Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/CO/75/GMB12 août 2004

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-unième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN VERTU DE L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

Gambie

1.Le Comité a examiné, à ses 2023e et 2024e séances (CCPR/C/SR.2023 et 2024), les 15 et 16 juillet 2002, la situation des droits civils et politiques en Gambie au regard du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en l’absence du rapport périodique de l’État partie. À sa 2035e séance (CCPR/C/SR.2035), tenue le 23 juillet 2002, il a adopté les observations finales préliminaires ci‑après, conformément au paragraphe 1 de l’article 69A de son règlement intérieur.

Introduction

2.Le Comité déplore que, malgré la note diplomatique datée du 22 mars 2002 que la Mission permanente de la Gambie a adressée au Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, et confirmée par écrit dans une communication ultérieure en date du 19 juin 2002, pour lui faire savoir qu’une délégation de haut niveau participerait à la séance du Comité, la délégation gambienne ne s’est pas présentée. Le Comité rappelle qu’il avait auparavant accepté, à la demande de l’État partie, de reporter l’examen de la situation du pays, l’État partie s’étant engagé à dépêcher une délégation à la réunion. Dans ces circonstances, le désistement de dernière minute de la délégation gambienne est un motif de grave préoccupation. Le Comité déplore en outre que l’État partie ait manqué à ses obligations découlant de l’article 40 du Pacte en ne lui soumettant aucun rapport depuis avril 1983 (CCPR/C/10/Add.7), en dépit de nombreux rappels. Un tel manquement constitue une violation grave des obligations de l’État partie découlant de l’article 40 du Pacte.

Aspects positifs

3.Le Comité note que l’État partie a facilité les visites à la prison de Mile Two du Comité international de la Croix-Rouge, de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples et du Rapporteur spécial de celle‑ci chargé de la question des conditions de détention et des conditions dans les prisons.

Principaux sujets de préoccupation et observations provisoires

4.Le chapitre 4 de la Constitution gambienne contient diverses dispositions qui sont compatibles avec celles du Pacte; le Comité note toutefois que de nombreuses divergences subsistent entre le Pacte et les dispositions de la Constitution, en particulier aux articles 19, 21 et 35. Les dispositions des articles 10, 11, 13, 16 et 20 du Pacte ne semblent pas avoir de pendant dans la Constitution. Le Comité est préoccupé par le fait que, d’une manière générale, l’application de la Constitution elle‑même paraît entravée par plusieurs décrets pris par le Conseil de direction provisoire des forces armées (AFPRC), notamment le décret no 36 d’avril 1995; bon nombre de ces décrets, qui sont contraires à la Constitution gambienne comme au Pacte, sont toujours en vigueur.

L’État partie devrait rendre ses lois conformes aux dispositions du Pacte.

5.La section 2 qui a été ajoutée à l’article 13 de la Constitution confère en effet une immunité rétroactive aux membres du Conseil de direction provisoire des forces armées (AFPRC). Un tel état de fait est incompatible avec l’article 2 du Pacte qui consacre le droit à un recours utile.

L’État partie devrait abroger la section 2 de l’article 13 de la Constitution.

6.Le Comité demeure préoccupé par l’adoption de la loi de 2001 portant modification de la loi sur l’indemnisation (Indemnity Amendment Act), qui confère une immunité totale aux membres des forces de sécurité qui ont réprimé les manifestations qui ont eu lieu à Banjul et à Brikama en avril 2000.

L’État partie devrait abroger cette loi, dont les dispositions sont contraires à l’article 2 du Pacte, et dont la constitutionnalité est contestée, et permettre que le recours pendant devant les tribunaux gambiens suive son cours.

7.Le Comité se déclare préoccupé par les allégations selon lesquelles les forces de sécurité ont fait un usage excessif de la force, parfois de la force meurtrière, notamment lorsqu’elles ont dispersé les manifestations d’étudiants qui ont eu lieu à Banjul, à Brikama et dans d’autres villes en avril 2000 et lors de la campagne présidentielle en automne 2001. Il est également préoccupé par des rapports faisant état d’un nombre considérable d’exécutions extrajudiciaires commises par les forces de sécurité depuis 1995.

