaires publiques, notamment en veillant à une application effective du C ode électoral ; b) prendre des mesures en vue d’accroître le nombre de femmes à des postes de responsabilité ; c) veiller à la réduction du nombre de femmes travaillant dans le secteur informel et à leur protection ; et d) poursuivre ses efforts destinés à l’établissement d’un code des personnes et de la famille conforme aux dispositions du Pacte et , en attendant, entreprendre un examen systématique de son C ode civil et réformer l’ensemble des dispositions discriminatoires à l’égard des femmes.

Violences et pratiques préjudiciables à l’égard des femmes

19.Tout en accueillant favorablement la loi no 2016/007 du 12 juillet 2016 portant Code pénal qui établit de nouvelles incriminations, notamment relatives aux violences faites aux femmes, le Comité est préoccupé par les informations faisant état du faible taux de plaintes déposées par les victimes, d’enquêtes et de condamnations. Il déplore également que la réforme n’ait pas inclus expressément le viol conjugal parmi les nouvelles incriminations. Il s’inquiète également de la persistance de la pratique des mutilations génitales féminines et du repassage des seins (art. 2, 3, 7, 24 et 26).

20. L’État partie devrait  : a) s’assurer que les cas de violence à l’égard des femmes font l’objet de plaintes , d’enquêtes approfondies et que les auteurs sont poursuivis et condamnés  ; b) intensifier les campagnes de sensibilisation sur cette question, augmenter et améliorer les services des structures d’accueil et les dispositifs de prise en charge des victimes et rassembler des données ventilées sur l’ampleur de la violence à l’égard des femmes ; c) réviser sa législation afin de pénalise r le viol conjugal et prévoir des sanctions qui soient propor tionnées à la gravité de l’acte  ; et d)  veiller à ce que toute personne se rendant coupable de mutilations génitales féminines ou d’atteinte à la croissance normale d’un organe soit poursuivie et condamnée.

Interruption volontaire de grossesse et mortalité maternelle

21.Le Comité est préoccupé par les articles 337 et 339 du Code pénal qui pénalisent le recours à l’avortement, sauf en cas de péril grave pour la santé de la femme, ainsi que par les conditions contraignantes imposées pour accéder à l’avortement légal en cas de viol, à savoir l’obtention d’une attestation de la matérialité des faits par le ministère public. Il s’inquiète de ce que ces restrictions légales poussent les femmes à recourir à des avortements non sécurisés dans des conditions qui mettent leur vie et leur santé en danger. Il demeure également préoccupé par le taux toujours important de mortalité maternelle et s’inquiète des informations faisant état d’hôpitaux illégaux et de cas de femmes qui n’ont pas été prises en charge pour défaut de paiement dans certains établissements, entraînant parfois leur décès (art. 3, 6, 7, 17 et 26).

22. L’ État partie devrait modifier sa législation en vue de garantir un accès sécurisé, légal et effectif à l’avortement lorsque la vie et la santé de la femme ou fille enceinte sont en danger et lorsque le fait de mener la grossesse à terme causerait pour la femme ou la fille une douleur ou une souffrance considérable, tout particulièrement lorsque la grossesse résulte d’un viol ou d’un inceste ou n’est pas viable. Il devrait également : a) lever l’exigence d’autorisation préalable du tribunal pour les avortements résultant d’un viol ; b) veiller à ce que les femmes et les filles ayant recours à l’avortement ainsi que les médecins qui les aident ne fassent pas l’objet de sanctions pénales, étant donné que de telles sanctions contraignent les femmes et les filles à recourir à l’avortement non sécurisé  ; c)  veiller à ce que les femmes et les filles aient accès à des services de santé prénatals et postavortement de qualité et assurer leur traitement immédiat et inconditionnel ; et d)  veiller à ce que les femmes et les adolescentes aient accès à des services de santé sexuelle et reproductive, et à ce que les moyens de contraception soient accessibles et disponibles sur l’ensemble du territoire national, en particulier dans les zones rurales et reculées.

