CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

GÉNÉRALE

CCPR/CO/71/VEN

26 avril 2001

FRANÇAIS

Original : ESPAGNOL

COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L'ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l'homme

Venezuela

1.Le Comité a examiné le troisième rapport périodique du Venezuela (CCPR/C/VEN/98/3 et documents joints) à ses 1899e et 1900e séances, tenues les 19 et 20 mars 2001, et a approuvé, à sa 1918e séance, tenue le 2 avril 2001, les observations finales ci‑après.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le troisième rapport périodique présenté par l'État partie et se félicite de l'occasion qui lui est offerte de poursuivre l'examen de la situation des droits de l'homme au Venezuela par l'intermédiaire d'une délégation composée de fonctionnaires appartenant à divers secteurs gouvernementaux. Toutefois, il déplore le retard dans la présentation du rapport et le manque d'informations sur la situation de fait des droits de l'homme, tant dans le rapport que dans les documents joints, ce qui lui rend la tâche très difficile pour ce qui est de déterminer si la population de l'État partie peut pleinement et effectivement exercer ses droits fondamentaux et en jouir.

B. Aspects positifs

3.Le Comité se félicite du rang constitutionnel attribué par la Constitution aux instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme.

4.Le Comité prend note également avec satisfaction des nombreuses dispositions constitutionnelles visant à reconnaître et à protéger les différents droits de l'homme comme, par exemple, la création du Service du Défenseur du peuple.

C. Sujets de préoccupation et recommandations

5.Le Comité a constaté avec préoccupation que l'article 19 de la Constitution prévoyait la garantie des droits de l'homme des citoyens "conformément au principe de progressivité", et que la signification de ce principe n'a pas été expliquée de façon satisfaisante.

6.Le Comité se déclare gravement préoccupé par les allégations concernant des disparitions survenues récemment, alors que les disparitions ont été qualifiées de délit dans la nouvelle législation. Il est également préoccupé par l'absence de mesures prises par l'État pour traiter du problème des disparitions survenues en 1989. Les informations fournies par la délégation selon lesquelles des enquêtes sont menées sur toutes ces disparitions ne sont pas satisfaisantes.

Compte tenu des dispositions des articles 6, 7 et 9 du Pacte, l'État partie doit accorder une priorité spéciale à la réalisation rapide et efficace d'enquêtes pour rechercher les personnes disparues et les responsables des disparitions. L'État partie devra également prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que de tels actes ne se produisent, et notamment adopter la loi prévue à l'article 45 de la Constitution.

7.Le Comité se déclare également profondément préoccupé par les nombreuses allégations d'exécutions extrajudiciaires et par l'absence de suite donnée par l'État partie à ces allégations.

L'État partie doit mener les enquêtes appropriées pour identifier les responsables des exécutions extrajudiciaires et les traduire en justice. L'État partie devra également prendre les mesures nécessaires pour empêcher que ces violations de l'article 6 du Pacte ne se produisent.

8.Le Comité se déclare profondément préoccupé par les allégations de torture et d'usage excessif de la force par la police et d'autres forces de sécurité, en violation de l'article 7 du Pacte, par la lenteur de la réaction de l'État partie face à ces faits et par l'absence de mécanismes indépendants pour mener des enquêtes sur ces allégations. La possibilité de recours judiciaires n'exclut pas la nécessité de ces mécanismes.

L'État partie doit créer un organe indépendant habilité à recevoir et à examiner toutes les allégations d'usage excessif de la force et d'autres abus de pouvoir de la part de la police et d'autres forces de sécurité, les enquêtes étant suivies, le cas échant, de poursuites judiciaires contre ceux qui seraient responsables. Le Comité prie en outre instamment l'État partie d'adopter les normes juridiques nécessaires pour faire respecter l'interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants énoncée à l'article 7 du Pacte et à l'article 46 de la Constitution, ainsi que d'intensifier les programmes d'éducation en matière de droits de l'homme à l'intention des membres de toutes les forces de l'État dont les fonctions sont liées au traitement des détenus.

