Communication présentée par :

F. H. A. (représentée par un conseil du cabinet Advokatkompagniet)

Au nom de :

L’auteure

État partie :

Danemark

Date de la communication :

7 novembre 2016 (lettre initiale)

Références :

Communiquées à l’État partie le 14 novembre 2016

Date des constatations :

17 février 2020

Exposé des faits

1.1L’auteure de la communication est F. H. A., de nationalité somalienne, née en 1988. Sa demande d’asile a été rejetée par le Danemark et elle risque d’être expulsée vers la Somalie. L’auteure affirme que son expulsion constituerait une violation par le Danemark des droits qu’elle tient de l’article premier de la Convention et l’alinéa d) de l’article 2, lu conjointement avec les alinéas e) et f). L’auteure est représentée par un conseil du cabinet Advokatkompagniet. La Convention et le Protocole facultatif y afférent sont entrés en vigueur pour l’État partie le 21 mai 1983, pour la première, et le 22 décembre 2000, pour le second.

1.2Lors de l’enregistrement de la communication, le 14 novembre 2016, le Comité, par l’intermédiaire de son groupe de travail des communications soumises en vertu du Protocole facultatif et conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif et à l’article 63 de son règlement intérieur, a demandé à l’État partie de surseoir à l’expulsion de l’auteure tant que la communication serait à l’examen. Le 11 mai 2017, l’État partie a informé le Comité que, le 16 novembre 2016, la Commission danoise des recours des réfugiés avait suspendu le délai imparti à l’auteure pour quitter le Danemark.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure, de nationalité somalienne, est née en 1988. Elle est originaire du Cali Xaaji, dans la région du Moyen-Chébéli, et appartient au clan Abgal. Ses parents sont morts quand elle était petite et elle a été élevée par un oncle. L’épouse de celui-ci la maltraitait, notamment en la brûlant à l’aide d’un tuyau métallique.

2.2En juin 2010, l’auteure a commencé une relation avec son futur conjoint, contre la volonté de son oncle. Son futur mari appartenait au clan Bon et était chasseur. Il vivait avec sa mère à Cali Xaaji.

2.3En décembre 2010, un des cousins de l’auteure a heurté par accident un villageois, qui est mort des suites de ses blessures. La famille du défunt a demandé réparation et le cousin a été arrêté.

2.4Fin décembre 2010, le futur époux de l’auteure a demandé sa main à son oncle, qui la lui a refusée.

2.5Le 5 janvier 2011, l’oncle de l’auteure est parti en voyage en vue de réunir la somme nécessaire à l’indemnisation des proches du défunt. L’auteure et son futur mari sont allés voir un cheik, qui les a mariés. L’auteure est restée avec son mari jusqu’au retour de son oncle, le 8 février 2011.

2.6Le 8 février 2011, l’oncle a attaqué le mari de l’auteure et a obligé celle-ci à revenir chez lui, puis il l’a enchaînée par la chevilleet lui a dit qu’il allait la « donner » au père du villageois décédé, à titre de compensation. L’auteure a tenté en vain de se suicider en ingurgitant de l’essence trouvée dans la maison.

2.7Le 4 mars 2011, l’auteure a été amenée chez le père du villageois décédé et a été forcée de l’épouser. Le 28 mars 2011, elle a réussi à s’échapper et est retournée chez son mari. Elle s’est enfuie avec lui à Eel Baraf, village où il avait un ami. Le couple y a passé trois ans sans être découvert.

2.8Le 13 juin 2014, sur le marché, l’auteure et son mari ont rencontré un homme de Cali Xaaji. Celui-ci a dit à l’auteure que son oncle la croyait morte, mais que l’homme qu’elle avait été forcée d’épouser la recherchait toujours. Selon l’auteure, son mari risquait l’emprisonnement car son oncle n’avait pas indemnisé la famille du villageois décédé. L’auteure a demandé à l’homme de ne dire à personne qu’il l’avait vue.

