Nations Unies

CAT/C/SR.934

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

26 novembre 2012

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Quarante- quatrième session

Compte rendu analytique (partiel)* de la 934 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le vendredi 30 avril 2010, à 10 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l'article 19 de la Convention(suite)

Deux ième rapport périodique de Jordanie(suite)

La séance est ouverte à 10 h 5 .

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l'article 19 de la Convention(suite)

Deuxième rapport périodique de la Jordanie (suite) (CAT/C/JOR/2; CAT/C/JOR/Q/2 et Add.1)

1. Sur l'invitation du Président, les membres de la délégation jordanienne reprennent place à la table du Comité.

2.M. Madi (Jordanie) déclare que sa délégation s'efforcera de répondre aussi complètement que possible aux questions du Comité. Si les informations qu'elle s'apprête à fournir s'avèrent incomplètes ou peu satisfaisantes, le Gouvernement jordanien traitera des points restés en suspens dans ses réponses aux observations finales du Comité.

3.M. Sadi (Jordanie), évoquant la question soulevée par Mme Gaer au sujet de la présentation tardive du rapport de son pays, assure le Comité que la Jordanie prend très au sérieux les obligations qu'elle a contractées en vertu des traités et qu'elle s'emploie à soumettre ses rapports en temps utile. Mais les années 1990 ont été marquées par toute une série de ratifications et de publications au Journal officiel, si bien que les autorités se sont trouvées dans l'incapacité de faire face aux diverses obligations qui leur incombaient en vertu de multiples instruments relatifs aux droits de l'homme dont les exigences se chevauchaient parfois. Cependant, le Département des droits de l'homme du Ministère des affaires étrangères a acquis une plus grande maîtrise de la manière d'établir les rapports destinés aux organes de suivi des traités, et le prochain rapport de la Jordanie sera soumis de façon plus ponctuelle.

4.La Jordanie a officiellement mis en place une commission des droits de l'homme composée de représentants de différents ministères et départements, qui est notamment chargée de préparer les rapports à soumettre aux organes de suivi des traités. Diverses ONG ont été invitées à assister à ses réunions, ainsi que l'a déjà fait le Centre national des droits de l'homme. Les contacts qui seront pris dans l'avenir avec les ONG dans le but de se faire une idée d'ensemble de la situation en ce qui concerne la torture devraient se révéler fructueux.

5.En réponse à une question posée par le Président, M. Sadi précise qu'au cas improbable où l'état d'urgence serait proclamé, le crime de torture ne pourrait donner lieu à aucune dérogation susceptible de porter atteinte aux droits de la victime, même si la législation existante relative à l'état d'urgence ne mentionne pas nommément la torture. En tout état de cause, l'article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, désormais applicable en Jordanie, traite expressément de cette question.

6.M me Al’a Edeen (Jordanie) déclare que l'importance attachée par son pays à la prévention de la torture et à la sauvegarde des droits de ses ressortissants et des personnes résidant sur son territoire est attestée par les politiques et pratiques mises en œuvre. Le Code pénal érige en infraction pénale la pratique de la torture et son article 159 stipule que tout élément de preuve obtenu par toute forme de coercition physique ou mentale doit être considéré comme nul et de non effet. L'accusé a le droit de contester devant le tribunal une déposition recueillie par un policier ou un procureur au motif que celle-ci a été extorquée sous la contrainte physique ou morale.

7.Plusieurs ONG et organisations de défense des droits de l'homme actives en Jordanie ont reçu des plaintes émanant de citoyens alléguant avoir été victimes de torture ou de mauvais traitements et ont renvoyé ces affaires devant des institutions gouvernementales. Le Centre national des droits de l'homme, constitué en 2003 en tant qu'organe indépendant de défense des droits de l'homme, est doté d'un mécanisme de surveillance et effectue des visites inopinées dans toutes les prisons et tous les centres de détention jordaniens.

8.Le Rapporteur spécial sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, M. Manfred Nowak, s'est rendu en Jordanie en juin 2006. Il a pu inspecter librement tous les établissements pénitentiaires et centres de détention, y compris les locaux du Service des renseignements généraux.

