Nations Unies

CAT/C/43/D/307/2006/Rev.1

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. restreinte*

28 avril 2010

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante-troisième session

2-20 novembre 2009

Décision

Communication no 307/2006

Présentée par:

E. Y. (représenté par un conseil)

Au nom de:

E. Y.

État partie:

Canada

Date de la requête:

29 octobre 2006 (lettre initiale)

Date de la présente décision:

4 novembre 2009

Objet:

Expulsion du requérant vers l’Iraq

Questions de procédure:

Épuisement des recours internes; griefs non étayés

Questions de fond:

Non-refoulement

Articles de la Convention:

3, 22 (par. 5 b))

Article du Règlement intérieur:

107 b) et e)

[Annexe]

Annexe

Décision du Comité contre la torture au titre de l’article 22de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Quarante-troisième session)

concernant la

Communication no 307/2006

Présentée par:

E: Y. (représenté par un conseil)

Au nom de:

E. Y.

État partie:

Canada

Date de la requête:

29 octobre 2006 (date de la lettre initiale)

Le Comité contre la torture, institué en vertu de l’article 17 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Réuni le 4 novembre 2009,

Ayant achevé l’examen de la requête no 307/2006, présentée par E. Y. en vertu de l’article 22 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants,

Ayant tenu compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par le requérant, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Décision au titre du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention contre la torture

1.1Le requérant est E. Y., de nationalité iraquienne, né en 1964, qui doit être expulsé du Canada vers l’Iraq. Il affirme que son renvoi en Iraq constituerait une violation par le Canada de l’article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 30 octobre 2006, le requérant a demandé au Comité d’inviter l’État partie à surseoir à l’exécution de l’ordonnance d’expulsion qui le visait dans l’attente de la décision finale du Comité sur sa requête. Le 31 octobre 2006, le Comité, par l’intermédiaire de son Rapporteur spécial chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires, a transmis la requête à l’État partie sans lui demander de mesures provisoires de protection au titre du paragraphe 1 de l’article 108 de son Règlement intérieur.

Exposé des faits

2.1Le requérant a été enrôlé dans l’armée iraquienne (la «Garde républicaine») en 1983 alors que l’Iraq était en guerre avec l’Iran. Libéré de ses obligations militaires le 1er juillet 1990, il a été rappelé à la suite de l’invasion du Koweït par l’Iraq. Il a déserté la Garde républicaine en avril 1991 et est entré dans la clandestinité en Iraq. Il a ensuite quitté l’Iraq pour le Canada en passant par la Jordanie et le Maroc. Le 15 février 1996, il est arrivé à Montréal (Canada) et a immédiatement déposé une demande de protection en tant que réfugié.

2.2Le 2 juillet 1996, le requérant a soumis un formulaire de renseignements personnels (FRP) à l’appui de sa demande de statut de réfugié. Il a indiqué qu’il avait déserté la Garde républicaine pendant la guerre du Koweït puis qu’il avait repris son service après qu’une amnistie avait été prononcée pour les déserteurs. Cette amnistie n’a pas été respectée et des membres de la Police de sécurité militaire l’ont conduit à leur quartier général où il aurait été interrogé et torturé pendant une semaine. Il a ensuite été rendu à son unité dans l’attente de son procès. Craignant d’être condamné à mort, il s’est de nouveau enfui. Après avoir appris que son unité avait reçu l’ordre de l’exécuter, il n’a cessé de se déplacer d’un endroit à un autre en Iraq pendant trois ans jusqu’au moment où il a fui le pays.

2.3Le 7 octobre 1996, le requérant a été entendu par la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, compétente exclusivement pour déterminer s’il était un réfugié au sens de la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés. La Commission a informé le Ministre de la citoyenneté et de l’immigration et le requérant que celui-ci était exclu de la protection accordée aux réfugiés conformément à l’article 1 F de la Convention relative au statut des réfugiés.

