Nations Unies

CAT/C/68/D/782/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

26 décembre 2019

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 782/2016*, **

Communication p résentée par :

HanyKhater (représenté par Alkarama, MeRachid Mesli)

Au nom de :

Le requérant

État partie :

Maroc

Date de la requête :

14novembre 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application des articles 114 et 115 du règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 15 novembre 2016 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

22novembre 2019

Objet :

Extradition du requérant en Égypte

Question(s) de procédure :

Épuisement des voies de recours internes; recevabilité − absence de justification

Question(s) de fond :

Risque de torture en cas d’extradition pour motifs politiques (non-refoulement) ; mauvais traitement en détention

Article (s) de la Convention :

3 et 16

1.1L’auteur de la présente requête est Hany Khater, citoyen égyptien, né le 22 mars 1974 en Égypte. M. Khater est détenu sous écrou extraditionnel à la prison de Salé au Maroc en attente d’être extradé vers l’Égypte où il prétend qu’il risquerait d’être soumis à la torture. Le requérant invoque que son extradition constituerait une violation par le Maroc des obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par la fondation Alkarama Suisse.

1.2Dans sa requête, le requérant sollicitait le Comité pour qu’il prenne des mesures provisoires. Le 15 novembre 2016, le Comité, agissant en vertu de l’article 114 de son règlement intérieur, a décidé d’ordonner des mesures provisoires priant l’État partie de ne pas extrader le requérant vers l’Égypte pendant que sa requête était en cours d’examen par le Comité.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant est journaliste et il est membre du Syndicat des journalistes égyptiens depuis 2005. En tant que journaliste en Égypte, le requérant avait publié des articles sur la corruption dans le pays, mettant en cause des personnalités officielles dont certaines exercent actuellement des responsabilités au sein du Gouvernement mis en place par le général Sissi.

2.2Depuis 2010, le requérant exerçait son métier entre l’Égypte et le Maroc en tant que journaliste freelance. En 2010, il avait créé une société de média à Tanger au Maroc ainsi qu’un journal « Les nouvelles du Maghreb ». Le requérant indique que c’est du fait de ces articles publiés en Égypte que les autorités égyptiennes l’ont accusé en 2013 de « faux et usage de faux », pour justifier des poursuites à caractère politique. Il précise qu’il s’était alors présenté en décembre 2014 devant le Procureur de la République du Caire qui lui avait notifié verbalement la confiscation de ses journaux. Il n’avait cependant pas été arrêté à cette occasion, mais continuait de faire l’objet d’une surveillance policière ; il craignait alors à tout moment d’être arrêté et torturé.

2.3En septembre 2015, il s’est rendu au Maroc où il a créé une société de média. Il affirme avoir été chargé par des collègues journalistes arabes d’ouvrir un bureau local de la Fédération internationale des journalistes arabes. Le requérant était alors rentré au Maroc avec un visa valable pour deux mois. Cependant, le 17 février 2017, le requérant a été interpelé par des agents de police en tenue civile, alors qu’il se trouvait dans un hôtel à Casablanca, lesquels l’ont informé de l’existence d’un mandat d’arrêt international, transmis à INTERPOL, émis contre lui par les autorités égyptiennes en date du 12 février 2016 pour un prétendu délit de « faux et usage de faux ». Selon le requérant, ce mandat d’arrêt international avait été émis par les autorités égyptiennes sur la base des poursuites engagées contre lui en 2013 pour lesquelles il avait été condamné à la prison à perpétuité.

2.4À la suite de cette arrestation, le requérant a d’abord été poursuivi par les autorités marocaines pour « résidence illégale » et « faux et usage de faux » du fait de l’expiration de son visa de séjour et pour ne pas avoir enregistré de manière régulière le bureau local de la Fédération internationale des journalistes arabes. Sur la base de ces charges, il a été déféré devant le tribunal correctionnel d’Ain Sbaa, à Casablanca, le 14 février 2016 et condamné, le 29 février, à trois mois de prison ferme et à 1 000 dirhams d’amende pour résidence illégale et faux et usage de faux. Il est à souligner que, lors de cette procédure, le requérant n’a pas bénéficié de l’assistance d’un avocat. Incarcéré à la prison de Salé, le requérant a été maintenu en détention à l’expiration de sa peine de trois mois de prison sous écrou extraditionnel en raison du mandat d’arrêt international. Il risque aujourd’hui d’être extradé vers l’Égypte à tout moment.

2.5En ce qui concerne la demande d’extradition de la part de l’Égypte, le requérant a été informé par un courrier de la Cour de cassation en date du 26 septembre 2016 qu’un avis favorable avait été rendu sur la demande d’extradition de l’Égypte par une décision datant du 25 avril 2016. Le requérant s’était opposé à son extradition vers l’Égypte en soulevant les risques de tortures qu’il encourait dans son pays.

2.6Le requérant indique que cette affaire n’a été soumise à aucun autre mécanisme de règlement ou d’enquête. Quant à l’exigence d’épuisement des voies de recours internes, le requérant a effectué tous les recours effectifs possibles. Il a continuellement contesté son extradition et rappelé qu’il craignait pour sa vie et qu’il risquait d’être soumis à la torture du fait de ses activités de journalistes et des articles critiques qu’il avait publiés. Bien que la décision favorable de la Cour de cassation sur la demande d’extradition soit définitive et ne soit susceptible d’aucune voie de recours ordinaire, le requérant a continué à contester son extradition. Maintenu en détention sans accès à un avocat, le requérant a adressé de nombreux courriers à diverses autorités de l’État requis (Maroc), demandant à ne pas être extradé et faisant part de ses craintes et des risques sérieux qu’il encourait d’être victime de torture et d’autres violations de ses droits fondamentaux s’il venait à être extradé vers l’Égypte.

