Pacte international relatif aux droits civilset politiques

Distr.

GÉNÉRALE

CCPR/CO/79/LKA

1er décembre 2003

FRANÇAIS

Original: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Soixante‑dix‑neuvième session

EXAMEN DES RAPPORTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES EN VERTU DE L’ARTICLE 40 DU PACTE

Observations finales du Comité des droits de l’homme

SRI LANKA

1.Le Comité des droits de l’homme a examiné les quatrième et cinquième rapports périodiques de Sri Lanka (CCPR/C/LKA/2002/4) à ses 2156e et 2157e séances, tenues le 31 octobre et le 3 novembre 2003 (voir documents CCPR/C/SR.2156 et 2157). Il a adopté les observations finales ci‑après à sa 2164e séance (CCPR/C/SR.2164), tenue le 6 novembre 2003*.

A. Introduction

2.Le Comité note que le rapport a été présenté avec un retard considérable et regroupe les quatrième et cinquième rapports périodiques de Sri Lanka. Il constate que le rapport contient des renseignements détaillés sur la législation interne et la jurisprudence nationale pertinente dans le domaine des droits civils et politiques mais regrette qu’il ne fournisse pas toutes les informations voulues quant à la suite donnée aux observations finales adoptées par le Comité à l’issue de l’examen du précédent rapport de Sri Lanka. Le Comité se félicite des discussions avec la délégation et prend note des réponses aussi bien orales qu’écrites apportées à ses questions.

B. Aspects positifs

3.Le Comité se félicite de la signature, le 24 février 2002, d’un accord de cessez‑le‑feu entre le Gouvernement sri‑lankais et les LTTE (Tigres de libération de l’Eelam tamoul) et exprime l’espoir que l’application et le suivi de cet accord contribueront à une solution pacifique et durable d’un conflit qui a été à l’origine de graves violations des droits de l’homme par les deux parties.

4.Le Comité se félicite de la mise en place de la Commission nationale des droits de l’homme en mars 1997. Il note que la Commission a commencé à contribuer activement à la promotion et à la protection des droits de l’homme dans le cadre du processus de paix. Il exprime l’espoir que les activités de suivi et d’éducation de la Commission, notamment celles prévues dans le cadre du plan stratégique pour 2003‑2006, recevront les ressources requises.

5.Le Comité note les mesures prises par l’État partie pour mieux sensibiliser les agents de l’État et les membres des forces armées aux normes relatives aux droits de l’homme et faciliter les enquêtes sur les violations de ces droits. Ces mesures visent à améliorer l’éducation dans le domaine des droits de l’homme destinée à tous les agents de la force publique, à tous les membres des forces armées et à l’ensemble du personnel pénitentiaire, à mettre en place un registre central des détenus dans toutes les régions du pays et à créer une commission nationale de la police.

6.Le Comité se félicite de la ratification par l’État partie du Protocole facultatif se rapportant au Pacte en octobre 1997 et de la tenue d’un atelier de formation à la procédure prévue dans le Protocole facultatif organisé conjointement par la Commission nationale des droits de l’homme et le Programme des Nations Unies pour le développement en décembre 2002.

C. Principaux sujets de préoccupation et recommandations

7.Tout en prenant note de la réforme constitutionnelle et du projet d’examen de la législation entrepris par la Commission nationale des droits de l’homme, le Comité demeure préoccupé par le fait que le système juridique sri‑lankais ne contienne toujours pas de dispositions couvrant tous les droits fondamentaux visés dans le Pacte ou toutes les garanties nécessaires pour empêcher que des droits consacrés par le Pacte fassent l’objet de restrictions allant au‑delà des limites autorisées au titre du Pacte. Il regrette en particulier que le droit à la vie ne soit pas expressément mentionné en tant que droit fondamental au chapitre III de la Constitution de Sri Lanka même si la Cour suprême a, en interprétant les textes, fait découler la protection de ce droit d’autres dispositions de la Constitution. Il note également avec préoccupation qu’en violation des principes consacrés par le Pacte (par exemple le principe de non‑discrimination), les non‑citoyens sont privés de certains droits garantis par cet instrument sans aucune justification. Il demeure préoccupé par les dispositions du paragraphe 1 de l’article 16 de la Constitution qui font que certaines lois en vigueur demeurent valides et effectives en dépit de leur incompatibilité avec les dispositions de la Constitution concernant certains droits fondamentaux. Il n’existe aucun mécanisme pour contester un texte législatif incompatible avec les dispositions du Pacte (art. 2 et 26). Le Comité considère que le fait de limiter à un mois le délai imparti pour contester la validité ou la légalité de toute mesure «émanant de l’administration ou du pouvoir exécutif» compromet la mise en œuvre des droits de l’homme, encore que la Cour suprême ait considéré que le délai d’un mois ne s’appliquait pas lorsqu’il existait des circonstances impérieuses.