2.4Le 3 septembre 1997, la Commission a établi que le requérant n’était pas un réfugié au sens de la Convention. Elle a fait valoir que son témoignage oral n’était guère crédible − en particulier quand il avait affirmé qu’en sa qualité de membre de la Garde républicaine il n’avait jamais tiré sur l’ennemi, ni tué quiconque, ni eu à s’occuper de prisonniers de guerre ou de civils iraniens −, qu’il y avait contradiction entre le rôle qu’il avait joué dans la ville iraquienne de Najaf en mars 1991 et la date de sa désertion, et qu’il était invraisemblable qu’il ait pu, alors qu’il était un déserteur condamné à mort, vivre avec sa mère à Bagdad et travailler pendant plus de trois ans avant de quitter l’Iraq. Elle a également considéré que l’écrasement par la Garde républicaine du soulèvement contre Saddam Hussein qui s’était produit à Najaf en 1991 équivalait à des crimes contre l’humanité au sens de l’alinéa a du paragraphe F de l’article premier de la Convention relative au statut des réfugiés. Compte tenu de son grade et de son long engagement dans la Garde républicaine, le requérant était nécessairement au fait des méthodes de cette organisation et soutenait ses objectifs. Même en admettant qu’il avait déserté au bout de trois jours à Najaf, il aurait participé aux bombardements aveugles sur la ville. Il avait donc été complice des crimes contre l’humanité commis par les membres de la Garde républicaine et était à ce titre exclu de la protection des réfugiés.

2.5Le requérant a déposé une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire le 22 septembre 1997, que la Cour fédérale a rejetée le 22 janvier 1998.

2.6Le 17 août 1998, le requérant a fait une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, alléguant que sa vie et sa sécurité physique seraient en danger s’il était renvoyé en Iraq. Cette demande a été examinée par un spécialiste de l’évaluation des risques au titre de l’ancienne catégorie de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (DNRSRC). L’agent a établi que le requérant ne risquait pas d’être tué ni d’être soumis à des sanctions extrêmes ou des traitements inhumains à son retour en Iraq. Le 28 juin 1999, la demande du requérant a été rejetée.

2.7Le requérant n’a pas sollicité l’autorisation de saisir la Cour fédérale en vue d’un contrôle judiciaire de la décision concernant sa demande pour motifs humanitaires.

2.8Le 14 août 1999, le requérant a épousé une Canadienne, qui a déposé une demande de parrainage de sa demande d’immigration au Canada le 20 août 1999. Le 6 mars 2002, Citoyenneté et Immigration Canada a informé le requérant que sa demande parrainée de titre de séjour permanent avait été refusée au motif qu’il ne pouvait pas être admis dans le pays parce qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’il avait participé à des crimes contre l’humanité. L’appel interjeté par son épouse auprès de la Division d’appel de l’immigration a été rejeté le 5 juillet 2004 en vertu de l’article 64 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la Division d’appel s’étant déclarée incompétente pour statuer sur le rejet de la demande de parrainage d’une personne jugée non admissible au Canada.

2.9Le 18 novembre 2004, le requérant a présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) conformément à l’article 112 de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Dans cette demande, il a indiqué que, depuis le changement de régime en Iraq, il ne risquait plus d’être tué ou soumis à des traitements cruels ou inhabituels à son retour dans le pays parce qu’il avait déserté l’armée mais parce qu’il était musulman sunnite et avait servi dans la Garde républicaine sous Saddam Hussein. La prison d’Abou Ghraib à Bagdad était pleine d’anciens membres de la Garde républicaine.

2.10Le 21 janvier 2005, le requérant a été informé que sa demande d’ERAR avait été rejetée parce qu’il a été estimé qu’il ne courrait pas personnellement le risque d’être tué ou d’être soumis à la torture ou à des peines ou traitements cruels et inhabituels s’il était renvoyé en Iraq. L’agent de l’ERAR a relevé que le nom du requérant ne figurait pas sur la liste des personnes les plus recherchées d’Iraq. Sa crainte de rentrer parce qu’il avait déserté l’armée n’était plus objectivement fondée depuis la chute du régime de Saddam. Le fait qu’il soit musulman sunnite et ancien membre de la Garde républicaine n’était pas en soi une raison pour que les forces de la coalition le considèrent comme un ennemi ou un terroriste à emprisonner. Au contraire, d’anciens membres de la Garde républicaine avaient été autorisés à travailler dans la fonction publique ou à rejoindre les forces armées du nouveau gouvernement. Vu son rang peu élevé, il n’y avait aucune raison de croire que l’intéressé serait victime d’actes de vengeance. L’instabilité générale en Iraq touchait tous les Iraquiens et non uniquement le requérant.

2.11Le requérant n’a pas sollicité l’autorisation de saisir la Cour fédérale en vue d’un contrôle judiciaire de la décision d’ERAR.