2.7Entre août et octobre 2016, le requérant a ainsi envoyé huit courriers, notamment : le 4 août 2016, une lettre au Procureur du Roi à Casablanca l’informant qu’il n’avait pas été notifié de la décision de la Cour de cassation et par laquelle il sollicitait une copie de la décision d’extradition ; le 8 septembre 2016, une lettre au porte-parole du Gouvernement ; le 8 septembre 2016, une lettre au Procureur de la Cour de cassation ; le 8 septembre 2016, une plainte au Ministre de la justice et des libertés ; le 26 septembre 2016, une lettre au Roi ; le 4 octobre 2016, une lettre au Premier Ministre ; et le 20 octobre 2016, une lettre à la direction des affaires pénales et des grâces. En dépit de ses demandes, il n’a jamais reçu copie de l’arrêt de la Cour de cassation se prononçant sur son extradition ni obtenu de réponse quant à ses demandes et aux craintes qu’il avait exprimées concernant les risques qu’il encourait d’être l’objet d’actes de torture s’il venait à être extradé vers l’Égypte.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant invoque la violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention dans le cas où il viendrait à être extradé vers l’Égypte.

3.2Le requérant affirme courir un risque important d’être soumis à la torture ou à des traitements cruels, inhumains ou dégradants en Égypte en raison des critiques qu’il a formulées à l’encontre du régime en tant que journaliste. À ce jour, l’Égypte ne dispose toujours pas de législation criminalisant la torture conformément aux dispositions de la Convention.

3.3Il allègue que les violations des droits de l’homme ont été systématiques en Égypte, notamment la pratique généralisée de la détention arbitraire et les violations des garanties du droit à un procès équitable, en particulier pour les journalistes. La torture des journalistes, des activistes et des défenseurs des droits de l’homme est systématique, en représailles de leurs activités et pour les forcer à signer des aveux les incriminant, qui sont ensuite utilisés contre eux lors de procès inéquitables.

3.4Le requérant ajoute que le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires, dans son rapport annuel de 2016, recensait 226 cas de disparitions non élucidées pour l’Égypte, une pratique systématique notamment envers les journalistes, les activistes et les opposants politiques. Depuis 2013, une augmentation significative et constante du nombre de personnes arrêtées par les services de sécurité et victimes de disparition forcée en Égypte a été constatée, ce que corroborent plusieurs rapports sur la situation des droits de l’homme. Selon des rapports, la détention au secret et incommunicado constitue per se une forme de torture et de traitement cruel et inhumain, de même qu’elle facilite la pratique de la torture en ce que la victime demeure en dehors de la protection de la loi.

3.5À de nombreuses reprises, les titulaires de mandat au titre des procédures spéciales du Conseil des droits de l’homme et le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme ont exprimé leur préoccupation face aux représailles des autorités égyptiennes, notamment les actes de torture dont ont été victimes des journalistes en raison de leurs positions critiques vis-à-vis des autorités. Des experts ont rappelé que cette répression s’était intensifiée ces deux dernières années en Égypte. Ils ont notamment fait référence à la prise d’assaut, le 1er mai 2016, par les forces de sécurité de l’État requérant, du Syndicat des journalistes égyptiens, dont le requérant est un membre actif. De nombreux cas de représailles contre des journalistes pour leurs écrits critiques envers les politiques du Gouvernement égyptien sont également corroborés par les rapports du Comité pour la protection des journalistes, selon lesquels l’Égypte est l’un des pays qui emprisonne le plus de journalistes.

3.6Le requérant allègue qu’il a publié des articles traitant de la corruption en Égypte dans différents domaines impliquant des responsables politiques et des membres du Gouvernement actuellement en fonction. Le requérant rapporte que les procédures judiciaires engagées contre lui en 2013 par les autorités égyptiennes constituent une forme de représailles, d’autant plus que, parallèlement à ces poursuites, les articles qu’il avait publiés en ligne ont été supprimés et les exemplaires imprimés confisqués par les autorités.

3.7En conclusion, le requérant demande à ne pas être extradé vers l’Égypte et à ce qu’il soit procédé à sa mise en liberté immédiate s’il n’est poursuivi pour d’autres motifs justifiant sa détention.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans une note verbale du 22 mai 2017, l’État partie a formulé des observations sur la recevabilité et le fond de la requête.

4.2Concernant les allégations du requérant relatives à l’épuisement des voies de recours internes, les autorités marocaines précisent que si la décision de la Cour de cassation portant avis en faveur de l’extradition du requérant n’est susceptible d’aucun recours ordinaire, elle peut cependant faire l’objet d’un recours en rétractation conformément aux articles 563 et 564 du Code de procédure pénale marocain.