2.9Deux jours plus tard, toutefois, l’oncle de l’auteure est arrivé à Eel Baraf accompagné de plusieurs membres des Chabab. Ils ont tiré sur son mari et l’ont blessé. L’auteure a su plus tard qu’il avait été hospitalisé à Mahadey. À cette époque, elle travaillait aux champs, et les fermiers ont accepté de la cacher. Son oncle ne l’a donc pas trouvée lorsqu’il a fouillé la maison, et son beau-père s’est arrangé pour l’envoyer à Halgen, où elle a séjourné chez un ami à lui.

2.10Le beau-père de l’auteure a ensuite organisé le départ de la jeune femme pour l’Éthiopie. Une fois là-bas, l’auteure a appris par son beau-père que son oncle était toujours à sa recherche et qu’il avait su qu’elle se trouvait en Éthiopie. Elle a quitté l’Éthiopie par avion le 18 août 2014, grâce à un intermédiaire payé par son beau-père. Elle est arrivée au Danemark le 19 août 2014 et a immédiatement demandé l’asile.

2.11Le 20 août 2015, le Service danois de l’immigration a rejeté la demande d’asile de l’auteure. Cette décision a été confirmée en appel, le 17 novembre 2015, par la Commission danoise de recours des réfugiés.

2.12L’auteure était en contact avec son mari par l’intermédiaire d’une connaissance, grâce aux médias sociaux. Au cours de leurs échanges, celui-ci l’a informée qu’après son départ, il s’était enfui lui aussi et que son père avait été tué par l’oncle de l’auteure.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure affirme que les faits exposés font apparaître une violation des droits qu’elle tient de l’article premier de la Convention et de l’alinéa d) de l’article 2, lu conjointement avec les alinéas e) et f). Premièrement, chez son oncle, elle a été victime de violence familiale et de traitements coercitifs et dégradants. Deuxièmement, elle a été forcée d’épouser un homme bien plus âgé pour réparer un préjudice dû à une mort causée par son cousin. Se référant aux recommandations générales du Comité no 19 (1992), sur la violence à l’égard des femmes, et no 32 (2014), sur les femmes et les situations de réfugiés, d’asile, de nationalité et d’apatridie, l’auteure souligne que les faits qu’elle a vécus constituent une discrimination fondée sur le genre car sa liberté et son intégrité n’ont pas été respectées. En Somalie, elle a été victime de traitements inhumains et dégradants et d’actes de violence familiale répétés, infligés en violation des articles premier et 2 de la Convention. Si elle était renvoyée dans ce pays alors qu’elle n’y a pas de protection masculine, elle risquerait de subir de nouveau des traitements inhumains et dégradants.

3.2L’auteure affirme qu’en Somalie, la violence familiale est un phénomène répandu contre lequel il n’existe guère de protection. Comme le clan de son oncle est puissant, elle n’a aucune chance d’obtenir la protection des autorités. L’auteure renvoie à plusieurs rapportscontenant des informations qui indiquent qu’en Somalie, les femmes sont toujours subordonnées aux hommes et la violence familiale et fondée sur le genre reste répandue et impunie.

3.3En conséquence, compte tenu des faits vécus par l’auteure et du risque qu’elle subisse à l’avenir des traitements inhumains et dégradants contre lesquels elle ne pourrait pas être protégée, l’expulsion de l’intéressée constituerait une violation de l’article premier de la Convention et de l’alinéa d) de l’article 2, lu conjointement avec les alinéas e) et f).

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1L’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité et sur le fond le 11 mai 2017. Il estime que la communication est manifestement dénuée de fondement. Subsidiairement, il soutient que l’expulsion de l’auteure ne constituerait pas une violation des dispositions de la Convention.

4.2L’État partie rappelle les faits de la cause. Le 19 août 2014, l’auteure, de nationalité somalienne, est arrivée au Danemark sans document de voyage valable et a demandé l’asile. Le 20 août 2015, le Service danois de l’immigration a rejeté sa demande. Le 17 novembre 2015, la Commission de recours des réfugiés a confirmé cette décision.

4.3L’auteure a déclaré aux services de l’immigration qu’elle craignait que son oncle la tue parce qu’elle s’était mariée contre sa volonté et avait fui l’homme qu’elle avait été forcée d’épouser. Elle a aussi dit avoir peur d’être obligée de vivre avec cet homme.

