NATIONS UNIES

CAT

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr.GÉNÉRALE

CAT/C/SR.72610 janvier 2007

Original: FRANÇAIS

COMITÉ CONTRE LA TORTURE

Trente‑septième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 726e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mardi 7 novembre 2006, à 10 heures

Président: M. MAVROMMATIS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION

Rapport initial du Tadjikistan

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES EN APPLICATION DE L’ARTICLE 19 DE LA CONVENTION (point 6 de l’ordre du jour)

Rapport initial du Tadjikistan (CAT/C/TJK/1; HRI/CORE/1/Add.28)

1. Sur l’invitation du Président, la délégation tadjike prend place à la table du Comité.

2.M. KHAMIDOV (Tadjikistan) remercie le Comité de donner à sa délégation l’occasion d’engager avec lui un dialogue constructif, dont il espère qu’il marquera le début d’une longue et fructueuse collaboration. Il réaffirme l’engagement du Tadjikistan en faveur de la protection des droits de l’homme et son adhésion aux principes du droit international, notamment celui de l’interdiction de la torture. Le Tadjikistan a ratifiéla Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants en 1994, alors que la guerre civile faisait rage et que le pays était en plein marasme économique. Ce fut l’une des premières mesures prises par le Gouvernement pour mener progressivement le pays vers un État démocratique respectueux des droits de l’homme. En vertu de la Constitution, l’inviolabilité de la personne est garantie par l’État et nul ne peut être soumis à la torture ni à des traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Tadjikistan s’emploie à réformer son système de justice de manière à renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire et à améliorer le statut des organes responsables de l’application des lois en général afin d’assurer le respect des droits et libertés de tous. L’application de la peine de mort a été suspendue en application de la loi no 45 du 15 juillet 2004 et de la loi no 46 du 15 juillet 2004 portant modification du Code pénal. En décembre 2003, un programme quadriennal de réforme du système pénal tadjik a été adopté en vue d’assouplir l’application des peines, de garantir le respect des droits des condamnés et d’améliorer les conditions de détention. Une réforme du système pénitentiaire a été engagée, de sorte que celui‑ci ne relève plus du Ministère de l’intérieur mais du Ministère de la justice. Ces quelques exemples illustrent les efforts fournis par le Tadjikistan pour se conformer progressivement aux normes internationales. Le rapport initial soumis au Comité couvre la période allant de 2000 à 2004. Il a été élaboré en collaboration avec de nombreuses organisations non gouvernementales et dresse un tableau aussi réaliste et exhaustif que possible de l’application par le Tadjikistan des dispositions de la Convention contre la torture.

3.Mme GAER (Rapporteuse pour le Tadjikistan) félicite la délégation pour la richesse du rapport initial soumis au Comité et le souci d’objectivité dont il témoigne. Elle souhaiterait des précisions sur les modalités selon lesquelles le Gouvernement a collaboré avec les organisations non gouvernementales à l’établissement de ce rapport. Elle regrette que celui‑ci rende compte uniquement des faits survenus depuis 2000 et non depuis 1995, année de l’entrée en vigueur de la Convention contre la torture pour le Tadjikistan. Elle prend note des nombreuses difficultés auxquelles le pays a été confronté en raison de la guerre civile et de ses conséquences ainsi que du fait que l’État partie reconnaît qu’aucune circonstance ne justifie le recours à la torture, conformément à l’article 2 de la Convention. Elle demande si l’amnistie qui a été prononcée après la fin du conflit s’appliquait également aux crimes de torture et, dans l’affirmative, combien d’auteurs de tels crimes ont été amnistiés.