4.3Dans ce cadre, l’article 563 du Code de procédure pénale dispose que les arrêts rendus par la Cour de cassation peuvent faire l’objet d’un recours en rétractation dans les cas suivants : a) contre les arrêts rendus sur la base de documents déclarés ou reconnus faux ; b) dans le but de rectifier les arrêts entachés d’une erreur matérielle manifeste, susceptible d’être réparée à l’aide d’éléments fournis par la décision elle-même ; c) en cas d’omission de statuer sur une demande présentée dans le cadre des moyens de preuve ou en cas de défaut de motivation de l’arrêt ; et d) contre les arrêts d’irrecevabilité ou de déchéance pour des motifs résultant d’indications considérées comme authentiques, mais qui se révèlent fausses suite à la présentation de nouveaux documents également authentiques.

4.4De ce fait, malgré les allégations du requérant, les dispositions du Code de procédure pénale démontrent clairement qu’il n’a pas épuisé toutes les voies de recours internes et qu’il était prématuré d’introduire une plainte auprès du Comité.

4.5En ce qui concerne l’allégation selon laquelle il y aurait risque de violation de l’article 3 de la Convention en cas d’extradition du requérant, l’État partie signale, en premier lieu, que, contrairement à ce que prétend le requérant aujourd’hui, il n’a jamais soulevé devant une juridiction ou autorité nationale un tel risque de torture en cas d’extradition. En second lieu, il est à noter que le Code de procédure pénale du Maroc, conformément aux dispositions de la Convention et dans un cadre de strict respect des normes internationales en la matière, prévoit, en son article 721, que les autorités marocaines sont dans l’obligation de rejeter toute demande d’extradition motivée par une infraction de droit commun si elles ont des raisons sérieuses de croire que la demande a été présentée uniquement aux fins de poursuivre ou de punir un individu pour des considérations de race, de religion, de nationalité ou d’opinions politiques, ou qu’elle risque d’aggraver la situation de cet individu pour l’une ou l’autre de ces raisons.

4.6En outre, les autorités marocaines soulignent que l’arrestation du requérant s’est faite dans un cadre strictement légal et dans le cadre des dispositions de la convention d’entraide judiciaire en matière pénale et d’extradition du 22 mars 1989 entre le Maroc et l’Égypte. En somme, le requérant a pu bénéficier de toutes les garanties juridiques et judiciaires en la matière et, à la lumière de tout ce qui précède, les autorités marocaines n’ont relevé aucun risque de torture en cas d’extradition. De ce fait et dans un cadre de respect de la loi, les autorités marocaines n’ont violé aucune des dispositions de la Convention.

4.7S’agissant du fond, l’État partie note que le requérant a été arrêté sur la base d’un mandat d’arrêt international émis à son encontre par les autorités égyptiennes et sur la base d’une demande formulée par les autorités égyptiennes compétentes dans la mesure où il avait été condamné à perpétuité à la suite de son implication dans une affaire de faux en écriture authentique en complicité avec un fonctionnaire public. L’État partie précise que le requérant a été condamné par contumace en Égypte : le 14 mai 2012 par le tribunal délictuel de Halouane à trois ans de prison ferme pour détournement de deniers, objet du dossier no 5374/2012 ; le 28 août 2013 par la cour criminelle de Halouane à perpétuité, dans le cadre du dossier no 7286/2013 concernant le faux en écriture authentique en complicité avec un fonctionnaire public ; le 14 novembre 2013 par le tribunal délictuel de Halouane à huit mois de prison pour détournement de deniers, objet du dossier no 12229/2013.

4.8L’État partie souligne que le requérant avait été arrêté au Maroc et présenté devant le Parquet compétent le 26 avril 2016, qu’il avait été notifié du mandat d’arrêt international émis à son encontre et qu’il avait déclaré avoir déjà été informé de l’émission de celui-ci, mais n’avait exprimé ni évoqué un quelconque risque de torture en cas d’extradition.

4.9En outre, la Cour de cassation du Maroc a rendu un avis favorable sur la demande d’extradition par une décision du 25 mai 2016. Le requérant n’a évoqué ni exprimé devant cette cour aucune préoccupation quant à un quelconque risque de torture en cas d’extradition. Par ailleurs, le requérant a déjà été poursuivi en justice au Maroc devant le tribunal pénal de première instance de Casablanca pour faux en écritures privées, pour exercice illégal et sans autorisation d’une profession organisée par la loi et pour apposition de timbres et sceaux pouvant être confondus avec les sceaux des autorités d’un État étranger. De ce fait, il a fait l’objet d’un jugement le 29 février 2016 le condamnant à trois mois de prison ferme, décision confirmée en appel le 4 juillet 2016.

4.10Par ailleurs, le requérant avait rédigé plusieurs plaintes dans lesquelles il affirmait qu’il ne faisait plus l’objet de poursuites. Il avait joint à ces plaintes une attestation manuscrite illisible du Parquet du Sud du Caire laquelle prouvait, selon le requérant, le bien-fondé de ses allégations. Toutes les mesures nécessaires ont été prises par les autorités marocaines pour s’enquérir de la véracité des allégations du requérant. Cependant, les renseignements recueillis auprès des autorités égyptiennes ont permis de constater et de confirmer que le requérant faisait toujours l’objet d’une demande d’extradition. En dernier lieu, force est de constater que le requérant n’a cessé ses multiples tentatives de faux et usage de faux que ce soit en Égypte ou au Maroc.