4.4L’État partie fait observer que, après avoir apprécié les informations fournies par l’auteure dans leur ensemble, la Commission de recours des réfugiés a jugé que les déclarations de l’intéressée ne pouvaient pas être considérées comme véridiques car elles semblaient, sur plusieurs points essentiels, avoir été fabriquées de toutes pièces pour l’occasion. La Commission a estimé, par exemple, qu’il n’était pas plausible que l’auteure ait réussi à s’échapper à pied après être restée enchaînée dans la maison pendant vingt-cinq jours, ainsi qu’elle l’avait affirmé aux services de l’immigration, à plus forte raison si, comme elle l’avait déclaré, l’homme qu’elle avait été forcée d’épouser se tenait devant la maison lorsqu’elle s’est échappée. La Commission a aussi estimé qu’il n’était pas vraisemblable que l’auteure ait réussi à échapper à son oncle, qui la cherchait dans la maison, en se cachant dans les champs, et ni que son futur mari ait pu la voir entre octobre 2010 et le moment de leur mariage alors qu’à cette époque, elle vivait chez son oncle.

4.5En conséquence, la Commission a conclu que l’auteure n’avait pas démontré qu’en cas de renvoi en Somalie, elle courrait personnellement un risque particulier d’être victime d’actes de persécution relevant du paragraphe 1 de l’article 7 de la loi relative aux étrangers, ni de violences relevant du paragraphe 2 de l’article 7 de cette loi. À la lumière de ces conclusions, la Commission a décidé qu’elle n’avait aucune raison d’accéder à la demande de l’auteure tendant à ce qu’elle sursoie à se prononcer en attendant qu’un examen médical visant à déceler d’éventuels signes de torture soit pratiqué sur l’intéressée.

4.6L’État partie fournit des informations détaillées sur la composition de la Commission de recours des réfugiés, ses compétences et prérogatives, les garanties de son indépendance, les textes de loi sur lesquels elle s’appuie pour rendre ses décisions et les informations dont elle tient compte à cette fin.

4.7L’État partie note que la Commission de recours des réfugiés a conclu, dans sa décision du 17 novembre 2015, que les motifs donnés par l’auteure pour justifier sa demande d’asile ne semblaient pas crédibles et que son récit était improbable. La Commission a jugé peu plausible que l’auteure ait réussi à s’échapper à pied du domicile de l’homme qu’elle avait été forcée d’épouser après y être restée enchaînée vingt-cinq jours, qu’elle ait pu rester cachée dans un grand conteneur sans être découverte alors même que plusieurs personnes étaient à sa recherche et que son futur mari ait pu la voir entre octobre 2010 et janvier 2011 alors qu’elle vivait à cette époque chez son oncle. Compte tenu de son appréciation de la crédibilité de l’auteure, la Commission a conclu qu’il n’était pas établi que celle-ci était en conflit avec son oncle. L’État partie fait observer que la communication n’apporte aucun élément nouveau quant à la crédibilité de l’auteure et que l’intéressée n’a pas mis en cause l’appréciation que la Commission a faite de la fiabilité de ses dires.

4.8En ce qui concerne l’évaluation de la crédibilité de l’auteure, l’État partie renvoie à la décision rendue par le Comité dans l’affaire M. C. c. Danemark, dont il ressort que, compte tenu du peu d’informations fournies par l’auteure, qui n’avait par ailleurs nullement précisé en quoi le harcèlement subi par ses enfants faisait peser sur elle un risque personnel, le Comité n’a pas été en mesure de déterminer s’il y avait eu un harcèlement systématique assimilable à de la violence fondée sur le genre. De surcroît, le Comité a observé que l’auteure n’avait établi aucun lien entre les faits présumés et la violation des articles de la Convention qu’elle invoquait. Dans ces circonstances, le Comité a estimé que l’auteure n’avait pas suffisamment montré, aux fins de la recevabilité, que son expulsion l’exposerait à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence fondée sur le genre. Il a déclaré par conséquent la communication irrecevable.