4.L’État partie indique dans son document de base (HRI/CORE/1/Add.128) que les questions relatives à la protection des droits de l’homme relèvent notamment de la Cour constitutionnelle, du parquet et du Ministère de la justice, mais aussi du Ministère de la sûreté, lequel est chargé d’assurer la sécurité des personnes et le respect de leurs droits et libertés, conformément à la Constitution et aux lois du Tadjikistan ainsi qu’aux normes du droit international universellement reconnues (par. 59). Le rapport initial ne donne pas de précision concernant le rôle que joue le Ministère de la sûreté dans l’application de la Convention contre la torture pas plus que sur ses relations avec les autres ministères exerçant des responsabilités dans le domaine des droits de l’homme. Il serait intéressant d’entendre la délégation à ce sujet. Il est également dit au paragraphe 47 du document de base que les juges sont nommés et relevés de leurs fonctions par le Président sur proposition du Conseil de la justice. Il serait utile de savoir comment sont désignés les membres du Conseil de la justice et comment l’indépendance de celui-ci est garantie.

5.Il est dit au paragraphe 1 du rapport initial que la législation est en cours d’amélioration pour refléter le principe constitutionnel qui veut que les droits de l’homme aient la primauté. Il serait intéressant de savoir comment ce principe se traduit dans la pratique. Des informations actualisées concernant la réforme législative en cours seraient également les bienvenues. L’article 10 de la Constitution, l’article premier du Code pénal et l’article 4 de la loi sur les traités internationaux stipulent qu’en cas de conflit entre la législation nationale et des instruments juridiques internationaux, ce sont les seconds qui l’emportent (par. 3, 24 et 97 du rapport). Ces dispositions ont‑elles déjà été appliquées dans la pratique?

6.L’article 117 du Code pénal interdit la torture, qu’il définit comme le fait d’infliger une souffrance physique ou mentale en vue de contraindre une personne à témoigner ou à effectuer une quelconque action contre sa propre volonté, ou en guise de châtiment ou à une quelconque autre fin (par. 12). Il ne limite donc pas expressément la torture aux actes commis par des agents de l’État dans l’exercice de leurs fonctions officielles. Or, dans la pratique, les agents de l’État semblent n’être sanctionnés que pour des actes commis dans l’exercice de leurs fonctions. Dans ce contexte, il ne semble pas garanti que la responsabilité pénale des agents de l’État puisse être engagée pour des actes de torture au titre de l’article 117 du Code pénal. Il serait par conséquent utile de savoir si des sanctions ont été appliquées à des agents de l’État en vertu de cet article et, dans l’affirmative, dans combien de cas. En outre, il semblerait que des sanctions aient dans plusieurs cas été prises à l’égard d’agents de l’État au titre de l’article 316 (relatif à l’abus de pouvoir) et à l’article 354 (relatif à l’usage de la coercition par une personne effectuant une enquête préliminaire ou une investigation antérieure au jugement ou par une personne administrant la justice, en vue d’obtenir un témoignage) (par. 29). Il serait utile de connaître le nombre de cas dans lesquels ces dispositions ont été invoquées en justice pour sanctionner des agents de l’État ainsi que, le cas échéant, les différentes sanctions auxquelles leur application a donné lieu. Par ailleurs, la définition de la torture énoncée dans le Code pénal ne couvre pas tous les motifs figurant à l’article premier de la Convention, notamment celui de la discrimination. Comment cet aspect est-il pris en considération par l’État partie dans l’application de l’interdiction de la torture?

7.La Constitution garantit le droit des prévenus à l’assistance d’un avocat dès le moment où ils se trouvent en détention (par. 8 du rapport). Des précisions concernant le moment exact auquel une personne est considérée comme se trouvant en détention et les modalités selon lesquelles l’accès à un avocat est garanti dans la pratique seraient utiles. D’après le rapport (par. 44), les autorités judiciaires doivent réagir dans un délai de trois jours à compter de la date de réception du rapport d’enquête préliminaire ou, dans les cas exceptionnels, dans un délai de 10 jours. Quels sont ces cas exceptionnels dans lesquels la procédure peut ainsi être retardée? En outre, les expressions «enquête préliminaire» et «investigation antérieure au jugement» apparaissent dans le rapport. S’agit‑il de deux procédures distinctes? Dans l’affirmative, des précisions concernant les modalités selon lesquelles elles s’appliquent seraient les bienvenues.