4.11S’agissant du fond, l’État partie conclut que la requête devrait être rejetée car dénuée de fondement, notamment au motif que le requérant aurait bénéficié de toutes les garanties juridiques et judiciaires, que la demande d’extradition formulée par l’Égypte n’aurait pas un caractère politique et qu’il ne serait pas exposé à des risques de torture s’il venait à être extradé.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Le 10 avril 2018, le requérant a indiqué être détenu à la prison de Tiflet 2 où il avait été transféré quelque temps auparavant, en attendant son extradition vers l’Égypte.

5.2En ce qui concerne la demande de mesures provisoires du Comité de ne pas extrader le requérant pendant que sa requête serait en cours d’examen, il indique que le Gouvernement marocain a souscrit à cette demande, en conformité avec ses obligations internationales.

5.3Concernant les faits spécifiques, le requérant allègue que l’État partie ne conteste pas la version présentée par le requérant et ne répond à aucune de ses allégations concernant les véritables raisons ayant motivé son arrestation et la demande de son extradition. L’État partie se contente de présenter le requérant comme un délinquant de droit commun condamné pour faux en écriture à plusieurs peines d’emprisonnement en Égypte, notamment, le 28 août 2013, à une peine de prison à perpétuité. Contrairement aux affirmations de l’État partie, tant le requérant, lors de sa présentation devant le Procureur du Roi, que son avocat, au cours de l’audience devant la Cour de cassation, ont attiré l’attention des autorités judiciaires sur les risques personnels, actuels et sérieux encourus par le requérant d’être soumis à la torture en cas d’extradition, compte tenu du climat de répression généralisée qui règne actuellement en Égypte.

5.4L’État partie conteste la recevabilité de la requête présentée par le requérant au motif qu’il n’aurait pas épuisé l’ensemble des voies de recours internes. À l’appui de son affirmation, l’État partie, tout en précisant que la décision de la Cour de cassation n’est susceptible d’aucune voie de recours ordinaire, avance que les articles 563 et 564 du Code de procédure pénale prévoient la possibilité d’introduire une action en rétractation contre cet arrêt. Dans ce contexte, le requérant allègue qu’une demande en rétractation n’est possible en droit interne marocain que dans certaines situations exceptionnelles fixées par l’article 563 du Code de procédure pénale et doit répondre à des conditions strictes comme le rappelle d’ailleurs l’énumération de l’État partie. En l’espèce, le requérant ne pourrait invoquer aucune des situations prévues par l’article 563 pour introduire une telle action qui constitue, en tout état de cause, une voie de recours extraordinaire.

5.5De plus, outre son caractère ineffectif hors les cas limitatifs prévus par la loi, un recours en rétractation n’a pas d’effet suspensif en droit interne marocain. Dès lors, les autorités marocaines sont légalement habilitées à procéder à une extradition nonobstant une demande en rétractation pendante devant la Cour de cassation. Cela est d’autant plus vrai que, dans une espèce similaire précédente soumise au Comité, le Chef du Gouvernement marocain avait validé un arrêt d’extradition rendu par la Cour de cassation en signant un décret d’extradition avant même que la juridiction suprême ne statue sur une action en rétractation pendante, confirmant ainsi qu’il tenait l’arrêt de la Cour de cassation pour définitif et ayant acquis l’autorité de la chose jugée.

5.6C’est donc à juste titre que le requérant n’a pas cru devoir choisir cette voie de contestation ne présentant aucune garantie de satisfaction. Le paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention dispose d’ailleurs qu’un recours n’a pas à être épuisé lorsqu’il est peu probable qu’il donnerait satisfaction au particulier qui est la victime d’une violation de la Convention. Le requérant estime donc avoir rempli le critère d’épuisement des voies de recours internes.

5.7S’agissant du fond et des motifs invoqués par les autorités égyptiennes à l’appui de leur demande d’extradition, le requérant soutient qu’une seule condamnation à la prison à perpétuité pour la commission d’un simple délit, à supposer même qu’il aurait été commis par le requérant, est totalement disproportionnée et laisse clairement présumer du caractère politique des poursuites dont il a fait l’objet dans son pays. Il est important de rappeler que le requérant est journaliste et cofondateur d’un syndicat indépendant de journalistes non reconnu par les autorités égyptiennes en raison précisément de son caractère indépendant.

5.8Si les journalistes qui expriment des velléités d’indépendance vis-à-vis des autorités faisaient l’objet de poursuites et de représailles déjà au moment de la demande d’extradition présentée par les autorités égyptiennes, leur situation aujourd’hui s’est aggravée d’une manière préoccupante. L’Égypte occupe la 161e place sur 180 pays dans le classement de 2017 sur la liberté de la presse dans le monde établi par Reporters sans frontières. Au moins 27 journalistes sont actuellement emprisonnés en Égypte pour leur travail.

5.9Par ailleurs, les autorités perturbent régulièrement le fonctionnement des syndicats indépendants en prenant des sanctions disciplinaires contre certains de leurs membres et en entravant leurs activités. En 2017, le Gouvernement a proposé des modifications de la loi sur le travail et de la loi sur les syndicats qui compliqueront la création d’un syndicat indépendant ou l’adhésion à un tel syndicat. Compte tenu du contexte actuel, il ne fait aucun doute que la demande d’extradition émise par l’État requérant est bien de nature politique et que le but réel poursuivi par celui-ci laisse craindre que le requérant ne soit soumis à un procès inéquitable.