4.9L’État partie renvoie également à la décision du Comité des droits de l’homme dans l’affaire N. c. Danemark, dont il ressort qu’il appartient en général aux organes des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve, sauf s’il peut être établi que cette appréciation a été arbitraire ou manifestement entachée d’erreurs ou qu’elle a représenté un déni de justice. En l’occurrence, l’auteur n’avait pas expliqué en quoi la décision rendue par la Commission de recours des réfugiés n’aurait pas rempli les critères susmentionnés, et n’avait pas non plus fourni de motif sérieux de croire, comme il l’affirmait, que son renvoi l’exposerait à un risque réel de préjudice irréparable, en violation de l’article 7 du Pacte relatif aux droits civils et politiques. En conséquence, le Comité a conclu que l’auteur n’avait pas suffisamment étayé son grief de violation de l’article 7 aux fins de la recevabilité et a déclaré la communication irrecevable en vertu de l’article 2 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

4.10L’État partie note que dans l’affaire K.c. Danemark, le Comité des droits de l’homme a rappelé qu’il appartenait généralement aux organes des États parties d’examiner les faits et les éléments de preuve de l’affaire afin de déterminer si un tel risque existait, sauf s’il pouvait être établi que l’évaluation était arbitraire ou constituait une erreur manifeste ou un déni de justice. En l’espèce, la Commission de recours des réfugiés avait examiné attentivement chacune des allégations de l’auteur et analysé tout particulièrement celles qui concernaient les menaces que l’auteur aurait reçues, et les avait jugées contradictoires et invraisemblables à plusieurs égards. L’auteur contestait les conclusions de fait de la Commission ainsi que l’appréciation que celle-ci avait faite des éléments de preuve, mais sans expliquer en quoi cette appréciation aurait été arbitraire ou aurait constitué un déni de justice.

4.11L’État partie note en outre que la Cour européenne des droits de l’homme énonce comme principe général que les autorités nationales sont les mieux placées pour évaluer non seulement les faits, mais plus particulièrement la crédibilité des témoins, étant donné que ce sont elles qui ont la possibilité de voir, entendre et analyser le comportement de la personne concernée.

4.12L’État partie fait observer qu’il ne peut accepter comme un fait établi que l’auteure a pris contact avec son conjoint et a appris que ce dernier avait fui la Somalie pour s’installer au Soudan et que son beau-père avait été tué par son oncle. Les explications que l’auteure a initialement données pour justifier sa demande d’asile n’ont pas été jugées crédibles ; quant aux renseignements complémentaires qu’elle a apportés, ils n’ont pas été étayés et l’auteure n’en a pas montré la vraisemblance. Par conséquent, ces nouvelles informations ne sauraient conduire à une appréciation différente de l’affaire.

4.13En ce qui concerne la situation générale en Somalie, l’État partie note que la Commission de recours des réfugiés, ayant analysé les raisons invoquées par l’auteure à l’appui de sa demande d’asile et évalué sa crédibilité générale, a conclu que la vraisemblance d’un conflit entre l’auteure et son oncle n’avait pas été démontrée. L’État partie estime par conséquent que l’auteure ne serait pas sans soutien masculin en Somalie. Il fait également observer qu’il appartient à l’auteure de démontrer la vraisemblance des motifs d’asile invoqués par elle et qu’elle n’a pas satisfait à la charge de la preuve qui pesait sur elle. Par conséquent, l’État partie ne saurait considérer comme un fait avéré l’affirmation selon laquelle l’auteure serait une femme seule, sans soutien masculin.

4.14L’État partie ajoute qu’il estime que la situation générale en Somalie n’est pas d’une nature telle que toute femme reconduite dans ce pays risque d’y être victime de violences relevant de l’article 7 de la loi relative aux étrangers. Il renvoie à un rapport du Département d’État des États-Unis sur la Somalie dans lequel il est indiqué que si les Chabab semblent avoir perdu le contrôle de la plupart des grandes villes et agglomérations du centre et du sud de la Somalie, ils continuent de contrôler certaines petites villes ainsi que la plupart des zones rurales, limitant ainsi l’accès général du Gouvernement fédéral somalien et des autres acteurs aux centres urbains, même sous contrôle gouvernemental. En outre, même dans les villes dont la Mission de l’Union africaine en Somalie ou les Forces armées nationales du Soudan ont regagné le contrôle, les Chabab restent largement présents en périphérie et dans certains quartiers.

