CCPR

Pacte international relatif aux droits civilset politiquesDistr.

GÉNÉRALE

CCPR/CO/70/PER

15 novembre 2000

FRANÇAIS

Original : ESPAGNOL

COMITÉ DES DROITS DE L'HOMME

Soixante‑dixième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES

EN VERTU DE L'ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l'homme

Pérou

1.Le Comité a examiné le quatrième rapport périodique du Pérou (CCPR/C/PER/98/4) à ses 1879ème à 1881ème séances, les 23 et 24 octobre 2000, et a adopté, à sa 1892ème séance, le 1er novembre 2000, les observations finales ci-après.

A. Introduction

2.Le Comité accueille avec satisfaction le quatrième rapport périodique présenté par l'État partie ainsi que les commentaires sur les observations finales et les recommandations du Comité concernant le troisième rapport périodique (CCPR/C/83/Add.4). Il se félicite également de la volonté de la délégation d'instaurer un dialogue avec lui. Il regrette toutefois que le rapport ne contienne pas de renseignements statistiques suffisants et ne traite pas comme il convient des difficultés rencontrées par l'État partie pour mettre en œuvre le Pacte.

B. Aspects positifs

3.Le Comité se félicite de l'annonce de l'organisation des élections présidentielles pour 2001 et espère qu'elles se dérouleront dans un climat de transparence et de liberté, conformément aux normes internationales.

4.Le Comité accueille avec satisfaction l'abolition des tribunaux "sans visage", comme il l'avait recommandé (voir CCPR/C/79/Add.67); il se félicite aussi que les actes de terrorisme, qui relevaient de la compétence des juridictions militaires, relèvent désormais de celle des juridictions pénales ordinaires, et qu'il n'y ait plus sur le territoire national de zone en état d'urgence.

5.Pour le Comité, la qualification du délit de torture dans le Code pénal, par la loi No 26926 du 21 février 1998, dans le chapitre relatif aux crimes contre l'humanité est un fait positif.

6.Le Comité considère comme une mesure favorable la création de mécanismes de protection des femmes, comme le service du défenseur spécialisé dans les droits de la femme au sein du service du Défenseur du peuple et de la Commission de la condition de la femme et du développement humain du Congrès. Il se déclare également satisfait de l'adoption d'une législation en faveur de la reconnaissance des droits de la femme, en matière civile comme en matière pénale.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

7.Le Comité regrette une fois encore que le Pérou n'ait pas tenu compte des recommandations qu'il avait faites dans les observations formulées à l'issue de l'examen du troisième rapport périodique (voir CCPR/C/79/Add.67, par. 20 à 26 et CCPR/C/79/Add.72, par. 19 à 25). Bon nombre des sujets de préoccupation exprimés à cette occasion continuent d'être l'objet d'une inquiétude aujourd'hui.

8.Le Comité estime que, malgré la disposition transitoire 4 de la Constitution du Pérou, en vertu de laquelle les droits constitutionnels sont interprétés conformément au Pacte international relatif aux droits civils et politiques et aux autres traités en la matière ratifiés par l'État partie, la place du Pacte dans le droit interne n'est pas claire et les droits qui y sont consacrés ne sont pas pleinement garantis.

Le Comité recommande l'adoption des mesures légales nécessaires pour garantir les droits reconnus dans le Pacte, conformément au paragraphe 1 de l'article 2 du Pacte.

9.Le Comité déplore que ses recommandations touchant les lois d'amnistie de 1995 n'aient pas été suivies d'effet et réaffirme que de telles dispositions empêchent d'enquêter sur les infractions commises dans le passé et de réprimer leurs auteurs, en violation de l'article 2 du Pacte. Il est profondément préoccupé par les informations récentes selon lesquelles le Gouvernement envisagerait d'adopter une nouvelle loi d'amnistie générale à titre de condition préalable à l'organisation d'élections.

Le Comité recommande de nouveau à l'État partie de revoir et d'abroger les lois d'amnistie de 1995, qui contribuent à créer un climat d'impunité. Il demande instamment à l'État partie de ne pas adopter de nouvelle loi d'amnistie.