9.Le Comité déplore le manque d'informations détaillées sur la garde à vue. Il est également préoccupé par la définition peu claire du statut juridique et des pouvoirs de la Direction sectorielle des services secrets et de la prévention (DISIP) et en particulier par les nombreuses allégations concernant la façon dont les détenus sont traités.

Afin que le Comité puisse évaluer la mesure dans laquelle les articles 9, 10 et 14 du Pacte sont respectés, l'État partie devra lui fournir des informations indiquant si le détenu est mis sans délai à la disposition d'un juge ou d'un officier de justice, si un avocat peut être présent pendant l'interrogatoire devant la police, s'il existe un mécanisme automatique de contrôle médical du détenu à son entrée et à sa sortie des locaux de la police, quelles sont les normes régissant la possibilité de mise au secret du détenu, si toutes les normes relatives à la détention énoncées dans la Constitution ont été consacrées dans une législation adéquate et quels sont le statut juridique et les pouvoirs de la DISIP.

10.Le Comité regrette le manque d'informations sur la durée moyenne de la détention avant jugement. La durée de la période de détention en attente d'un jugement peut soulever des questions quant à sa conformité avec le paragraphe 3 de l'article 9 et l'article 14 du Pacte.

Afin de rendre cette situation conforme aux obligations énoncées dans le Pacte, l'État partie devra accélérer les procédures et respecter strictement les dispositions du paragraphe 3 de l'article 9 du Pacte.

11.Le Comité se déclare préoccupé par les conditions dans les prisons et les lieux de détention au Venezuela, la délégation elle‑même ayant reconnu que c'était dans ces lieux que se produisaient les plus graves violations des droits de l'homme dans le pays. L'entassement dans les prisons et l'absence de séparation entre les prévenus et les condamnés sont incompatibles avec le Pacte.

L'État partie devra renforcer les mécanismes institutionnels créés récemment (procureurs chargés de la surveillance pénitentiaire et juges de l'application des peines) de façon à contrôler la situation dans les prisons et à mener des enquêtes sur les plaintes des détenus afin de veiller au respect des articles 7 et 10 du Pacte.

12.Bien que le Comité accueille en principe avec satisfaction la réforme du Code organique de procédure pénale, il se déclare préoccupé par le manque d'informations sur le contenu des dispositions du nouveau Code qui visent les garanties prévues à l'article 14 du Pacte.

L'État partie devra fournir des informations à ce sujet.

13.Le Comité est particulièrement préoccupé par la situation du pouvoir judiciaire vénézuélien, qui est toujours en voie de réorganisation. Un processus de réorganisation prolongé met en danger l'indépendance de ce pouvoir, le risque étant que les juges soient révoqués en conséquence de l'exercice de la fonction judiciaire, en violation du paragraphe 3 de l'article 2 et de l'article 14 du Pacte. Le Comité est également préoccupé par le manque d'informations sur les conséquences qu'a eues ce processus jusqu'à présent et par l'absence de date prévue pour son achèvement.

Le processus de réorganisation du pouvoir judiciaire ne doit pas se prolonger. En outre, l'État partie devra fournir des informations sur le nombre de juges qui ont été révoqués au cours de ce processus, sur les causes de la révocation et sur la procédure suivie à cet égard.

14.La préoccupation du Comité à propos de l'indépendance du pouvoir judiciaire concerne également les informations fournies par la délégation selon lesquelles l'article 275 de la Constitution permettrait au Conseil moral républicain, qui est composé du Défenseur public, du Procureur général et du Contrôleur général d'adresser des observations aux magistrats des tribunaux, y compris à ceux de la Cour suprême, le non‑respect de ces observations pouvant entraîner l'imposition de sanctions.

Lorsqu'il examinera le projet de loi prévu dans cet article, l'État partie devra veiller à ce que la législation qui sera adoptée garantisse l'indépendance de la magistrature, conformément au paragraphe 3 de l'article 2 et à l'article 14 du Pacte.

15.Le Comité est profondément préoccupé par le traitement réservé aux personnes qui demandent asile ou refuge au Venezuela, en particulier à celles qui entrent dans le pays par la frontière avec la Colombie, et surtout par le manque de législation nationale établissant les critères de sélection des demandeurs d'asile, bien que des relations à cet égard aient été établies de manière bilatérale entre le Venezuela et la Colombie. Il est également préoccupé par l'apparent non‑respect de l'obligation découlant du principe de non‑refoulement.