L’État partie devrait faire en sorte que sa législation donne pleinement effet aux droits reconnus dans le Pacte et que le droit interne soit harmonisé avec les obligations découlant du Pacte.

8.Le Comité note avec préoccupation que l’article 15 de la Constitution autorise des restrictions (autres que celles qui sont énoncées aux articles 10 et 11 et aux paragraphes 3 et 4 de l’article 13) à l’exercice des droits fondamentaux consacrés dans son chapitre III, qui vont au‑delà de ce qui est autorisé en vertu des dispositions du Pacte et en particulier du paragraphe 1 de son article 4. Il juge également préoccupant le fait que l’article 15 de la Constitution permette de déroger à l’article 15 du Pacte, qui n’est susceptible d’aucune dérogation, en donnant la possibilité de restreindre le droit de ne pas faire l’objet de sanction rétroactive (par. 6 de l’article 13 de la Constitution).

L’État partie devrait mettre les dispositions du chapitre III de la Constitution en conformité avec les articles 4 et 15 du Pacte.

9.Le Comité demeure préoccupé par les informations persistantes faisant état d’actes de torture et de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés à des détenus par des agents de la force publique et des membres des forces armées et par le fait que la définition restrictive de la torture figurant dans la loi de 1994 sur la Convention contre la torture continue de soulever des problèmes au regard de l’article 7 du Pacte. Il regrette que la plupart des poursuites engagées contre des membres de la police ou des forces armées pour enlèvement et détention illégale ainsi que pour des actes de torture n’aient pas abouti faute de preuves satisfaisantes et de témoins, en dépit de l’existence de plusieurs cas reconnus d’enlèvement et/ou de détention illégale et/ou de torture et que rares sont les policiers ou les officiers de l’armée qui ont été reconnus coupables et punis. Le Comité note également avec préoccupation les informations selon lesquelles les victimes de violations des droits de l’homme ont peur de déposer plainte ou ont fait l’objet d’actes d’intimidation et/ou de menaces qui les ont découragées de se prévaloir de recours appropriés pour obtenir réparation (art. 2 du Pacte).

L’État partie devrait adopter des mesures législatives et autres pour empêcher de telles violations conformément aux articles 2, 7 et 9 du Pacte et faire en sorte que la législation soit dûment appliquée. Il devrait veiller en particulier à ce que soient menées rapidement et efficacement des enquêtes sur les allégations faisant état de crimes commis par les forces de sécurité de l’État, notamment les allégations de torture, d’enlèvement et de détention illégale, en vue de poursuivre les auteurs. La procédure de recours de la Commission nationale de la police devrait être appliquée dès que possible. Les autorités devraient enquêter avec diligence sur tous les cas présumés d’intimidation de témoins et mettre en place un programme de protection des témoins afin d’en finir avec le climat de peur qui entoure les enquêtes et les poursuites relatives à de tels cas. Les moyens dont dispose la Commission nationale des droits de l’homme pour enquêter sur les violations présumées des droits de l’homme et poursuivre leurs auteurs devraient être renforcés.

10.Le Comité est préoccupé par le grand nombre de disparitions forcées ou involontaires de personnes pendant le conflit armé, et en particulier par l’incapacité ou la passivité de l’État partie pour ce qui est d’identifier les responsables et de les traduire en justice. Cette situation, s’ajoutant à la réticence des victimes à déposer plainte ou à aller jusqu’au bout de la procédure une fois qu’une plainte a été déposée (voir par. 9 ci‑dessus), crée un climat propice à une culture de l’impunité.

Il est demandé instamment à l’État partie de faire respecter pleinement le droit à la vie et à l’intégrité physique de toutes les personnes (art. 6, 7, 9 et 10, en particulier) et de donner effet aux recommandations formulées en la matière par le Groupe de travail sur les disparitions forcées ou involontaires de la Commission des droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies et par les commissions présidentielles d’enquête sur les disparitions forcées ou involontaires. Il convient d’allouer à la Commission nationale des droits de l’homme des ressources suffisantes pour lui permettre de suivre les enquêtes et les poursuites dans tous les cas de disparition.

