+
L’auteure de la communication est H. D., de nationalité somalienne, née en 1989. Elle prétend que son renvoi en Somalie violerait les droits qu’elle tient des articles 2, 12 et 15 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes. La Convention et le Protocole facultatif qui s’y rapporte sont entrés en vigueur au Danemark respectivement le 21 mai 1983 et le 22 décembre 2000. L’auteure est représentée par un conseil, Niels-Erik Hansen.
1.2La demande d’asile de l’auteure a été rejetée par le Danemark le 27 octobre 2014 et elle a reçu l’ordre de quitter le pays. L’auteure ayant fait une requête en ce sens, le Comité a prié l’État partie de ne pas la renvoyer en Somalie tant qu’il n’avait pas tranché l’affaire, conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif à la Convention et à l’article 63 de son règlement intérieur. Le 7 novembre 2014, la Commission danoise des recours des réfugiés a suspendu jusqu’à nouvel ordre la procédure d’expulsion engagée contre l’auteure.
Rappel des faits présentés par l’auteure
2.1Originaire du sud de la Somalie, l’auteure appartient au clan Achraf et est de confession musulmane. Elle a contracté mariage en 2007. Elle prétend qu’en 2010, son mari a disparu.
2.2En 2013, l’auteure a commencé à fréquenter un autre homme, dénommé A. Par la suite, son beau-frère est venu à son domicile pour l’interroger sur la nature de sa relation avec A. et l’a frappée au visage. Après avoir démenti entretenir une quelconque relation avec lui, elle a avoué que c’était le cas.
2.3L’auteure n’a pas prévenu les Chabab de sa relation car, s’ils en avaient connu la nature extraconjugale, elle aurait été mise à mort par lapidation. Le 10 février 2014, son beau-frère s’est de nouveau rendu à son domicile et l’a trouvée en compagnie de A., qu’il a poignardé avec un couteau. Elle dit avoir eu peur que son beau-frère l’attaque elle aussi et réussi à s’enfermer dans une pièce avec l’un de ses deux enfants légitimes (l’autre étant en train de jouer à l’extérieur), peu après quoi l’assaillant a quitté les lieux. Plus tard dans la journée, des voisins sont entrés dans sa maison et ont frappé à la porte de la pièce. Par la suite, l’auteure a été accusée du meurtre de A.
2.4Le 20 février 2014, un tribunal islamique local a condamné l’auteure à mort pour le meurtre de A., la peine devant être exécutée quinze jours plus tard. Selon l’auteure, personne ne l’a crue lorsqu’elle a affirmé que son beau-frère était responsable du meurtre. Elle prétend qu’elle n’a pas été écoutée parce qu’elle est une femme.
2.5En détention, l’auteure a été agressée par ses géôliers et a notamment reçu des coups de crosse de fusil. Le 23 février 2014, la localité où elle était emprisonnée a été attaquée par les forces gouvernementales. Pendant les combats, la prison a été prise d’assaut et, aidée par les proches d’autres détenus, l’auteure a réussi à s’échapper. Depuis le 22 mars 2014, les forces gouvernementales contrôlent la zone. Avec l’aide d’une femme du village, l’auteure a été transportée en Éthiopie par camion. Elle est restée à Addis-Abeba pendant deux mois. Aidé par un intermédiaire qui lui a remis un passeport appartenant à quelqu’un d’autre, son grand-père a organisé sa venue au Danemark par avion.
2.6L’auteure est arrivée au Danemark le 16 mai 2014 et a présenté une demande d’asile. Dans ses démarches, elle a insisté sur le fait que, quelles que soient les autorités exerçant un contrôle sur la zone où elle vivait, il lui serait impossible de se protéger de la famille de son mari ou de celle de A. Sa demande d’asile a été rejetée le 5 août 2014 par le Service danois de l’immigration.
2.7Le 27 octobre 2014, la Commission des recours des réfugiés a confirmé cette décision.
2.8L’auteure affirme avoir épuisé tous les recours internes puisque les décisions de la Commission des recours des réfugiés sont définitives.
Teneur de la plainte
3.1L’auteure fait valoir que sa demande d’asile devrait être étudiée à la lumière de la violation des droits qu’elle tient de la Convention puisqu’elle a démontré qu’elle a fait l’objet de violences sexistes. Elle soutient que l’État partie a manqué à ses obligations découlant de l’article 2 de la Convention et que la décision de la Commission des recours des réfugiés viole le principe de non-refoulement ainsi que la recommandation générale no 19 (1992) du Comité relative la violence à l’égard des femmes. En l’expulsant, le Danemark contreviendrait également aux articles 12 et 15 de la Convention.