2.12Le 11 février 2005, un arrêté d’expulsion a été pris contre le requérant. Le 19 octobre 2006, celui-ci a été informé qu’il serait expulsé vers l’Iraq via la Jordanie le 31 octobre 2006. Le 29 octobre 2006, il a demandé à l’agent chargé de son expulsion d’en surseoir l’exécution jusqu’à ce que le Comité ait pris une décision définitive sur sa requête. Par fac-similé en date du 30 octobre 2006, l’Agence des services frontaliers du Canada a informé le requérant que sa demande de report avait été rejetée.

2.13Le 30 octobre 2006, le requérant a sollicité l’autorisation de saisir la Cour fédérale en vue d’un contrôle judiciaire de la décision de ne pas surseoir à son expulsion. Cependant, il n’a pas présenté les documents nécessaires pour compléter son dossier. Sa demande était toujours en instance au moment de la soumission de la requête. Le requérant a également demandé qu’il soit sursis à l’exécution de la mesure d’expulsion dont il faisait l’objet. Le 31 octobre 2006, la Cour fédérale a rejeté sa demande.

2.14Le requérant ne s’est pas présenté le 31 octobre 2006, jour prévu pour son expulsion du Canada. En conséquence, un mandat d’arrêt a été délivré contre lui conformément à l’article 55 1) de la loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. On ignore où il se trouve actuellement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que son renvoi forcé en Iraq constituerait une violation par l’État partie de l’article 3 de la Convention car il existe des motifs sérieux de croire qu’il serait torturé, voire tué dans l’Iraq actuel, parce qu’il a été membre de la Garde républicaine de Saddam Hussein et parce qu’il est musulman sunnite.

3.2Le requérant fait valoir que la situation des droits de l’homme est si critique en Iraq que même des gens ordinaires sont torturés et tués. Renvoyant au rapport de la Mission d’assistance des Nations Unies pour l’Iraq (MANUI) sur la situation des droits de l’homme entre le 1er juillet et le 31 août 2006, il relève que la torture est très répandue en Iraq et que les personnes associées à l’ancien régime continuent d’être victimes de meurtres commis à titre de vengeance.

3.3Le requérant souligne qu’il n’a jamais commis de crimes de guerre ni de crimes contre l’humanité.

3.4Le requérant fait valoir que la même question n’a pas été examinée et n’est pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement, et qu’il n’existe pas dans l’État partie d’autres recours disponibles qui empêcheraient les autorités canadiennes de le renvoyer en Iraq. Il explique qu’il n’a pas sollicité l’autorisation de saisir la Cour fédérale en vue d’un contrôle judiciaire de la décision d’ERAR datée du 21 janvier 2005 parce que son avocat canadien lui avait dit que les voies de recours qui lui étaient ouvertes étaient épuisées. Il a eu quatre avocats différents avant celui qui le représente actuellement.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Dans une note du 27 mars 2007, l’État partie a contesté la recevabilité de la requête pour non-épuisement des recours internes et parce qu’elle est manifestement injustifiée, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 et aux alinéas b et e de l’article 107 du Règlement intérieur du Comité. Subsidiairement, il fait valoir qu’elle est dénuée de fondement.

4.2L’État partie rappelle la jurisprudence du Comité selon laquelle celui-ci ne peut examiner que les requêtes qui font état, éléments de preuve à l’appui, de violations des droits protégés par la Convention, et affirme que le requérant n’a pas étayé ses allégations, même prima facie. Les arguments qu’il a présentés au Comité sont pour l’essentiel les mêmes que ceux présentés aux autorités canadiennes lorsqu’il a demandé le statut de réfugié. L’État partie fait valoir que le Comité n’a pas pour rôle d’apprécier les éléments de preuve ni de réexaminer les constatations de fait des juridictions ou autorités nationales sauf s’il peut être établi que ces constatations sont arbitraires ou injustifiées. Le requérant ne prétend pas que les procédures nationales ont constitué un déni de justice ou ont été arbitraires ou injustes ou de toute autre manière contestables, et les éléments présentés ne montrent pas que les décisions des autorités canadiennes aient été entachées d’irrégularités. En fait, le requérant est simplement contrarié par l’issue de la procédure qu’il a engagée et par la perspective d’être expulsé du Canada. Il n’existe donc pas de motifs pour lesquels le Comité pourrait juger nécessaire de réévaluer les conclusions des tribunaux nationaux quant aux faits, aux éléments de preuve et à la crédibilité.