8.Le paragraphe 29 du rapport contient une liste des délits en rapport avec lesquels des mesures visant à empêcher la torture et autres peines ou traitements inhumains sont prescrites. Il serait intéressant de savoir, pour chacun d’entre eux, combien de personnes et, le cas échéant, combien d’agents de l’État, ont fait l’objet de poursuites et ont été reconnus coupables.

9.Notant qu’en vertu de l’article 70 du Code de procédure pénale, les aveux ne peuvent servir de base à une accusation que s’ils sont corroborés par l’ensemble des éléments de preuve disponibles dans une procédure, Mme Gaer souhaiterait savoir comment cette disposition est appliquée dans la pratique, étant donné que les accusations seraient parfois fondées uniquement sur les aveux du suspect. Elle voudrait également savoir comment les autorités judiciaires vérifient si des déclarations de culpabilité ont été obtenues illégalement, si des agents de l’État ont déjà été poursuivis pour s’être fondés uniquement sur des aveux et si des accusés ont été acquittés pour cette raison.

10.En ce qui concerne la formation du personnel médical chargé des détenus et des suspects, Mme Gaer prie la délégation tadjike d’indiquer si les huit séminaires de formation organisés par l’Agence suisse de coopération et de développement afin de pallier les lacunes dans ce domaine (par. 163 du rapport) ont donné des résultats et si les pouvoirs publics envisagent de faire le nécessaire pour que cette formation soit inscrite dans la loi et systématiquement dispensée. En outre, la Rapporteuse demande s’il existe des statistiques montrant avec quelle fréquence des examens médicaux sont effectués dans les lieux de détention, quels détenus en bénéficient et si ces examens ont déjà révélé des traces de mauvais traitements ou de tortures. Il serait intéressant de savoir si les juges interrompent la procédure lorsqu’ils constatent directementou sur la base d’un examen médical que le suspect a été soumis à des pratiques d’interrogatoire illégales.

11.Par ailleurs, Mme Gaer souhaiterait des précisions sur la façon dont l’État partie utilise les médias électroniques et la presse traditionnelle pour dénoncer les tortionnaires et stigmatiser les actes illégaux, comme indiqué dans le rapport (par. 65). Elle invite la délégation tadjike à décrire les affaires qui ont été citées en exemple à cette fin. Par ailleurs, elle aimerait savoir si les suspects placés en garde à vue ont accès sans délai à un conseil, à un médecin ou aux membres de leur famille s’ils le demandent, et si le droit pénal prévoit des sanctions contre les agents de l’État qui entraveraient cet accès. Des exemples d’application de ces sanctions seraient, le cas échéant, les bienvenus. Il serait également intéressant de savoir si les commissariats établissent des registres contenant toutes les informations relatives aux personnes placées en garde à vue.

12.D’après le rapport du Département d’État des États‑Unis d’Amérique sur la situation des droits de l’homme au Tadjikistan, le nombre de décès en garde à vue serait extrêmement élevé. Étant donné l’absence de renseignements à ce sujet dans le rapport de l’État partie, Mme Gaer prie la délégation tadjike d’indiquer si des statistiques officielles des décès en garde à vue ont été établies et si des enquêtes ont été menées pour déterminer les causes de ces décès, en précisant quel en a été leur résultat. À ce propos, elle souhaiterait aussi savoir si le Tadjikistan envisage d’adhérer au Protocole facultatif à la Convention contre la torture, quelle est l’autorité habilitée à désigner les organisations non gouvernementales qui peuvent se rendre dans les prisons et quels sont les critères régissant leur choix. Mme Gaer voudrait en outre savoir si des institutions internationales telles que le Rapporteur spécial sur la question de la torture ou le Groupe de travail sur la détention arbitraire ont déjà demandé aux autorités tadjikes de les autoriser à inspecter les prisons. Par ailleurs, elle demande si la loi no46 de 2004 portant modification du Code pénal contient une définition de la torture conforme à celle qui figure à l’article premier de la Convention. Elle voudrait également savoir si la législation interne contient un article interdisant spécifiquement le fait d’invoquer les ordres d’un supérieur pour justifier des actes de torture.

