NATIONS UNIES

CERD

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr.RESTREINTE*

CERD/C/71/D/40/20078 août 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATIONDE LA DISCRIMINATION RACIALESoixante et onzième session30 juillet‑17 août 2007

OPINION

Communication n o  40/2007

Présentée par:

Murat Er (représenté par un conseil, Mme Line Bøgsted)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Danemark

Date de la communication:

20 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

8 août 2007

[ANNEXE]

ANNEXE

OPINION ADOPTÉE PAR LE COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE EN APPLICATION DE L’ARTICLE 14 DE LA CONVENTION INTERNATIONALE SUR L’ÉLIMINATION DE TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION RACIALE

Soixante et onzième session

concernant la

Communication n o  40/2007

Présentée par:

Murat Er (représenté par un conseil, Mme Line Bøgsted)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Danemark

Date de la communication:

20 décembre 2006 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision:

8 août 2007

Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, créé en application de l’article 8 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Réuni le 8 août 2007,

Ayant achevé l’examen de la communication no 40/2007, soumise au Comité au nom de M. Murat Er en vertu de l’article 14 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale,

Ayant pris en considération tous les renseignements qui lui avaient été communiqués par l’auteur de la communication, son conseil et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Opinion

1.La communication, datée du 20 décembre 2006, est adressée par M. Murat Er, Danois d’origine turque né en 1973. Il affirme que le Danemark a violé le paragraphe 1 d) de l’article 2, l’alinéa e v) de l’article 5 et l’article 6 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Il est représenté par un conseil, Mme Line Bøgsted.

Rappel des faits

2.1L’auteur de la communication étudiait la charpenterie à l’École technique de Copenhague à l’époque des faits. Dans le cadre du programme d’études, les élèves avaient la possibilité de faire des stages dans des entreprises privées. Le 8 septembre 2003, l’auteur a aperçu accidentellement entre les mains d’un enseignant une note dans laquelle figuraient les mots «pas de P» à côté du nom d’un employeur potentiel soumettant une demande de stagiaires pour travailler dans son entreprise. Lorsqu’il lui a demandé ce que signifiait cette note, l’enseignant lui a expliqué que la lettre P signifiait «perkere» («Pakistanais») et que l’employeur en question avait demandé à l’école de ne pas lui envoyer d’élèves pakistanais ou turcs. Le même jour, l’auteur s’est plaint oralement à l’inspecteur scolaire faisant observer que l’école collaborait avec des employeurs qui n’acceptaient pas de stagiaires d’une certaine origine ethnique. L’inspecteur a affirmé que l’école avait pour règle rigoureuse «de ne pas prendre en considération les vœux des employeurs qui ne souhaitaient prendre comme stagiaires que des Danois de souche» et qu’il n’avait pas connaissance qu’un tel cas se soit produit. Le 10 septembre 2003, l’auteur a porté plainte par écrit auprès du conseil d’administration de l’école. Il affirme qu’à partir du moment où il avait déposé sa plainte, le personnel et les élèves de l’école ne l’avaient plus traité correctement et qu’il avait été affecté à des tâches qu’il n’était pas normalement censé effectuer à l’école.

2.2D’octobre à décembre 2003, l’auteur a travaillé comme stagiaire dans une petite entreprise de charpenterie. À son retour à l’école, il a appris qu’il devait commencer un nouveau stage dans une autre entreprise quatre jours plus tard, alors même qu’il était inscrit à des cours qui devaient commencer deux semaines plus tard. Un compagnon avec qui il travaillait dans cette nouvelle entreprise l’a informé que l’école avait demandé à l’entreprise de lui indiquer si elle pouvait lui envoyer «un Noir». De retour à l’école, il a commencé un nouveau cours. Le deuxième jour de ce cours, il a demandé à l’enseignant de l’aider à faire certains dessins, mais sans succès. Il affirme que la frustration qu’il a ressentie à cause du traitement discriminatoire subi à l’école l’a amené à abandonner le cours et il est devenu dépressif. Il a voulu se faire soigner et a été envoyé à l’hôpital de Bispebjerg où on lui a donné des antidépresseurs. Il a renoncé à l’idée de devenir charpentier et s’est engagé comme employé domestique.