L'État doit garantir le respect des dispositions des articles 7 et 13 du Pacte et des normes du droit international en général et doit adhérer aux instruments internationaux pertinents ou en rendre les dispositions applicables, permettre l'accès des organismes spécialisés aux zones en question et faire appel, si nécessaire, aux organes internationaux s'occupant de cette question.

16.Le Comité est profondément préoccupé par les informations relatives au trafic de femmes vers le Venezuela, en particulier en provenance de pays voisins, et par l'absence d'informations de la part de la délégation sur l'étendue du phénomène et les mesures prises pour le combattre.

Des mesures de prévention doivent être prises pour éliminer le trafic dont sont victimes les femmes, afin de respecter les dispositions des articles 7 et 8 du Pacte, et pour offrir des programmes de réinsertion aux victimes. Les lois et politiques de l'État partie doivent assurer protection et soutien aux victimes.

17.Le Comité est préoccupé par l'ampleur des violences à l'encontre des femmes, notamment par le grand nombre de cas de séquestration et de meurtre, dont les auteurs n'ont été ni arrêtés ni poursuivis. Il est également préoccupé par les nombreuses allégations de viol ou de tortures infligées par les forces de sécurité aux détenues, qui n'osent pas porter plainte. Tout ce qui précède suscite de graves préoccupations au regard des articles 6 et 7 du Pacte.

L'État partie doit prendre des mesures efficaces pour garantir la sécurité des femmes, veiller à ce qu'aucune pression ne soit exercée sur elles pour les dissuader de dénoncer les crimes dont elles sont victimes et faire en sorte que tous les cas de sévices signalés fassent l'objet d'une enquête et que les auteurs des sévices soient traduits en justice.

18.L'âge minimum du mariage (14 ans pour les filles et 16 ans pour les garçons) et le fait que celui‑ci puisse être abaissé pour les filles sans limite en cas de grossesse ou de naissance pose un problème du point de vue de l'obligation qui est faite à l'État partie, en vertu du paragraphe 1 de l'article 24, d'assurer la protection des mineurs. Le mariage à un âge aussi précoce ne semble pas compatible avec l'article 23 du Pacte, qui énonce la nécessité du libre et plein consentement des parties pour contracter mariage. Le Comité est également préoccupé par l'âge précoce (12 ans) du consentement à des relations sexuelles pour les filles.

L'État partie doit modifier la législation dans ce domaine afin de la rendre conforme aux dispositions des articles 23, 24 et 3 du Pacte.

19.La pénalisation de tout avortement non thérapeutique pose de graves problèmes, compte tenu en particulier des informations avérées selon lesquelles un grand nombre de femmes se font illégalement avorter au péril de leur vie. L'obligation qui est faite par la loi aux membres du personnel de santé de signaler les cas de femmes qui auraient subi un avortement risque de dissuader ces dernières de se faire soigner, ce qui peut mettre leur vie en danger.

L'État partie doit prendre les mesures nécessaires pour garantir le droit à la vie (art. 6) des femmes enceintes qui décident d'interrompre leur grossesse, notamment en modifiant la loi en vue d'instaurer des dérogations à l'interdiction générale de l'avortement non thérapeutique. L'État partie doit garantir le caractère confidentiel de l'information médicale.

20.Le Comité est préoccupé par le maintien en vigueur d'une disposition de la législation qui exclut les poursuites pénales à l'égard de l'auteur d'un viol si celui‑ci épouse la victime.

L'État partie doit abroger immédiatement cette disposition, qui est contraire aux articles 3, 7, 23, 26, 2(3) et 24 du Pacte, compte tenu en particulier de l'âge précoce auquel les filles peuvent contracter mariage.

21.Le Comité est préoccupé par la participation insuffisante des femmes, notamment à la vie politique et au pouvoir judiciaire.