3.2L’auteure craint d’être tuée par les Chabab si elle est renvoyée en Somalie, étant donné qu’elle a été condamnée à mort dans ce pays. Elle a également peur de la famille de A., qui pense qu’elle l’a tué, et de la famille de son mari, en raison de sa réaction lorsqu’elle a découvert sa relation extraconjugale.
3.3L’auteure prétend également que les autorités n’ont ni la volonté ni la capacité de la protéger, en tant que femme, de la famille de son mari et de celle de A. Il lui est par ailleurs impossible de s’établir ailleurs en Somalie ; en tant que femme seule ne bénéficiant ni de la protection des autorités ni de celle de son clan, elle s’exposerait à des mauvais traitements.
3.4L’auteure fait également valoir qu’elle a fait l’objet d’actes de violence sexiste de la part du frère de son mari. Selon elle, le fait que son beau-frère puisse la battre en toute impunité illustre bien l’oppression dont les femmes sont victimes en Somalie, où elles sont considérées comme étant un bien de l’homme et où, en l’absence du mari, c’est par la famille de ce dernier que les droits sur l’épouse sont exercés.
Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond
4.1Dans une note verbale datée du 5 mai 2015, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et sur le fond de la communication, dont il conteste la recevabilité. Sur le fond, il affirme que le renvoi de l’auteure en Somalie ne serait pas contraire aux dispositions de la Convention.
4.2L’État partie rappelle que l’auteure, de nationalité somalienne et née en 1989, est arrivée au Danemark le 16 mai 2014 et a présenté une demande d’asile. Le 5 août 2014, le Service de l’immigration a rejeté sa demande. Le 27 octobre 2014, statuant en appel, la Commission des recours des réfugiés a confirmé cette décision.
4.3Dans sa décision, la Commission des recours des réfugiés a constaté notamment que l’auteure avait déclaré n’appartenir à aucune association ou organisation politique ou religieuse et n’être pas engagée politiquement. Dans sa demande d’asile, l’auteure a dit craindre son renvoi en Somalie parce qu’elle pourrait être tuée par les Chabab, qui l’ont condamnée à mort. Elle craint également la famille de son défunt ami A., qui la soupçonne de l’avoir tué. À l’appui de sa demande, elle a indiqué qu’elle était mariée depuis 2007 et que son mari avait disparu en 2010. Elle a eu de ses nouvelles pour la dernière fois lors d’une conversation téléphonique au cours de laquelle il lui a dit être poursuivi par les Chabab. Elle a entamé une liaison avec A. en 2013. Son beau-frère en a eu connaissance et l’a sommée de mettre un terme à cette liaison, ce qu’elle n’a pas fait. Le 10 février 2014, il s’est introduit dans la maison de l’auteure et a poignardé A. avec un couteau, entraînant sa mort. Le même jour, des Chabab ont accusé l’auteure de ce meurtre. Le 20 février 2014, un tribunal islamique l’a condamnée à mort pour adultère et meurtre. Quelques jours plus tard, elle a réussi à s’échapper de prison.
4.4La Commission des recours des réfugiés a fait observer qu’elle ne croyait pas à la véracité des faits tels que présentés par l’auteure. Selon elle, cette dernière n’aurait pas pu entretenir une liaison avec A. étant donné que ses enfants se référaient à lui comme à leur « oncle », sans que cela pose de problème, notamment dans la famille de son mari. La Commission a attaché une importance cruciale au fait que l’auteure a fait des déclarations contradictoires concernant des points fondamentaux qui motivent sa demande d’asile. Par exemple, au cours de la procédure, l’auteure a indiqué qu’après avoir tué A., son beau-frère s’est abstenu d’user de la violence contre elle car elle avait poussé des hurlements. Auditionnée par la Commission, elle a en revanche affirmé s’être protégée de son beau-frère violent en s’enfermant dans une pièce adjacente. Elle a par ailleurs longuement évoqué la violence que lui avait auparavant fait subir son beau-frère, photos à l’appui. Interrogée sur les raisons l’ayant poussée à ne donner ces informations qu’au stade de l’audition devant la Commission, elle a expliqué que c’était par crainte des Chabab. La Commission a jugé cette explication illogique, notamment parce que l’auteure avait déjà fait des déclarations incriminant les Chabab et parce que son beau-frère ne faisait pas partie de ce mouvement. Elle a également constaté que de manière générale, l’auteure n’était pas très encline à donner des informations précises sur l’agencement de la prison et sur la façon exacte dont A. était décédé. Elle a fait remarquer qu’en tous points, l’auteure s’était contentée de donner des réponses évasives et « vagues ». Ainsi, en se fondant sur une évaluation générale, la Commission a estimé que celle-ci n’avait pas démontré le bien-fondé de sa demande d’asile, notamment parce que le risque de persécution auquel son renvoi en Somalie l’exposerait n’était pas avéré, et que son récit, notamment ses allégations de mauvais traitements, n’était pas crédible.