11.Tout en constatant que les châtiments corporels ne sont plus imposés par les tribunaux depuis une vingtaine d’années, le Comité se déclare préoccupé par le fait qu’ils soient encore autorisés par la loi et qu’ils soient encore utilisés dans les prisons en tant que sanction disciplinaire. En outre, en dépit des directives publiées par le Ministère de l’éducation en 2001, ce type de châtiment est encore pratiqué dans les écoles (art. 7).

L’État partie est exhorté à abolir toutes les formes de châtiments corporels dans la loi et à faire effectivement appliquer ces mesures dans les écoles primaires et secondaires et dans les prisons.

12.Le Comité note avec inquiétude que l’avortement demeure une infraction pénale en droit sri‑lankais sauf s’il est pratiqué pour sauver la vie de la mère. Il est également préoccupé par le nombre élevé d’avortements effectués dans des conditions dangereuses, qui mettent en péril la vie et la santé des mères concernées, en violation des articles 6 et 7 du Pacte.

L’État partie devrait faire en sorte que les femmes ne soient pas obligées de mener des grossesses à terme lorsque c’est incompatible avec les obligations découlant du Pacte (art. 7 et Observation générale nº 28) et abroger les dispositions érigeant en infraction pénale l’interruption de grossesse.

13.Le Comité note avec préoccupation que la loi sur la prévention du terrorisme demeure en vigueur et que plusieurs de ses dispositions sont incompatibles avec le Pacte (art. 4, 9 et 14). Il se félicite de la décision du Gouvernement, conforme à l’accord de cessez‑le‑feu de février 2002, de ne pas appliquer les dispositions de la loi sur la prévention du terrorisme et de faire en sorte que la procédure normale prévue par le Code de procédure pénale en cas d’arrestation, de détention et d’enquête, soit suivie. Le Comité note aussi avec préoccupation que le maintien de la loi sur la prévention du terrorisme a pour effet d’autoriser les arrestations sans mandat et la détention pendant une période minimale de 72 heures sans que la personne ne soit présentée à un tribunal (art. 7), et par la suite pendant une période allant jusqu’à 18 mois sur la base d’une décision administrative émanant du Ministre de la défense (art. 9). Il n’existe aucune disposition législative faisant obligation à l’État d’informer le détenu des raisons de son arrestation; qui plus est, la légalité d’une ordonnance de maintien en détention émanant du Ministre de la défense ne peut être contestée devant les tribunaux. En outre, la loi sur la prévention du terrorisme enlève aux juges le pouvoir d’ordonner la libération sous caution ou de prononcer une condamnation avec sursis et oblige l’accusé à apporter la preuve que des aveux ont été obtenus sous la contrainte. Le Comité note avec préoccupation que de telles dispositions, qui sont incompatibles avec le Pacte, demeurent applicables au regard de la loi et qu’il est également envisagé de les incorporer au projet de loi sur la prévention de la criminalité organisée de 2003.

Il est demandé instamment à l’État partie de veiller à ce que l’ensemble de sa législation et d’autres mesures prises pour lutter contre le terrorisme soient compatibles avec les dispositions du Pacte. Les dispositions de la loi sur la prévention du terrorisme visant à lutter contre le terrorisme ne devraient pas être incluses dans le projet de loi sur la prévention de la criminalité organisée, dans la mesure où elles sont incompatibles avec le Pacte.

14.Le Comité est préoccupé par les allégations répétées de traite d’êtres humains dans l’État partie, en particulier la traite d’enfants (art. 8).

L’État partie devrait poursuivre vigoureusement sa politique publique visant à lutter contre la traite d’enfants à des fins d’exploitation par le travail et d’exploitation sexuelle, en particulier grâce à la mise en œuvre effective de tous les éléments du Plan national d’action adopté pour mettre en œuvre cette politique.

15.Le Comité note avec préoccupation que la surpopulation demeure un problème grave dans de nombreux établissements pénitentiaires, et qu’elle s’accompagne d’effets néfastes inévitables sur les conditions de détention dans ces établissements (art. 10).

L’État partie devrait prendre les mesures qui s’imposent pour réduire la surpopulation dans les prisons, notamment en recourant à des peines alternatives. Des ressources suffisantes devraient être accordées à la Commission nationale des droits de l’homme afin de lui permettre de surveiller efficacement la situation dans les prisons.