4.3Sur les recours internes, l’État partie fait valoir que le requérant n’a pas sollicité l’autorisation de faire procéder à un contrôle judiciaire de la décision du 28 juin 1999 concernant sa demande pour motifs humanitaires, ni de la décision d’ERAR datée du 21 janvier 2005. Il n’a pas non plus fourni les documents demandés pour compléter sa demande d’autorisation (de saisir la Cour fédérale) au sujet de la décision du 30 octobre 2006 de ne pas surseoir à son expulsion. L’État partie insiste sur le fait que le contrôle judiciaire est un recours utile. Il conclut qu’étant donné que le requérant n’a pas demandé un contrôle judiciaire de la décision concernant sa demande pour motifs humanitaires ni de la décision d’ERAR, ni rempli avec diligence le dossier de sa demande d’autorisation en cours, sa requête est irrecevable pour non-épuisement des recours internes.

5.1Sur le fond, l’État partie rappelle que, conformément à l’article 3 de la Convention, c’est au requérant qu’il appartient d’établir qu’il existe des motifs sérieux, qui ne se limitent pas à de simples supputations ou soupçons, de croire qu’il risque personnellement d’être soumis à la torture à son retour dans son pays d’origine. La situation générale des droits de l’homme dans un pays ne suffit pas à établir l’existence de ce risque personnel. L’État partie fait valoir que les incohérences qui rendent la requête peu crédible, l’absence de preuves que le requérant a été torturé dans le passé et son grade inférieur au sein de la Garde républicaine amènent à conclure qu’il n’existe aucun motif sérieux de croire que le requérant serait personnellement en danger s’il retournait en Iraq.

5.2En ce qui concerne la crédibilité du requérant, l’État partie fait valoir que son témoignage devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, à laquelle il a affirmé n’avoir jamais tiré sur l’ennemi, tué quiconque ni eu à s’occuper de prisonniers de guerre ou de civils iraniens pendant les huit années qu’il a passées au sein de la Garde républicaine, est invraisemblable, d’autant qu’il a indiqué avoir été promu à trois reprises. De même, il est peu probable qu’il ait pu, alors qu’il était sergent, s’abstenir de participer à une attaque aveugle d’artillerie sur Najaf, aux arrestations maison par maison, aux rafles de dignitaires religieux, aux exécutions publiques et aux massacres de civils perpétrés au cours des trois jours précédant sa prétendue désertion. La date de désertion qu’il a donnée à la Commission ne correspond pas avec celle portée dans le formulaire de renseignements personnels (FRP) où il a indiqué avoir déserté pendant la guerre du Golfe de 1990, alors que le soulèvement de Najaf a eu lieu après la guerre. Enfin, l’État partie réaffirme qu’il est invraisemblable qu’un déserteur qui aurait été condamné à mort ait pu vivre avec sa mère et travailler à Bagdad pendant plus de trois ans sans avoir de problèmes. Si le requérant était réellement un homme «recherché», il était impensable qu’il ait pu obtenir un passeport à son nom en 1995 et un visa de sortie en 1996, comme il l’a indiqué dans son FRP.

5.3L’État partie fait valoir que le requérant n’a pas donné de détails ni apporté de preuve corroborante, tels que des rapports médicaux ou des cicatrices, des actes de torture que lui aurait infligé la Police de sécurité militaire en 1992 – et donc en aucun cas dans un passé récent. En outre, la torture sous l’ancien régime de Saddam Hussein ne saurait être considérée comme une indication que le requérant risque toujours d’être torturé dans l’Iraq actuel.

5.4Tout en reconnaissant que la situation des droits de l’homme est loin d’être satisfaisante en Iraq, l’État partie fait valoir que la violence généralisée et l’instabilité ne suffisent pas à étayer l’argument du requérant qui affirme qu’il devrait faire face à un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé à son retour dans le pays. Il cite une affaire analogue dans laquelle le Comité n’a pas considéré que l’éventuel renvoi de l’intéressé en Iraq constituerait une violation de l’article 3 de la Convention dès lors que la situation problématique du pays était le seul argument invoqué pour montrer que la personne courrait personnellement un risque. D’après le rapport de la MANUI cité par le requérant, seuls les militaires de haut rang et les membres des forces aériennes sont la cible d’exécutions extrajudiciaires. Rien dans la situation du requérant n’indique qu’il serait personnellement en danger en Iraq. En outre, il n’a pas montré qu’il courrait un risque dans toutes les régions du pays. Le simple fait qu’il pourrait être empêché de retourner dans sa ville natale n’équivaut pas en soi à la torture. Enfin, on ne sait pas si le requérant craint d’être torturé par des agents de l’État ou par d’autres personnes, ou par les uns et les autres.