4.5La Commission des recours des réfugiés a par ailleurs estimé que le fait que les conditions de vie des femmes en Somalie soient globalement difficiles ne suffisait pas à prouver que l’auteure était menacée de torture dans son pays. L’État partie a fait savoir qu’en règle générale, la Commission ne demandait pas d’examen médical visant à déceler des signes de torture lorsque la personne en quête d’asile avait manqué de crédibilité tout au long de la procédure. Dans ces circonstances, la Commission a rejeté l’intégralité des allégations de torture de l’auteure, lesquelles étaient fortement incohérentes. Compte tenu de ce qui précède, la majorité des membres de la Commission a jugé qu’il n’y avait pas lieu de demander un examen médical visant à révéler des signes de torture. Enfin, la Commission a considéré que l’auteure ne serait pas menacée de persécution au sens du paragraphe 1) de l’article 7 de la loi sur les étrangers ou de traitement inhumain au sens du paragraphe 2) du même article de cette loi, et a donc confirmé la décision du Service de l’immigration. Tout comme la Commission, l’État partie est d’avis qu’il n’était pas nécessaire de soumettre l’auteure à un examen médical pour déceler des signes de torture.
4.6L’État partie a en outre fourni de nombreux renseignements sur l’indépendance, la composition, le fonctionnement et les attributions de la Commission des recours des réfugiés ainsi que sur le fondement juridique de ses décisions. La Commission est un organe quasi judiciaire collégial et indépendant, qui fonde ses décisions sur les obligations internationales que le Danemark a contractées, en particulier celles découlant de la Convention relative au statut des réfugiés (1951). Le fait que la Commission n’ait pas expressément mentionné les articles de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes ne signifie pas pour autant qu’elle n’a pas tenu compte des obligations internationales que la Convention impose au Danemark. L’État partie affirme que, lorsqu’elle étudie les demandes d’asile, la Commission tient toujours compte de ces obligations. En outre, la Commission est chargée non seulement d’examiner et d’obtenir des informations sur les faits de la cause, mais également d’apporter les éléments de contexte voulus, notamment des informations sur la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile ou dans le pays de premier asile, qu’elle se procure auprès de différentes sources, notamment sur Internet, auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés ou dans les rapports d’organisations non gouvernementales et des autorités danoises compétentes.
4.7L’État partie insiste sur le fait que l’auteure invoque une application extraterritoriale de la Convention. Se référant à la jurisprudence du Comité, il considère que l’auteure n’a pas pu prouver que son renvoi en Somalie l’exposerait à un risque réel, personnel et prévisible de subir des formes graves de violence sexiste. Il affirme que l’auteure n’a pas démontré à première vue que sa communication était recevable. Par conséquent, il en conclut que cette dernière doit être déclarée irrecevable, car les prétentions qu’elle renferme sont manifestement infondées.
4.8L’État partie fait valoir que l’auteure a simplement affirmé qu’elle risquerait de subir des formes graves de violence sexiste si elle était renvoyée en Somalie, mais qu’elle n’a pas su expliquer dans quelle mesure cette décision serait contraire aux articles 12 et 15 de la Convention. Ces articles sont inopérants en l’espèce puisqu’il n’est pas question d’accès à des soins médicaux et que l’auteure n’a pas été discriminée en raison de son sexe.
4.9Selon l’État partie, l’auteure tente d’utiliser le Comité comme organe d’appel pour que les éléments factuels soient pris en compte à l’appui de sa demande, ce qui équivaudrait à un nouvel examen de sa demande d’asile par le Comité. En effet, elle a simplement exprimé son désaccord avec les décisions rendues par les tribunaux nationaux et n’a pas soulevé d’irrégularité dans la procédure ou de facteur de risque dont la Commission des recours des réfugiés n’aurait pas tenu dûment compte s’agissant de déterminer l’applicabilité du principe de non-refoulement. L’État partie fait valoir que le Comité devrait accorder une importance déterminante aux faits tels qu’établis par la Commission, laquelle est mieux à même de les évaluer.
Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partiesur la recevabilité et sur le fond
5.1Le 1er mars 2016, l’auteure a fait part de ses commentaires sur les observations de l’État partie. Elle a signalé au Comité qu’elle craignait d’être expulsée car les autorités danoises avaient dernièrement expulsé quatre ressortissants somaliens. Elle a fait valoir qu’à la suite du récent examen d’une demande d’asile présentée par un Somalien en Suède, la Commission danoise des recours des réfugiés avait rouvert plusieurs affaires similaires concernant des Somaliennes seules, notamment l’affaire concernant l’auteure de la communication no° 93/2015. Elle s’est étonnée de ce que ce n’ait pas été son cas, sa situation étant semblable à celle de l’auteure de ladite communication.
5.2L’auteure fait valoir en outre que le Danemark ne respecte pas les décisions de différents organes conventionnels des Nations Unies. Elle mentionne par exemple une communication concernant une expulsion adressée au Comité des droits de l’homme. Selon elle, la Commission des recours des réfugiés a nié que cette décision était juridiquement contraignante au motif que les dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n’avaient jamais été transposées dans le droit danois et, de façon similaire, que la législation nationale n’avait pas été mise en conformité avec la Convention.
5.3Pour ce qui est de savoir si, pendant la procédure d’asile, l’auteure aurait dû passer un examen médical visant à révéler des signes de torture, l’intéressée fait observer que la décision de la Commission de rejeter sa demande n’était pas unanime. Une minorité d’un ou deux membres a jugé qu’il y avait lieu de demander un tel examen.
5.4L’auteure prétend que le simple fait que la Somalie n’ait pas signé la Convention justifie sa crainte de ce qui peut lui arriver en cas d’expulsion. Elle rappelle que, bien que son conseil ait porté cet élément à l’attention de la Commission, celle-ci n’a pas mentionné la Convention dans sa décision. Selon elle, cela prouve que les autorités danoises ne s’attachent pas suffisamment à respecter leurs obligations internationales. L’auteure fait valoir qu’en cas d’interprétation divergente des faits, c’est à l’État partie qu’incombe au premier chef l’obligation de prouver qu’il est fait référence à la Convention dans les décisions des tribunaux nationaux.
5.5Pour souligner la situation difficile dans laquelle se trouvent les femmes seules en Somalie, l’auteure invoque une décision récente de la Cour européenne des droits de l’homme. Elle affirme en outre que l’État partie ne peut pas avancer qu’elle n’a pas apporté de preuves concernant ses allégations de torture puisqu’elle a demandé à passer un examen médical, ce que la Commission a refusé.
Observations complémentaires de l’État partie
6.1Par une note verbale datée du 18 octobre 2016, l’État partie a informé le Comité qu’à la lumière du jugement de la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire intitulée R. H. c. Suède, les autorités danoises chargées de l’immigration ont décidé de rouvrir l’affaire concernant l’auteure et de demander que celle-ci soit auditionnée par des membres différents de la Commission des recours des réfugiés afin d’obtenir des précisions sur sa famille et d’autres personnes de son entourage dans son pays d’origine. Le 15 juillet 2016, la Commission a de nouveau confirmé la décision du Service de l’immigration. En se fondant sur les observations apportées par l’auteure pendant l’audition, la Commission a estimé que celle-ci n’avait pas démontré dans quelle mesure son renvoi en Somalie lui ferait courir un risque. À cet égard, elle a insisté sur le fait que les déclarations faites par l’auteure tout au long de la procédure semblaient montées de toutes pièces pour répondre aux besoins du moment. En outre, l’auteure n’avait pas réussi à prouver qu’en cas de renvoi dans son pays d’origine, elle se retrouverait seule, sans entourage masculin. Par conséquent, la Commission a conclu que l’auteure devait être considérée comme pouvant obtenir le soutien des membres de sa famille et de son entourage, notamment d’hommes, aux fins de sa protection.
6.2Dans sa décision du 15 juillet 2016, la Commission a de nouveau refusé de soumettre l’auteure à un examen médical visant à déceler des signes de torture et a confirmé la décision du Service danois de l’immigration.
6.3L’État partie a communiqué d’autres informations générales récentes sur la situation en Somalie. En se fondant sur un rapport publié en 2016 par le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, il affirme que les Chabab ne contrôlent plus les grandes villes de la région du Bas-Chébéli.