13.En ce qui concerne la situation dans les établissements pénitentiaires, Mme Gaer prie la délégation tadjike de décrire le rôle joué par les différents ministères en matière de surveillance des prisons et d’indiquer quelle est l’autorité chargée de l’inspection des lieux de détention. Des informations sur les violences sexuelles commises dans les prisons, en particulier les prisons pour femmes mentionnées par la délégation tadjike, seraient les bienvenues. Il serait utile au Comité d’avoir des précisions sur le nombre de plaintes et de connaître les résultats des procédures engagées, le cas échéant. Enfin, la Rapporteuse voudrait savoir si la violence au foyer et la traite sont érigées en infraction dans le droit interne.

14.En ce qui concerne l’article 3 de la Convention, Mme Gaer ne voit pas bien comment les instruments juridiques internationaux ratifiés par le Tadjikistan pourraient être directement applicables sans décret d’application comme affirmé dans le rapport (par. 97). Si tel est le cas, elle souhaiterait savoir sur quelle base les tribunaux se fondent pour déterminer s’il y a ou non violation de l’article 3 de la Convention. Elle prie la délégation tadjike de donner des exemples d’affaires dans lesquelles cet article a été invoqué pour rejeter une demande d’extradition et d’indiquer si les autorités tadjikes ont déjà eu l’occasion de donner ou de demander des assurances diplomatiques, en particulier dans le cas de Muhammadruzi Iskandarov, un ressortissant tadjik qui aurait été torturé après avoir été transféré secrètement de Moscou au Tadjikistan. À cet égard, la Rapporteuse demande selon quels critères la liste de pays «sûrs» a été établie et, d’autre part, si les risques de torture ont été évalués en 2005 lorsque plusieurs ressortissants afghans ont été renvoyés dans leur pays sur décision du Ministère de la sécurité. Ces personnes ont‑elles eu la possibilité de contester la légalité de cette mesure devant les tribunaux tadjiks? Enfin, Mme Gaer demande comment les autorités tadjikes collaborent avec le Haut-Commissariat des réfugiés en matière d’accueil des réfugiés dans les zones frontalières et quelles mesures sont prises pour garantir que les dispositions de l’article 3 de la Convention soient respectées à l’égard de ces personnes.

15.En ce qui concerne l’article 4 de la Convention, la Rapporteuse voudrait savoir si les actes de bizutage commis au sein de l’armée tombent sous le coup de l’article 354 du Code pénal ou s’ils sont réprimés par d’autres dispositions et quelle est l’autorité habilitée à surveiller ces pratiques et à poursuivre les responsables. Elle demande également pourquoi, dans les affaires citées au paragraphe 115 du rapport, les intéressés ont été accusés d’avoir violé les articles 314 et 316 du Code pénal, qui ont trait à l’abus de pouvoir, alors que leurs actes semblent plutôt relever de l’article 117 dudit Code, qui porte sur les traitements cruels. En particulier, s’agissant de l’affaire S. K.  Chalishev, Mme Gaer demande à la délégation de préciser au titre de quel article du Code pénal cette personne a été condamnée à 25 ans de réclusion.

16.Constatant que l’article 354 du Code pénal ne concerne que les juges d’instruction, la Rapporteuse prie la délégation tadjike d’indiquer quelles dispositions du droit interne s’appliquent aux autres agents de la fonction publique. Il serait utile de savoir si les membres des forces de l’ordre sont systématiquement soumis à un examen effectué par un organisme indépendant lorsque leur mandat doit être reconduit. Des statistiques seraient les bienvenues sur le nombre de cas de violation des articles du Code pénal cités aux paragraphes 106 et 107 du rapport et le nombre de poursuites engagées, en précisant leur résultat et, le cas échéant, le type de peines prononcées. S’agissant des trois affaires sur lesquelles le Comité des droits de l’homme s’est penché lors de l’examen du rapport du Tadjikistan, dans lesquelles des membres de la police avaient été poursuivis pour avoir recouru à la force afin d’arracher des aveux à des suspects (voir CCPR/C/TJK/CO/4/Add.1, par. 11), Mme Gaer souhaiterait savoir quelle a été l’issue des procédures qui ont été entamées et si les victimes ont obtenu réparation.