Commentaires du requérant

6.1Dans une réponse du 30 mai 2007, le conseil a informé le Comité que le requérant n’avait pas pris contact avec lui depuis le 31 octobre 2006. Sur la question de l’épuisement des recours internes, il fait observer qu’il ne peut faire aucun commentaire sur les procédures internes relatives à la demande de statut de réfugié du requérant, à sa demande pour motifs humanitaires, à la demande de parrainage de son épouse et à sa demande d’ERAR parce qu’il ne représente le requérant que dans la procédure concernant le report et la suspension de son expulsion. Après que la Cour fédérale avait refusé d’accueillir la demande du requérant et de surseoir à l’expulsion, «il n’y avait aucune raison de poursuivre les démarches auprès de la Cour fédérale […]» et il n’existait aucun autre recours disponible. Aucune autre explication n’est donnée au sujet de l’épuisement et de la disponibilité ou de l’utilité des recours internes.

6.2Le conseil fait valoir que de notoriété publique, des centaines de milliers d’Iraquiens ont fui leur pays et «l’effondrement de la vie civilisée en Iraq s’accompagne d’une violence épouvantable qui est le fait non seulement de soldats étrangers, de policiers iraquiens et d’hommes armés venus d’autres pays mais aussi de groupes et d’individus iraquiens armés par des intérêts privés». En outre, la situation en Iraq s’est détériorée depuis l’ERAR du requérant, qui a été effectuée en 2004.

6.3Le conseil récuse les arguments de l’État partie pour qui «l’instabilité en Iraq touche tous les Iraquiens et toutes les personnes présentes dans le pays et non uniquement [le requérant]» et «la violence généralisée et l’instabilité ne suffisent pas à étayer l’argument du requérant qui affirme qu’il devrait faire face à un risque prévisible, réel et personnel d’être torturé à son retour dans le pays». Si tous ceux qui sont présents en Iraq sont touchés par la violence généralisée et l’instabilité, personne ne devrait être renvoyé dans ce pays. En outre, si la violence est généralisée, «elle touche toutes les régions du pays».

6.4Étant donné que le requérant a fait partie dans le passé des forces armées de Saddam Hussein, le risque dans son cas est sans doute supérieur à celui que court une personne qui n’a pas de lien avec l’ancien régime. Compte tenu de la gravité de la situation des droits de l’homme en Iraq, toute personne précédemment associée à Saddam Hussein courrait un risque important si elle était renvoyée en Iraq, et notamment le requérant.

Réponses complémentaires de l’État partie

7.1Dans une note du 24 septembre 2007, l’État partie a réaffirmé que la requête était irrecevable en raison du non-épuisement des recours internes et parce qu’elle était manifestement injustifiée, et en tout état de cause dénuée de fondement. Le fait que le précédent avocat du requérant ne lui ait pas conseillé de solliciter l’autorisation de demander un contrôle judiciaire de la décision du 28 juin 1999 concernant sa demande pour motifs humanitaires et de la décision d’ERAR du 21 janvier 2005 ne le dispense pas de s’acquitter de l’obligation d’épuiser les recours internes, car les erreurs commises par l’avocat dont il s’est attaché les services à titre privé ne peuvent pas être imputées à l’État partie.

7.2Faisant référence à une décision du Comité des droits de l’homme selon laquelle le fait de ne pas remplir une demande d’autorisation avec la diligence voulue rendait la communication irrecevable, l’État partie conteste l’argument du conseil pour qui «il n’y avait aucune raison de poursuivre les démarches» après le rejet par la Cour fédérale de la demande du requérant tendant à ce qu’il soit sursis à son expulsion.

7.3L’État partie rappelle que le conseil méconnaît l’obligation qui incombe au requérant d’établir qu’il court personnellement le risque d’être torturé en faisant valoir que tout le monde, y compris le requérant, risque d’être torturé en Iraq puisque la situation des droits de l’homme y est très dégradée. Conformément à la jurisprudence du Comité et à son Observation générale sur l’article 3, les mauvaises conditions qui règnent dans un pays ne suffisent pas, en elles-mêmes, à montrer qu’un requérant devrait faire face à un risque prévisible, réel et personnel d’être soumis à la torture à son retour dans son pays d’origine.