16.Le Comité se déclare préoccupé par le fait que la procédure de destitution des juges de la Cour suprême et des cours d’appel énoncée à l’article 107 de la Constitution, lue conjointement avec le Règlement intérieur du Parlement, est incompatible avec l’article 14 du Pacte en ce sens qu’elle permet au Parlement d’exercer un contrôle considérable sur la procédure de destitution des juges.

L’État partie devrait renforcer l’indépendance de la magistrature en prévoyant la supervision et le contrôle judiciaires, plutôt que parlementaires, de la conduite des magistrats.

17.Tout en se félicitant que les dispositions légales relatives à la diffamation aient été abrogées, le Comité note avec préoccupation que les programmes de la radio et de la télévision publiques continuent d’être plus largement diffusés que ceux des stations privées, même si le Gouvernement a pris des initiatives concernant les médias, notamment en abrogeant la législation sur le contrôle public des médias, en modifiant la loi relative à la sécurité nationale et en créant une commission des plaintes contre la presse (art. 19).

L’État partie est exhorté à protéger le pluralisme des médias et à éviter un monopole d’État dans ce domaine, qui compromettrait le principe de la liberté d’expression consacré à l’article 19 du Pacte. L’État partie devrait prendre des mesures pour assurer l’impartialité de la Commission des plaintes contre la presse.

18.Le Comité est préoccupé par des rapports persistants selon lesquels des personnes travaillant dans les médias et des journalistes sont victimes de harcèlement, et par le fait que la majorité des allégations de violation de la liberté d’expression ont été ignorées ou rejetées par les autorités compétentes. Le Comité observe qu’il est fréquent de constater que la police et d’autres administrations publiques ne semblent pas prendre les mesures de protection nécessaires pour lutter contre de telles pratiques (art. 7, 14 et 19).

L’État partie devrait prendre les mesures qui s’imposent pour prévenir tous les cas de harcèlement de personnes travaillant dans les médias et de journalistes et veiller à ce que ces affaires fassent l’objet d’une enquête approfondie, impartiale et diligentée sans retard, et à ce que les responsables soient poursuivis.

19.Tout en se félicitant de l’adoption, depuis 1995, de dispositions législatives visant à améliorer la condition de la femme, le Comité demeure préoccupé par la contradiction entre les garanties constitutionnelles des droits fondamentaux et le maintien de divers aspects de lois relatives aux personnes qui établissent une discrimination à l’égard des femmes, en ce qui concerne le mariage, notamment l’âge du mariage, le divorce et la dévolution successorale (art. 3, 23, 24 et 26).

L’État partie devrait mener à bien le processus d’examen et de réforme législatifs de toutes les lois discriminatoires actuellement en cours, de manière à les rendre conformes aux articles 3, 23, 24 et 26 du Pacte.

20.Le Comité déplore le niveau élevé de violence contre les femmes, notamment la violence familiale. Il regrette que la législation spécifiquement destinée à lutter contre la violence familiale n’ait pas encore été adoptée, et il observe avec préoccupation que le viol conjugal n’est érigé en infraction que dans le cas d’une séparation de corps (art. 7).

L’État partie est exhorté à promulguer sans délai une législation appropriée qui soit conforme au Pacte. Il devrait ériger le viol conjugal en infraction pénale quelles que soient les circonstances dans lesquelles il est commis. Il est également engagé à entreprendre des campagnes de sensibilisation sur la violence contre les femmes.

D. Diffusion d’informations sur le Pacte (art. 2)

21.Le cinquième rapport périodique devrait être établi conformément aux directives du Comité pour l’établissement des rapports (CCPR/C/66/GUI/Rev.1) et présenté d’ici au 1er novembre 2007. L’État partie devrait veiller tout particulièrement à y indiquer les mesures prises pour donner effet aux présentes observations finales. Le Comité demande que le texte du quatrième rapport périodique de l’État partie et les présentes observations finales soient publiés et largement diffusés dans le pays.

22.Conformément au paragraphe 5 de l’article 70 du règlement intérieur du Comité, l’État partie devrait fournir dans les 12 prochains mois des informations sur la suite qu’il aura donnée aux recommandations du Comité figurant aux paragraphes 8, 9, 10 et 18. Le Comité invite l’État partie à lui communiquer dans son prochain rapport périodique des renseignements sur la suite donnée aux autres recommandations et sur l’application du Pacte dans son ensemble.

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