17.À propos de l’article 5 de la Convention, la Rapporteuse demande si les tribunaux tadjiks se sont prévalus de ses dispositions pour exercer leur compétence universelle. Concernant les articles 6 à 9 de la Convention, elle prie la délégation tadjike de citer des cas d’extradition d’individus vers des pays avec lesquels le Tadjikistan a conclu des accords bilatéraux d’extradition et d’indiquer si les risques de torture ont été évalués avant le renvoi. Pour ce qui est de la coopération judiciaire, il serait intéressant de savoir si des garanties sont prévues afin de protéger les personnes placées en garde à vue et quelle est la nature de l’assistance demandée par le Tadjikistan ou accordée par ce dernier aux pays avec lesquels il a conclu un accord d’entraide judiciaire.

18.M. KOVALEV (Corapporteur pour le Tadjikistan), notant à la lecture du document de base que les questions de protection des droits de l’homme relèvent de la Cour constitutionnelle (HRI/CORE/1/Add.128, par. 55), souhaiterait que la délégation tadjike fournisse des précisions sur le rôle joué par cet organe, ainsi que des exemples concrets, étayés par des données et des statistiques, des recours dont il a été saisi. Se référant au paragraphe 63 du même document, le corapporteur demande si les dispositions des instruments internationaux auxquels le Tadjikistan est partie peuvent être directement appliquées par les tribunaux. Des précisions seraient nécessaires sur la façon dont ces instruments sont incorporés dans le droit interne.

19.À propos du paragraphe 33 du rapport de l’État partie, M. Kovalev voudrait savoir dans quels cas une personne est placée en détention provisoire sur décision judiciaire et dans quels cas elle l’est sur autorisation du Procureur. D’après des organisations non gouvernementales, il serait fréquent que les juges décident de libérer un suspect faute de preuves et que l’exécution de cette décision soit immédiatement suspendue par les services du Procureur, lesquels sont habilités à prendre une telle mesure en vertu de l’article 41 de la Loi constitutionnelle. La délégation tadjike est priée de donner son avis sur cette allégation et d’indiquer si toutes les parties à une procédure sont réellement traitées sur un pied d’égalité dans la pratique judiciaire.

20.Conformément à l’article 49 du Code de procédure pénale tadjik, tout suspect a droit à l’assistance d’un avocat dès le début de la garde à vue. Cependant, selon des informations émanant d’organisations non gouvernementales, cette assistance serait en réalité subordonnée à l’autorisation spéciale du fonctionnaire chargé de l’enquête. Qu’en est‑il exactement, surtout que le fait qu’une personne placée en détention soit privée de l’assistance d’un avocat accroît les risques de torture et de traitements cruels, inhumains ou dégradants? À propos de l’article 16 de la Convention, M. Kovalev souhaiterait que la délégation tadjike décrive les mesures de prévention des traitements cruels, inhumains ou dégradants adoptées par l’État partie, sachant que le Comité international de la Croix-Rouge s’est vu refuser l’accès aux lieux de détention.

21.M. GROSSMAN souhaiterait savoir si la définition de la torture énoncée à l’article 117 du Code pénal est applicable aux agents de l’État et se demande si des condamnations ont déjà été prononcées par les tribunaux en application de cet article. Il souhaiterait également savoir si la délégation dispose de statistiques sur les poursuites exercées en application de l’article 45 du Code pénal relatif aux infractions commises en application d’ordres ou de directives émanant de supérieurs. Il demande en outre si les allégations de violence à l’égard des femmes font l’objet d’enquêtes systématiques ou spéciales. Soulignant par ailleurs qu’un nombre croissant de pays consacrent des moyens de plus en plus importants à la lutte contre la traite des femmes et des enfants, il demande à la délégation de préciser l’ensemble des mesures adoptées par le Tadjikistan pour combattre ce phénomène. Notant à propos de l’article 4 de la Convention que les victimes de tortures doivent parfois attendre de nombreuses années avant d’obtenir réparation, il se demande si les actes de torture perpétrés par des agents de l’État sont prescriptibles.

