Nations Unies

CAT/C/SR.1108

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

14 novembre 2012

Original: français

Comité contre la torture

Quarante- neuv ième session

Compte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 1108 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mercredi 7 novembre 2012, à 10 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Deuxième rapport périodique du Tadjikistan

La séance est ouverte à 10 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (suite)

Deuxième rapport périodique du Tadjikistan (CAT/C/TJK/2; CAT/C/TJK/Q/2 et Add.1)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation tadjike prend place à la table du Comité.

2.M.  Salimzoda (Tadjikistan) dit que son pays a connu la guerre civile après son indépendance et que la situation ne s’est stabilisée qu’en 2000. Depuis, le Tadjikistan a adopté un régime démocratique, dont la Constitution, les lois, les institutions et les mécanismes sont fondés sur le respect des droits de l’homme. La protection des droits des citoyens est assurée par le Médiateur des droits de l’homme ainsi que par le Bureau du Procureur général, organe central et indépendant qui relève du Président de la République et du Parlement et qui veille au respect des procédures. La Constitution reconnaît la primauté des instruments internationaux et interdit expressément la torture. Le Code de procédure civile, le Code administratif et le Code pénal ont été révisés, et les compétences de la Cour constitutionnelle ont été élargies.

3.De nouvelles lois visent à éliminer la torture et les mauvais traitements pendant la détention et à protéger les témoins, et la liberté de la presse a été renforcée grâce à la suppression de l’article du Code pénal qui criminalisait la diffamation.

4.Les dernières recommandations issues de l’Examen périodique universel ont été acceptées, notamment celles relatives à la prévention de la torture, et font l’objet d’un plan d’application pour la période 2012-2016. À la suite de sa visite au Tadjikistan en mai 2012, le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants s’est dit satisfait des efforts déployés par les autorités pour améliorer les conditions de détention et renforcer le cadre législatif.

5.En ce qui concerne les recommandations formulées par le Comité contre la torture, le nouvel article 143 du Code pénal contient une définition de la torture conforme à la Convention et réprime les faits de tentative, complicité, ordre donné et participation. Le Président de la République a condamné publiquement à plusieurs reprises l’usage de la torture. Un groupe de travail composé de représentants du Cabinet du Président, du Bureau du Procureur et d’autres organes est chargé d’organiser, dans tous le pays, des séminaires sur la prévention de la torture à l’intention des membres de l’appareil judiciaire. Un grand nombre de réunions et de séminaires sur le respect des droits de l’homme ont eu lieu dans le cadre des procédures d’enquête et dans les lieux de détention. Le Code de procédure pénale contient des dispositions spéciales concernant la détention et la garde à vue qui tiennent compte des recommandations du Comité. En outre, l’ensemble des cellules de garde à vue du pays sont en cours de rénovation.

6.Il existe désormais un contrôle judiciaire de la détention provisoire, indépendant du Bureau du Procureur, et des voies de recours judiciaire en cas de non-respect des normes et des délais. Conformément à une décision de la Cour suprême, un détenu peut être remis en liberté en cas de non-respect des délais administratifs ou des durées maximales de détention provisoire.

7.Le Conseil de justice de la République du Tadjikistan s’emploie à améliorer le système judiciaire, notamment en ce qui concerne son indépendance, ses ressources, ainsi que la sélection et la formation de son personnel. Dans le cadre de la réforme judiciaire en cours, l’âge de la retraite des juges a été porté à 65 ans et leur nomination à vie est en cours d’examen. Leurs salaires ont également été augmentés. De l’avis de l’État partie, la nomination des juges par le Président de la République est une pratique courante qui ne porte pas atteinte à l’indépendance du système judiciaire.

8.M.  Tugushi (Rapporteur pour le Tadjikistan) salue les mesures prises par l’État partie ces dernières années pour modifier le cadre juridique de la lutte contre la torture, notamment l’adoption du nouveau Code de procédure pénale et du nouvel article 143 du Code pénal, qui criminalise la torture et rend sa définition plus conforme aux dispositions de la Convention. Il constate cependant qu’il reste, dans la législation de l’État partie, des dispositions servant de terreau à une pratique systémique de la torture et des mauvais traitements dans le pays, par exemple les peines d’emprisonnement prévues dans le Code pénal pour les crimes de torture, qui ne sont pas à la mesure de la gravité de ces infractions, et la loi d’amnistie, qui est appliquée dans de nombreux cas de torture.