4.15L’État partie relève que l’auteure affirme qu’en faisant abstraction de son isolement et de l’oppression subie par elle en tant que femme, la Commission de recours des réfugiés n’a pas tenu compte des questions de genre dans sa décision, manifestant par là une méconnaissance générale des normes sociales patriarcales somaliennes. Il note également que selon la recommandation générale no 19 du Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, la violence fondée sur le sexe est une forme de discrimination qui compromet ou empêche la jouissance des droits individuels et des libertés fondamentales par les femmes, dont le droit à la vie, le droit à la sécurité de la personne et le droit de ne pas être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. L’État partie note que la Commission de recours des réfugiés n’a pas pu juger véridique le récit que l’auteure a fait des circonstances qui l’ont conduite à demander l’asile, notamment les allégations selon lesquelles elle avait été mariée de force au père de la personne que son cousin avait tuée accidentellement et avait peur de son oncle parce qu’elle avait fui cet homme. L’État partie conclut que dans ces conditions, l’auteure ne serait pas exposée à un risque réel, personnel et prévisible de formes graves de violence de genre ou de maltraitance de la part de sa famille, des autorités ou d’autres personnes en Somalie.

4.16L’État partie note que les décisions de la Commission de recours des réfugiés reposent sur un examen individuel de chaque demande d’asile, examen qui tient compte des circonstances particulières de la personne concernée, notamment son âge, son état de santé et les différences culturelles auxquelles elle fait face.

4.17En ce qui concerne les marques de torture que porterait l’auteure et l’allégation selon laquelle la Commission de recours des réfugiés a refusé de les faire examiner, l’État partie fait observer que dans les cas où la torture est invoquée comme motif d’asile, la Commission peut juger nécessaire d’obtenir des informations complémentaires sur les actes de torture allégués avant de prendre une décision, et notamment demander un examen médical visant à déceler d’éventuels signes de torture. En règle générale, si la Commission estime que le demandeur d’asile a effectivement été ou peut avoir été soumis à la torture, mais conclut, après s’être penchée sur sa situation, qu’il ne courrait pas de risque réel de torture s’il était renvoyé dans son pays d’origine, elle n’ordonne pas qu’il soit procédé à un examen. Il en va de même lorsque le demandeur d’asile ne lui a pas semblé crédible puisque, dans ce cas, elle est fondée à rejeter dans leur intégralité ses allégations de torture.

4.18L’État partie note qu’en l’espèce, après avoir procédé à une évaluation générale, puis à une évaluation précise et individuelle de la situation de l’auteure, la Commission a conclu que le récit fait par l’intéressée pour justifier sa demande d’asile n’était pas crédible et que rien ne justifiait donc d’ordonner un examen médical visant à déceler des signes de torture.

4.19L’État partie note que la décision de la Commission en date du 17 novembre 2015 a été rendue à l’issue d’une procédure au cours de laquelle l’auteure a pu faire part de ses vues, aussi bien par écrit qu’oralement, et a bénéficié de l’assistance d’un conseil. La Commission a procédé à un examen complet et approfondi du dossier. Se référant à la décision en question, l’État partie fait valoir que l’auteure ne sera pas exposée à des risques de persécution ou de violences justifiant que l’asile lui soit accordé et que son expulsion vers la Somalie ne constituerait pas une violation de l’article premier de la Convention et des alinéas d), e) et f) de l’article 2.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 15 août 2017, l’auteure a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie concernant la recevabilité. Elle note que l’État partie n’a pas démontré que la communication était irrecevable car elle était manifestement dénuée de fondement.