5.10Concernant les risques de torture encourus par le requérant s’il venait à être extradé en Égypte, le requérant maintient que ce risque est personnel, réel et prévisible, compte tenu du caractère politique des poursuites à son encontre et du fait qu’il est un journaliste indépendant et critique envers les autorités. Il fait référence aux conclusions adoptées par le Comité lors de la soixante-douzième session de l’Assemblée générale en application de l’article 20 de la Convention qualifiant de « systématique » la pratique de la torture en Égypte.

5.11Ensuite, le requérant rappelle le principe ne bis in idem. Comme l’affirme l’État partie, le requérant a déjà été poursuivi en justice au Maroc devant le tribunal pénal de première instance de Casablanca pour faux en écritures privées, pour exercice illégal et sans autorisation d’une profession organisée par la loi et pour apposition de timbres et sceaux pouvant être confondus avec les sceaux des autorités d’un État étranger.

5.12Au cours de son arrestation, motivée par la demande d’extradition formulée par l’Égypte, le requérant était en possession d’une carte professionnelle de journaliste établie par le syndicat des journalistes indépendants, syndicat considéré par les autorités marocaines comme n’ayant pas d’existence légale. En conséquence, le Procureur du Roi a considéré que la possession d’une telle carte syndicale constituait un délit de faux et usage de faux, influencé en cela par les motifs de la demande d’extradition égyptienne. C’est la raison pour laquelle le requérant a été poursuivi et condamné, le 29 février 2016, à trois mois de prison ferme, décision confirmée en appel le 4 juillet 2016. Il résulte sans conteste que les poursuites engagées en Égypte et la condamnation pénale prononcée par le tribunal pénal de première instance de Casablanca l’ont été sur la base des mêmes faits et sous la même qualification pénale que la demande d’extradition formulée par les autorités égyptiennes. Ayant purgé sa peine de trois mois de prison, le requérant ne saurait dans ces conditions continuer à faire l’objet de poursuites à raison des mêmes faits pour lesquels il a été poursuivi et condamné au Maroc sans qu’il y ait violation du principe ne bis in idem.

5.13Le 14 mars 2018, le requérant a annoncé qu’il entamait une grève de la faim illimitée pour protester contre son récent transfèrement de la prison de Salé vers le quartier de haute sécurité de la prison Tiflet 2 où il est actuellement détenu. Depuis, il a été transféré en isolement cellulaire et il est totalement coupé du monde extérieur. Le requérant n’a aucune famille ni aucun avocat qui puissent lui rendre visite et son conseil reste sans nouvelles de lui depuis son dernier appel. Il indique que son régime de détention actuel est habituellement réservé à des personnes condamnées définitivement et ne se justifie en aucune manière dans le cas présent étant donné que le requérant est placé sous écrou extraditionnel.

5.14Par ailleurs, depuis le 1er novembre 2017, le requérant a demandé à plusieurs reprises à être examiné par un médecin sans que les autorités pénitentiaires ne donnent suite à sa demande. Ce n’est que le 28 février 2018 qu’il a finalement été transporté à l’infirmerie à la suite d’une dégradation de son état de santé. Le médecin a alors prescrit des analyses et des examens radiologiques urgents qui, à ce jour, n’ont pas été pratiqués. Le requérant estime en l’espèce que l’aggravation de son état de santé est directement imputable à l’inertie dont font preuve les autorités pénitentiaires. Le refus de ces dernières d’assurer une prise en charge médicale adéquate constitue per se un traitement particulièrement cruel, inhumain et dégradant, contrevenant ainsi à l’article 16 de la Convention.

5.15En conclusion, le requérant prie le Comité de déclarer la présente communication recevable pour avoir satisfait à toutes les exigences de l’article 22, paragraphe 5, de la Convention, de constater que le maintien du requérant en détention sous écrou extraditionnel est dénué de fondement juridique interne et de demander, en conséquence, à l’État partie de le remettre immédiatement en liberté.

Autres soumissions par le requérant

6.1Le 10 janvier 2019, le requérant a réitéré qu’il était détenu à la prison de Tiflet 2 où il avait été transféré en vue de son extradition vers l’Égypte où il risque d’être l’objet de torture et de mauvais traitements. Il rappelle que son état de santé s’est considérablement détérioré depuis qu’il a été transféré à la prison de Tiflet 2 où il ne bénéficie pas de soins médicaux appropriés.

6.2Il indique avoir déposé une plainte le 13 septembre 2018 contre l’administration pénitentiaire pour négligence médicale, tentative de meurtre et corruption (plainte enregistrée sous le no 55/53). Il rapporte notamment avoir reçu des médicaments périmés impropres à la consommation. À la suite de son dépôt de plainte, il a été entendu par le directeur de la prison le 10 octobre 2018 et par le Procureur du Roi le 10 décembre 2018.

6.3Compte tenu de son état de santé préoccupant, le requérant a demandé au Comité d’examiner sa requête dans les meilleurs délais.

Observations supplémentaires de l’État partie

7.Le 11 janvier 2019, l’État partie a répété les arguments qu’il avait exposés dans sa note verbale du 22 mai 2017 selon lesquels la requête devrait être considérée comme irrecevable pour non-épuisement des recours internes disponibles ou, subsidiairement, comme dépourvue de fondement.