Peine de mort

23.Tout en notant l’absence d’exécutions depuis 1997 et les explications de la délégation relatives aux raisons du maintien de la peine de mort, le Comité prend note avec regret du nombre important de personnes condamnées à mort dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, y compris par des tribunaux militaires (art. 6).

24. L’État partie devrait  : a) envisager d’ abolir la peine de mort ; b) s’assurer que toutes les personnes condamnées sur le fondement de la loi n o 2014/028 l’ont été à la suite d’ un procès équitable, en particulier lorsque ces procès ont été tenus par des tribunaux militaires contre des civils  ; et c ) envisager de commuer les peines des détenus actuell ement condamnés à mort et d’adhérer au deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte, visant à abolir la peine de mort.

Exécutions extrajudiciaires

25.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de la persistance d’exécutions extrajudiciaires dans l’État partie et regrette l’absence de statistiques à cet égard. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il est particulièrement inquiet des informations faisant état d’opérations de perquisitions et d’arrestations violentes entraînant des exécutions extrajudiciaires perpétrées par des agents de l’État, et notamment de la Brigade d’intervention rapide, tels que lors des événements du 19 novembre 2014 à Bornori ou des événements du 27 décembre 2014 à Magdémé et Doublé, qui auraient engendré 200 arrestations, 130 disparitions et 25 décès. Il s’inquiète des allégations selon lesquelles les informations relatives aux lieux d’inhumation des corps ne seraient pas transmises aux familles des victimes. Il s’inquiète également de la persistance des opérations de « justice populaire », menées contre des personnes suspectées de crime et engendrant des exécutions extrajudiciaires (art. 6).

26. L’État partie devrait  : a) procéder systématiquement et rapidement à des enquêtes impartiales et efficaces sur tous les cas signalés d’exécution s extrajudiciaire s , y compris par d es membres d e la Brigade d’intervention rapide , et identifier les auteurs en vue de les traduire en justice ; b) prendre toutes les mesures nécessaires pour établir les faits et accorder une réparation intégrale aux famille s des victimes  ; c) prendre des mesures pour prévenir et éliminer de manière effective toutes les formes d’usage excessif de la force de la part des agents de l’État, y compris la Brigade d’intervention rapide ; et d)  s’assurer que les actes de justice populaire font l’objet d’enquête s et que les responsables sont traduits en justice.

Torture, traitements cruels, inhumains ou dégradants

27.Le Comité prend note des efforts fournis par l’État partie pour poursuivre les personnes coupables d’actes de torture, mais demeure inquiet de la persistance de tels actes. Dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, il s’inquiète en particulier des allégations faisant état : a) de nombreux cas de torture et traitements cruels, inhumains ou dégradants perpétrés dans les lieux de détention de la Brigade d’intervention rapide et de la Direction générale de la recherche extérieure, engendrant des décès ou de graves handicaps ; et b) de l’existence de centres de détention secrets échappant à tout contrôle (art. 2 et 7).

28. L’État partie devrait : a) s’assurer que les cas présumés de torture et de mauvais traitements commis par d es agents de l’État, y compris de la Brigade d’intervention rapide et de la Direction générale de la recherche extérieure , font l’objet d’une enquête approfondie, et veiller à ce que les responsables soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées, et à ce que les victimes obtiennent réparation et notamment se voient propo ser des mesures de réadaptation  ; b) interdire et réprimer la détention secrète ou dans des lieux non officiel s de détention  ; et c) mettre en place un mécanisme national de prévention de la torture.

