NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/DNK/CO/510 juillet 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURETrente-huitième session30 avril‑18 mai 2007

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Conclusions et recommandations du Comité contre la torture

DANEMARK

1.Le Comité a examiné le cinquième rapport périodique du Danemark, y compris le Groenland (CAT/C/81/Add.2 et CAT/C/81/Add.2, Part II) à ses 757e et 760e séances, tenues les 2 et 3 mai 2007 (CAT/C/SR.757 et CAT/C/SR.760), et a adopté à sa 773e séance, tenue le 14 mai 2007 (CAT/C/SR.773), les conclusions et recommandations ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le cinquième rapport périodique de l’État partie, qui a été présenté à temps et qui est conforme aux directives du Comité pour l’élaboration des rapports périodiques. Il prend note avec intérêt des informations fournies à propos des mesures prises pour donner suite aux recommandations précédentes du Comité ainsi que du système judiciaire du Groenland et de sa réforme dans la deuxième partie du rapport de l’État partie (CAT/C/81/Add.2, Part II). Le Comité se félicite en outre des réponses écrites détaillées que l’État partie a apportées à la liste de points à traiter (CAT/C/DNK/Q/5/Rev.1/Add.1), qui contiennent des renseignements complémentaires sur les mesures d’ordre législatif, administratif, judiciaire ou autre adoptées par l’État partie pour prévenir les actes de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

3.Le Comité note avec satisfaction les efforts constructifs qu’a accomplis la délégation pluridisciplinaire de l’État partie pour fournir un complément d’information et d’explication pendant le dialogue.

B. Aspects positifs

4.Le Comité se félicite des efforts déployés actuellement par l’État partie pour améliorer la situation dans les prisons, notamment en allouant des ressources supplémentaires en vue de réduire le taux d’occupation quotidien. En particulier, il note avec satisfaction les efforts accomplis par l’État partie pour introduire des peines de substitution à l’emprisonnement comme le port d’un bracelet électronique («tagging»).

5.En ce qui concerne les réfugiés ayant subi un traumatisme et leur famille résidant au Danemark, le Comité note avec satisfaction que des fonds ont été alloués à des projets spéciaux, dont l’exécution est prévue jusqu’en 2010, en vue de faciliter leur réadaptation et d’améliorer leurs conditions de vie.

6.Le Comité se félicite en outre de la décision de l’État partie d’allouer des fonds supplémentaires à l’amélioration des conditions de vie dans les centres pour demandeurs d’asile, en particulier en ce qui concerne les familles avec enfants.

7.Le Comité note avec satisfaction la coopération de l’État partie avec les organisations non gouvernementales qui ont pour vocation de contribuer à éliminer la torture et de fournir une assistance et des services de réadaptation aux victimes de la torture au Danemark et à l’échelon international.

8.Le Comité salue l’ensemble des efforts que l’État partie accomplit pour promouvoir le respect des droits de l’homme, en particulier pour combattre et éliminer la torture, et notamment le fait qu’il:

a)Est l’un des plus grands donateurs bilatéraux au monde pour ce qui est de l’aide au développement par habitant et, dans ce contexte, a mis au point un cadre national pour la coopération bilatérale contre la torture;

b)Contribue aux institutions, programmes et fonds des Nations Unies, y compris le Fonds de contributions volontaires des Nations Unies pour les victimes de la torture;

c)Encourage la ratification universelle du Protocole facultatif se rapportant à la Convention, l’ayant lui‑même ratifié dès 2004, et appuie sa mise en œuvre;

d)A présenté un projet de résolution contre la torture à la Troisième Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies ainsi qu’à l’ancienne Commission des droits de l’homme, et prend des initiatives visant à structurer et à renforcer l’action contre la torture que mène le Conseil des droits de l’homme nouvellement créé;

e)Joue un rôle actif dans la mise en œuvre des Orientations pour la politique de l’Union européenne à l’égard des pays tiers en ce qui concerne la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Incorporation de la Convention dans le droit interne

9.Le Comité regrette que l’État partie n’ait pas modifié sa position à propos de l’incorporation de la Convention dans son droit interne. Il est d’avis que cette incorporation n’aurait pas seulement valeur de symbole, mais qu’elle renforcerait aussi la protection des personnes en leur donnant la possibilité d’invoquer directement les dispositions de la Convention devant les tribunaux.