Autres commentaires du requérant

8.Le 28 février 2019, le requérant a indiqué que l’État partie, dans sa réponse du 11 janvier 2019, n’avait apporté aucun élément substantiel en réponse aux faits allégués par le requérant et, a fortiori, n’avait pas contesté la véracité de ses allégations. En conséquence, il n’a pas cru devoir commenter la réponse du Gouvernement. Le requérant a maintenu que les risques personnels, actuels et sérieux qu’il encourt d’être soumis à la torture en cas d’extradition vers l’Égypte demeurent. Compte tenu du caractère urgent de sa situation et de sa détention sous écrou extraditionnel depuis février 2016, il a demandé au Comité d’examiner rapidement sa requête.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une communication, le Comité doit déterminer si celle-ci est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention.

9.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.3Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité doit s’assurer que le requérant a épuisé les voies de recours internes disponibles, cette règle ne s’appliquant pas si les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donneraient satisfaction à la victime présumée.

9.4Le Comité prend note de l’allégation de l’État partie selon laquelle la communication devrait être déclarée irrecevable au titre du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention au motif que le requérant n’a pas épuisé l’intégralité des voies de recours internes puisque la décision de la Cour de cassation peut toujours faire l’objet d’un recours en rétractation. Il note également l’argument du requérant concernant la nature extraordinaire de ce recours et son caractère ineffectif hors les cas limitatifs prévus par la loi ; n’ayant pas d’effet suspensif, ce recours ne présente par conséquent aucune garantie de satisfaction.

9.5Le Comité renvoie à sa jurisprudence et rappelle qu’en l’espèce, conformément au principe de l’épuisement des voies de recours internes, le requérant était seulement tenu d’utiliser des voies de recours directement en rapport avec le risque qu’il soit soumis à la torture en Égypte. Le Comité note que l’État partie n’a pas précisé en quoi le recours en rétractation contre la décision de la Cour de cassation du 25 mai 2016 pourrait influer sur l’extradition du requérant vers l’Égypte, n’ayant pas indiqué si ce recours serait effectif dans les circonstances à prévenir l’extradition du requérant et si ce recours avait un effet suspensif. Le Comité note également que l’État partie n’a pas réfuté les allégations du requérant concernant l’absence de capacité du recours en rétractation à prévenir efficacement son extradition hors les cas limitatifs prévus par la loi et l’absence d’effet suspensif de ce recours. Le Comité rappelle que, dans plusieurs affaires portées à son attention, un décret d’extradition avait été signé par le Chef du Gouvernement avant même que la Cour de cassation ne statue sur une action en rétractation, confirmant ainsi qu’il tenait l’arrêt de la Cour de cassation pour définitif et ayant acquis l’autorité de la chose jugée. Prenant en considération le silence de la loi marocaine concernant le caractère suspensif du recours, le fait que l’État partie se borne à citer les cas exceptionnels d’ouverture du recours en rétractation et le fait que l’État partie n’a pas fourni d’exemple concret de jurisprudence clarifiant la nature effective du recours en rétractation, le Comité n’est pas en mesure de conclure que le fait pour le requérant de ne pas avoir présenté de recours en rétractation l’empêchait de soumettre sa requête au Comité. Dans les circonstances du cas d’espèce, le Comité considère que le paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention ne l’empêche pas de déclarer la communication recevable.

9.6Le Comité note également que l’État partie a contesté la recevabilité de la requête pour non-étaiement dans la mesure où le requérant allègue que la demande d’extradition par l’Égypte a un caractère politique en raison des critiques que le requérant a formulées à l’encontre du régime en tant que journaliste. L’État partie a indiqué que le requérant avait été en mesure de contester l’ordre de son arrestation devant la Cour de cassation, en tant que tribunal d’extradition, qui a rejeté ses prétentions, que le requérant n’avait pas attiré l’attention des autorités judiciaires sur les risques qu’il encourait d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements en cas d’extradition, et que les autorités marocaines n’avaient relevé aucun risque de torture en cas d’extradition. Le Comité observe l’allégation du requérant, selon laquelle, contrairement à ce qu’affirme l’État partie, lui-même et son avocat ont attiré l’attention du Procureur du Roi et de la Cour de cassation sur les risques personnels, réels et sérieux encourus par le requérant, en cas d’extradition, d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements pour ses opinions en tant que journaliste. Le Comité note que le requérant craint pour sa sécurité physique et redoute de devoir purger une condamnation à perpétuité rendue contre lui en 2013, compte tenu du climat de répression généralisée qui règne actuellement en Égypte. De plus, le Comité note que le requérant serait détenu dans le quartier de haute sécurité de la prison Tiflet 2, en isolement cellulaire, sans assistance médicale, ce qui aurait des conséquences sur sa santé, et sans aucun contact avec sa famille ni son avocat, ce qui contrevient aux dispositions de l’article 16 de la Convention. Le Comité estime donc que le requérant a suffisamment étayé sa requête aux fins de la recevabilité.

9.7Le Comité conclut que la communication est recevable au titre de l’article 22 en ce qui concerne la violation alléguée de l’article 3 et de l’article 16 de la Convention et procède à son examen au fond.