Commentaires supplémentaires du requérant

8.Le 1er octobre 2008, le conseil a fait savoir au Comité qu’il avait pris contact avec le requérant, par l’intermédiaire d’un parent puisque le requérant se cachait toujours et ne voulait pas révéler où il se trouvait. Il était déprimé; sa femme canadienne avait demandé et obtenu le divorce. Sa mère et sa sœur avaient quitté l’Iraq pour l’Égypte et avaient peur de rentrer. Son unique frère, qui était resté en Iraq, avait été assassiné le 3 février 2008 à cause de son appartenance sunnite et de son nom. Le requérant n’avait donc plus aucun parent en Iraq.

Délibérations du Comité

9.1Avant d’examiner une plainte soumise dans une requête, le Comité contre la torture doit déterminer si la requête est recevable en vertu de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

9.2Conformément à l’alinéa b du paragraphe 5 de l’article 22 de la Convention, le Comité n’examine aucune communication sans s’être assuré que le requérant a épuisé tous les recours internes disponibles; cette règle ne s’applique pas s’il est établi que les procédures de recours ont excédé des délais raisonnables ou qu’il est peu probable qu’elles donnent, à l’issue d’un procès équitable, satisfaction à la victime présumée.

9.3Le Comité note que d’après l’État partie, la requête devrait être déclarée irrecevable en vertu du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention parce que le requérant n’avait pas sollicité l’autorisation de demander un contrôle judiciaire de la décision du 28 juin 1999 concernant sa demande pour motifs humanitaires et de la décision d’ERAR du 21 janvier 2005, et qu’il n’avait pas présenté les documents nécessaires pour compléter sa demande d’autorisation concernant la décision du 30 octobre 2006 de ne pas surseoir à son expulsion. Il note également que le requérant ne conteste pas l’efficacité du recours que constitue le contrôle judiciaire, alors qu’il a eu la possibilité de le faire. À ce propos, le Comité rappelle que lorsque la Cour fédérale accueille une demande de contrôle judiciaire concernant une décision d’ERAR ou une décision prise par Citoyenneté et Immigration Canada au sujet d’une demande pour motifs humanitaires, elle renvoie le dossier à un autre agent de l’organe qui a pris la décision initiale. Cependant, il fait également observer que pour autant, les demandes d’autorisation ou de contrôle judiciaire ne sont pas de simples formalités qui, en règle générale, n’ont pas à être épuisées par un requérant aux fins du paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention. Au contraire, la Cour fédérale peut, le cas échéant, examiner le fond de l’affaire. Elle peut, dans ce contexte, indiquer pourquoi elle renvoie une affaire devant l’organisme qui a pris la décision initiale et pourquoi elle estime que cette décision doit être reconsidérée. Le Comité rappelle que si, d’après sa jurisprudence, un appel contre le rejet d’une demande d’examen pour raisons humanitaires ne fait pas partie des voies de recours qui doivent être épuisées, le requérant n’a pas fait preuve de diligence pour épuiser les recours ouverts concernant deux autres décisions négatives. En l’espèce, le Comité ne considère pas que les demandes d’autorisation en vue d’un contrôle judiciaire de la décision d’ERAR et de la décision relative à la demande pour motifs humanitaires ont été des recours inefficaces dans le cas du requérant, en l’absence de circonstances particulières invoquées par lui à l’appui de cette thèse.

9.4En ce qui concerne l’explication du requérant qui affirme n’avoir pas sollicité l’autorisation de demander un contrôle judiciaire de la décision d’ERAR du 21 janvier 2005 parce que, d’après son avocat de l’époque, les recours internes avaient été épuisés, le Comité note que le requérant n’a pas prétendu qu’il était représenté par un avocat commis d’office. Il rappelle que les erreurs commises par un conseil dont le requérant s’est attaché les services à titre privé ne peuvent normalement pas être imputées à l’État partie et conclut que le requérant n’a pas produit suffisamment d’éléments justifiant qu’il ne se soit pas prévalu de la possibilité de demander le contrôle judiciaire de la décision d’ERAR ou de la décision du 28 juin 1999 concernant sa demande pour motifs humanitaires. Il n’a pas non plus expliqué pourquoi il n’a pas complété le dossier de sa demande d’autorisation en vue d’un contrôle judiciaire de la décision du 30 octobre 2006 de ne pas surseoir à son expulsion.

9.5Le Comité est donc d’avis que les recours internes n’ont pas été épuisés conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

10.En conséquence, le Comité contre la torture décide:

a)Que la requête est irrecevable;

b)Que la présente décision sera communiquée à l’État partie et au requérant.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement aussi en arabe et en chinois dans l e rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]