Le Comité recommande à l’État partie d’incorporer la Convention dans son droit interne afin que les personnes puissent en invoquer directement les dispositions devant les tribunaux, d’accorder la primauté à la Convention et d’en faire mieux connaître les dispositions aux membres de la magistrature et à l’ensemble de la population.

Définition de la torture

10.Le Comité note que le Ministre de la justice a récemment prié le Comité permanent pour les affaires pénales d’envisager la possibilité d’introduire une disposition expresse sur la torture dans le Code pénal. Malgré les efforts constants de l’État partie pour réexaminer cette question et les dispositions existantes du Code pénal, le Comité réitère la préoccupation qu’il avait exprimée dans ses précédentes conclusions et recommandations (CAT/C/CR/28/1, par. 6 a)) à propos du fait que la torture n’est pas qualifiée d’infraction spécifique conformément à l’article 1er et au paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention. Tout en notant l’adoption d’une directive du commandement des forces de défense concernant l’interdiction de la torture et des autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants dans les forces armées, le Comité regrette que l’État partie ait décidé de ne pas incorporer une disposition spéciale sur la torture dans le nouveau Code pénal militaire (art. 1er et 4).

Le Comité demande instamment à l’État partie, dans son Code pénal et dans son Code pénal militaire, de qualifier la torture, telle qu’elle est définie à l’article premier de la Convention, d’infraction spécifique passible de peines appropriées conformément au paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention.

Prescription

11.Le Comité note avec préoccupation que l’infraction de torture, qui n’existe pas en tant que telle dans le Code pénal danois, est punissable en vertu d’autres dispositions du Code pénal, et peut donc faire l’objet d’une prescription. Tout en notant que les actes de torture qui constituent un crime de guerre ou un crime contre l’humanité conformément au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, ratifié par l’État partie le 21 juin 2001, ne pourront faire l’objet d’aucune prescription en vertu de l’article 93a du Code pénal, le Comité craint que la prescription applicable en vertu de ces autres dispositions du Code pénal ne constitue un obstacle aux enquêtes, poursuites et sanctions à l’encontre des auteurs de ces crimes graves, en particulier lorsque l’acte punissable a été commis à l’étranger. Compte tenu de la gravité des actes de torture, le Comité est d’avis que de tels actes ne peuvent faire l’objet d’aucune prescription (art. 1er et 4).

L’État partie devrait revoir ses règles et dispositions en matière de prescription afin de les rendre pleinement conformes à ses obligations en vertu de la Convention de sorte que les actes de torture, les tentatives de torture et toute complicité dans la commission d’actes de torture et toute participation à de tels actes, quel qu’en soit l’auteur, puissent donner lieu à une enquête, à des poursuites et à des sanctions, sans qu’il puisse y avoir prescription.

Non ‑refoulement

12.Le Comité prend note des informations qui lui ont été communiquées selon lesquelles les Forces spéciales danoises auraient capturé 34 hommes et les auraient remis aux forces alliées lors d’une opération militaire conjointe réalisée en Afghanistan en février‑mars 2002, et des allégations qui ont été faites par la suite, selon lesquelles les hommes en question auraient été victimes de mauvais traitements lorsqu’ils étaient sous la garde des forces alliées. Le Comité note en outre que l’État partie assure avoir réalisé une enquête approfondie sur l’incident et être parvenu à la conclusion qu’il n’avait pas enfreint l’article 12 de la troisième Convention de Genève en remettant les prisonniers aux forces alliées. Enfin, le Comité prend note des assurances de l’État partie, qui affirme que tous les prisonniers ont été libérés peu après avoir été placés sous la garde des forces alliées et qu’aucun d’entre eux n’aurait été maltraité dans l’intervalle.

13.Le Comité rappelle qu’il a toujours considéré (CAT/C/CR/33/3, par. 4 b) et d), et 5 e) et f) et CAT/C/USA/CO/2, par. 20 et 21) que l’article 3 de la Convention et l’obligation de non‑refoulement qui y était énoncée s’appliquaient aux forces militaires des États parties, quel que soit le lieu où elles étaient situées, qui exercaient un contrôle effectif sur un individu. Cela demeure vrai même si les forces de l’État partie sont placées sous le commandement opérationnel d’un autre État. En conséquence, le transfert d’un détenu placé sous la garde de l’État partie à l’autorité d’un autre État est inacceptable si l’État qui procède au transfert sait ou aurait dû savoir qu’il existait un risque réel de torture (art. 3).