Afin de respecter les dispositions des articles 3 et 25, l'État partie doit prendre les mesures appropriées pour accroître la participation des femmes, si nécessaire en adoptant des programmes de mesures positives.

22.Afin de respecter les obligations qui découlent des articles 2, 3 et 26 du Pacte, le Comité invite instamment l'État partie à modifier toutes les lois dans lesquelles subsistent des dispositions discriminatoires à l'égard des femmes, notamment les dispositions relatives à l'adultère et à l'interdiction de contracter un mariage avant l'expiration d'un délai de 10 mois à compter de la dissolution d'un mariage précédent.

23.Le Comité constate avec préoccupation qu'il n'existe pas de loi générale interdisant la discrimination dans le domaine privé, notamment en ce qui concerne l'emploi et le logement. Conformément au paragraphe 3 de l'article 2 et à l'article 26 du Pacte, l'État partie doit protéger les personnes contre toute discrimination dans ce domaine.

L'État partie doit promulguer une loi interdisant toute discrimination et offrant un recours efficace à toute personne en cas de violation de son droit de ne pas être victime de discrimination.

24.Le Comité déplore la situation des enfants des rues, qui ne cesse de s'aggraver. Ces enfants sont ceux qui sont le plus exposés aux risques de violence sexuelle et à la pratique du trafic à des fins d'exploitation sexuelle.

L'État partie doit prendre des mesures efficaces pour assurer la protection et la réinsertion de ces mineurs, conformément à l'article 24 du Pacte, y compris des mesures pour mettre fin à l'exploitation sexuelle et à la pornographie impliquant des enfants.

25.Le Comité prend note du statut privilégié de l'Église catholique romaine et se préoccupe des incidences négatives que ce statut peut avoir sur les autres religions.

L'État partie devra garantir qu'aucune discrimination n'est exercée à l'encontre des collectivités religieuses qui existent au Venezuela.

26.Le Comité note que la législation vénézuélienne ne prévoit pas le statut d'objecteur de conscience au service militaire, dans l'exercice légitime des droits énoncés à l'article 18 du Pacte.

L'État partie doit veiller à ce que les personnes tenues d'accomplir un service militaire puissent invoquer le droit à l'exemption pour objection de conscience et accomplir un service de remplacement non discriminatoire.

27.Le Comité se déclare vivement préoccupé par l'ingérence des autorités dans les activités syndicales, y compris dans les élections libres de dirigeants syndicaux.

L'État partie doit, conformément aux dispositions de l'article 22 du Pacte, garantir aux membres des syndicats la liberté de mener leurs activités et de choisir leurs dirigeants sans ingérence de la part des autorités.

28.Le Comité félicite l'État partie pour les dispositions de la Constitution concernant les populations autochtones, en particulier les articles 120 et 123, qui prévoient que les collectivités autochtones concernées sont informées à l'avance et consultées lorsque l'État souhaite exploiter les ressources naturelles existantes sur les territoires autochtones et qui consacrent le droit des populations autochtones de maintenir et de promouvoir leurs propres pratiques économiques. Le Comité regrette toutefois l'insuffisance des informations fournies sur l'application dans la pratique de ces dispositions constitutionnelles.

L'État partie doit fournir au Comité des informations sur l'application de ces dispositions constitutionnelles conformément aux dispositions de l'article 27.

29.L'État partie doit diffuser largement son troisième rapport périodique, les documents joints et les présentes observations finales.

30.L'État partie devra, conformément au paragraphe 5 de l'article 70 du règlement intérieur du Comité, communiquer dans un délai d'un an des renseignements sur les mesures qui auront été prises compte tenu des recommandations du Comité concernant les disparitions et les exécutions extrajudiciaires (par. 6 et 7 des présentes observations), la torture et l'usage excessif de la force par la police et par les autres forces de sécurité (par. 8), la garde à vue et la détention en attente d'un jugement définitif (par. 9 et 10), les conditions dans les prisons (par. 11) et la situation du pouvoir judiciaire et des garanties d'une procédure régulière (par. 12 à 14). Le Comité demande que les renseignements relatifs aux autres recommandations figurent dans le quatrième rapport périodique, que l'État partie devra présenter avant le 1er avril 2005.

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