22.Rappelant que le Comité des droits de l’homme a constaté en 2003 que huit citoyens tadjiks avaient été victimes d’actes de torture commis par des fonctionnaires de police, M. Grossman demande à la délégation d’indiquer si des enquêtes ont été diligentées sur ces différentes affaires, si les fonctionnaires concernés ont été poursuivis et si, dans l’affirmative, ils ont été condamnés. M. Grossman voudrait aussi savoir si les personnes détenues ou poursuivies en application de l’article 6 de la Convention bénéficient des services d’un interprète. D’autre part, il demande à la délégation de préciser si c’est en vertu d’un accord d’extradition que la Fédération de Russie a remis M. Muhammadruzi Iskandarov aux autorités tadjikes en 2005. En outre, M. Iskandarov ayant affirmé avoir subi des actes de torture, M. Grossman souhaiterait savoir si ces allégations ont été vérifiées.

23.Soulignant l’importance des examens médicaux dont font l’objet des détenus (par. 169 du rapport), M. Grossman demande s’ils ont déjà révélé l’existence de mauvais traitements et si des poursuites ont été engagées contre les responsables.

24.Relevant qu’au cours de la période 2002-2004, le Bureau du Procureur général a adressé aux agents chargés de l’application de la loi plus de 70 recommandations concernant des violations de la législation relative à l’arrestation et à la détention (par. 216 du rapport), M. Grossman voudrait obtenir des précisions sur la suite donnée à ces recommandations et, notamment, savoir si elles ont débouché sur des enquêtes, des poursuites et, éventuellement, des condamnations.

25.À propos de l’article 13 de la Convention, M. Grossman souhaite savoir si le Tadjikistan s’est doté des moyens nécessaires pour protéger les plaignants et les témoins contre tout mauvais traitement ou intimidation et se demande si l’État partie a rencontré des difficultés dans ce domaine. Enfin, il demande à la délégation tadjike de commenter les constatations du Comité des droits de l’homme et du Rapporteur spécial sur l’indépendance des juges et des avocats, selon lesquelles des déclarations obtenues par la torture auraient été acceptées comme éléments de preuve dans le cadre de procédures. Si la délégation devait confirmer de tels faits, M. Grossman souhaiterait savoir si des mesures ont été prises par le Tadjikistan pour faire en sorte que de telles situations ne se reproduisent plus.

26.M. MARIÑO MENÉNDEZ demande à la délégation tadjike de préciser si les personnes arrêtées ou condamnées peuvent être mises au secret. Concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire, il souhaite obtenir des précisions sur les conditions d’accès à la fonction de magistrat ainsi que des informations plus détaillées sur la réforme en cours des différentes phases de la procédure pénale. Concernant l’article 3 de la Convention, il note que le Tadjikistan a ratifié la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et des apatrides et le Protocole de New York du 31 janvier 1967 et que ces instruments font partie intégrante du droit tadjik. Il se demande toutefois s’il existe au Tadjikistan une loi sur le statut des demandeurs d’asile. En outre, il souhaiterait savoir si les demandes d’asile présentées par des groupes de personnes originaires de pays voisins sont examinées au cas par cas. Notant qu’une personne en instance d’expulsion peut contester la légalité de la décision d’expulsion dont elle fait l’objet devant un tribunal (par. 101 du rapport), il voudrait savoir si un tel recours est suspensif. M. Grossman souhaiterait également que la délégation précise les conditions d’application de la Convention de Chisinau relative à l’entraide judiciaire dans les affaires civiles, familiales et criminelles du 7 octobre 2002, évoquée au paragraphe 228 du rapport. À propos de l’article 5 de la Convention relatif à la compétence universelle, il se demande si la loi tadjike peut être appliquée à un étranger se trouvant au Tadjikistan qui aurait commis des actes de torture à l’étranger. Il rappelle à cet égard que, conformément à la Convention, lorsqu’une telle personne se trouve sur le territoire d’un État partie, celui‑ci est tenu de la poursuivre ou de l’extrader. Relevant par ailleurs que selon le paragraphe 169 du rapport, les détenus ne bénéficient d’un examen médical qu’en cas de présomption d’acte de torture, il demande si un examen médical systématique est prévu par la législation tadjike.