10.Le Comité se déclare préoccupé par le fait que le pouvoir judiciaire soit toujours en cours de réorganisation et qu'il existe une Commission exécutive du pouvoir judiciaire dotée de pouvoirs étendus, ce qui donne lieu à des immixtions du pouvoir exécutif dans l'appareil judiciaire et porte atteinte à l'indépendance de celui-ci et à l'état de droit. L'une des conséquences de cette réorganisation est le nombre élevé de juges nommés à titre provisoire. Le Comité s'inquiète également de la destitution par le Congrès, en 1997, des trois magistrats du tribunal constitutionnel, Delia Revoredo Marsano de Mur, Manuel Aguirre Roca et Guillermo Rey Terry. Un système judiciaire impartial et indépendant est une condition essentielle pour l'application de divers articles du Pacte, en particulier l'article 14.

a)L'État partie doit prendre les mesures nécessaires pour régulariser la situation des juges nommés à titre provisoire, qui peuvent être démis de leurs fonctions sans motif, et pour assurer leur inamovibilité.

b)L'État partie doit réintégrer dans leurs fonctions les trois juges du tribunal constitutionnel pour normaliser son fonctionnement.

c)L'État partie doit établir un mécanisme garanti par la loi qui assure l'indépendance et l'impartialité des juges et exclue toute possibilité d'immixtion du pouvoir exécutif dans le pouvoir judiciaire.

11.Le Comité se félicite de ce qu'un certain nombre des personnes condamnées pour délit de terrorisme alors que les preuves étaient insuffisantes aient été libérées au bénéfice d'une remise de peine. Toutefois, il réaffirme que la remise de peine n'offre pas une réparation pleine et entière aux victimes de procès dans lesquels les garanties judiciaires ont été violées et à l'issue desquels des innocents ont été condamnés.

a)L'État partie doit mettre en place un mécanisme efficace pour procéder à la révision de toutes les condamnations prononcées par les juridictions militaires dans les affaires de terrorisme et de trahison à la patrie, infractions définies en des termes qui ne circonscrivent pas clairement les actes réprimés.

b)L'État partie doit aussi faire immédiatement remettre en liberté les personnes auxquelles la Commission d'examen des remises de peine a accordé une remise de peine.

12.Le Comité déplore que les juridictions militaires continuent d'être compétentes pour juger des civils dans les affaires de trahison à la patrie, ce qui prive les intéressés des garanties octroyées par l'article 14 du Pacte.

Le Comité renvoie à ce sujet à son Observation générale 13 relative à l'article 14 et insiste sur l'incompatibilité de la compétence donnée à des tribunaux militaires pour juger des civils avec une administration de la justice équitable, impartiale et indépendante.

13.Comme il l'a indiqué lors de l'examen du troisième rapport périodique, le Comité considère qu'une garde à vue qui peut durer jusqu'à 15 jours, comme c'est le cas dans les affaires de terrorisme, de trafic de drogue et d'espionnage, n'est pas conforme aux dispositions de l'article 9 du Pacte.

L'État partie a l'obligation de revoir la législation de façon que toute personne arrêtée soit mise sans délai à la disposition d'une autorité judiciaire.

14.Le Comité s'inquiète des mauvaises conditions carcérales, en particulier dans la prison de Lurigancho à Lima et dans les prisons de sécurité maximale de Yanamayo, à Puno, et de Challapalca à Tacna (située à haute altitude, ce qui rend notamment difficile l'exercice du droit de visite car les proches ne peuvent pas s'y rendre facilement). Les conditions qui règnent dans ces prisons ne sont pas conformes aux dispositions de l'article 10 du Pacte.

Le Comité engage l'État partie à prendre les mesures voulues pour améliorer les conditions de détention au Pérou. En particulier, il l'invite instamment à réduire la population carcérale dans l'établissement pénitentiaire de Lurigancho et à fermer les prisons de Yanamayo et de Challapalca.