9.Diverses institutions nationales de défense des droits de l'homme ont été mises en place. Le bureau du Médiateur, créé en février 2009, est habilité à connaître de toute plainte à l'encontre du Gouvernement qu'il juge importante et le Gouvernement est tenu de coopérer avec lui. En 2005, la Direction de la sûreté publique a créé un service des doléances et des droits de l'homme chargé d'accueillir les plaintes formulées par les citoyens à l'encontre de policiers. Un service des droits de l'homme a récemment été créé au sein du Ministère de l'intérieur afin d'assurer le suivi des plaintes et questions d'ordre général ayant trait aux droits de l'homme.

10.En 2007, la Direction de la sûreté publique a mis en œuvre un plan stratégique d'ensemble pour les centres de redressement et de réinsertion afin d'améliorer les services fournis aux détenus dans les différents centres de réinsertion. Ce plan vise aussi à assurer la formation du personnel.

11.Dans le but de remédier au problème du surpeuplement dans les établissements de redressement, des centres de réinsertion capables de recevoir plus de 1 100 détenus ont été ouverts entre 2007 et 2010, et cinq nouveaux centres devraient aussi voir le jour avant la fin de 2010. Au total, le coût de ce programme se monte à 100 millions de dollars des États-Unis.

12.En 2009, la Direction de la sûreté publique et le Centre national des droits de l'homme ont signé un mémorandum d'accord visant à faciliter les visites inopinées que le Centre est appelé à effectuer.

13.Le service des droits de l'homme et la Direction de la sûreté publique ont reçu des allégations de mauvais traitements ou de torture émanant de détenus. Des enquêtes impartiales ont été promptement menées et des sanctions sévères ont été prises à l'encontre des coupables. En 2008, 22 policiers ont été déférés au tribunal de la police pour répondre d'accusations de mauvais traitements et la même année, des mesures disciplinaires ont été prises à l'encontre de 25 autres policiers.

14.Répondant à la question posée par M. Gallegos Chiriboga au sujet des affaires concernant Fakhri Al Anani et Sadem Al Saoud, Mme Al’a Edeen indique qu'au total, sept policiers sont accusés d'avoir fait un usage excessif de la force ayant entraîné le décès de ces deux ressortissants Jordaniens. Si ces policiers sont reconnus coupables, ils devront purger des peines de prison d'une durée minimum de 10 ans.

15.Évoquant des questions posées par des membres du Comité au sujet du retrait de la nationalité, Mme Al’a Edeen précise que son pays ne retire leur nationalité à aucun de ses ressortissants. Il adapte simplement le statut administratif d'un petit nombre de Palestiniens résidant sur son territoire d'une façon qui n'affecte en rien leur droit de vivre ou de travailler en Jordanie, ni de sortir ou de rentrer dans le pays. Les comptes rendus de presse selon lesquels les autorités jordaniennes retireraient leur nationalité à des Palestiniens déforment grossièrement les faits. Toute décision relative à la nationalité peut être contestée devant la Cour suprême de justice.

16.La décision de la Jordanie de ne pas ratifier le Protocole facultatif ne saurait être interprétée comme une absence de volonté de renforcer la protection des personnes privées de liberté. Le Gouvernement jordanien est résolu à donner plus de pouvoir aux organes chargés de se rendre périodiquement sur les lieux de détention. En tout état de cause, il n'exclut pas la possibilité de reconsidérer cette décision. Pour ce qui est de l'article 21 de la Convention, la Jordanie va étudier la possibilité de lui donner effet.

17.Le Comité a demandé un complément d'information au sujet de la participation des ONG et des organisations de la société civile à la création et à la gestion des foyers d'accueil. Les instructions données par le Ministère du développement social au sujet des centres de protection n'empêchent nullement les organisations de la société civile d'ouvrir des foyers à l'intention des victimes de violences, pourvu que ces activités soient compatibles avec les objectifs fixés. Les instructions en question, parues au Journal officiel no 4958 le 16 avril 2009, ont été publiées en application de l'article 3 du décret no 48 de 2004 relatif au Centre de protection de la famille. Le Ministère encourage aussi les associations de protection de la famille à ouvrir des foyers d'accueil et à les inclure dans leurs futurs programmes. L'association Nahr al-Urdun et l'Union des femmes jordaniennes ont déjà donné suite à cette recommandation.