2.3L’auteur a contacté une institution indépendante dénommée Centre de documentation et de conseils sur la discrimination raciale (DACoRD) pour obtenir de l’aide. Il s’est plaint de ce que l’école avait accepté la demande de l’employeur et a affirmé avoir subi des représailles de la part du personnel de l’école pour s’être plaint à ce sujet. Le Centre a alors déposé, au nom de l’auteur, une plainte auprès du Comité des plaintes sur l’égalité de traitement (aspects ethniques) [créé en vertu de la loi no 374 du 28 mai 2003 sur l’égalité de traitement (aspects ethniques)], en faisant valoir que la pratique de l’école consistant à complaire aux vœux des employeurs désirant que ne leur soient envoyés que des stagiaires d’origine danoise constituait une discrimination directe.

2.4Le Comité des plaintes a examiné l’affaire et a eu un échange de correspondances avec l’école et le Centre. Dans cette correspondance, l’école a reconnu que des cas d’inégalité de traitement fondés sur l’appartenance ethnique s’étaient peut-être produits dans des cas isolés, mais que telle n’était pas la pratique générale de l’école. Par une décision en date du 1er septembre 2004, le Comité des plaintes a estimé que, dans ce cas particulier, un employé de l’école avait donné suite à des instructions discriminatoires et avait ce faisant violé l’article 3 de la loi danoise sur l’égalité de traitement (aspects ethniques). Il a précisé toutefois que l’école en tant que telle n’avait pas violé l’article 3. Le Comité a estimé en outre qu’il n’apparaissait pas qu’il y ait eu violation de l’article 8 de la loi en question (interdiction de toutes représailles pour les plaintes visant à faire respecter le principe d’égalité de traitement) en notant toutefois qu’il n’était pas compétent pour interroger des témoins sur les points pour lesquels les éléments de preuve étaient insuffisants. En conclusion, il a affirmé que la question devait être tranchée par les tribunaux danois et recommandé que l’aide juridictionnelle soit accordée afin de permettre que l’affaire soit portée devant un tribunal.

2.5Une plainte civile demandant un dédommagement de 100 000 couronnes danoises (environ 13 500 euros) pour préjudice moral causé par suite d’une discrimination ethnique a été déposée auprès du tribunal de Copenhague. Le 29 novembre 2005, le tribunal a estimé que les éléments de preuve présentés ne prouvaient pas que l’école ou ses employés voulaient donner satisfaction aux demandes discriminatoires des employeurs et qu’il n’y avait donc aucune raison d’écarter les déclarations de l’inspecteur. Il a constaté en outre que l’auteur ne figurait pas parmi les élèves auxquels un stage devait être attribué le 8 septembre 2003 car il subissait un test d’aptitude entre le 1er septembre et le 1er octobre après avoir échoué au cours principal et ne pouvait donc être pris en considération pour un stage, qu’il a d’ailleurs obtenu dès le 6 octobre 2003. Pour conclure, il a estimé qu’il n’y avait pas lieu de considérer que l’auteur avait été soumis à un traitement différent en raison de sa race ou de son origine ethnique, et qu’il n’avait pas été non plus victime de représailles exercées par le défendeur en raison de la plainte qu’il avait déposée. L’auteur affirme que, en vertu de la loi sur l’égalité de traitement (aspects ethniques), la charge de la preuve aurait dû incomber à l’employé et non à lui.