9.Le Code de procédure pénale révisé prévoit que tant qu’un détenu n’a pas été enregistré, aucune garantie procédurale n’est appliquée. Il serait utile, par conséquent, que la délégation précise quel moment marque le début de la privation de liberté d’une personne qui est arrêtée par la police, sachant que les droits fondamentaux des personnes privées de liberté doivent être garantis dès leur mise en détention.

10.Le Code de procédure pénale prévoit également que lorsqu’une personne est arrêtée, sa famille doit en être informée dans les douze heures, et les autorités ont ensuite dix jours pour procéder à l’inculpation. La délégation voudra bien préciser si ce délai englobe le temps écoulé entre l’arrestation et la conduite du suspect au poste de police et s’il est prévu de réduire le délai de douze heures fixé pour l’information des familles. La délégation est aussi invitée à commenter les informations communiquées au Comité selon lesquelles de nombreuses personnes appréhendées par la police seraient soumises à un interrogatoire initial avant l’établissement du procès-verbal de détention. Cet interrogatoire peut durer plusieurs jours et, dans l’intervalle, les garanties fondamentales dont doit bénéficier le détenu, notamment l’accès à un avocat, ne sont pas appliquées.

11.M. Tugushi demande s’il existe des cas dans lesquels les tribunaux ont directement appliqué les dispositions de la Convention dans des affaires de torture ou de mauvais traitements. Il invite en outre la délégation à préciser s’il est vrai, comme l’indiquent de nombreux rapports, que les personnes arrêtées par la police sont souvent maintenues dans les locaux de la police pendant de longues périodes avant d’être transférées dans les centres de détention provisoire. Un complément d’information sur le délai de prescription que prévoit la législation pénale du Tadjikistan serait d’autre part apprécié.

12.M. Tugushi souhaiterait aussi savoir s’il est déjà arrivé qu’un tribunal rejette des éléments de preuve au motif qu’ils auraient été obtenus par la coercition ou par la torture. Il invite, à ce propos, la délégation à commenter les informations indiquant que les tribunaux ne donneraient généralement pas suite aux déclarations de suspects qui affirment avoir été soumis à la torture pendant leur garde à vue et que des aveux obtenus par la torture continueraient d’être utilisés comme éléments de preuve.

13.Il serait intéressant de savoir si, depuis qu’il est habilité à visiter tous les lieux de privation de liberté, le Médiateur des droits de l’homme a établi des rapports présentant son point de vue sur la situation en ce qui concerne le traitement des détenus et les conditions carcérales, et s’il visite uniquement les centres de détention provisoire et les prisons ou peut aussi se rendre dans les locaux de la police et les lieux placés sous l’autorité du Ministère de la sûreté de l’État.

14.La délégation pourra en outre préciser si le Tadjikistan envisage d’adhérer au Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture. Elle est aussi invitée à commenter les informations selon lesquelles des mineurs seraient placés à l’isolement et des interrogatoires de mineurs auraient lieu en l’absence d’un représentant légal et d’un avocat. Ses commentaires sur le fait que certaines personnes extradées vers le Tadjikistan seraient ensuite détenues au secret seraient également appréciés.

15.Le Tadjikistan semblant avoir fréquemment recours aux assurances diplomatiques, il serait utile que la délégation précise quelles mesures prennent les autorités pour s’assurer que les personnes extradées ne risquent pas d’être soumises à la torture. Enfin, il serait intéressant d’en savoir plus sur ce qu’il est prévu de faire pour renforcer les capacités des services de médecine légale et améliorer la formation des médecins et des experts qui interviennent sur le terrain, ainsi que l’accès des détenus à un médecin indépendant.

16.M me Sveaass (Corapporteur pour le Tadjikistan) demande à quelle fréquence les dispositions des instruments internationaux ratifiés par l’État partie sont invoquées par les tribunaux. Elle souhaiterait aussi savoir si le Médiateur des droits de l’homme du Tadjikistan est pleinement habilité à surveiller tous les lieux de détention et s’il dispose de ressources financières suffisantes pour mener à bien sa tâche.