18.Le Comité s'est également enquis de la date prévue d'achèvement des foyers destinés à accueillir les domestiques qui ont fui le domicile de leur employeur. Le Ministère du travail confirme que des plans précis sont en préparation pour créer des lieux d'accueil pour les victimes de la traite des êtres humains; ces foyers accueilleront également les employés de maison en fuite ou les travailleurs ayant subi des violences physiques, psychologiques ou sexuelles. Mais le Ministère n'est pas encore en mesure de préciser quand ce projet verra le jour, car ce sera fonction de divers éléments organisationnels et administratifs, ainsi que des possibilités de financement.

19.M. Madi (Jordanie) rappelle que son pays a une longue tradition d'accueil des réfugiés, et demande que l'on fasse preuve de compréhension eu égard aux difficultés auxquelles il doit faire face lors d'afflux massifs pour lesquels bien souvent il reçoit peu d'aide de la communauté internationale. La Jordanie est le seul pays de la région à accorder la plénitude des droits aux réfugiés palestiniens et si elle a apporté des ajustements au statut administratif de certains Palestiniens, c'est à la demande de l'Autorité palestinienne, reconnue comme État par la Jordanie comme par beaucoup d'autres pays. Quelque 117 000 réfugiés palestiniens se sont récemment vu conférer la nationalité jordanienne de plein droit.

20.M me Ajweh (Jordanie), se référant à une question posée au sujet de la définition de la torture énoncée à l'article 208 du Code pénal, précise que le paragraphe premier de cet article stipule que quiconque soumet une personne à une forme quelconque de torture, ce qui est interdit par la loi, dans le but d'obtenir des aveux ou des renseignements concernant une infraction pénale, est passible d'une peine de prison de six mois à trois ans. Les mots «interdit par la loi» ont été insérés pour qu'il soit bien clair qu'aucun texte de loi jordanien n'autorise une forme quelconque de torture. Le paragraphe 2 définit l'acte de torture et sa motivation de manière plus précise. Le paragraphe 3 stipule que si la torture entraîne une maladie ou une lésion grave, la peine encourue est une peine de travaux forcés pouvant aller de 3 à 15 ans. En droit jordanien, une peine de plus de trois mois de prison ne peut être remplacée par une amende. En outre, en vertu du paragraphe 4 de l'article 208, l'exécution de la peine ne peut être suspendue et le tribunal ne peut accorder les circonstances atténuantes.

21.L'article 61 du Code pénal stipule sans ambiguïté que nul ne saurait invoquer les ordres d'un supérieur pour se dégager de sa responsabilité s'il a commis le crime de torture. L'article 15 de la loi sur la sûreté publique fait obligation à tout fonctionnaire chargé de faire appliquer la loi de s'engager sous serment, lors de sa prise de fonctions, à respecter les lois et règlements, à s'acquitter fidèlement de sa mission et de manière impartiale, et à exécuter les ordres licites.

22.Ainsi qu'il est indiqué dans les réponses à la liste de points à traiter, il est loisible à toute personne d'intenter une action au civil afin d'obtenir une indemnisation en application de l'article 256 du Code civil. Bien que l'article 288 dudit code stipule que nul ne peut être tenu pour responsable des actions d'un tiers, si un subordonné a porté un préjudice dans l'exercice de ses fonctions ou en rapport avec elles, les tribunaux peuvent décider, au vu de la requête de la victime, d'ordonner à la personne qui supervisait effectivement l'auteur du préjudice de verser une indemnisation, même si ce supérieur n'a eu aucune liberté de choix. Ainsi, dès lors qu'il serait établi qu'un crime de torture a été commis, l’État serait tenu d'indemniser la victime conformément aux dispositions légales relatives à la responsabilité des actes commis par un subordonné. Le fait que l'article 208 ne mentionne pas expressément la torture ne s'oppose nullement à ce qu'une victime fasse valoir son droit à indemnisation.