2.6L’auteur a fait appel du jugement du tribunal de Copenhague auprès de la Haute Cour du Danemark oriental. Comme il n’avait pas obtenu l’aide juridictionnelle, le Centre de documentation et de conseils lui a fourni une assistance afin qu’il puisse faire appel. L’un des témoins cités devant la Haute Cour était un employé de l’école chargé des relations entre cette dernière et les employeurs potentiels. Il a déclaré qu’il avait décidé de ne pas envoyer d’élèves ayant une origine ethnique autre que danoise dans l’entreprise en question parce que «l’école avait reçu auparavant des informations négatives d’étudiants ayant une autre origine ethnique qui avaient fait un stage dans cette entreprise. Ils s’étaient sentis maltraités parce que des employés de l’entreprise avaient tenu des propos insultants à leur égard». L’école a fait valoir que le plaignant n’avait pas subi de représailles à cause de sa plainte, mais qu’il n’était tout simplement pas suffisamment qualifié pour être envoyé en stage de formation. L’auteur a estimé que ces arguments étaient impertinents étant donné que l’école avait déjà reconnu qu’elle s’était abstenue d’envoyer des élèves ayant une origine ethnique autre que danoise chez certains employeurs. La Haute Cour a décidé qu’il n’avait pas été prouvé que le plaignant avait fait l’objet de discrimination ou avait subi des représailles à cause de sa plainte et a confirmé le jugement du tribunal de Copenhague. Selon le plaignant, la Haute Cour avait fondé sa décision sur les déclarations de l’école qui avait affirmé qu’il n’avait pas les qualifications requises pour être envoyé en formation. L’école a été acquittée et le plaignant a été condamné aux dépens, soit 25 000 couronnes danoises (environ 3 300 euros). Cette somme a été payée par le Centre de documentation et de conseils.

2.7Conformément à la loi danoise, une affaire ne peut être jugée que deux fois devant les tribunaux nationaux. S’il s’agit d’une affaire importante, il est possible de demander une autorisation de former recours devant la Cour suprême. Après le jugement de la Haute Cour du Danemark oriental, le plaignant a effectivement demandé l’autorisation de recours devant la Cour suprême. Le 5 décembre 2006, la demande a été rejetée.

Teneur de la plainte

3.1L’auteur affirme que le Danemark a violé le paragraphe 1 d) de l’article 2, l’article 5 e) v) et l’article 6 de la Convention.

3.2Il prétend qu’en conséquence de la pratique discriminatoire de l’école, il n’a pas eu les mêmes possibilités d’enseignement et de formation que les autres élèves et qu’aucune voie de recours n’était disponible pour remédier effectivement à cette situation, en violation de l’article 5 e) v) de la Convention. En outre, il a subi une perte financière due aux actions en justice.

3.3L’auteur affirme que la législation danoise n’offre pas une protection effective aux victimes d’actes de discrimination fondés sur l’appartenance ethnique, comme le prescrit l’alinéa 1 d) de l’article 2 de la Convention, et ne satisfait pas aux exigences de l’article 6. Selon l’auteur, la conséquence a été le rejet de ses plaintes. Il affirme en outre que la législation n’est pas interprétée par les tribunaux danois conformément à la Convention, car le principe de partage de la charge de la preuve et le droit d’obtenir que la question de savoir si une discrimination fondée sur l’appartenance ethnique a été commise ne sont pas appliqués.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.1Le 17 avril 2007, l’État partie présente ses observations sur la recevabilité et le fond. Il affirme que la communication est irrecevable ratione personae car l’auteur n’est pas une «victime» aux fins de l’article 14 de la Convention. Il invoque la jurisprudence du Comité des droits de l’homme concernant l’article premier du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques relativement à la notion de «victime». Selon cette jurisprudence, la victime doit démontrer qu’un acte ou une omission de l’État partie ont déjà compromis son exercice d’un droit ou qu’un tel effet est imminent, par exemple, en raison de la législation ou des pratiques judiciaires ou administratives en vigueur. L’État partie affirme que le fait qu’il n’ait pas assuré à l’intéressé une protection et des voies de recours effectives contre l’acte de discrimination raciale dénoncé ne constitue pas une violation imminente des droits reconnus à l’auteur dans les articles de la Convention invoqués.