L’État partie devrait enquêter sans retard sur les allégations faisant état d’un emploi excessif de la force par les forces de sécurité, en particulier de la force meurtrière, ainsi que d’exécutions extrajudiciaires, et traduire en justice les responsables de tels actes. Les forces de sécurité doivent recevoir pour consigne d’agir d’une manière compatible avec les articles 6 et 7 du Pacte.

8.Eu égard au paragraphe 6 de l’article 6 du Pacte, le Comité note avec préoccupation que la peine de mort a été rétablie en août 1995, après avoir été abolie en 1993. Il semble que le droit gambien n’interdise pas la peine de mort pour des crimes commis par des mineurs de moins de 18 ans. De plus, les crimes passibles de la peine de mort ne semblent pas tous faire partie des «crimes les plus graves» au sens du paragraphe 2 de l’article 6. Le Comité note par ailleurs avec préoccupation que la peine de mort a été prononcée à diverses reprises ces dernières années, bien que ces sentences n’aient apparemment pas été exécutées.

L’État partie devrait fournir au Comité des renseignements détaillés sur les crimes passibles de la peine capitale, sur le nombre de sentences de mort qui ont été prononcées depuis 1995 et sur le nombre de prisonniers qui se trouvent actuellement dans le couloir des condamnés à mort.

9.Le Comité se déclare gravement préoccupé par les nombreuses allégations faisant état de tortures et de mauvais traitements infligés à des détenus, particulièrement lorsqu’ils sont gardés au secret, en violation des articles 7 et 10 du Pacte.

Toutes les allégations faisant état de mauvais traitements et de tortures infligés à des détenus doivent sans tarder faire l’objet d’une enquête par un organe indépendant, et les responsables de tels actes devraient être poursuivis et sanctionnés comme il convient.

10.Le Comité constate avec préoccupation que les mutilations sexuelles féminines continuent d’être pratiquées très largement sur le territoire de l’État partie et ce, en dépit de l’adoption, en mars 1997, du premier plan d’action national pour l’éradication des mutilations sexuelles féminines. Le Comité réaffirme que cette pratique est contraire à l’article 7 du Pacte.

L’État partie devrait prendre sans tarder des mesures sur le plan juridique et dans le domaine de l’éducation pour lutter contre la pratique des mutilations sexuelles féminines. Au lieu de censurer les émissions de radio et de télévision visant à combattre cette pratique, il conviendrait de les rétablir et de les encourager.

11.D’après les informations portées à l’attention du Comité, de nombreux opposants politiques, des journalistes indépendants et des défenseurs des droits de l’homme ont été arrêtés arbitrairement et détenus pendant des périodes d’une durée variable sans qu’aucun chef d’accusation ne soit retenu contre eux. Dans de nombreux cas, ces actes ont été commis par l’Agence nationale de renseignement (NIA) en application de décrets adoptés par l’AFPRC qui légitiment la pratique de la détention sans chef d’accusation et sans jugement. Le Comité a appris d’autre part que la NIA continuait d’avoir recours à la détention au secret. Cette pratique est contraire à l’article 9 du Pacte.

L’État partie devrait faire en sorte que toutes les personnes arrêtées et détenues se voient dûment notifier les chefs d’accusation retenus contre elles et soient traduites en justice sans tarder ou soient relâchées. Les personnes qui ont fait l’objet de mesures d’arrestation et de détention arbitraires devraient bénéficier d’un recours judiciaire approprié, sous la forme d’une indemnisation.

12.D’après les informations dont dispose le Comité, les conditions de détention dans la prison de Mile Two ne sont pas compatibles avec les dispositions de l’article 10 du Pacte et certaines catégories de prisonniers, en particulier les prisonniers politiques, sont soumis à un traitement particulièrement dur contraire à l’article 7 du Pacte.