23.En vertu de l'article 292 du Code pénal, le crime de viol est passible des travaux forcés pour une durée minimum de 10 ans si la victime est âgée de plus de 15 ans. Si elle a moins de 15 ans, le violeur encourt la peine de mort. Mais aucune condamnation à la peine capitale n'a été appliquée depuis mars 2006. On tend actuellement à imposer une peine minimum de 20 ans de prison si la victime a moins de 18 ans et de 15 ans si la victime a plus de 18 ans. L'article 308 du Code pénal concernant la levée des poursuites ou la suspension de la peine en cas de mariage entre l'agresseur et la victime n'est applicable que si un contrat sincère a été passé entre eux et si la victime y a réellement consenti. Cet article est en cours de réexamen dans le contexte de l'examen d'ensemble du Code pénal auquel est en train de procéder le Ministère de la justice.

24.Pour ce qui est des prétendus «crimes d'honneur», les auteurs des infractions graves que sont l'homicide ou les coups et blessures ne peuvent généralement pas invoquer les dispositions des articles 97 et 98 du Code pénal relatives aux circonstances atténuantes si la victime a moins de 15 ans ou quel que soit son âge si elle est de sexe féminin. Les personnes condamnées sont en outre tenues d'exécuter l'intégralité de leur peine. En ce qui concerne les condamnations prononcées en 2009, la durée moyenne de l'incarcération a été de sept ans et demi à 15 ans lorsqu'il a été tenu compte de circonstances atténuantes et de 15 ans dans les autres cas.

25.Depuis 2006, les travaux forcés à perpétuité remplacent la peine de mort, conformément aux lignes directrices de la communauté internationale. Les infractions passibles de telles peines sont notamment: la production, l'importation, l'exportation, la transformation, l'entreposage et la vente de stupéfiants ou de substances psychotropes, si ces infractions sont commises de manière répétée ou s'il a été fait appel à des mineurs pour en faciliter la commission; la fabrication, l'importation, la possession, l'achat ou la vente d'une arme automatique en l'absence de permis; la possession, l'achat ou la vente d'explosifs sans autorisation; et toute agression destinée à empêcher les autorités de s'acquitter de leurs fonctions constitutionnelles. On envisage de substituer la peine de travaux forcés à la peine de mort pour quatre infractions définies dans le Code pénal de 1960. Quoique, en décembre 2008, la Jordanie se soit abstenue lors du vote de la résolution A/RES/63/168 de l'Assemblée générale relative à un moratoire sur l'application de la peine de mort, aucune condamnation à mort n'a été prononcée depuis mars 2006.

26.La profession d'avocat est régie par la loi no 11 de 1972, dont l'article 7 dispose que tout avocat doit être enregistré auprès de l'ordre des avocats. Les candidats doivent avoir la nationalité jordanienne ou la nationalité d'un autre État arabe, être âgés de 23 ans au moins, jouir de la pleine capacité juridique et d'une bonne réputation, avoir un casier judiciaire vierge et s'être vu conférer un diplôme de droit décerné par une institution juridique reconnue permettant au candidat d'exercer la profession d'avocat dans le pays considéré. En outre, les candidats ne peuvent pas occuper un poste dans la fonction publique. L'ordre des avocats est habilité, en application de l'article 100 de ladite loi, à désigner des avocats pour défendre des personnes nécessiteuses.

27.L'article 40 de la loi susmentionnée, relatif à l'immunité, stipule que les avocats doivent exercer leur profession en toute liberté, qu'ils ne sauraient être arrêtés ou poursuivis pour des actions relevant de l'accomplissement de leurs tâches professionnelles et qu'ils ne peuvent faire l'objet de sanctions disciplinaires que conformément aux dispositions de ladite loi. Les avocats doivent être traités avec respect et les tribunaux, les procureurs et les organes chargés de l'application de la loi doivent mettre tous moyens nécessaires à leur disposition. Si le bureau du procureur ouvre une enquête concernant une plainte formulée à l'encontre d'un avocat, il est tenu d'en informer l'ordre des avocats, et le président de l'ordre ou l'un de ses représentants peut être présent à tous les stades de l'enquête. Quiconque agresse un avocat dans l'exercice de sa profession s'expose à des poursuites.

28.Le bureau du Médiateur a été créé en application de la loi no 11 de 2008. Il est financièrement et administrativement indépendant. Son siège est à Amman, mais le Médiateur peut ouvrir des annexes ou des antennes dans n'importe quel gouvernorat. Les candidats au poste de médiateur doivent avoir les qualifications requises et au moins 15 ans d'expérience dans le domaine du droit ou de l'administration publique (ou les deux), et être connus pour leur intégrité et leur impartialité.