4.2L’État partie affirme que la communication de l’auteur est fondée sur la pratique attribuée à l’École technique de Copenhague consistant prétendument à satisfaire aux demandes discriminatoires de certains employeurs qui refusaient apparemment d’accepter des stagiaires d’une origine ethnique autre que danoise. Toutefois, l’État partie fait valoir que l’auteur ne s’est jamais trouvé dans une situation où il aurait été directement et individuellement soumis à cette prétendue pratique discriminatoire ou lésé par cette pratique, et qu’il n’a donc pas qualité pour la dénoncer. Il note que la raison pour laquelle le demandeur n’a pas commencé un stage de formation en septembre 2003 était seulement le fait, établi tant par le tribunal de Copenhague que par la Haute Cour du Danemark oriental, qu’il n’avait pas les qualifications techniques requises. Il avait échoué à l’examen après sa première année de formation et ne remplissait pas les conditions pour suivre un stage de formation en septembre 2003, et avait donc dû subir des tests d’aptitude à l’école un mois durant. Il en a conclu, en conséquence, que la manière dont l’école avait traité le demandeur en ce qui concerne le stage de formation était uniquement fondée sur des critères objectifs. L’État partie estime que cette affirmation est confirmée par le fait que l’auteur a commencé un stage de formation le 6 octobre 2003 après avoir achevé le test d’aptitude adéquat.

4.3L’État partie maintient que, même s’il était établi que l’école ou certains de ses employés s’étaient comportés dans certains cas de manière discriminatoire en ce qui concerne l’attribution de stages de formation aux élèves, il n’y avait pas eu de discrimination dans le cas de l’auteur et que cela n’avait donc pas eu d’effets réels ou imminents sur l’exercice des droits de l’auteur en vertu de la Convention.

4.4Sur le fond, l’État partie fait valoir que tant la protection offerte que les recours disponibles pour traiter la plainte de l’auteur pour discrimination raciale satisfont pleinement aux prescriptions des articles 2, paragraphe 1 d); 5 e) v) et 6 de la Convention. Il note que la Convention ne garantit pas une issue précise des plaintes pour discrimination mais qu’elle fixe plutôt des règles que les autorités nationales doivent suivre lorsqu’elles traitent des cas de cette nature. Les jugements rendus par le tribunal de Copenhague et par la Haute Cour sont fondés sur la loi danoise relative à l’égalité de traitement (aspects ethniques), qui offre une protection complète contre la discrimination raciale en droit danois. Il note que cette loi est entrée en vigueur le 1er juillet 2003 en vue de permettre l’application de la directive 2000/43/EC de l’Union européenne, mais qu’il ne s’agit pas là du seul instrument qui reconnaisse le principe de l’égalité de traitement. L’État partie a déjà modifié sa législation en 1971 afin de s’acquitter de ses obligations découlant de la Convention.

4.5Selon l’État partie, les affirmations de l’auteur, en particulier ses griefs de violation du paragraphe 1 d) de l’article 2 et de l’article 6 de la Convention sont formulées en termes très abstraits et généraux. Il rappelle que le Comité des droits de l’homme a pour pratique établie que, lorsqu’il examine des plaintes individuelles au titre du Protocole facultatif, il ne lui appartient pas de trancher de manière abstraite la question de savoir si la législation nationale d’un État partie est compatible avec le Pacte, mais qu’il doit seulement déterminer s’il y a ou s’il y a eu une violation du Pacte dans l’affaire qui lui est soumise. Il rappelle en outre que la question qui se pose est celle de savoir si l’auteur a bénéficié d’une protection et de recours effectifs contre un acte concret allégué de discrimination raciale. Il estime qu’il serait plus approprié que le Comité examine les questions générales et abstraites soulevées par l’auteur dans le cadre de l’examen du rapport périodique du Danemark auquel il procède en application de l’article 9 de la Convention.