6.4L’État partie répète que cette communication doit être déclarée irrecevable car les prétentions qu’elle renferme sont manifestement infondées. Il soutient en outre que, même si le Comité devait déclarer la communication recevable, il n’a pas été établi qu’il existait de sérieux motifs de croire que le renvoi de l’auteure en Somalie constituerait une violation de la Convention.
Délibérations du Comité concernant la recevabilité
7.1Conformément à l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif.
7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.
7.3Le Comité note que l’auteure affirme avoir épuisé toutes les voies de recours internes et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication sur ce point. Il constate que, de par son indépendance, sa compétence et ses fonctions quasi judiciaires, la Commission des recours des réfugiés fonctionne dans les faits comme une cour d’appel et qu’il est donc impossible de faire appel de ses décisions. Par conséquent, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par les dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif d’examiner la communication.
7.4Le Comité prend également note de l’avis de l’État partie selon lequel les prétentions formulées dans la communication sont manifestement infondées et contraires au paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif, étant donné l’insuffisance des motifs invoqués. Il déplore la faiblesse des éléments qui lui sont présentés et la répétition des mêmes allégations sans qu’aucune information supplémentaire ne soit apportée pour étayer les dires de l’auteure, malgré sa représentation par un avocat. À cet égard, il rappelle les craintes formulées par l’auteure concernant les actes de violence qu’elle risque de subir de la part de la famille de son mari, de celle de A. ou encore des Chabab, si elle est renvoyée en Somalie, en raison de la liaison qu’elle avait entamée avec feu A., trois ans après la disparition de son mari, alors qu’elle était encore mariée. L’auteure soutient que, si l’État partie la renvoie en Somalie, elle sera personnellement exposée à des formes graves de violence sexiste, ce qui constituerait une violation de ses droits au titre des articles 2, 12 et 15 de la Convention.
7.5Le Comité renvoie au paragraphe 21 de sa recommandation générale no 32 (2014) sur les femmes et les situations de réfugiés, d’asile, de nationalité et d’apatridie, auquel il a indiqué que « en vertu du droit international relatif aux droits de l’homme, le principe de non-refoulement fai[sai]t obligation aux États de ne pas renvoyer une personne là où elle risqu[ait] de subir de graves violations des droits de l’homme, notamment la privation arbitraire de la vie ou la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ». Il renvoie également au paragraphe 7 de sa recommandation générale no 19, auquel il a constaté que « [l]a violence fondée sur le sexe, qui compromet ou rend nulle la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes en vertu des principes généraux du droit international ou des conventions particulières relatives aux droits de l’homme, constitu[ait] une discrimination, au sens de l’article premier de la Convention », et que ces droits comprenaient le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à la torture. Dans sa recommandation générale no°35 (2017) sur la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, portant actualisation de la recommandation générale no°19, il a précisé sa définition de la violence à l’égard des femmes en tant que discrimination sexiste. Au paragraphe 21, il réaffirme l’obligation qui incombe aux États parties d’éliminer la discrimination à l’égard des femmes, y compris la violence à l’égard des femmes fondée sur le genre, et rappelle que cette obligation crée une double responsabilité pour les États : celle qui découle des actes ou omissions de l’État partie ou de ses acteurs, d’une part ; celle qui résulte des actes ou omissions des acteurs non étatiques, d’autre part.
7.6L’auteure prétend que, si elle était renvoyée en Somalie, elle courrait le risque de subir des formes graves de violence sexiste de la part des membres de la famille de son mari, de celle de A. ou des Chabab.
7.7Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux autorités de l’État partie à la Convention d’évaluer les faits et les éléments de preuve ainsi que l’application de la législation interne dans un cas particulier, sauf s’il peut être établi que l’évaluation a été conduite partialement ou est fondée sur des stéréotypes sexistes qui constituent une discrimination à l’égard des femmes, est manifestement arbitraire ou représente un déni de justice. À cet égard, il note qu’au fond, l’auteure conteste la manière dont les autorités de l’État partie ont évalué les éléments de fait de sa demande et appliqué la législation, ainsi que les conclusions qu’elles en ont tirées. La question dont est saisi le Comité est donc de savoir s’il y a eu irrégularité dans la procédure de demande d’asile de l’auteure et si les autorités de l’État partie ont mal évalué le risque de violence sexiste grave auquel l’auteure serait exposée en cas de renvoi en Somalie.