29.Aux termes de l'article 14 de la loi, toute personne, même placée en détention administrative, ayant subi un préjudice par suite d'une décision des autorités ou de toute autre mesure ou pratique, peut porter plainte auprès du bureau du Médiateur. Celui-ci examine les plaintes et doléances en application de principes directeurs précis. Il enquête sur les faits, les motifs pertinents et la partie présumée responsable de l'acte allégué, et examine les documents et autres éléments présentés à l'appui de la plainte. L'article 15 stipule que le Médiateur doit prendre toutes mesures nécessaires pour traiter les plaintes aussi rapidement que possible. Ces mesures demeurent confidentielles à moins que le Médiateur ne décide que les circonstances en nécessitent la divulgation. En pareil cas, un mémoire exposant la plainte est adressé à la partie mise en cause, qui est tenue de répondre dans les 15 jours, à moins que le Médiateur ne prolonge ce délai. Si la partie en cause ne répond pas dans le délai imparti ou refuse de communiquer les documents ou renseignements demandés, le Médiateur peut faire rapport à ce sujet au Premier Ministre afin que les mesures qui s'imposent puissent être prises.

30.Le plaignant et la partie mise en cause sont informés de la décision du Médiateur. Si ce dernier constate que les décisions ou mesures prises sont illicites, inéquitables, arbitraires ou discriminatoires, ou s'il lui apparaît qu'il y a eu négligence ou tout autre manquement ou faute de la part des autorités, il adresse un rapport détaillé, éventuellement accompagné de recommandations, au service public concerné. Le Médiateur peut en outre décider, de sa propre initiative, d'examiner toute question ayant trait à des décisions ou mesures prises par les autorités. Il peut adresser des recommandations aux instances concernées et faire figurer celles-ci dans son rapport annuel au Cabinet du Premier Ministre, lequel est tenu de communiquer ce rapport aux deux chambres du parlement.

31.Le Centre national des droits de l'homme est financièrement et administrativement indépendant. Il assure un suivi en ce qui concerne les violations des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le royaume, et s'efforce de les prévenir. Il peut demander communication de tous renseignements ou statistiques susceptibles selon lui de l'aider dans sa mission, et les organes compétents sont tenus de répondre sans délai à ces demandes. Le Centre est également habilité à rendre visite aux centres de redressement et de réinsertion, aux différents lieux de détention et aux centres de détention pour mineurs, ainsi qu'à se rendre en tout lieu public où des violations des droits de l'homme sont signalées. Le Centre est administré par un conseil composé de 21 membres. Son président et ses membres sont nommés par décret royal sur recommandation du Premier Ministre.

32.Le Code du travail a été amendé en 2009 dans le but d'y inclure les travailleurs agricoles et les employés de maison, et une réglementation régissant leurs conditions de travail et notamment la durée du travail a été adoptée à la fin de 2009.

33.La loi no 9 de 2009, qui proscrit la traite des personnes, a été publiée au J ournal officiel le 1er mars 2009. Ses dispositions sont conformes à celles du Protocole additionnel à la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. La traite est définie comme le recrutement, le transport, l'hébergement ou l'accueil de personnes par la menace de recours ou le recours à la force ou à d'autres formes de contrainte, par enlèvement, fraude, tromperie, abus d'autorité ou d'une situation de vulnérabilité, ou l'offre ou l'acceptation de paiements ou d'avantages pour obtenir le consentement d'une personne ayant autorité sur une autre aux fins d'exploitation. Cette loi stipule en outre que le recrutement, le transport, l'hébergement ou l'accueil d'un mineur de 18 ans aux fins d'exploitation est constitutif de la traite des personnes, même lorsqu'il n'y a pas menace de recours ou recours à la force ou à d'autres formes de contrainte. L'exploitation est définie comme impliquant le travail ou les services forcés, l'esclavage, la servitude, le prélèvement d'organes,la prostitution ou d'autres formes d'exploitation sexuelle. Le consentement de la victime ne peut être invoqué en justice comme circonstance atténuante.