4.6L’État partie rappelle que le paragraphe 1 d) de l’article 2 de la Convention est une déclaration de principe et que l’obligation qui y est énoncée est par nature un principe d’ordre général. L’État partie est d’avis que cet article ne lui impose pas d’obligation concrète et lui impose encore moins des exigences spécifiques quant aux termes d’un éventuel texte de loi nationale sur la discrimination raciale. Au contraire, les États parties ont une grande marge d’appréciation dans ce domaine. Concernant l’article 5 e) v), l’État partie note que, même s’il énonce de manière plus concrète l’obligation de garantir l’égalité devant la loi dans le domaine de l’éducation et de la formation qu’il prévoit pour les États parties, cet article laisse à ces derniers une latitude importante en ce qui concerne la mise en œuvre de cette obligation.

4.7L’État partie note que la loi sur l’égalité de traitement (aspects ethniques) offre une grande protection contre la discrimination raciale qui, à certains égards tels que la règle du partage de la preuve énoncée à l’article 7 et la protection explicite contre le harcèlement prévue à l’article 8, va au-delà de la protection exigée par la Convention. Il note que cette loi a été effectivement appliquée par les deux juridictions nationales qui ont examiné la plainte de l’auteur. Il note en outre que tant le tribunal de Copenhague que la Haute Cour ont examiné exhaustivement les preuves qui leur ont été présentées et entendu l’auteur et tous les témoins essentiels. Ces tribunaux disposaient donc d’éléments d’information suffisants pour déterminer si l’auteur avait été victime de discrimination raciale. L’État partie ajoute que la plainte de l’auteur a été également examinée par le Comité des plaintes relatives à l’égalité de traitement (aspects ethniques) et, même si cela ne constitue pas une «voie de recours effective» au sens de l’article 6, par l’École technique au cours d’une réunion administrative, qui a donné lieu à un avertissement à l’encontre de l’instructeur chargé de la formation et à une réponse écrite adressée à l’auteur.

4.8Selon l’État partie, le fait que l’auteur n’ait pas obtenu l’aide juridictionnelle pour se pourvoir devant la Haute Cour ne signifie pas que cette procédure ne peut pas être considérée comme une voie de recours effective.

4.9Pour ce qui est du grief de l’auteur selon lequel les tribunaux danois n’interprètent pas la législation danoise conformément à la Convention, l’État partie note qu’il s’agit d’une déclaration d’ordre général sans rapport avec l’affaire. Il note également qu’en tout état de cause, il n’appartient pas au Comité d’examiner la manière dont les juridictions nationales interprètent la loi danoise. Toutefois, l’État partie affirme que les deux tribunaux nationaux ont rendu, dans le cas de l’auteur, des décisions motivées et appliqué la règle du partage de la preuve. Il rappelle que cette règle, reconnue à l’article 7 de la loi sur l’égalité de traitement (aspects ethniques) prévoit une répartition de la charge de la preuve plus favorable aux victimes présumées de discrimination que ne le fait la Convention. Elle dispose que si une personne signale des faits qui laissent penser qu’une discrimination directe ou indirecte a eu lieu, il incombe à l’autre partie de prouver qu’il n’y a pas eu violation du principe de l’égalité de traitement. Par contre, aux termes de la Convention, il incombe à l’auteur d’une communication d’apporter des éléments de preuve permettant de penser à première vue qu’il a été victime d’une violation de la Convention. L’État partie estime enfin que le fait que la plainte déposée par l’auteur en vertu de la loi n’ait pas abouti ne signifie pas que cet instrument est inefficace.