Conditions de détention

29.Le Comité est préoccupé par les mauvaises conditions de détention dans la quasi-totalité des établissements pénitentiaires de l’État partie qui auraient engendré des émeutes. Il s’inquiète en particulier : a) du taux très élevé de surpopulation carcérale ; b) des décès en détention et de la violence entre détenus ; c) de l’absence de séparation entre prévenus et condamnés et entre mineurs et adultes dans de nombreux établissements ; et d) des difficultés rencontrées par les familles pour visiter leurs proches détenus, notamment pour les personnes condamnées par les tribunaux militaires nécessitant une autorisation du procureur militaire (art. 6, 7, 10 et 23).

30. L’État partie devrait : a) poursuivre ses efforts pour améliorer les conditions de vie et le traitement des détenus  ; b) poursuivre les mesures visant à remédier au problème de la surpopulation carcérale conformément à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela) ; c) poursuivre ses efforts destinés à recourir aux mesures de substitution plutôt qu’à la privation de liberté  ; d) prendre les mesures nécessaires en vue de séparer les détenus selon l’âge, le sexe et le régime de détention  ; et e) s’assurer que les familles peuvent systématiquement rendre visite à leurs proches qui se trouvent en détention.

Traite des personnes

31.Tout en notant les efforts menés par l’État partie pour lutter contre la traite des personnes, notamment la loi no 2011/024 du 14 décembre 2011, le Comité relève avec préoccupation la persistance du phénomène à des fins de prostitution forcée des femmes ou de travail domestique des enfants. Il regrette en particulier l’absence de données statistiques ventilées par âge, sexe et origine en la matière et s’inquiète des informations selon lesquelles la plupart des cas de traite sont détectés par les organisations de la société civile (art. 8 et 24).

32. L’État partie devrait poursuivre ses efforts et en particulier : a) s’assurer que l’ensemble de sa législation est conforme aux normes internationa les en matière de lutte contre la traite des personnes ; b) renforcer ses mécanismes institutionnels en ressources financières et humaines, en particulier le réseau de lutte contre le trafic et l’exploitation des enfants et le Comité interministériel de prévention et de lutte contre la traite des personnes ; c) s’assurer de la collecte de données statistiques ventilées par âge, sexe et origine des victimes  ; d) s’assurer de l’identification des victimes de la traite et prendre les mesures propres à garantir qu’une assistance médicale, psychologique, sociale et juridique leur soit apportée  ; et e) assurer une enquête systématique sur tous les cas de traite des personnes , veiller à ce que les responsables soient poursuivis et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines appropriées .

Liberté et sécurité de la personne

33.Le Comité demeure préoccupé par les informations faisant état d’un grand nombre d’arrestations arbitraires, en particulier du fait de la Brigade d’intervention rapide dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il regrette à cet égard qu’en dépit de la nomination de ses membres, la Commission d’examen des demandes d’indemnisation pour détention arbitraire ne soit toujours pas opérationnelle. Il s’inquiète également de la durée excessive des poursuites judiciaires et du grand nombre de personnes placées en détention préventive (art. 9, 10 et 14).

34. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires afin de faire en sorte  : a) que nul ne soit l’objet d’une arrestation ou d’une détention arbitraire et que les détenus bénéficient de toutes les garanties juridiques, conformément aux articles 9 et 14 du Pacte  ; b) que tous les cas d’arrestation arbitraire fassent l’objet d’enquêtes et de sanctions disciplinaires et/ ou de poursuites judiciaires  ; c) que toutes les personnes victimes d’arrestations arbitraires reçoivent une indemnisation, notamment par le biais de la Commission d’examen des demandes d’indemnisation pour détention arbitraire  ; et d) que le Code de procédure pénale soit respecté de manière à garantir les délais de détentio n préventive.

Traitement des réfugiés

35.Le Comité exprime ses préoccupations quant aux incertitudes et imprécisions qui continuent d’entourer les procédures de détermination du statut de réfugié ou de demandeur d’asile dans l’État partie. Il note les explications de la délégation relative à la coopération avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés mais s’inquiète des informations faisant état de mauvais traitements imposés aux réfugiés et demandeurs d’asile nigérians par les forces armées et d’expulsions collectives forcées de ces derniers pour collaboration supposée avec des mouvements terroristes (art. 6, 7, 9 et 13).