34.M. Al Shishani (Jordanie) indique que la Direction de la sûreté publique est responsable de l'application de la loi et de la protection des droits de l'homme. Elle a pris toutes les mesures nécessaires pour donner effet à la Convention; elle a par exemple adressé des instructions claires touchant les dispositions de cet instrument à tous les fonctionnaires chargés de l'application de la loi et mis en place les mécanismes nécessaires à la prévention de la torture. La Convention est incluse dans les programmes de formation dispensés aux fonctionnaires à tous les niveaux de la hiérarchie, et des campagnes de sensibilisation sont régulièrement organisées dans le but d'en faire respecter les dispositions.

35.La Direction de la sûreté publique soutient aussi les actions entreprises sur le plan international pour favoriser la protection des droits de l'homme. Quelque 14 000 fonctionnaires jordaniens chargés de l'application de la loi participent aux activités de maintien de la paix dans différentes parties du monde. La Jordanie se place même au premier rang des pays du Moyen-Orient à cet égard.

36.Les plans, stratégies et politiques mis en œuvre par la Direction pour s'acquitter de son rôle en matière de sûreté publique privilégient la dimension humaine et mettent l'accent sur le respect des normes internationales relatives aux droits de l'homme.

37.Le Comité peut être assuré qu'il n'existe pas de lieux de détention secrets en Jordanie. La loi no 40 de 2001 relative aux centres de redressement et de réinsertion a abrogé la loi sur les prisons en vertu de laquelle certaines formes de châtiments corporels telles que la flagellation et l'utilisation des rations alimentaires comme mesure disciplinaire étaient autorisées. Aux termes de la nouvelle loi, toute forme de châtiment corporel est proscrite et passible de poursuites.

38.Le centre de détention du Service des renseignements généraux est enregistré au titre de la loi de 2001 et ses attributions sont conformes aux dispositions de ladite loi. Les personnes qui y sont détenues le sont en application de mandats d'arrêt décernés par le procureur public compétent. Le Service tient un registre où sont consignés l'identité du détenu, le motif de la détention, le nom de l'organe qui a rendu la décision, ainsi que la date et l'heure de son placement en détention et de sa mise en liberté. En outre, l'état de santé du détenu lors du placement en détention et durant la détention est consigné dans un dossier médical. Les conditions régnant au centre de détention sont conformes aux normes applicables en matière de santé, d'hygiène, d'éclairage, de chauffage et de ventilation, et les installations permettant aux détenus de se laver et de se doucher sont adéquates. Les détenus peuvent recevoir la visite des membres de leur famille tous les vendredis entre 9 heures et 15 heures.

39.Pour ce qui est du respect des règles internationales concernant le traitement des prisonniers, il y a lieu de signaler que des représentants du CICR et du Centre national des droits de l'homme rendent visite au centre de détention. Ainsi que l'a indiqué le Centre national dans ses rapports, il est possible de demander à s'entretenir individuellement avec les détenus. Le personnel suit des stages de formation et prend part à des ateliers consacrés aux normes internationales relatives aux institutions de la société civile. Le centre de détention peut aussi être inspecté par les autorités judiciaires et administratives compétentes. En 2007, des représentants de Human Rights Watch s'y sont rendus et ont pu s'entretenir individuellement avec des détenus.

40.Le Service des renseignements généraux coopère étroitement avec le Centre national des droits de l'homme. Les contacts établis entre les deux institutions dans un but de protection des droits de l'homme s'intensifient à tous les niveaux. Le Centre national a confirmé dans son rapport annuel que le Service répond à toutes les questions qui lui sont posées au sujet de différents aspects de sa mission.

41.Pour ce qui est de la conversion des prisons en centres de redressement et de réinsertion, la Direction de la sûreté publique a élaboré un plan stratégique d'ensemble visant à faire respecter les principes relatifs au traitement et au bien-être des détenus consacrés par la communauté internationale. Ce plan comprend une série de programmes de formation et de programmes sociaux, culturels et de santé. Des écoles ont été ouvertes dans les centres en coordination avec le Ministère de l'éducation, et des unités d'alphabétisation et des ateliers d'artisanat sont en cours de création en coordination avec l'office de formation professionnelle du Ministère du travail. L'office délivre aux détenus des certificats d'aptitude pratique ne comportant aucune mention du fait que ceux-ci ont été obtenus dans un centre de détention. Les détenus sont employés dans les ateliers et prennent part aux programmes de formation. Ils sont rémunérés pour leur travail et peuvent, s'ils le souhaitent, être affiliés à la sécurité sociale. Des bibliothèques ont été ouvertes dans les centres de redressement et de réinsertion et les détenus peuvent se présenter aux examens de fin d'études secondaires et entreprendre des études universitaires. Un grand nombre de détenus acquièrent des diplômes et l'un d'eux a même obtenu un doctorat. Des ordinateurs ont été mis à disposition et une formation aux technologies de l'information est dispensée.