5.2En ce qui concerne les observations de l’État partie sur le fond, l’auteure affirme que l’État partie n’a pas accordé suffisamment d’importance à sa situation personnelle et que cela a pu jouer en sa défaveur lorsqu’il s’est agi d’apprécier sa crédibilité. Elle renvoie à la décision rendue par le Comité des droits de l’homme dans l’affaire A. A. S. c. Danemark, dont il ressort que compte tenu des renseignements fournis par A. A. S., des informations dont il disposait alors et de la situation qui régnait en Somalie concernant les violations des droits de l’homme, le Comité a jugé que, lorsqu’ils avaient évalué le risque que l’auteur courrait d’être soumis à des traitements contraires à l’article 7 du Pacte en cas d’expulsion vers la Somalie, les services de l’immigration de l’État partie n’avaient pas accordé un poids suffisant du fait que les circonstances particulières de l’intéressée auraient des effets cumulatifs, ce qui le rendait particulièrement vulnérable. Le Comité a estimé que la situation de l’auteur se distinguait de celle d’autres ressortissants somaliens qui avaient demandé l’asile à l’étranger à cause de la situation générale en Somalie car l’auteur avait quitté son pays d’origine à l’âge de 5 ans et n’avait plus de famille ni de réseau social en Somalie, ne savait presque pas lire ni écrire le somali, appartenait à un clan minoritaire et avait peu de temps auparavant été atteint de la tuberculose. Le Comité était d’avis que l’expulsion de l’auteur vers la Somalie en l’absence d’un examen plus approfondi des effets cumulatifs qu’auraient toutes ces circonstances ferait courir à l’intéressée un risque réel de subir un préjudice irréparable tel que celui envisagé à l’article 7 du Pacte, en particulier compte tenu du fait que son frère s’était déjà vu accorder le statut de personne protégée par les services de l’immigration de l’État partie.

5.3L’auteure soutient que l’État partie a violé son droit à une procédure régulière. Depuis le début de la procédure d’asile, elle avance les mêmes arguments à l’appui de sa demande, arguments que son mari a corroborés par des preuves tangibles. Il n’est ni invraisemblable ni improbable que l’auteure ait été en contact avec son mari grâce aux réseaux sociaux. Nier cette possibilité reviendrait pour les autorités danoises à démontrer un manque de connaissances, voire une ignorance des réalités culturelles et de l’accessibilité d’Internet.

5.4En ce qui concerne le refus de la Commission de recours des réfugiés d’ordonner un examen médical visant à déceler d’éventuels signes de torture, l’auteure prend note du fait que l’État partie signale que la Commission a estimé que pareil examen n’était pas nécessaire car elle ne courrait pas de risque réel de torture si elle était renvoyée dans son pays d’origine. L’auteure affirme que cette partie de la procédure n’a pas été conforme aux normes relatives aux droits de l’homme et a été entachée d’irrégularités car on ne sait pas au juste ce qu’elle aurait pu faire pour étayer sa demande d’asile.

5.5L’auteure soutient qu’en l’espèce, il semble que les questions liées à la problématique femmes-hommes ait été reléguée au second plan par rapport à d’autres éléments moins importants. La violence fondée sur le genre, le mariage forcé, la violence familiale et l’existence de normes sociales patriarcales et discriminatoires n’ont pas été dûment pris en considération et les autorités se sont concentrées sur les détails de la fuite de l’auteure, estimant apparemment que les incohérences mineures que présentait le récit de l’intéressée justifiait le rejet de sa demande de protection dans son intégralité.

Délibérations du Comité

6.1En application de l’article 64 de son règlement intérieur, le Comité doit déterminer si la communication est recevable au regard du Protocole facultatif.

6.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 2 a) de l’article 4 du Protocole facultatif, que la même question n’avait pas déjà été examinée ou n’était pas déjà en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.3Le Comité note que l’auteure affirme avoir épuisé les recours internes et que l’État partie n’a pas contesté la recevabilité de la communication à cet égard. Il constate que, selon les renseignements dont il dispose, les décisions de la Commission de recours des réfugiés ne peuvent en principe pas être contestées devant les tribunaux nationaux. En conséquence, il estime que rien ne s’oppose, dans les dispositions du paragraphe 1 de l’article 4 du Protocole facultatif, à ce qu’il examine la communication.