17.Au sujet de la formation, il serait intéressant de savoir ce qui est prévu pour former le personnel médical à la conduite d’examens de médecine légale et s’il est courant que le personnel médical participe à l’évaluation d’allégations de torture. La délégation voudra bien aussi indiquer où en est le projet d’élaboration d’un manuel de formation sur la base du Protocole d’Istanbul. Des informations détaillées sur la formation dispensée en vue de prévenir l’usage excessif de la force seraient également les bienvenues.

18.La délégation est invitée à donner des détails sur les mécanismes en place pour garantir que des enquêtes impartiales et complètes sont conduites sur toutes les plaintes concernant des décès en garde à vue. Mme Sveaass souhaite aussi que soient communiquées au Comité toutes les informations disponibles sur d’éventuels cas dans lesquels la famille d’un suspect décédé en garde à vue a contesté les explications fournies par les autorités sur les causes du décès. La délégation voudra bien indiquer aussi si les familles concernées ont un accès immédiat à la dépouille de leur proche, à l’intégralité des résultats des examens de médecine légale et aux déclarations des fonctionnaires responsables de l’arrestation et de la détention de la personne décédée. La délégation est également invitée à fournir des données ventilées sur tous les décès en détention survenus au cours de la période considérée et des informations sur les mesures prises par l’État pour réduire le délai des enquêtes sur des allégations de torture et de mauvais traitements.

19.Mme Sveaass demande ce qui est fait pour améliorer la situation dans les prisons, notamment les conditions sanitaires, et pour réduire le surpeuplement carcéral. Elle demande s’il est exact qu’un adolescent de 16 ans placé dans une colonie de rééducation pour mineurs a tenté à plusieurs reprises de se suicider et qu’il a été placé à l’isolement, en guise de sanction.

20.Mme Sveaass invite la délégation à décrire les modalités d’application des recommandations et rapports du Médiateur des droits de l’homme et à donner des exemples de recommandations qui ont été suivies. Elle aimerait avoir des précisions au sujet de l’accès des ONG et d’autres organismes internationaux, en particulier le Comité international de la Croix-Rouge, aux lieux de détention.

21.Mme Sveaass souhaiterait avoir de plus amples informations sur les lois relatives à la violence contre les femmes, leur application, les mesures pour protéger les victimes et les victimes présumées, et les dispositions prises en matière de prévention. La violence contre les enfants est également un sujet de préoccupation. La délégation est invitée à décrire les éventuelles mesures prises dans ce domaine et à indiquer si l’État partie a l’intention d’interdire les châtiments corporels dans la famille.

22.Mme Sveaass aimerait obtenir des informations sur les lois et mécanismes en matière de réparation pour les victimes de torture ainsi que sur les mesures de réparation et d’indemnisation ordonnées par les tribunaux et dont ont effectivement bénéficié des victimes. En ce qui concerne la réadaptation, elle note avec préoccupation qu’elle est assurée uniquement par des ONG et demande si l’État partie envisage d’offrir lui-même de tels services. Des informations concernant les mesures de réadaptation effectivement offertes aux victimes de torture seraient les bienvenues.

23.M.  Bruni demande si le CICR bénéficie d’un accès inconditionnel aux lieux de privation de liberté. Se référant aux réponses écrites du Tadjikistan (CAT/C/TJK/Q/2/Add.1), il s’interroge sur le fait qu’en vertu du droit tadjik, les informations relatives au nombre, à l’emplacement et à la capacité des établissements pénitentiaires et au nombre de personnes qui y sont détenues sont secrètes. Il note que c’est la première fois qu’un État partie tient de telles informations secrètes et fait observer que l’État partie a néanmoins donné des informations chiffrées sur le système pénitentiaire au paragraphe 176 de son rapport périodique (CAT/C/TJK/2).