42.Les centres sont dotés de quartiers spéciaux conçus pour des personnes handicapées ou ayant des besoins particuliers: fauteuils roulants, béquilles, déambulateurs et autres matériels sont mis à disposition. Des programmes spéciaux sont en place pour les nouveaux détenus ainsi que pour ceux qui sont sur le point d'être remis en liberté, afin de faciliter leur réinsertion dans la société. Des conseils composés de représentants des détenus permettent d'assurer la liaison avec les autorités administrant les centres.

43.La Direction de la sûreté publique permet aux organisations internationales, aux organisations de la société civile, au CICR, aux comités des libertés de la Chambre des députés ainsi qu'aux représentants des syndicats et des médias d'avoir accès aux centres pour rencontrer des détenus et se renseigner sur leurs conditions de détention. La Direction a également signé un mémorandum d'accord avec le Centre national des droits de l'homme, en vertu duquel ce dernier peut effectuer des visites inopinées dans tous les lieux de détention et d'enquête, ainsi que dans tous les centres de redressement et de réinsertion. Le Centre national des droits de l'homme et d'autres institutions ont effectué 869 visites dans ces établissements en 2009.

44.La Direction de la sûreté publique a ouvert un centre de formation à l'intention du personnel des centres de redressement et de réinsertion. À ce jour, quelque 2 500 membres du personnel ont bénéficié de ces stages, axés tout particulièrement sur les principes relatifs aux droits de l'homme et sur les normes internationales en matière de traitement des détenus.

45.Il est actuellement envisagé de transférer au Ministère de la justice la responsabilité de la surveillance des centres de redressement et de réinsertion. Évoquant les incidents survenus au centre de Muwaqqar en 2008, M. Al Shishani précise qu'un certain nombre de détenus dangereux avaient mis le feu à leur quartier et commencé à détruire différentes installations et à agresser d'autres détenus, dont trois ont été brûlés vifs. Les enquêtes ouvertes par la suite et les autopsies réalisées par des médecins étrangers n'ont fait ressortir aucun signe de torture. Il a été constaté que le personnel de l'établissement, qui s'était employé à éteindre le feu et avait fait appel à l'aide extérieure, ne s'était rendu coupable d'aucun acte de torture ou mauvais traitement. Enfin, il n'existe ni impunité pour quelque crime que ce soit, ni immunité des poursuites, toute infraction étant portée devant le tribunal compétent en vertu du Code de procédure pénale.

46.En ce qui concerne le décès, en 2008, de Sadem Al Saoud et de Fakhri Al Anani, deux suspects ayant opposé une résistance lors de leur arrestation, les policiers en cause ont fait un usage excessif de la force et ont été convaincus d'avoir battu les victimes à mort. Ils sont passés en jugement devant le tribunal de la police. Un programme de formation sur la lutte contre la torture est actuellement dispensé au personnel du Service des renseignements généraux.

47.M. Masarwah (Jordanie) déclare que toutes les activités menées et procédures suivies par le Service des renseignements généraux, organe créé en vertu de la loi, se déroulent dans les strictes limites de la légalité. Tout les membres de son personnel, qu'ils soient agents de l’État ou qu'ils fassent partie de l'appareil judiciaire, doivent agir dans le respect de la Constitution et des lois jordaniennes et notamment du Code pénal. Ils sont tenus de se conformer à toutes les garanties juridiques relatives aux arrestations, aux perquisitions et aux écoutes téléphoniques. C'est le Procureur général qui est chargé de superviser les activités du Service, et seul le personnel de son bureau dispose de pouvoirs d'arrestation.