Commentaires de l’auteur

5.1Dans une réponse du 28 mai 2007, l’auteur a contesté l’argument de l’État partie qui affirme qu’il n’a pas la qualité de victime parce qu’il n’a pas prouvé qu’il était plus qualifié que les 14 élèves qui avaient obtenu un stage de formation en septembre 2003. Il fait observer que du fait qu’un stage était réservé aux «Danois», le nombre de stages restant pour les élèves d’origine non danoise était forcément réduit d’autant et que ces derniers subissaient une discrimination de facto indépendamment du fait qu’ils pouvaient ou non obtenir en définitive l’un des stages restants. Il affirme que ce fait n’a pas été pris en considération par la Haute Cour qui n’a statué que sur la question de savoir si l’auteur était qualifié et remplissait donc les conditions requises pour obtenir le stage offert en septembre 2003. Il fait valoir qu’en n’examinant pas la question de savoir s’il y avait eu discrimination raciale, le tribunal danois avait violé le droit à un recours effectif garanti par les articles 2 et 6, lus conjointement avec l’article 5 e) v) de la Convention.

5.2L’auteur soutient que le fait que l’enseignant de l’École technique de Copenhague ait reconnu devant la Haute Cour qu’il avait décidé de ne pas envoyer d’élève d’origine non danoise dans l’entreprise concernée montre que le principe de l’égalité de traitement avait été violé.

Délibérations du Comité

Décision concernant la recevabilité

6.1Avant d’examiner toute plainte présentée dans une communication, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale doit, conformément à l’article 91 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est ou n’est pas recevable en vertu de la Convention.

6.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie qui objecte que la communication est irrecevable ratione personae parce que l’auteur ne remplit pas les conditions requises pour être considéré comme une victime au sens de l’article 14 de la Convention. Il note en outre les délibérations du Comité des droits de l’homme invoquées par l’État partie à propos de la notion de «victime» et l’argument de l’État partie qui affirme que l’auteur n’a pas été individuellement lésé par la pratique prétendument discriminatoire de l’école consistant à satisfaire aux exigences des employeurs qui lui demandaient d’exclure des stages les élèves d’origine non danoise, parce qu’il ne remplissait pas les conditions requises pour obtenir un stage en septembre 2003, et qu’il n’avait donc pas d’intérêt pour agir.

6.3Le Comité ne voit aucune raison de ne pas adopter, en ce qui concerne la notion de «victime», un point de vue analogue à celui du Comité des droits de l’homme évoqué plus haut, comme il l’a fait en de précédentes occasions. Dans l’affaire à l’examen, il note que l’existence d’une pratique prétendument discriminatoire de l’école, consistant à satisfaire aux exigences des employeurs qui tendaient à écarter les élèves non danois de souche pour l’obtention de stages de formation serait en soi suffisante pour justifier que tous les élèves non danois de souche fréquentant l’école soient considérés comme des victimes potentielles de cette pratique, qu’ils remplissent ou non les conditions concernant les stagiaires prévues dans le règlement de l’école. Le simple fait qu’une telle pratique existait dans l’école serait suffisant, de l’avis du Comité, pour considérer que tous les élèves non danois de souche qui sont susceptibles d’obtenir des stages à un stade ou un autre de leur programme d’études soient considérés comme des victimes potentielles au sens du paragraphe 1 de l’article 14 de la Convention. Par conséquent, le Comité estime que l’auteur a établi qu’il entre dans la catégorie des victimes potentielles aux fins de la plainte soumise au Comité.

Examen au fond

7.1Le Comité a examiné la plainte de l’auteur en prenant en considération tous les renseignements et pièces présentés par les parties conformément aux dispositions du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention et à l’article 95 de son règlement intérieur. Il fonde ses conclusions sur les considérations suivantes.