7.8Le Comité constate que les autorités de l’État partie ont jugé que le récit de l’auteure n’était pas suffisamment crédible en raison d’un certain nombre d’incohérences factuelles et d’un manque de preuves présentées à l’appui de la demande, et qu’il semblait fabriqué de toutes pièces. Il fait remarquer que les informations limitées que lui a fournies le conseil de l’auteure tendent à appuyer la conclusion des autorités de l’État partie quant à la motivation insuffisante de ses allégations. Il note par ailleurs que l’État partie a tenu compte de la situation générale en Somalie.
7.9Le Comité prend acte de ce que l’auteure fait grief aux autorités danoises chargées de l’immigration de ne pas avoir examiné sa demande sous l’angle de la Convention et de ne pas avoir fait mention de celle-ci dans leur décision, bien que cette question ait été soulevée par son conseil à l’audience devant la Commission des recours des réfugiés. Il observe que le conseil de l’auteure a prié les autorités d’examiner la demande d’asile à la lumière de la Convention, sans toutefois faire référence à des dispositions spécifiques de celle-ci ni étayer les prétentions de sa cliente sur tel ou tel article.
7.10Le Comité prend note de l’affirmation de l’auteure selon laquelle elle a été condamnée à mort illicitement pour le meurtre de A., perpétré dans son village en Somalie, condamnation qui a été prononcée en application de la loi islamique lorsque la région était administrée par les Chabab. D’après les informations dont il dispose, les Chabab ne contrôlent plus la région depuis 2014. Le Comité fait par ailleurs remarquer que l’auteure n’a pas fait valoir que la condamnation à mort prononcée à son encontre était toujours exécutoire, maintenant que la région est administrée par les autorités nationales. Par conséquent, il ne peut conclure que l’emprisonnement ou l’exécution de la condamnation à mort prononcée lorsque les Chabab administraient la région constituerait un risque pour l’auteure. Ce point de la communication est donc irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif.
7.11En outre, l’auteure n’a pas donné suffisamment d’informations permettant de déterminer qu’il lui serait impossible de vivre avec les membres de sa famille ou qu’elle se retrouverait esseulée en Somalie. En ce sens, le Comité constate que, même lorsqu’elle a interjeté appel auprès la Commission des recours des réfugiés, l’auteure n’a pas étayé l’affirmation selon laquelle elle n’a pas de proches ou de liens familiaux sur lesquels s’appuyer, notamment un entourage masculin (voir par. 6.1 ci-dessus). Le Comité note également que l’auteure n’a pas prétendu ne pas avoir de famille en Somalie, mais plutôt ne pas avoir eu de contact avec elle depuis son arrivée au Danemark. Il ressort du dossier que l’auteure a effectivement des proches dans son village d’origine et que ce sont les membres de sa famille qui ont organisé et financé sa venue dans ce pays.
7.12Le Comité remarque que l’auteure a affirmé avoir été victime de violences lorsqu’elle était détenue par les Chabab et que les autorités danoises ont refusé de la soumettre à un examen visant à déceler des signes de torture, en dépit de sa demande en ce sens et du fait qu’elle leur ait montré des photos de cicatrices qu’elle avait sur le dos et qui, à ses dires, auraient été causées par les mauvais traitements en question. Par ailleurs, il constate que l’auteure n’a fait cette affirmation et présenté ces photos qu’au stade de l’appel formé devant la Commission des recours des réfugiés, laquelle a estimé que les justifications apportées concernant cette présentation tardive n’étaient ni satisfaisantes ni logiques, et que, dans l’ensemble, les allégations de l’auteure n’étaient pas suffisamment motivées. Il note l’argument de l’État partie selon lequel les Chabab ne contrôlent plus la région en question. En outre, il considère que rien ne lui permet de conclure que la Commission a refusé de soumettre l’auteure à un examen en raison de son sexe.
7.13Compte tenu de ce qui précède et sans que soient sous-estimées les préoccupations légitimes qui peuvent être exprimées en ce qui concerne la situation générale des droits de l’homme en Somalie, en particulier pour les femmes, le Comité considère qu’aucun élément du dossier ne permet de conclure que les autorités de l’État partie n’ont pas porté toute l’attention voulue à la demande d’asile formulée par l’auteure ou que son examen serait par ailleurs entaché de quelque vice de procédure. Il estime que l’auteure n’a pas pu prouver que son renvoi en Somalie l’exposerait à un risque réel, personnel et prévisible de subir des formes graves de violence sexiste.
8.En conséquence, le Comité décide que :
a)La communication est irrecevable en vertu du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif ;
b)La présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.