L’État partie devrait fournir des informations détaillées sur les conditions de détention dans la prison de Mile Two et faire en sorte que ces conditions soient conformes aux articles 7 et 10 du Pacte ainsi qu’à l’Ensemble de règles minima des Nations Unies pour le traitement des détenus.

13.Le Comité regrette de ne pas avoir été saisi du Code de procédure pénale. Toutefois, il note que les décrets no 45 (1995) et no 66 (1996) de l’AFPRC, qui portent à 90 jours la durée de la détention provisoire et qui sont toujours en vigueur, ne sont compatibles ni avec les dispositions de la Constitution régissant l’arrestation et la détention (art. 19, al. 2 et 3 de la Constitution) ni avec le Pacte (art. 9).

L’État partie devrait abroger les décrets n os  45 et 66. Il est prié d’indiquer si la disposition de la Constitution, qui prévoit que toute personne arrêtée doit être traduite devant un juge ou une autorité judiciaire dès que possible ou 72 heures après son arrestation au plus tard, est systématiquement appliquée dans la pratique. Le Comité estime que le délai de 72 heures est difficilement compatible avec les dispositions du paragraphe 3 de l’article 9 du Pacte.

14.Le Comité constate avec préoccupation que les détenus qui sont des opposants au Gouvernement et qui font l’objet de poursuites pénales ne bénéficient pas toujours de toutes les garanties d’un procès équitable et que certains ont été jugés par des tribunaux militaires, qui échappent aux dispositions de la Constitution. En outre, il déplore que, bien que l’inamovibilité des juges soit inscrite dans la Constitution, des juges aient, selon les informations, été démis de leurs fonctions de façon expéditive dans plusieurs affaires.

L’État partie devrait veiller à ce que toutes les personnes qui font l’objet de poursuites pénales bénéficient d’un procès qui soit pleinement conforme aux dispositions du Pacte. Il est invité à garantir l’inamovibilité des juges. Il est en outre invité à expliquer quels sont les principes qui régissent la mise en place et le fonctionnement des tribunaux militaires, et à indiquer si le fonctionnement de ces tribunaux militaires est de quelque façon que ce soit lié à l’existence d’un état d’urgence.

15.Le Comité note avec préoccupation que l’État partie a retiré leur passeport à plusieurs opposants politiques pour les empêcher de quitter le pays.

L’État partie devrait respecter les droits garantis par l’article 12 du Pacte.

16.Le Comité se dit préoccupé par la discrimination systémique à l’encontre des femmes:

a)L’article 33, paragraphe 5 c) et d), de la Constitution déroge au principe général de la non‑discrimination; les fillettes font l’objet d’une discrimination dans le domaine de l’éducation; les femmes sont victimes d’une discrimination pour les questions relatives au divorce, lequel n’est autorisé que dans de rares circonstances; elles font en outre l’objet d’une discrimination en matière d’héritage;

b)Selon les informations dont dispose le Comité, la participation des femmes à la vie politique ainsi qu’à l’emploi dans les secteurs public et privé est particulièrement insuffisante;

c)Il n’existe, semble‑t‑il, aucune loi appropriée pour protéger les femmes contre la violence au sein de la famille.

L’État partie devrait prendre les mesures voulues pour faire en sorte que la législation interne (y compris les décrets) et le droit coutumier ainsi que certains aspects de la charia soient interprétés et appliqués d’une manière conforme aux dispositions du Pacte. Il devrait garantir l’égalité entre les femmes et les hommes dans les domaines de l’éducation et de l’emploi.

17.Le Comité est préoccupé par le fait que la criminalisation de l’avortement, même lorsque la grossesse met en danger la vie de la mère ou résulte d’un viol, conduit à pratiquer l’avortement dans des conditions dangereuses, ce qui contribue à un taux élevé de mortalité maternelle. Le Comité regrette l’absence d’informations de l’État partie sur les services de santé proposés aux femmes, en particulier en ce qui concerne la santé de la reproduction et la planification familiale.

Le Comité recommande que la législation soit modifiée de façon à prévoir des dérogations à l’interdiction générale des avortements.