Examen du fond

10.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Dans la présente affaire, le Comité doit déterminer si l’extradition du requérant vers l’Égypte constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas extrader une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elle risque d’être soumise à la torture. Le Comité rappelle avant tout que l’interdiction de la torture est absolue et non susceptible de dérogation, et qu’aucune circonstance exceptionnelle ne peut être invoquée par un État partie pour justifier des actes de torture. Le principe de non-refoulement des personnes vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu’elles risqueraient d’être soumises à la torture, énoncé à l’article 3 de la Convention, est également absolu.

10.3Pour déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que la victime présumée risque d’être soumise à la torture, le Comité rappelle qu’en vertu du paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, les États parties doivent tenir compte de tous les éléments, y compris l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays de renvoi. En l’espèce, le Comité doit déterminer si le requérant risque personnellement d’être soumis à la torture en cas d’extradition vers l’Égypte. Dès lors, l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives dans le pays ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir que le requérant risquerait d’être soumis à la torture en cas d’extradition vers ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé court personnellement un risque. De même, l’absence d’un ensemble de violations systématiques flagrantes des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne peut pas être considérée comme risquant d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes.

10.4Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, selon laquelle l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture dans un État vers lequel elle doit être expulsée, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Le Comité a pour pratique, en de telles circonstances, de considérer que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ». Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, notamment : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’affiliation politique ou les activités politiques du requérant ou des membres de sa famille ; c) les actes de torture subis antérieurement ; d) la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; et e) la fuite clandestine du pays d’origine à la suite de menaces de torture. Le Comité rappelle également qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné ; toutefois, il n’est pas lié par ces constatations et il évalue librement les informations qui lui sont soumises, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, en tenant compte de toutes les circonstances de chaque cas.

10.5En l’espèce, le Comité note l’allégation du requérant selon laquelle son extradition lui ferait courir de sérieux risques de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants en Égypte, en raison des critiques qu’il a formulées à l’encontre du régime en tant que journaliste. En ce sens, le Comité note que le requérant fait l’objet d’un mandat d’arrêt puisqu’il a été condamné par contumace dans trois affaires différentes en Égypte, y compris à une peine de prison à perpétuité le 28 août 2013 à la suite de son implication dans une affaire de faux en écriture authentique en complicité avec un fonctionnaire public. Le Comité note également que, selon les rapports versés au dossier, l’utilisation de la détention arbitraire, la torture, les violations du droit à un procès équitable et les représailles sont courantes envers les journalistes, ce qui est aggravé par l’absence d’une législation criminalisant la torture conformément aux dispositions de la Convention (voir les paragraphes 3.4, 3.5, 5.8 et 5.10 ci-dessus). Ensuite, le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel la Cour de cassation n’a pas mis en application l’article 721 du Code de procédure pénale et ne s’est pas assurée du caractère politique que revêtait la demande d’extradition du requérant. Le Comité note également que, selon l’État partie, la loi pénale marocaine demeure conforme aux dispositions de la Convention, car elle établit qu’aucune personne ne sera extradée si elle risque de faire l’objet d’une persécution en raison de sa race, de sa religion, de ses opinions politiques ou de sa situation personnelle, ou encore si elle peut être en danger pour l’une de ces raisons.

10.6Le Comité doit prendre en compte la situation actuelle en matière de droits de l’homme en Égypte, y compris les détentions arbitraires, la torture et les disparitions forcées ou involontaires, notamment envers les journalistes, les activistes et les défenseurs des droits de l’homme, en représailles de leurs activités et pour les forcer à signer des aveux les incriminant. En l’absence d’examen récent d’un rapport périodique sur la mise en œuvre de la Convention par l’Égypte, le Comité fait référence aux conclusions qu’il a adoptées lors de la soixante-douzième session de l’Assemblée générale en application de l’article 20 de la Convention qualifiant de « systématique » la pratique de la torture en Égypte. Bien que l’Égypte n’ait pas accepté la demande de visite du Comité dans le cadre d’enquête confidentielle, le Comité a constaté qu’il « apparaît que dans bien des cas, les actes de torture sont commis après une arrestation arbitraire et qu’ils ont souvent pour but d’obtenir des aveux ou de punir et menacer des opposants politiques. La torture est pratiquée dans les commissariats de police, les prisons et les locaux des services de sécurité de l’État et des forces centrales de sécurité. Elle est le fait de policiers, de militaires, d’agents de la sécurité nationale et de gardiens de prison. Toutefois, les procureurs, les juges et les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire facilitent aussi la torture en ne faisant rien pour mettre fin à cette pratique, à la détention arbitraire et aux mauvais traitements, et en ne donnant pas suite aux plaintes pour torture ou mauvais traitements ». Néanmoins, l’appréciation du risque de soumission à la torture ne peut être exclusivement fondée sur la situation générale qui prévaut en Égypte, il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que la victime présumée serait personnellement exposée à un danger.