S’agissant du transfert de détenus placés sous la garde effective de l’État partie à la garde de tout autre État, l’État partie devrait veiller à ce qu’il soit pleinement conforme aux dispositions de l’article 3 de la Convention, dans toutes les circonstances.

Placement en régime cellulaire

14.Le Comité note avec satisfaction que la durée maximale du régime cellulaire a été réduite de huit à quatre semaines pour les mineurs de 18 ans. Malgré les amendements à la loi sur l’administration de la justice qui limitent le recours au régime cellulaire en général, en particulier pour les mineurs de 18 ans, le Comité demeure préoccupé par le placement en régime cellulaire prolongé de personnes se trouvant en détention provisoire. Il note avec une préoccupation particulière que les personnes, y compris les mineurs de 18 ans, soupçonnées d’atteintes à l’indépendance et à la sécurité de l’État (chap. 12 du Code pénal) ou d’infractions contre la Constitution et les autorités suprêmes de l’État (chap. 13 du Code pénal) peuvent être maintenues indéfiniment en régime cellulaire pendant leur détention provisoire. Il note toutefois qu’il existe un mécanisme d’examen judiciaire chargé de vérifier la nécessité de poursuivre le régime cellulaire (art. 11).

L’État partie devrait continuer à surveiller les effets du régime cellulaire sur les détenus ainsi que les effets des amendements apportés en 2000 et en 2006 à la loi sur l’administration de la justice, qui ont réduit le nombre de motifs pouvant donner lieu à un placement en régime cellulaire et la durée de celui ‑ci. L’État partie ne devrait appliquer le régime cellulaire qu’en dernier recours, pour une période aussi courte que possible, sous une supervision stricte et en ménageant la possibilité d’un examen judiciaire. Le placement en régime cellulaire de mineurs de 18 ans devrait être limité à des cas très exceptionnels. L’État partie devrait en envisager l’abolition (CRC/C/DNK/CO/3, par. 58 et 59).

En ce qui concerne les personnes soupçonnées d’atteintes à l’indépendance et à la sécurité de l’État (chap. 12 du Code pénal) ou d’infractions contre la Constitution et les autorités suprêmes de l’État (chap. 13 du Code pénal), qui peuvent être maintenues indéfiniment en régime cellulaire pendant leur détention provisoire, l’État partie devrait assurer le respect du principe de la proportionnalité et établir des limites strictes quant à son application. L’État partie devrait en outre offrir aux détenus placés en régime cellulaire davantage de contacts humains qui présentent un intérêt sur le plan psychologique.

Obligations de procéder immédiatement à une enquête impartiale

15.Le Comité note que l’État partie a répondu aux critiques suscitées par le décès en garde à vue de Jens Arne Ørskov, en juin 2002, et d’autres cas particuliers, en établissant un comité à composition largement ouverte chargé d’examiner et d’évaluer le système actuel de gestion des plaintes contre la police et de conduite des procédures pénales à l’encontre de policiers. Cependant, le Comité est préoccupé par les allégations de violations qui seraient commises par des responsables de l’application des lois et, en particulier, par le fait que l’impartialité des enquêtes auxquelles elles ont donné lieu est contestée (art. 12, 13 et 14).

L’État partie devrait veiller à ce que toute allégation de violation commise par un responsable de l’application des lois, en particulier lorsqu’elle concerne un décès de détenu, fasse immédiatement l’objet d’une enquête indépendante et impartiale. Il devrait garantir en outre le droit des victimes d’exactions policières d’obtenir réparation et d’être indemnisées équitablement et de manière adéquate, conformément à l’article 14 de la Convention. L’État partie devrait accélérer le processus d’examen et d’évaluation en cours et fournir au Comité des renseignements détaillés sur ses résultats.