15.Le Comité se déclare préoccupé par le fait que le placement à l'isolement pendant un an soit toujours pratiqué pour les prévenus comme pour les condamnés, conformément au règlement applicable aux conditions de détention et au régime progressif pour les prisonniers difficiles, qu'ils soient inculpés ou condamnés pour des délits de droit commun et pour terrorisme ou trahison. Cette mesure d'isolement peut de surcroît être prolongée quand le détenu commet des fautes, même légères.

Le Comité engage l'État partie à revoir cette pratique qui porte atteinte à la santé physique et mentale des individus privés de liberté et constitue un traitement cruel, inhumain ou dégradant, en violation des articles 7 et 10 du Pacte.

16.Le Comité relève avec préoccupation le nombre croissant de plaintes pour brimades, harcèlement systématique et menaces de mort à l'encontre des journalistes, ce qui porte atteinte à la liberté d'expression.

Le Comité demande à l'État partie de prendre les mesures voulues pour que cessent les restrictions directes et indirectes à la liberté d'expression et pour que toutes les plaintes dénonçant de tels faits qui ont été déposées fassent l'objet d'une enquête afin que les responsables soient traduits en justice.

17.Le Comité condamne les procédés utilisés au Pérou pour déposséder des personnes des moyens de communication dont elles étaient propriétaires, par exemple en retirant à l'un d'eux sa nationalité.

Le Comité prie l'État partie, en application de l'article 19 du Pacte, de faire en sorte que de telles situations attentatoires à la liberté d'expression n'existent plus et que les personnes concernées disposent d'un recours utile.

18.Le Comité déplore que, alors qu'il avait demandé des renseignements au Gouvernement sur quatre députés de l'opposition victimes à maintes reprises d'actes d'intimidation, il n'ait reçu de réponse qu'au sujet de Gustavo Molme Llona, décédé, et encore en termes vagues, et qu'aucune explication ne soit donnée sur les trois autres (Javier Diez Canseco, Henry Pease García et Jorge del Castillo) et sur quelques‑uns de leurs collaborateurs, aucune mention n'étant faite dans la réponse des enquêtes éventuelles ouvertes pour retrouver les responsables.

Il faut faire cesser immédiatement les manœuvres d'intimidation à l'encontre de parlementaires, qui empêchent ceux‑ci de représenter leurs électeurs et d'exercer leur charge en toute liberté et indépendance; les cas qui se sont produits doivent faire l'objet d'une enquête et les coupables doivent être réprimés.

19.Le Comité juge très important que soient appliquées dans la pratique les lois relatives à la protection des droits de l'homme.

Le Comité demande à l'État partie de fournir dans son prochain rapport des renseignements détaillés sur l'application effective de la nouvelle législation en faveur de la reconnaissance des droits de la femme, en matière civile et pénale.

20.Le fait que l'avortement continue d'être réprimé pénalement, même quand la grossesse résulte d'un viol, donne matière à préoccupation. L'avortement clandestin continue d'être la principale cause de mortalité maternelle au Pérou.

Le Comité réaffirme que les dispositions dans ce domaine sont incompatibles avec les articles 3, 6 et 7 du Pacte et recommande que la loi soit donc revue afin de prévoir des exceptions à l'interdiction et à la répression de l'avortement.

21.Le Comité est préoccupé par les plaintes qu'il a reçues faisant état de cas de stérilisation involontaire, en particulier sur des femmes autochtones des zones rurales et des femmes des groupes les plus vulnérables de la société.

L'État partie doit prendre les mesures voulues pour que les personnes qui ont recours à des méthodes de stérilisation chirurgicale le fassent en toute connaissance de cause et de leur plein gré.

22.Le Comité fixe au 31 octobre 2003 la date pour la soumission du cinquième rapport périodique du Pérou. Il demande que le texte du quatrième rapport périodique de l'État partie et les présentes observations finales soient rendus publics et soient diffusés largement au Pérou et que le prochain rapport périodique soit porté à la connaissance de la société civile et des organisations non gouvernementales qui opèrent au Pérou.

-----