7.2L’auteur affirme que la législation nationale danoise n’offre pas aux victimes de la discrimination ethnique une protection effective, comme l’exige le paragraphe 1 d) de l’article 2 de la Convention, et que les tribunaux danois n’interprètent pas la législation nationale conformément à la Convention. Le Comité prend note de l’allégation de l’État partie qui affirme que les griefs de l’auteur sont abstraits et ne se rapportent pas à son propre cas. Il considère qu’il appartient au Comité non pas de décider dans l’abstrait si une loi nationale est ou non compatible avec la Convention mais de déterminer si une violation a été commise dans le cas qui lui est soumis. Il n’appartient pas non plus au Comité d’examiner la manière dont les tribunaux nationaux ont interprété le droit national, sauf si les décisions étaient manifestement arbitraires ou représentaient un déni de justice. À la lumière du texte des jugements du tribunal de Copenhague et de la Haute Cour du Danemark oriental, le Comité note que les griefs de l’auteur ont été examinés conformément à la loi qui prévoit et punit spécifiquement les actes de discrimination raciale ou ethnique et que les décisions ont été motivées et étaient fondées sur cette loi. Le Comité considère par conséquent que la plainte n’a pas été suffisamment étayée sur ce point.

7.3En ce qui concerne le grief de l’auteur qui affirme que par suite de la pratique de l’école, il n’a pas eu les mêmes possibilités d’éducation et de formation que les autres élèves, le Comité observe que le fait incontestable que l’un des enseignants de l’école a reconnu avoir accepté une demande émanant d’un employeur, sur laquelle figurait la mention «pas de P» à côté de son nom, en sachant que cela signifiait que les élèves d’origine ethnique non danoise ne devaient pas être envoyés en stage dans l’entreprise concernée, suffit en soi pour établir l’existence d’une discrimination de facto à l’égard de tous les élèves non danois de souche, y compris de l’auteur. L’argument de l’école qui fait valoir que la décision de rejeter la demande de stage de formation, en septembre 2003, était fondée sur les résultats scolaires de l’auteur n’exclut pas qu’il aurait été privé de la possibilité de suivre une formation dans cette entreprise dans tous les cas en raison de son origine ethnique. En effet, indépendamment de ses résultats scolaires, ses chances d’obtenir un stage étaient plus limitées que celles des autres élèves à cause de son appartenance ethnique. Cela constitue pour le Comité un acte de discrimination raciale et une violation de l’égalité dans l’exercice du droit à l’éducation et à la formation garanti à l’article 5, alinéa e v) de la Convention.

7.4En ce qui concerne l’allégation de l’auteur qui affirme que l’État partie n’a pas offert des voies de recours effectives au sens de l’article 6 de la Convention, le Comité note que les deux tribunaux nationaux ont fondé leurs décisions sur le fait que l’auteur ne remplissait pas les conditions requises pour obtenir un stage pour des raisons autres que la pratique prétendument discriminatoire à l’encontre des personnes non danoises de souche, c’est‑à‑dire qu’il n’avait pas réussi l’examen sanctionnant un cours. Il considère que cela n’exonère pas l’État partie de l’obligation de déterminer si la mention «pas de P» inscrite sur la demande de l’employeur et dont un enseignant avait reconnu qu’elle avait pour but d’écarter certains élèves d’un stage de formation en raison de leur origine ethnique représentait une discrimination raciale. Étant donné que l’État partie n’a pas fait procéder à une enquête effective en vue de déterminer si un acte de discrimination raciale avait eu lieu, le Comité conclut à une violation du paragraphe 1 d) de l’article 2 et de l’article 6 de la Convention.

8.Dans ces circonstances, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, agissant en application du paragraphe 7 a) de l’article 14 de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, estime que les faits dont il est saisi font apparaître une violation par l’État partie du paragraphe 1 d) de l’article 2, de l’alinéa e v) de l’article 5 et de l’article 6 de la Convention.

9.Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale recommande à l’État partie d’octroyer à l’auteur une indemnisation adéquate pour le préjudice moral causé par les violations de la Convention. L’État partie est prié également de diffuser largement l’opinion du Comité, y compris auprès des procureurs et des organes judiciaires.

10.Le Comité souhaite recevoir du Gouvernement danois, dans un délai de quatre‑vingt‑dix jours, des renseignements sur les mesures qu’il aura prises pour donner effet à la présente opinion.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol, en français et en russe. Paraîtra ultérieurement en arabe et en chinois dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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