18.Le Comité demeure préoccupé par la persistance et l’ampleur de la pratique de la polygamie, et par la différence entre les garçons et les filles quant à l’âge du mariage.

L’État partie devrait faire le nécessaire pour que la pratique de la polygamie soit découragée. Il devrait modifier sa législation autorisant le mariage précoce des filles et des garçons à différents âges.

19.Le Comité considère que la législation adoptée en mai 2002, portant création d’une commission nationale sur les médias habilitée à ordonner la détention de journalistes et à infliger de lourdes amendes aux journalistes, est incompatible avec les articles 9 et 19 du Pacte. La procédure suivie par cette Commission pour l’accréditation des journalistes est également incompatible avec l’article 19.

L’État partie est invité à réviser la législation susmentionnée, en vue de la rendre conforme aux dispositions des articles 9 et 19 du Pacte.

20.Tout en notant que la Constitution protège le droit à la liberté d’expression, le Comité constate avec préoccupation que de nombreux journalistes ont fait l’objet d’actes d’intimidation et de harcèlement, et ont été parfois détenus sans chef d’inculpation, pour avoir publié des articles critiques à l’égard du Gouvernement. Le recours aux procédures en diffamation à l’encontre de journalistes pour des motifs analogues est également une source de préoccupation (art. 19 du Pacte).

L’État partie devrait garantir la liberté d’opinion et d’expression des médias indépendants. Les journalistes qui ont fait l’objet de mesures de détention arbitraire devraient se voir accorder un recours judiciaire utile et une réparation.

21.De l’avis du Comité, la fermeture de stations de radio indépendantes ainsi que la possibilité, en vertu du décret no 71 (1996), d’infliger de lourdes amendes aux journaux indépendants qui ne s’enregistrent pas chaque année comme ils sont tenus de le faire aux termes de la loi de 1994 sur la presse et qui ne versent pas le dépôt de garantie exigé conformément au décret no 70 (1996) dénotent des restrictions injustifiables à la liberté de pensée et d’expression et un harcèlement systématique des médias indépendants.

L’État partie devrait revoir le système d’enregistrement des journaux indépendants et abroger les décrets n os  70 et 71, pour mettre sa réglementation relative à la presse en conformité avec les articles 18 et 19 du Pacte.

22.Le Comité constate avec préoccupation que le droit de se réunir librement est soumis à des restrictions qui vont au‑delà de ce qui est autorisé en vertu de l’article 21 du Pacte et que ces restrictions, notamment le refus d’autoriser la tenue de réunions, visent en particulier l’opposition politique au Gouvernement.

L’État partie devrait faire en sorte que les dispositions de l’article 21 soient pleinement respectées et ce, sur une base non discriminatoire.

23.Bien que le décret no 89 (1996), qui interdisait l’activité des partis politiques, ait été abrogé en juillet 2001, le Comité constate avec préoccupation que les partis d’opposition sont systématiquement désavantagés et victimes de discrimination dans leurs activités, la possibilité de diffuser des programmes de radio ou de télévision leur étant, par exemple, refusée ou étant soumise à d’importantes restrictions.

L’État partie devrait traiter tous les partis politiques sur un pied d’égalité et leur fournir des possibilités égales de poursuivre leurs activités légitimes, conformément aux dispositions des articles 25 et 26 du Pacte.

24.Eu égard aux informations quant à la pluralité des groupes ethniques, des religions et des langues en Gambie, le Comité est préoccupé par l’affirmation de l’État partie, faite lors de l’examen de son rapport initial, selon laquelle il n’y a pas de minorités en Gambie.

L’État partie est invité à rendre compte des mesures prises pour appliquer l’article 27 du Pacte.

25.Le Comité invite l’État partie à lui communiquer ses réponses sur les préoccupations exprimées dans les présentes observations finales préliminaires avant le 31 décembre 2002. À cet égard, il encourage l’État partie à solliciter la coopération technique des organes des Nations Unies compétents, en particulier du Haut‑Commissariat aux droits de l’homme, pour l’aider à s’acquitter de son obligation de faire rapport en vertu du Pacte.

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