Recours excessif à la force, allant jusqu’au meurtre, de la part de membres des forces de l’ordre

16.Le Comité est préoccupé par les informations faisant état de recours excessif à la force, incluant l’utilisation de la violence physique et de gaz lacrymogène, par des membres des forces de l’ordre, lors des émeutes qui ont eu lieu à la maison de jeunes «Ungdomshus» de Copenhague en mars 2007. Le Comité note également avec préoccupation les informations suggérant qu’un certain nombre de personnes ont été tuées par des membres des forces de l’ordre danoises au cours des deux dernières années (art. 10, 12, 13, 14 et 16).

L’État partie devrait revoir le cadre relatif à l’examen des allégations de recours excessif à la force, y compris d’emploi d’armes, par des membres des forces de l’ordre, afin de s’assurer qu’il est conforme à la Convention. L’État partie devrait faire en sorte qu’une enquête impartiale soit immédiatement menée sur toute plainte ou allégation faisant état d’exactions, en particulier lorsqu’une personne décède ou est gravement blessée après avoir été en contact avec des membres des forces de l’ordre. L’État partie devrait en outre revoir et renforcer ses programmes d’éducation et de formation portant sur le recours à la force, y compris l’utilisation d’armes, par les membres des forces de l’ordre, afin de s’assurer que ceux ‑ci ne recourent à la force que dans la stricte mesure exigée par l’accomplissement de leurs fonctions.

Longues périodes d’attente dans les centres pour demandeurs d’asile

17.Malgré les mesures qui ont été prises pour améliorer les conditions de vie et les activités proposées dans les centres pour demandeurs d’asile, en particulier en faveur des familles avec enfants, le Comité est préoccupé par la longueur excessive des périodes d’attente dans les centres en question et par les effets psychologiques négatifs des longues périodes d’attente que doivent supporter les demandeurs d’asile et de l’incertitude qui caractérise leur vie quotidienne (art. 16).

Tout en améliorant les conditions de vie dans les centres pour demandeurs d’asile, l’État partie devrait prendre en considération les effets des longues périodes d’attente et offrir aux enfants et aux adultes vivant dans les centres en question des activités éducatives et des loisirs ainsi que des services sociaux et de santé adéquats.

Réforme du système judiciaire du Groenland

18.Le Comité note avec intérêt les propositions et recommandations de la Commission sur le système judiciaire groenlandais (rapport no 1442/2004), en particulier en ce qui concerne le traitement des personnes placées en détention provisoire et des autres détenus, l’établissement des rapports avant jugement, la remise ou la présentation au tribunal de documents ou d’autres objets ayant de l’importance pour la mise en œuvre des poursuites pénales et la structure du système pénitentiaire. Il note également avec intérêt qu’un nouveau code pénal spécial et une nouvelle loi sur l’administration de la justice pour le Groenland sont en cours de rédaction.

L’État partie devrait accélérer la rédaction et l’adoption pour le Groenland d’un nouveau code pénal spécial et d’une nouvelle loi spéciale sur l’administration de la justice, en veillant à ce que toutes les dispositions de ces nouveaux textes de loi soient pleinement conformes à la Convention et aux autres normes internationales pertinentes.

19.Le Comité prie l’État partie d’inclure dans son prochain rapport périodique des statistiques détaillées ventilées par infraction, appartenance ethnique, âge et sexe, sur les plaintes pour torture ou mauvais traitements imputés à des responsables de l’application des lois ainsi que sur les enquêtes, poursuites et sanctions pénales ou disciplinaires auxquelles elles ont donné lieu. Des informations sont également demandées sur l’indemnisation et l’aide à la réadaptation offertes aux victimes.

20.L’État partie est encouragé à diffuser largement les rapports présentés par le Danemark au Comité, ainsi que les conclusions et recommandations du Comité, dans les langues appropriées, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

21.Le Comité invite l’État partie à soumettre son document de base commun selon les prescriptions énoncées en la matière dans les Directives harmonisées pour l’établissement de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, approuvées en juin 2006 par la cinquième Réunion intercomités des organes créés en vertu d’instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme (HRI/MC/2006/3 et Corr.1).

22.Le Comité prie l’État partie de lui fournir, dans un délai d’un an, des renseignements sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations formulées ci‑dessus aux paragraphes 15, 16 et 19.

23.L’État partie est invité à soumettre son septième rapport périodique d’ici au 30 juin 2011.

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