36. L’État partie devrait : a) s’assurer que ses procédures de détermination du statut de réfugié sont établies conformément aux normes internationa les et garantir un accès effectif à ces procédures à tous les postes frontière, y compris dans les aéroports internat ionaux et les zones de transit, et dispenser une formation adaptée aux agents de surveillance des frontières et aux autres fonctionnaires compétents ; b)  veiller à ce qu ’il n’y ait pas de renv ois collectifs forcés  ; et c) respecter strictement l ’ interdiction absolue d e refoulement découlant des articles 6 et 7 du Pacte.

Indépendance du pouvoir judiciaire et administration de la justice

37.Le Comité demeure préoccupé par la persistance des allégations de corruption et d’ingérence du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire. Il demeure préoccupé par le fait que l’indépendance du pouvoir judiciaire n’est pas suffisamment garantie en droit et en pratique, en particulier en ce qui concerne : a) les procédures de sélection des juges ; b) les mesures disciplinaires à l’égard des juges ; c) le maintien de l’article 64 du Code de procédure pénale permettant l’intervention du Ministère de la justice ou du Procureur général pour mettre un terme aux procédures pénales dans certains cas. Il s’inquiète également : a) des informations faisant état de violations du droit à un procès équitable telles qu’étayées par les avis du Groupe de travail sur la détention arbitraire dans les affaires Paul Kingue, Christophe Désiré Bengono et Marafa Hamidou Yaya ; et b) du maintien de la compétence des tribunaux militaires pour juger des civils, encore étendue par la loi no 2017/12 du 12 juillet 2017 portant Code de justice militaire (par. 14).

38. L’État partie devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour préserver, dans la loi et dans la pratique, l’indépendance du pouvoir judiciaire , et en particulier : a) faire disparaître toutes les formes d’ingérence du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire et enquêter de manière efficace sur les allégations concernant de tels faits  ; b) redoubler d’efforts pour combattre la corruption dans le système judiciaire et poursuivre et punir les responsables, y compris les juges qui pourraient être complices  ; c) envisager de revoir la composition et le fonctionnement du Conseil national supérieur de la magistrature en vue de garantir et d’assurer l’impartialité de la justice  ; et d) réformer son cadre législatif a fin de s’assurer que les tribunaux militaires ne puissent pas juger de s civils.

Droit à la vie privée

39.Le Comité exprime ses préoccupations quant à la loi no 2010/012 du 21 décembre 2010 relative à la cybersécurité et à la cybercriminalité, en particulier quant à son article 25 imposant aux opérateurs de réseaux et fournisseurs de services une période de rétention des données de dix années, contraire au caractère privé des données (art. 17).

40. L’État partie devrait revoir sa législation afin de s’assurer que les règles relatives à la durée de conservation de s données et à l’accès aux données conservées sont limitées au strict nécessaire et compatibles avec les dispositions du Pacte.

Liberté d’expression et liberté de réunion, protection des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme

41.Le Comité exprime ses préoccupations quant aux informations faisant état : a) de tortures et mauvais traitements infligés à des journalistes ; b) de procès contre les médias ou journalistes pouvant être assimilés à des procès d’opinion ; c) d’interdictions de la tenue de conférences de presse ; d) de coupures de connexion Internet pendant plusieurs mois ; et e) de représailles à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme. Il s’inquiète également des informations faisant état d’atteintes à la liberté de réunion, en particulier dans le cadre de la crise anglophone, et d’un usage excessif de la force par des agents des services de police pour disperser les manifestations, ayant engendré des morts et des blessés lors des événements du 1er octobre 2017 (art. 2, 6, 7, 14, 19, 21 et 26).