27.Mme SVEAAS se réjouit que les citoyens tadjiks souffrant de troubles mentaux bénéficient de soins médicaux et de services sociaux, en application de la loi sur les soins psychiatriques. Toutefois, elle demande si les malades mentaux internés ont accès, comme tout citoyen tadjik, à des mécanismes de plaintes en cas de violation de leurs droits. Notant par ailleurs qu’en raison de la guerre civile, un grand nombre d’enfants ont été placés dans des foyers, elle souhaite savoir s’ils sont encore nombreux à y séjourner et quelles sont leurs conditions de vie dans ces établissements. Se faisant l’écho d’allégations selon lesquelles ces enfants seraient soumis à des humiliations et à des violences psychologiques, elle demande à la délégation de préciser si le Tadjikistan a l’intention d’interdire ou d’ériger en infraction les châtiments corporels. À propos de l’article 14 de la Convention, elle se réjouit de la volonté du Tadjikistan d’examiner avec attention les questions relatives à l’indemnisation des victimes d’actes de torture et demande si celles‑ci bénéficient également de mesures de réadaptation.

28.Mme BELMIR souhaiterait des éclaircissements sur le statut et le rôle des tribunaux militaires. Faisant observer que ceux‑ci constituent en principe une juridiction d’exception, elle s’étonne qu’ils soient classés parmi les organes du pouvoir judiciaire alors même que, d’après les renseignements fournis dans le document de base, la création de tribunaux d’exception serait interdite.

29.Elle demande par ailleurs des précisions sur les attributions du procureur, qui peut être considéré comme ne faisant pas partie intégrante du pouvoir judiciaire puisque ses décisions ne peuvent être contestées que devant un autre procureur, de plus haut niveau. Elle s’inquiète en particulier du respect des garanties judiciaires et du droit à un procès équitable dans le cadre de l’action publique.

30.Il est dit dans le rapport que les condamnés ne peuvent pas être soumis à la torture ni à des expériences médicales ou scientifiques. En dehors de cette interdiction, existerait-il des cas où une condamnation pourrait donner lieu à des atteintes à l’intégrité physique?

31.Le PRÉSIDENT remercie la délégation pour l’aperçu très complet qu’elle a donné des nombreuses mesures prises pour promouvoir et protéger les droits de l’homme au Tadjikistan. Il serait à présent utile qu’elle décrive au Comité ce qui se passe dans la pratique, en illustrant ses propos d’exemples concrets. Il serait en outre vivement souhaitable que la délégation couvre dans ses réponses orales l’intégralité de la période à l’examen (qui débute en 1995), les renseignements fournis dans le rapport initial ne portant que sur les années 2000 à 2004. Le Comité ne pourra en effet fixer une date pour le deuxième rapport périodique que s’il reçoit ce complément d’information.

32.La délégation aura noté que nombre des questions posées par les membres du Comité ont trait à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Elle pourra en particulier donner des explications en ce qui concerne le mandat des juges, dont la durée limitée pourrait constituer une entrave à l’indépendance de la magistrature, normalement garantie par le principe de l’inamovibilité. Un autre point important concerne la possibilité d’invoquer les instruments internationaux auxquels le Tadjikistan est partie devant les tribunaux nationaux. Il serait intéressant que la délégation puisse citer des affaires dans lesquelles la Convention a été appliquée de préférence à la législation interne.

33.Le Président rappelle que la délégation dispose de 24 heures pour préparer ses réponses, le débat concernant le Tadjikistan reprenant le lendemain.

34.M. KHODJAEV (Tadjikistan) remercie les membres du Comité de leurs observations et leurs questions et les assure que sa délégation fera tout son possible pour être à la hauteur de la tâche qui l’attend et pour apporter au Comité des réponses aussi complètes que possible.

La partie publique de la séance prend fin à 12 h 25.

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