24.Le Tadjikistan ayant indiqué que des mesures avaient été prises pour réaménager les cellules disciplinaires, la délégation voudra bien préciser les dimensions actuelles de ces cellules et indiquer si elles reçoivent la lumière du jour, sont chauffées et ventilées et répondent aux critères d’hygiène. Des renseignements sur la durée de l’enfermement des détenus dans ces cellules seraient les bienvenus. La délégation voudra bien aussi décrire les effets de la crise économique qui, selon elle, ont empêché le Tadjikistan de procéder aux investissements nécessaires pour mettre les conditions de détention en conformité avec les normes internationales.

25.M me Belmir dit que le parquet ne devrait pas cumuler un trop grand nombre d’attributions car cela nuit à son efficacité. Il devrait en déléguer une partie à un organe indépendant.

26.M me Gaer dit que nombre de questions posées par le Comité dans la liste de points à traiter (CAT/C/TJK/2) sont restées sans réponse. Se référant aux sanctions infligées aux agents de l’État jugés responsables de violences, elle s’interroge sur l’absence de sanctions plus sévères pour ceux d’entre eux qui se rendent coupables de mauvais traitements ou d’actes de torture. L’avis du Médiateur du Tadjikistan pour les droits de l’homme sur cette question serait apprécié. Mme Gaer demande où se trouvent actuellement les trois agents de police qui ont été renvoyés en raison de leur responsabilité dans le décès de Bahromiddin Shodiev. La délégation voudra bien indiquer s’il est vrai que deux de ces agents ont bénéficié d’une amnistie. Qu’en est-il aussi du classement sans suite de l’affaire concernant Khurshed Bobokalonov, décédé après avoir été arrêté par la police.

27.Citant des informations selon lesquelles les détenus qui ne soudoient pas les gardiens de prison risquent de subir des actes de torture, Mme Gaer demande s’il existe des cas dans lesquels la cause officielle du décès d’un détenu en détention a été contestée par la famille de ce dernier et, dans l’affirmative, s’il est arrivé que les plaignants obtiennent gain de cause et soient indemnisés et que les responsables soient punis. Elle voudrait également savoir si les proches des victimes ont immédiatement accès au corps du défunt et aux résultats de l’examen médico-légal ou s’ils doivent attendre la fin de l’enquête.

28.M.  Mariño Menéndez, notant que la peine capitale n’est pas appliquée, demande si les autorités tadjikes ont l’intention de l’abolir ou s’il s’agit simplement d’un moratoire d’une durée indéterminée. Il souhaite aussi savoir s’il existe un dispositif spécifique d’inspection du travail des mineurs et, le cas échéant, quels sont les résultats des inspections concernant la conformité de la situation en la matière aux normes internationales. M. Mariño Menéndez voudrait également savoir si la compétence des tribunaux militaires s’étend aux délits commis par des militaires contre des civils.

29.M. Ga ye a le sentiment, compte tenu de toutes les informations reçues par le Comité, que la torture peut être considérée comme systématique dans l’État partie, et que l’on est en présence d’une situation d’impunité. La délégation voudra bien donner des précisions sur l’issue des poursuites engagées contre des agents chargés de l’application des lois et les agents pénitentiaires. M. Gaye demande également à la délégation de citer des cas concrets de poursuites engagées contre des juges.

30.M.  Domah souhaite savoir si le Tadjikistan a instauré une procédure d’habeas corpus. Il s’interroge sur l’absence d’une loi interdisant l’octroi d’une amnistie lorsqu’il est établi que des actes de torture ont été commis. Il se dit choqué par le fait qu’une arrestation puisse être fondée sur des motifs administratifs car seule une infraction pénale peut justifier une telle mesure.

31.M.  Wang Xuexiansalue l’incorporation par le Tadjikistan d’une définition de la torture conforme à l’article premier de la Convention dans son Code pénal en mars 2012 et prend acte du fait qu’un policier a été condamné à sept ans d’emprisonnement pour actes de torture en vertu de ces nouvelles dispositions pénales.

32.Le Président demande des précisions sur l’élaboration d’un projet de directives concernant l’ordre de détention. Il souhaite savoir pourquoi les organisations de défense des droits de l’homme ne sont pas autorisées à effectuer des visites dans les lieux de privation de liberté. La délégation voudra bien aussi décrire les mesures prises par le Tadjikistan pour lutter contre la violence dans la famille et prévenir la pratique des mariages non enregistrés.

La première partie ( publique ) de la séance prend fin à midi .