42. À la lumière de l’observation générale n o  34 (2011) du Comité sur la liberté d’opinion et la liberté d’expression, l’État partie devrait : a) s’assurer que toute restriction imposée aux activités de la presse et des médias et à l’accès à Internet est strictement conforme aux dispositions du paragraphe 3 de l’article 19 du Pacte  ; b)  veiller à ce que ses agents évitent toute atteinte injustifiée ou disproportionnée à la liberté d’expression des médias , et protéger les journalistes contre toute forme de torture ou de mauvais traitement s et enquêter, poursuivre et condamner les responsables de tels actes  ; c) prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la protection des défenseurs des droits de l’homme contre les menaces et les intimidations, et enquêter, poursuivre et condamner les responsables de tels actes  ; d)  lever toute restriction non nécessaire à la liberté de réunion et de manifest ation , notamment pour les minorités anglophones du pays  ; et e) mener promptement des enquêtes impartiales et efficaces et traduire les responsables en justice, dans tous les cas où il y a eu un usage excessif de la force pour disperser des manifestations .

Garanties d’élections libres et honnêtes

43.Tout en notant l’assurance légale de l’indépendance de l’ELECAM (Elections Cameroon), l’organe de contrôle des élections, le Comité exprime ses inquiétudes quant aux informations faisant état d’un manque d’indépendance et d’impartialité de ses membres envers le pouvoir exécutif (art. 25).

44. L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour garantir l’indépendance de l’ELECAM et assurer la bonne tenue des élections de 2018 et à venir.

Droit des minorités

45.Le Comité est préoccupé par la situation des populations pygmée et mbororo, en particulier par les informations faisant état : a) de discrimination ; b) de confiscation de leurs terres traditionnelles ; et c) de violences, harcèlement et menaces à leur égard. Il exprime également ses préoccupations par rapport aux informations faisant état de discrimination dans l’accès à l’emploi et à la participation publique et de restrictions des droits d’expression et de manifestation pacifiques de la minorité anglophone (art. 2, 19, 21 et 27).

46. L’État partie devrait prendre le s mesures nécessaires pour : a)  garantir l’absence de discrimination à l’égard des peuples autochtones et des minorités  ; b)  assurer la protection juridique effective du droit des peuples autochtones à leurs ressources naturelles et terres ancestrales  ; c) garantir que les cas de violence, harcèlement et menaces à leur égard font l’objet d’enquêtes et de poursuites  ; et d)  s’assurer du traitement égalitaire de la minorité anglophone et garantir ses droits d’expression et de réunion.

D.Diffusion et suivi

47.L’État partie devrait assurer une large diffusion du Pacte, du cinquième rapport périodique et des présentes observations finales afin de sensibiliser les autorités judiciaires, législatives et administratives, la société civile, les organisations non gouvernementales œuvrant dans le pays et le grand public aux droits consacrés par le Pacte. L’État partie devrait veiller à ce que le rapport et les présentes observations finales soient traduits dans ses langues officielles.

48.Conformément au paragraphe 5 de l’article 71 du règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait faire parvenir, dans un délai de deux ans à compter de l’adoption des présentes observations finales, à savoir le 10 novembre 2019, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées aux paragraphes 26 (exécutions extrajudiciaires), 28 (torture, traitements cruels, inhumains ou dégradants), et 42 (liberté d’expression et liberté de réunion, protection des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme).

49.Le Comité demande à l’État partie de lui soumettre son prochain rapport périodique incorporant des renseignements quant à la mise en œuvre des présentes observations finales d’ici au 10 novembre 2022. L’État partie ayant accepté d’utiliser la procédure simplifiée de présentation des rapports, le Comité lui communiquera en temps voulu une liste de points à traiter établie avant la soumission du rapport. Les réponses de l’État partie à cette liste constitueront son sixième rapport périodique. Conformément à la résolution 68/268 de l’Assemblée générale, le rapport ne devra pas dépasser 21 200 mots.