10.7En l’espèce, le Comité note que le requérant a soutenu être membre et cofondateur d’un syndicat indépendant, et donc non reconnu, de journalistes égyptiens depuis 2005, qui a publié des articles sur la corruption en Égypte mettant en cause des personnalités officielles. Le Comité observe que le requérant a justifié sa persécution politique par le fait qu’il a été condamné à perpétuité le 28 août 2013 à la suite de son implication dans une affaire de faux en écriture authentique (« faux et usage de faux ») en complicité avec un fonctionnaire public, à la suite de quoi ses journaux ont été confisqués sans qu’il soit détenu, et par le fait qu’il continuait de faire l’objet d’une surveillance policière et craignait alors à tout moment d’être arrêté et torturé. Le Comité observe également que le requérant a soutenu qu’une condamnation à la prison à perpétuité pour la commission d’un simple délit, s’il avait été commis par le requérant, est totalement disproportionnée et que la situation des journalistes en Égypte s’est aggravée depuis la demande d’extradition présentée par les autorités égyptiennes. D’ailleurs, le Comité observe que le requérant a déjà été condamné au Maroc le 29 février 2016 à trois mois de prison ferme par le tribunal pénal de première instance de Casablanca pour faux en écritures privées, pour exercice illégal et sans autorisation d’une profession organisée par la loi et pour apposition de timbres et sceaux pouvant être confondus avec les sceaux des autorités d’un État étranger, condamnation au sujet de laquelle le requérant rappelle le principe ne bis in idem.

10.8Dans le cas du requérant, le Comité relève qu’en autorisant l’extradition, la Cour de cassation n’a réalisé aucune évaluation du risque de torture que celle-ci impliquerait pour lui en tant que journaliste indépendant, eu égard à la situation en Égypte. Néanmoins, aucune explication n’a été fournie quant à la manière dont l’État partie avait évalué le risque de torture pour le requérant, afin de s’assurer que ce dernier ne serait pas exposé à des traitements en violation de l’article 3 de la Convention à son retour en Égypte. Le Comité rappelle que l’objectif principal de la Convention est de prévenir la torture.

10.9Compte tenu de ce qui précède, le Comité estime qu’il appartenait à l’État partie de procéder à une évaluation individualisée du risque personnel et réel auquel le requérant serait exposé en Égypte, compte tenu, en particulier, du fait que le requérant avait été condamné à la réclusion à perpétuité pour un délit simple. Le Comité estime également que l’article 721 du Code de procédure pénale marocain ne mentionne pas spécifiquement le risque de torture et de mauvais traitements en cas d’extradition, mais seulement le risque d’aggravation de la situation personnelle de l’individu qui fait l’objet d’une demande d’extradition pour l’une ou l’autre des raisons liées à sa race, à sa religion, à sa nationalité ou à ses opinions politiques, lorsque l’infraction pour laquelle elle est demandée est considérée par l’État partie comme politique ou connexe à une telle infraction. Le Comité conclut qu’en l’espèce, les appréciations de la Cour de cassation ne permettent pas de contester les arguments selon lesquels il peut être affirmé qu’il existe un risque actuel, prévisible, réel et personnel pour le requérant d’être soumis à la torture en cas d’extradition vers l’Égypte, laquelle constituerait donc une violation de l’article 3 de la Convention.

10.10En ce qui concerne l’affirmation du requérant selon laquelle les conditions de détention l’ont affecté physiquement, en violation de l’article 16, le Comité observe l’absence de clarification de la part de l’État partie visant à dissiper les allégations du requérant selon lesquelles il serait détenu dans le quartier de haute sécurité depuis son transfert à la prison Tiflet 2, en isolement cellulaire, sans assistance médicale, ce qui aurait un impact sur sa santé, et sans aucun contact avec sa famille et son avocat. Dans ce contexte, le Comité rappelle sa jurisprudence concernant certaines garanties fondamentales qui doivent s’appliquer à toutes les personnes privées de liberté en vue de prévenir la torture ou les mauvais traitements. Parmi ces garanties, il y a le droit des détenus de bénéficier promptement d’une assistance juridique et médicale indépendante ainsi que de prendre contact avec leur famille. Dans les circonstances du cas présent, le Comité estime que la détention du requérant en isolement cellulaire, ses contacts limités avec sa famille et son avocat, et son accès irrégulier à des soins de santé constituent une violation de l’article 16 de la Convention. Le Comité considère par conséquent que les conditions de détention du requérant font apparaître une violation par l’État partie de ses obligations au titre de l’article 16 de la Convention.

11.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que l’extradition du requérant vers l’Égypte constituerait une violation de l’article 3 de la Convention et que les conditions de détention du requérant font apparaître une violation par l’État partie de l’article 16 de la Convention.

12.Le Comité est d’avis que l’État partie est tenu :

a)De s’abstenir d’extrader le requérant vers l’Égypte, et d’examiner la demande d’extradition concernant celui-ci en prenant en compte ses obligations conventionnelles − ce qui inclut une évaluation du risque de torture et de mauvais traitements en cas d’extradition −, et de la présente décision ;

b)De libérer le requérant, considérant que celui-ci est en détention préventive depuis près de trois ans en vue d’une extradition, et de l’indemniser pour les conditions de sa détention en violation de l’article 16 de la Convention ;

c)De s’assurer que des violations similaires ne se reproduisent pas à l’avenir en opérant une évaluation individuelle du risque réel de torture et de mauvais traitements − y compris en prenant en compte la situation générale des droits de l’homme dans le pays de renvoi − chaque fois qu’il examine une demande d’extradition en vertu d’un accord ou d’une procédure d’extradition, en prévoyant des garanties juridiques fondamentales et en s’abstenant de placer des individus à l’isolement cellulaire pendant leur détention dans l’attente de la décision sur la demande d’extradition.

13.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus.