Nations Unies

CAT/C/68/D/817/2017

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

2 janvier 2020

Original : français

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 817/2017 * , **

Communication présentée par:

Ali Aarrass (représenté par des conseils, Dounia Alamat et Christophe Marchand)

Au nom de :

Le requérant

État partie :

Maroc

Date de la requête :

17 mars 2017 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en vertu des articles 114 et 115 du règlement intérieur du Comité, transmise à l’État partie le 28 mars 2017 (non publiée sous forme de document)

Date de la présente décision :

25 novembre 2019

Objet :

Torture ou mauvais traitements en prison

Question ( s ) de procédure :

Néant

Question (s) de fond :

Torture ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ; isolement cellulaire ; obligation de l’État partie de procéder immédiatement à une enquête impartiale

Article (s) de la Convention :

1er, 2, 11, 12, 13, 14 et 16

1.1Le requérant est Ali Aarrass, de double nationalité belge et marocaine, né le 4 mars 1962 à Farjana, au Maroc. Il est actuellement détenu à la prison de Tiflet 2 et se plaint des conditions de détention, notamment de son placement à l’isolement, qui constituent une violation par le Maroc des obligations qui lui incombent au titre des articles 1er, 2, 11, 12, 13, 14 et 16 de la Convention. L’État partie a ratifié la Convention le 21 juin 1993 et a fait la déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 22 de la Convention le 19 octobre 2006. Le requérant est représenté par des conseils, Dounia Alamat et Christophe Marchand.

1.2Le requérant a sollicité le Comité pour qu’il prenne des mesures provisoires de protection. Le 28 mars 2017, en application de l’article 114 de son règlement intérieur, le Comité a décidé de répondre favorablement à la demande d’octroi de mesures provisoires et prié l’État partie d’alléger le régime pénitentiaire du requérant et de garantir ses droits en tant que détenu, de sorte à éviter toutes séquelles irréversibles, tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a été interpellé et placé en détention le 1eravril 2008, dans le cadre d’un mandat d’arrêt extraditionnel émis par le Maroc pour des infractions dites «terroristes». Parallèlement à cette demande d’extradition par le Maroc, deux instructions pour appartenance à un groupe terroriste ont été diligentées par l’Espagne. Ces deux procédures se sont clôturées par des décisions de non-lieu.

2.2Le requérant a toujours contesté toute implication criminelle et s’est opposé à son extradition, notamment en raison du risque d’être soumis à la torture et à de mauvais traitements, ainsi qu’à un procès inique et à des conditions de détention inhumaines au Maroc.Toutefois, le Conseil des ministres espagnol a approuvé l’extradition du requérant vers le Maroc le 19novembre 2010.

2.3Le 25novembre 2010, le requérant a introduit une demande de mesures provisoires auprès du Comité des droits de l’homme, en vue d’interdire cette extradition.Le 26novembre 2010, le Comité des droits de l’homme a demandé à l’Espagne de ne pas extrader le requérant au Maroc. Malgré cela, l’Espagne a remis le requérant aux autorités marocaines le 14décembre 2010.

2.4Durant sa longue gardeàvue au Maroc, le requérant s’est fait sauvagement torturer: injection de produits, viols, coups, humiliations, menaces, etc. À la suite de ces sévices, il a signé des aveux préalablement rédigés en arabe, langue qu’il ne maîtrisait pas.

2.5Le 24décembre 2010, le requérant a été présenté devant le juge d’instruction, qui n’a ni pris actedes multiples blessures dont souffrait le requérant, ni sollicité une expertise médicale. D’après MeLahcen Dadsi, conseil marocain du requérant à l’époque, les traces de sévices étaient pourtant plus qu’évidentes.

2.6Le requérant a été renvoyé le 22avril 2011 devant la chambre criminelle de la cour d’appel de Rabat, siégeant en matière de terrorisme à Salé. Le dossier marocain est essentiellement constitué des déclarations du requérant effectuées sous la torture.

2.7Afin que le requérant puisse être reconnu comme victime d’actes de torture perpétrés pendant sa gardeàvue, une plainte pénale a été déposée début mai 2011. Cette plainte a fait l’objet d’un classement sans suite. Le requérant s’est également constitué partie civile devant un juge d’instruction. Cette procédure n’a pas été dûment diligentée par le juge saisi. Par ailleurs, tout au long de la procédure pénale à son encontre, le requérant a soulevé cet obstacle aux poursuites et sollicité qu’une enquête indépendante et impartiale soit menée.

2.8Le 1eroctobre 2012, la chambre pénale de la cour d’appel de Rabat a condamné le requérant à douze ans d’emprisonnement. Le requérant a introduit un pourvoi en cassation mais, à ce jour, cette procédure n’a abouti à aucune décision. Le requérant se trouve ainsi en détention préventive depuis neuf ans, sa condamnation n’étant toujours pas définitive.

2.9À la suite de sa demande auprès du Comité des droits de l’homme, le requérant a présenté une plainte auprès du Comité contre la torture, qui a constaté la violation des articles2, 11, 12, 13 et 15 de la Convention. L’enquête qui a suivi est toutefois loin d’avoir respecté les critères du procès équitable. Suite à cette décision, le Maroc a rouvert une instruction relative aux allégations de torture du requérant.

2.10Dans ses commentaires adressés au Comité des droits de l’homme, l’Espagne indiquait que, lors d’une réunion du 17novembre 2015, le Ministre de la justice lui avait remis une décision du 20octobre 2015 de la chambre d’instruction no4. Il ressortait de cette décision que le juge d’instruction aurait ordonné une expertise médicale, visité les locaux de la police où le requérant était détenu, et pris les dépositions des policiers, des infirmiers, des médecins et d’autres personnes détenues durant la même période que le requérant, ainsi que de tiers. Cette décision concluait au non-lieu. Le requérant n’étant pas considéré comme partie à la procédure, il n’a pas pu interjeter appel. L’instruction est donc définitivement clôturée.

2.11Tout au long de sa détention, le requérant a entre autres violations fait l’objet de menaces, de pressions, de vexations, de fouilles injustifiées et de coups, de la part tant du personnel pénitentiaire que d’autres détenus. Il a été arbitrairement placé à l’isolement, et privé de sommeil et de soins médicaux indispensables. Il a été soumis à la limitation, voire à la privation de son droit de correspondre, et a fait l’objet de surveillance, y compris lors de ses rencontres avec son conseil. Ses doléances légitimes n’ont jamais été prises en considération, et il n’a pu recevoir la visite de ses amis, de ses conseils belges, duConsul de Belgique et duConsul d’Espagne, pas plus qu’il n’a reçu de réponses à ses demandes d’information.

2.12Pour protester contre ses conditions de détention et les actes d’intimidation auxquels sont liéesses diverses plaintes, déposées au niveau tant national qu’international, le requérant a mené plusieurs grèves de la faim. La plus longue a duré soixante-douze jours, en 2015, et s’est soldée par une hospitalisation de plusieurs jours, le requérant se trouvant alors dans un état de santé alarmant.

2.13Alors qu’il rencontrait à nouveau d’importants problèmesen détention, le requérant a été transféré le 10octobre 2016 à la prison de Tiflet 2, sans que sa famille et lui-même en soient informés au préalable. Il y a été placé en régime d’isolement particulièrement dur, sans qu’aucune décision lui soit notifiée. Le requérant est toujours détenu à ce jour dans des conditions qui constituent, compte tenu de ses antécédents, de la torture ou, à tout le moins, des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Sa santé, physique et psychologique, est très gravement mise en péril. Les autorités marocaines ont été dûment informées par les conseils et la famille du requérant des conséquences subies par ce dernier et ont été mises en demeure de le replacer en régime ordinaire, comme il l’était précédemment.

2.14Le 17février 2017, le Ministre de la justice s’est contenté d’affirmer, d’une part, que le requérant n’était pas placé en régime d’isolement tel que le prévoit l’article32 de la loi no23-98du 25 août1999 relative à l’organisation et au fonctionnement des établissements pénitentiaires, et, d’autre part, qu’il bénéficiait d’une chambre individuelle, de temps de récréation et de douches, conformément à la loi.

2.15Le Conseil national des droits de l’homme du Maroc, malgré deux visites effectuées à la prison de Tiflet2, n’a pas réagi aux interpellations des conseils du requérant. Depuis son transfert dans cette prison, le requérant a perdu 18kilogrammes en raison de la dégradation dramatique de ses conditions de détention.

2.16Enfin, le requérant affirme ne pas avoir soumis de plainte à une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, en conformité avec le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant allègue la violation par l’État partie des articles 1er, 2, 11, 12, 13, 14 et 16 de la Convention.

3.2Afin d’éviter qu’un dommage irréparable résulte de la violation de la Convention, le requérant sollicite l’adoption de mesures provisoires de protection, visant soit à le libérer, soit à le replacer immédiatement en régime de détention ordinaire et, dans ce cadre, en tenant compte de sa qualité de victime et de sa situation familiale particulière.

3.3Le requérant sollicite du Comité qu’il invite l’État partie à : a) mettre immédiatement fin à l’isolement qui lui est imposé ; b) le replacer en régime de détention ordinaire, afin de lui permettre d’avoir des contacts avec les autres détenus, notamment lors de la promenade quotidienne ; c) l’autoriser à recevoir, le cas échéant, des visites de membres du Comité contre la torture ; et d) l’autoriser à consulter des médecins externes aux établissements pénitentiaires. Il demande aussi au Comité d’inviter l’État partie à l’autoriser à recevoir des visites de longue durée, soit une heure trente minimum, lorsque sa famille fait le déplacement depuis l’étranger, ainsi que des visites du Consul de Belgique, de ses conseils belges, du Président de son Comité de soutien et de membres de l’Observatoire marocain des prisons. Le requérant demande enfin au Comité d’inviter l’État partie à l’autoriser à recevoir les compléments alimentaires apportés par sa famille, ainsi que les ustensiles et produits nécessaires à son hygiène.

3.4Le requérant souligne que si les mesures provisoires sont habituellement destinées à empêcher la réalisation d’un acte de torture, à plus forte raison, elles devraient permettre de mettre un terme à des traitements cruels, inhumains et dégradants, avérés et actuels. Dans de tels cas, le caractère irréparable du préjudice ne fait pas non plus de doute.

3.5Le requérant ajoute que les autorités marocaines n’ont pas assuré un suivi adéquat de la décision prise par le Comité dans sa communication CAT/C/52/D/477/2011. En effet, elles ne traitent pas le requérant comme une victime de violation des dispositions de la Convention, mais semblent au contraire avoir pour objectif de le détruire. Pour rappel, le requérant a perdu 18 kilogrammes depuis son transfert à la prison de Tiflet 2.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Dans la note verbale du 9 juin 2017, l’État partie a formulé des observations sur le contexte de la détention du requérant.

4.2L’État partie rappelle que le requérant, suite à son implication dans une affaire de terrorisme, a été remis le 14 décembre 2010 aux autorités marocaines dans le cadre d’une mesure d’extradition et placé en garde à vue le même jour. Dans ce contexte, bien qu’ils aient été en droit de solliciter une assistance juridique et judiciaire, le requérant et sa famille, informée de sa mise en garde à vue, se sont abstenus de prendre une quelconque initiative en ce sens.

4.3Le 24 décembre 2010, le requérant a été présenté devant le Procureur général du Roi près la cour d’appel de Rabat, lequel n’a relevé aucune trace de torture ou de mauvais traitements et a ordonné qu’il soit déféré, le même jour, devant le juge d’instruction chargé des affaires de terrorisme. Devant le juge d’instruction, lors de sa première audition, le requérant a déclaré appartenir au Mouvement des moudjahidines au Maroc depuis 1992, tout en sollicitant une assistance juridique.

4.4Par ailleurs, lors de cette première audition, le requérant n’a soulevé aucune allégation de torture ou de mauvais traitements, et le juge n’a constaté aucune trace ou marque en ce sens.

4.5Le 18 janvier 2011, assisté par son conseil, le requérant a comparu pour la deuxième fois, lors d’une audition détaillée, devant le juge d’instruction et n’a de nouveau soulevé aucune allégation de torture ou de mauvais traitements. D’ailleurs, son conseil n’a pas non plus soulevé de telles allégations, et le juge d’instruction n’a observé aucune trace pouvant être assimilée à des marques de torture ou de mauvais traitements. En mai 2011, soit près de six mois après sa première audition par le juge d’instruction, le requérant a déposé une plainte portant allégations de torture. Une enquête a été effectuée par le Procureur général du Roi près la cour d’appel de Rabat, mais comme aucune preuve de la véracité des allégations n’a pu être relevée, la plainte a été classée. Les résultats de l’expertise médicale ordonnée par le Procureur général du Roi, réalisée par quatre médecins spécialistes en médecine légale, en neurologie, en chirurgie orthopédique et traumatologique et en otorhinolaryngologie, ont permis de conclure que les allégations du requérant étaient fausses, d’où le classement du dossier.

4.6Le 21 mai 2014, suite au rapport du Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, le Procureur général du Roi a décidé de rouvrir le dossier et de solliciter qu’une enquête soit effectuée par le juge d’instruction. Ce dernier a convoqué en juillet 2014 le requérant, lequel a refusé de comparaître devant le juge sans conseil.

4.7Le 31 juillet 2014, le requérant a été auditionné en présence de son conseil et d’un traducteur assermenté. Le 17 septembre 2014, le Procureur général du Roi a sollicité une nouvelle expertise médicale et, le 19 septembre 2014, le juge d’instruction a ordonné qu’elle soit effectuée par cinq médecins. Les résultats de cette nouvelle expertise ont permis de conclure, d’une part, que les allégations étaient infondées et de rappeler, d’autre part, qu’il est difficile de constater des traces de torture ou de mauvais traitements présumés lorsqu’une longue période s’est écoulée depuis les actes allégués. Le 20 octobre 2015, le juge d’instruction a ordonné un non-lieu et décidé de reclasser l’affaire.

4.8Concernant le recours en cassation du requérant, l’État partie indique que ce dernier, poursuivi pour participation à une association formée ou à une entente établie en vue de la préparation ou de la commission d’actes de terrorisme ou pouvant porter atteinte à l’ordre public, a été condamné en première instance à quinze ans de prison, avant de soumettre un recours en appel à la suite duquel la peine a été réduite à douze ans de prison. Le 19 avril 2014, la Cour de cassation a émis un arrêt rejetant la demande de recours du requérant.

4.9En ce qui concerne les conditions de détention, l’État partie indique que le requérant a été transféré le 10 octobre 2016 à la prison locale de Tiflet 2, établissement nouvellement construit répondant à des normes de détention convenables, et destiné à des personnes condamnées dans diverses affaires ou purgeant des peines de différentes natures. Il y jouit de tous ses droits conformément aux normes internationales en matière de détention et aux prescriptions légales et réglementaires nationales, notamment celles prévues par la loi no 23-98. Le transfert en question du requérant s’est opéré de façon tout à fait normale et conformément aux dispositions réglementaires en vigueur. Dans ce contexte, le requérant a pu dès son arrivée à la prison de Tiflet 2 prévenir sa sœur de son transfert.

4.10Concernant les conditions actuelles de détention du requérant, son mode d’incarcération ne peut en aucun cas être considéré comme un « isolement cellulaire ». En effet, il est détenu dans une cellule individuelle aérée et éclairée offrant toutes les conditions sanitaires requises, et, depuis le 1er avril 2017, d’autres détenus ont été placés dans son quartier, si bien qu’il bénéficie d’une promenade collective.

4.11Il est à préciser que le requérant a toujours refusé de se soumettre aux règles en vigueur et incitait sans cesse les autres détenus à enfreindre les règles. Il s’est autoproclamé défenseur des autres détenus et leur porte-parole, se présentant comme chef et embrigadant certains détenus faciles à manipuler à son service. Il a d’ailleurs été le principal instigateur de la mutinerie de la prison de Salé 2, en mai 2016.

4.12De plus, le requérant est constamment dans la provocation des fonctionnaires de l’établissement pénitentiaire, ne cessant de les insulter et de les menacer. Par ailleurs, à l’instar de tous les autres détenus dans les établissements pénitentiaires marocains, le requérant reçoit la visite des membres de sa famille, de ses proches et de ses conseils chaque fois qu’ils se présentent à l’établissement pénitentiaire. De plus, du fait de l’éloignement de sa famille et de l’irrégularité des visites, l’administration pénitentiaire lui accorde une durée plus longue de rencontre pour qu’il puisse profiter de sa famille.

4.13Le requérant reçoit également, à l’instar de tous les détenus, des repas préparés par une société externe, lesquels répondent aux critères nutritionnels requis en matière de diversité, de quantité, de calories et de cuisson. Ses visiteurs peuvent s’ils le souhaitent lui apporter de la nourriture.

4.14Du point de vue médical, le requérant demeure suivi de près par les médecins de l’établissement pénitentiaire. Ses allégations de négligence médicale sont dénuées de tout fondement et ont simplement pour but d’induire l’opinion publique en erreur et de le présenter comme victime. De plus, il bénéficie de l’assistance médicale nécessaire au sein de l’infirmerie de l’établissement ou à l’hôpital. Il reçoit les médicaments qui lui sont prescrits, comme le montre son dossier médical. Depuis son incarcération le 30 mars 2017, il a bénéficié de 128 examens médicaux au sein de l’établissement et de 10 examens à l’hôpital, dans différentes spécialités, de 15 examens dentaires et de 12 visites chez le psychologue. Enfin, le requérant suit un régime alimentaire qui lui a été conseillé en date du 30 mars 2017 par le médecin de l’établissement.

4.15Face aux allégations récurrentes relayées au sujet des conditions de détention du requérant, dont des enregistrements falsifiés, la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion du Maroc a été amenée à publier plusieurs communiqués pour réfuter lesdites allégations, considérant inacceptables ces procédés qui consistent à recourir à la désinformation et à la déformation des faits pour induire l’opinion publique en erreur, dans l’unique objectif de faire pression sur l’administration pénitentiaire, qui, pourtant, ne ménage aucun effort pour assurer les meilleures conditions possibles de détention à l’ensemble des détenus.

4.16En conclusion, l’État partie précise que la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion veille à l’application de la loi pour tous les détenus tout en leur garantissant, sans discrimination, la totalité de leurs droits.

Renseignements complémentaires fournis par le requérant

5.1Le 12 septembre 2017, le requérant a soumis une actualisation de sa situation qui, malgré les mesures provisoires octroyées par le Comité, ne s’était pas améliorée. Il demeurait détenu en isolement vingt-trois heures sur vingt-quatre dans des conditions très dures. L’impact de ces conditions était d’autant plus important que le requérant restait extrêmement faible. Il s’inquiétait particulièrement du manque de suivi médical, de l’insuffisance et l’inadéquation de la nourriture, des restrictions totalement injustifiées à ses contacts avec le monde extérieur, et du fait qu’il ne disposait toujours pas d’une literie adéquate, puisqu’il continuait à dormir sur un bloc de béton.

5.2Le 20 février 2018, le requérant a avisé le Comité que sa situation n’avait toujours pas changé depuis mars 2017. Il était toujours en isolement dans des conditions insupportables. Faisant référence à la réponse de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion, le requérant s’étonnait d’y lire que c’étaient son comportement et ses agissements qui avaient « motivé son placement en régime de catégorisation A » et qu’il avait été décidé, pour « l’encourager à plus de discipline », de le faire bénéficier d’un régime de promenade collectif au lieu de celui de la promenade individuelle, qui avait été appliqué précédemment, ce qui démontrait que le requérant avait été détenu en isolement.

5.3La réponse de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion indiquait également que le requérant, à l’instar de tous les détenus, était incarcéré dans le cadre et les conditions prescrits par la loi no 23-98. Il avait été transféré à la prison locale de Tiflet 2, établissement nouvellement construit répondant à des normes de détention convenables et destiné à des détenus condamnés dans diverses affaires et pour différentes peines, où il jouissait de tous ses droits conformément aux prescriptions légales et réglementaires. Selon la réponse de la Délégation générale, son mode d’incarcération ne pouvait être considéré comme un « isolement cellulaire ». En effet, il était hébergé dans une cellule individuelle aérée et éclairée offrant toutes les conditions sanitaires requises. Il recevait la visite des membres de sa famille et de ses proches chaque fois qu’ils se présentaient à l’établissement. Il lui était octroyé une durée largement suffisante pour communiquer avec sa famille, et le requérant était régulièrement en contact avec elle par téléphone, notamment sa sœur, son épouse, sa mère, son père, son frère et sa belle-mère. Ses conditions de détention entraient dans le cadre d’un système de classification mis en place par la Délégation générale en 2016 afin d’améliorer la gestion de ses établissements et qui était essentiellement lié à des objectifs de réinsertion basés sur la motivation.

5.4Selon l’État partie, c’étaient le comportement et les agissements antérieurs du requérant qui avaient motivé son placement en régime de catégorisation A. Toutes les informations concernant cette procédure lui avaient été présentées, et il lui avait été signifié qu’elle était du ressort d’une commission spécialisée, conformément aux normes organisationnelles déterminées. Selon la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion, il était à noter cependant que ce régime de classification n’était pas inamovible et définitif, mais variable et réactif, et qu’il dépendait essentiellement du changement positif du comportement du détenu. En effet, une évaluation du comportement des détenus se faisait tous les quatre mois, dans le cadre d’une procédure de révision de la première classification. Dans ce contexte, et après avoir suivi l’évolution du comportement du requérant au cours de la période comprise entre la date de son transfert à la prison locale de Tiflet 2 et le mois d’avril 2017, il avait été décidé, pour l’encourager à plus de discipline, de le faire bénéficier d’un régime de promenade collectif au lieu du régime de promenade individuelle qui était appliqué précédemment. Du point de vue médical, la Délégation générale indiquait que le requérant était suivi de près par le médecin de l’établissement, qu’il bénéficiait depuis le début de son incarcération de toute l’assistance médicale nécessaire, que ce soit au sein de l’infirmerie de l’établissement ou à l’hôpital public, qu’il recevait régulièrement les médicaments qui lui étaient prescrits, comme pouvait l’attester son livret médical, et qu’il suivait un régime alimentaire qui lui avait été conseillé en date du 30 mars 2017 par le médecin de l’établissement.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

6.1Le 31 mai 2018, le requérant a réitéré que ses conditions de détention n’avaient malheureusement pas évolué, malgré les mesures provisoires requises par le Comité. En ce qui concerne les faits survenus depuis le 11 septembre 2017, le requérant se réfère à sa correspondance datée du 12 septembre 2017, qu’il a adressée tant au Ministre de la justice qu’au Conseil national des droits de l’homme pour se plaindre du défaut d’évaluation de ses conditions de détention. Il y insistait sur le fait que le traitement infligé constituait manifestement un placement à l’isolement arbitraire, pour une durée indéterminée et prolongée. Il s’y plaignait de la restriction draconienne de ses contacts avec sa famille, qu’il ne pouvait joindre par téléphone que dix minutes par semaine. Il y sollicitait également d’être placé en régime de groupe, comme il l’était avant le 16 octobre 2016, lorsqu’il était détenu à la prison de Salé 2.

6.2Le 20 février 2018, en réponse à la lettre de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion datée du 7 novembre 2017, les conseils du requérant se sont renseignés sur : a) le régime de détention applicable dans la catégorie A ; b) les différences entre le régime appliqué au requérant et l’isolement ; c) les résultats de la réévaluation du régime de détention du requérant tous les quatre mois ; et d) la question de savoir si son point de vue avait été pris en compte. Malgré leur demande, aucune réponse n’a été obtenue. Les conditions de détention n’ont pas changé, et le requérant ne s’est jamais vu exposer les raisons desdites conditions. Aucune réévaluation de sa situation ne semble avoir été faite. Aucun de ses droits procéduraux n’a été respecté.

6.3Suite à des démarches d’Amnesty International, l’Organisation marocaine des droits humains a rendu visite au requérant. Cette association a listé ses plaintes et recommandé sa détention dans une prison plus proche de sa famille ainsi que son transfert dans le pavillon B, afin qu’il puisse bénéficier de deux promenades par jour et contacter sa famille, d’autant qu’il avait purgé plus des deux tiers de sa peine. Sa situation n’a pas évolué depuis lors : il est toujours en isolement à la prison de Tiflet 2, dans la même aile, et ses possibilités de contact avec sa famille ne se sont pas améliorées. Les recommandations de l’Organisation marocaine des droits humains n’ont pas été suivies. Le 9 mars 2018, la sœur du requérant exposait qu’elle avait pu lui parler au téléphone 5 minutes et 15 secondes, que le requérant était enfermé seul dans sa cellule vingt-trois heures sur vingt-quatre, disposait d’une heure de préau, mais n’avait aucun contact avec les autres détenus, que ce soit dans le quartier où il était enfermé ou durant sa sortie sous le préau. Les conditions de détention demeuraient difficiles, et le climat, très tendu. Il dormait sur du béton, sans matelas, son régime alimentaire était très pauvre et il avait demandé depuis plus de deux semaines à voir un médecin.

6.4Le 26 mars 2018, l’un de ses conseils ayant pu rendre visite au requérant a résumé la situation comme suit : « En substance, les conditions de détention du requérant n’ont pas changé. Il reste toujours dans la même cellule humide et glaciale, détenu au fond de l’aile, avec sept autres détenus en détention préventive, à l’autre extrémité. Ils ne lui parlent pas et lui ne veut pas leur parler, de peur que cela occasionne de nouveaux problèmes, comme des soupçons de radicalisation. Deux de ces détenus ont une fois commencé à lui parler et, deux jours plus tard, ils étaient transférés dans une autre aile. ».

6.5Concrètement, le requérant a le droit de sortir sous le préau une fois par jour, de prendre une douche par semaine, de manger des légumes cuits à l’eau le midi − mais doit payer tous les autres aliments −, et de passer deux appels de cinq minutes par semaine. Il n’a pas de radio, mais peut lire. Il n’a aucune autre activité. Durant l’année 2017, les choses s’étaient stabilisées. Néanmoins, quand il s’est plaint à un chef du vol de sa tondeuse à cheveux par des détenus, celui-ci n’a pas apprécié et a accusé le requérant de l’avoir menacé. Depuis, ce chef lui mène la vie dure : il insiste pour que le requérant ne parle que le français, l’arabe, l’espagnol ou le rifain quand il téléphone, pour que la garde puisse le surveiller et le comprendre ; il exige que le requérant se coupe les cheveux dans la cour de promenade ; les agents viennent chaque jour à l’improviste dans sa cellule lui annoncer l’heure de promenade ; les agents pénètrent régulièrement dans la douche pour le surveiller ; et le requérant n’a plus le droit de bénéficier de l’eau chaude dont il disposait avant quotidiennement sur simple demande. Le requérant craint très fortement les pressions et en a subi de sérieuses lors de son arrivée à la prison de Tiflet 2. La situation est inchangée. Après un hiver glacial, le requérant va devoir faire face, dans ces conditions dramatiques, à un été torride. Il est détenu depuis dix ans.

6.6Le requérant s’oppose en général aux observations de l’État partie. D’une part, l’État partie reprend dans les « faits » des éléments qui ne font pas l’objet de la présente procédure, soit tout ce qui concerne la procédure pénale ayant abouti à la condamnation du requérant. D’autre part, l’État partie ne tient absolument pas compte des constatations faites par le Comité dans sa communication CAT/C/52/D/477/2011, soit la violation des articles 2, 11, 12, 13 et 15 de la Convention. Dès lors que la violation de l’article 15 de la Convention a été constatée, le seul recours utile et effectif est la réouverture de la procédure. Pourtant, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi du requérant en 2017. Cette décision n’a pas été communiquée, ce qui témoigne malheureusement du manque de bonne volonté de la part de l’État partie pour se conformer, dans la pratique, au droit international directement applicable, et influe négativement sur l’application des droits de l’homme au Maroc.

6.7Concernant les conditions de détention, le requérant note que l’État partie ne dément pas ses allégations, se contentant d’affirmer qu’il ne s’agit pas d’un isolement et que le requérant jouit de tous ses droits, insinuant ainsi qu’il serait discriminatoire de le traiter autrement.

6.8Se référant aux développements inclus dans sa requête initiale, le requérant rappelle, face aux affirmations de l’État partie, que ses conseils n’ont reçu aucune réponse à leur dernier courrier. Il souligne aussi que l’État partie n’a jamais autorisé qu’un médecin externe ou les autorités consulaires belges puissent lui rendre visite, malgré ses demandes répétées. Dans ces circonstances, les allégations du requérant doivent être tenues pour établies et, partant, la violation des articles 1er, 2, 11, 12, 13, 14 et 16 de la Convention reconnue.

6.9Le requérant s’inquiète également de lire, dans les observations de l’État partie, qu’il aurait toujours refusé de se soumettre aux règles en vigueur et incité sans cesse les autres détenus à enfreindre la loi. Il souligne qu’il n’a jamais été convoqué devant le conseil disciplinaire. C’est pourtant dans ce cadre que devraient en principe se traiter les problèmes évoqués par l’État partie, dans le respect des droits de la défense. C’est la première fois, mis à part dans le courrier du 7 novembre 2017, que ce type de comportement est reproché au requérant. Jamais l’administration pénitentiaire n’avait encore essayé de se justifier en insinuant que les traitements subis par le requérant étaient de sa faute.

6.10Quant à la réfutation des manquements quant au suivi médical, l’État partie refuse toujours au requérant l’accès à un médecin externe et indépendant, non marocain. Les conseils du requérant ne connaissent d’ailleurs toujours pas la base légale ou réglementaire d’un tel refus.

6.11Le requérant souligne aussi l’absence d’enquête sur la source des nombreux coups constatés sur son corps. Il rappelle que les comportements dénoncés dans la présente requête ne sont malheureusement pas isolés.

6.12En conséquence, le requérant prie le Comité de constater la violation des articles 1er, 2, 11, 12, 13, 14 et 16 de la Convention et sollicite de l’État partie qu’il le libère immédiatement et l’indemnise de façon complète, adéquate et équitable pour l’ensemble des violations de la Convention constatées et des conséquences qu’elles ont entraînées.

6.13Le 8 juillet 2019, le requérant a réitéré que les conditions de sa détention étaient toujours identiques, malgré les mesures provisoires du Comité et les conclusions de l’Organisation marocaine des droits humains, qui recommandait de l’incarcérer dans une prison plus proche de sa famille et de lui permettre d’accroître ses contacts avec celle-ci. Comme indiqué précédemment, les contacts téléphoniques avec sa famille se limitent à deux appels de cinq minutes par semaine, à son épouse et à sa sœur, contrairement aux autres détenus. Toutefois, même ce minimum n’est pas respecté et le requérant est surveillé durant ses appels. La pression exercée sur lui reste intense, puisqu’il ne reçoit plus sa correspondance.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

7.1Avant d’examiner toute plainte soumise dans une requête, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.2Conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, le Comité doit s’assurer que le requérant a épuisé les voies de recours internes disponibles, cette règle ne s’appliquant pas lorsque les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables ou s’il est peu probable qu’elles donneraient satisfaction à la victime présumée. Le Comité prend note que selon l’État partie, le requérant a été condamné en première instance à quinze ans de prison, avant d’exercer un recours en appel suite auquel la peine a été réduite à douze ans de prison. Après le dépôt par le requérant d’un recours en cassation, le 19 avril 2014, la Cour de cassation a émis un arrêt rejetant sa demande. Le Comité note en outre que le requérant a contesté ses conditions de détention auprès de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion, y compris son isolement cellulaire depuis son transfert à la prison de Tiflet 2 en octobre 2016, alors que l’État partie a affirmé que le requérant était soumis à des conditions de détention ordinaires, sans démontrer si des enquêtes avaient été menées à cet égard. Observant que l’État partie n’a pas allégué que d’autres voies de recours internes étaient disponibles pour le requérant, le Comité considère donc que le requérant a épuisé les voies de recours internes disponibles.

7.3Ne constatant pas d’autres obstacles à la recevabilité, le Comité déclare la communication recevable au titre de l’article 22 de la Convention en ce qui concerne la violation alléguée des articles 1er, 2, 11, 12, 13, 14 et 16 de la Convention et procède à son examen au fond.

Examen au fond

8.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

8.2Le Comité note les griefs du requérant selon lesquels : a) la décision du Comité concernant la communication CAT/C/52/D/477/2011 n’a pas été mise en œuvre, et l’enquête ouverte suite à cette décision n’a pas respecté les critères du procès équitable ; b) les conditions de sa détention à la prison de Tiflet 2 depuis octobre 2016 ne se sont pas améliorées, puisqu’il continue d’être soumis à l’isolement cellulaire pour une durée indéterminée et prolongée, sans en connaître les raisons et sans réévaluation de sa situation à intervalles réguliers, dans le respect de ses droits procéduraux ; et c) ses contacts avec sa famille sont restreints, il fait l’objet d’un accès limité à un médecin en prison, tout examen par un médecin indépendant lui est refusé, et il ne peut bénéficier d’une visite par les autorités consulaires belges. Le Comité note aussi que le requérant a sollicité d’être placé en régime de groupe, sans succès.

8.3Le Comité note également les observations de l’État partie selon lesquelles : a) le requérant jouit de tous ses droits ; b) il n’est pas en isolement cellulaire, mais hébergé dans une cellule individuelle aérée et éclairée bénéficiant de toutes les conditions sanitaires ; c) la durée des visites familiales est suffisante ; d) le requérant est placé en régime de catégorisation A à cause de son comportement et ses agissements antérieurs ; e) ce régime n’est pas inamovible, mais dépend du comportement du détenu ; f) une réévaluation du comportement des détenus a lieu tous les quatre mois ; et g) pour « l’encourager à plus de discipline », le requérant bénéficie maintenant d’un régime de promenade collectif.

8.4Le Comité observe que les conseils du requérant, qui ont demandé une réévaluation régulière du régime de détention du requérant, n’auraient pas reçu de réponse de l’État partie à leur demande.

8.5Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle l’isolement cellulaire peut constituer une violation de l’article 16 de la Convention, selon les circonstances de l’espèce et compte tenu des conditions particulières de l’isolement cellulaire, de la rigueur de la mesure, de sa durée, de l’objectif poursuivi et de ses effets sur la personne concernée. Le Comité rappelle sa recommandation selon laquelle l’isolement cellulaire et l’isolement devraient être utilisés en dernier recours, pour une durée aussi brève que possible, sous un contrôle strict et avec la possibilité d’un contrôle juridictionnel. Le Comité se réfère également à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus (Règles Nelson Mandela), dont la règle 44 stipule que l’isolement cellulaire signifie l’isolement d’un détenu pendant vingt-deux heures par jour ou plus, sans contact humain réel, et que l’isolement cellulaire prolongé signifie l’isolement cellulaire pour une période de plus de quinze jours consécutifs. Dans le cas d’espèce, le Comité note que le requérant a été placé en isolement cellulaire pendant une longue période. Il note également l’argument du requérant selon lequel il aurait été astreint dans sa cellule vingt‑trois heures par jour au cours de sa période d’isolement cellulaire, avec une heure par jour pour faire de l’exercice et la possibilité de prendre une douche une fois par semaine. Le Comité note en outre l’affirmation du requérant selon laquelle il était particulièrement vulnérable à l’époque, car il dormait par terre, sans matelas, et souffrait de problèmes de santé et de malnutrition. Le Comité prend note des arguments de l’État partie selon lesquels le requérant avait été placé seul dans une cellule en raison de sanctions disciplinaires, les conditions de son emprisonnement étaient ordinaires et humaines, et il avait droit à des contacts réguliers avec sa famille. Par ailleurs, le Comité rappelle sa jurisprudence concernant certaines garanties fondamentales qui doivent s’appliquer à toutes les personnes privées de liberté en vue de prévenir la torture et les mauvais traitements. Parmi ces garanties figure le droit des détenus de bénéficier promptement d’une assistance juridique et médicale indépendante ainsi que de prendre contact avec leur famille. En l’espèce, le Comité note l’affirmation du requérant selon laquelle l’isolement cellulaire ainsi que l’absence de clarification de la part de l’État partie à cet égard lui ont causé des souffrances et l’ont affecté physiquement. Le Comité observe que le régime de détention du requérant correspond à l’isolement cellulaire, même s’il n’a pas été qualifié en tant que tel en vertu de la loi marocaine. Le Comité estime que l’isolement cellulaire du requérant et sa durée, aggravés par l’absence de contrôle périodique de ce régime, ses contacts limités avec la famille et son accès irrégulier à des soins de santé n’étaient pas proportionnés à l’objectif disciplinaire allégué. Le Comité considère par conséquent que l’isolement cellulaire imposé au requérant constituait une violation par l’État partie de ses obligations au titre de l’article 16 et de l’article 2, paragraphe 1, lus conjointement avec les articles 1er et 11 de la Convention.

8.6Le Comité prend note de l’allégation du requérant selon laquelle l’État partie ne lui aurait pas fourni réparation pour ses mauvais traitements en détention, ce qui constitue une violation de ses droits au titre de l’article 14 de la Convention. Le Comité rappelle son observation générale no 3 (2012) sur l’application de l’article 14 et note que l’article 14 est applicable à toutes les victimes de torture et de mauvais traitements. Le Comité rappelle en outre que l’article 14 reconnaît non seulement le droit à une indemnisation juste et adéquate, mais impose également aux États parties de veiller à ce que la victime d’un acte de torture ou de mauvais traitements obtienne réparation. Le Comité considère que le dédommagement devrait couvrir tous les dommages subis par la victime, y compris la restitution, l’indemnisation, la réadaptation de la victime et des mesures visant à garantir que les violations ne se reproduisent plus, en tenant toujours compte des circonstances de chaque cas. Le Comité note que, dans le cas présent, le requérant est resté en isolement cellulaire pendant une période prolongée, sans enquête objective sur les circonstances de son isolement, et que son régime de détention n’a pas été allégé, ce qui lui a causé des souffrances inutiles. En conséquence, le Comité constate que les droits du requérant au titre de l’article 14 de la Convention ont été violés.

8.7Compte tenu de ce qui précède, le Comité n’estime pas nécessaire d’examiner séparément les griefs du requérant au titre des articles 12 et 13 de la Convention.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, est d’avis que les faits dont il a été saisi font apparaître une violation de l’article 16 et de l’article 2, paragraphe 1, lus conjointement avec les articles 1er et 11 de la Convention, ainsi que de l’article 14 de la Convention.

10.Conformément au paragraphe 5 de l’article 118 de son règlement intérieur, le Comité invite l’État partie à l’informer, dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la date de transmission de la présente décision, des mesures qu’il aura prises pour donner suite aux observations ci-dessus. Ces mesures doivent inclure le replacement du requérant en régime de groupe dans une prison plus proche de sa famille, l’ouverture d’une enquête impartiale et approfondie sur les allégations du requérant, et son indemnisation de façon complète, adéquate et équitable pour l’ensemble des violations de la Convention constatées et des conséquences qu’elles ont entraînées pour le requérant.