6.4Le Comité prend note de l’argument de l’auteure selon lequel son renvoi en Somalie constituerait une violation, par le Danemark, de l’article premier et de l’alinéa d) de l’article 2 de la Convention, lus conjointement avec les alinéas e) et f) de l’article 2. Il prend note également des observations de l’État partie selon lesquelles l’auteure n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité, n’a pas établi que l’évaluation de la Commission de recours des réfugiés était arbitraire ou constituait manifestement une erreur ou un déni de justice, et n’a mis au jour aucune irrégularité dans la prise de décisions ni aucun facteur de risque dont la Commission n’aurait pas dûment tenu compte.

6.5Le Comité réaffirme que, selon sa jurisprudence, la Convention n’a de portée extraterritoriale que lorsque la femme visée par l’expulsion court un risque réel, personnel et prévisible de subir des formes graves de violence fondée sur le genre.

6.6Le Comité rappelle que, en droit international des droits de l’homme, le principe de non-refoulement fait obligation aux États de ne pas renvoyer une personne là où elle risque de subir de graves violations des droits de l’homme, notamment la privation arbitraire de la vie ou la torture ou d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il réaffirme également que la violence fondée sur le genre, qui compromet ou empêche la jouissance, par les femmes, des droits individuels et des libertés fondamentales garantis par les principes généraux du droit international ou les conventions relatives aux droits de l’homme, constitue une discrimination au sens de l’article premier de la Convention, et que parmi les droits en question figurent le droit à la vie et le droit à ne pas être soumis à la torture. Le Comité réaffirme que les États parties ont l’obligation d’éliminer la discrimination à l’égard des femmes, y compris la violence fondée sur le genre, et que cette obligation crée une double responsabilité pour les États : celle qui découle des actes ou omissions de l’État partie ou de ses acteurs, d’une part, et celle qui résulte des actes ou omissions des acteurs non étatiques, d’autre part.

6.7Le Comité constate qu’en l’espèce, les autorités de l’État partie chargées de l’examen de la demande d’asile ont conclu que les déclarations de l’auteure manquaient de crédibilité en raison d’un certain nombre d’incohérences factuelles et de l’insuffisance des éléments présentés à l’appui de la demande. En outre, il prend note de l’argument de l’État partie selon lequel les allégations de l’auteure ont été examinées par les services de l’immigration, qui les ont rejetées.

6.8Le Comité rappelle qu’il appartient généralement aux autorités des États parties à la Convention d’évaluer les faits et les éléments de preuve et l’application de la législation nationale dans une affaire donnée, à moins qu’il puisse être établi que leur appréciation était entachée de partialité ou fondée sur des stéréotypes de genre constitutifs de discrimination à l’égard des femmes, était clairement arbitraire, ou constituait un déni de justice. À ce propos, le Comité note que l’auteure conteste essentiellement la manière dont les autorités de l’État partie ont apprécié les éléments factuels de l’espèce, appliqué les dispositions de la législation et tiré leurs conclusions.

6.9Compte tenu de ce qui précède et au vu des éléments versés au dossier, le Comité, s’il ne sous-estime pas les préoccupations exprimées relativement à la violence et à la discrimination fondées sur le genre qui existent en Somalie et les considère légitimes, est néanmoins d’avis que l’auteure n’a pas démontré, aux fins de la recevabilité, que l’évaluation de sa demande d’asile par les autorités compétentes de l’État partie l’expose à la discrimination fondée sur le genre, ni qu’elle serait victime de persécution si elle était renvoyée en Somalie.

6.10Le Comité considère que rien dans le dossier ne lui permet de conclure que les autorités de l’État partie n’ont pas examiné la demande d’asile de l’auteure de manière adéquate et suffisamment approfondie ou que la procédure d’examen de sa demande a été entachée de vices ou d’arbitraire.

7.Le Comité décide donc :

a)Que la communication est irrecevable au regard du paragraphe 2 c) de l’article 4 du Protocole facultatif ;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et à l’auteure.