48.La durée maximale de la détention faisant suite à une arrestation est de sept jours. Mais en pratique, beaucoup de personnes arrêtées ne demeurent en garde à vue que 24 heures, et sont libérées dès que leur dossier a été transmis au bureau du procureur. La durée de la garde à vue varie en fonction de la gravité de l'infraction qui a entraîné l'arrestation, et de la question de savoir si l'intéressé représente une menace pour la sécurité de l’État. En cas de placement en détention, les membres de la famille sont informés et peuvent rendre visite au détenu, même au cours de la période de sept jours. Les détenus ont aussi accès à un avocat et ne peuvent être interrogés qu'en présence d'un conseil, faute de quoi la procédure est considérée comme nulle et non avenue. On estime important que toute personne accusée d'une infraction connaisse ses droits.

49.Le personnel du Service des renseignements généraux, comme d'ailleurs celui de tous les organes d’État, est conscient de ses obligations en matière de droits de l'homme. Le Service pratique la transparence à l'égard de toutes les institutions de la société civile, notamment celles qui se consacrent à la protection et à la promotion des droits de l'homme. Des représentants du Service prennent part à des ateliers organisés par diverses institutions de la société civile.

50.De même que d'autres États, la Jordanie s'est dotée d'une législation à caractère préventif pour lutter contre différentes formes de terrorisme. Les mesures prises sont conformes à ses obligations internationales, à la promotion et à la protection des droits de l'homme et aux garanties juridiques et procédurales. Le but de cette législation est de prévenir les actes de terrorisme et le recrutement de terroristes, et d'interdire le financement du terrorisme. En l'absence d'une définition du crime de terrorisme convenue à l'échelle internationale, la Jordanie a fondé sa législation sur les termes utilisés dans la convention régionale conclue par les États arabes. Pour que le principe nullum crimen sine lege soit respecté, les éléments constitutifs de ce crime doivent être définis de façon assez détaillée. Il appartient au Procureur général et aux tribunaux d'établir si tel ou tel acte constitue un crime de terrorisme. Le bureau du procureur doit avoir autorisé toutes les mesures prises en matière de surveillance des suspects et des résidences des particuliers ainsi que de recherche et de saisie de capitaux éveillant les soupçons. De telles mesures revêtent toujours un caractère provisoire et peuvent être contestées devant la Cour de cassation.

51.Abordant la question de l'expulsion, M. Masarwah souligne que les ressortissants étrangers résidant légalement en Jordanie jouissent des mêmes droits et libertés que les citoyens jordaniens. Un étranger ne peut être expulsé que si sa présence en Jordanie est irrégulière ou s'il a été condamné pour une infraction pénale représentant un danger pour la sécurité nationale. C'est le Ministère de l'intérieur qui tranche en pareil cas, mais il est possible de faire appel de ses décisions devant la Cour suprême. En pratique, il y a fort peu d'expulsions, et nul ne peut être envoyé vers un État où il court vraisemblablement le risque d'être torturé. Toute personne expulsée de Jordanie peut choisir son État de destination.

52.Des questions ont été posées au sujet des détentions administratives et de la législation relative à la prévention du crime. La loi a pour but de protéger les personnes et les biens, et elle ne vise que les personnes considérées comme représentant une menace bien réelle pour les personnes ou les biens. La législation ne s'applique pas de manière arbitraire puisque toute personne détenue en vertu de la loi peut être libérée dès lors qu'elle est en mesure d'apporter la preuve qu'elle ne représente pas une telle menace. L'application de la loi est supervisée par des fonctionnaires de rang élevé ayant reçu une formation en matière de droits de l'homme. Un programme de formation destiné aux fonctionnaires du Ministère de l'intérieur et portant sur les obligations internationales de la Jordanie est actuellement en cours. Quant aux statistiques relatives aux personnes détenues, elles couvrent toutes les durées de détention, y compris des périodes ne dépassant pas dix minutes.

53.Pour ce qui est du non-refoulement et des obligations découlant de l'article 3 de la Convention, il y a lieu de préciser qu'en application d'un accord conclu avec le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, aucun réfugié ne peut être extradé en raison de ses convictions politiques ou d'actes inspirés par ces convictions. La Jordanie offre un refuge à de nombreux Iraquiens n'ayant pas le statut de réfugié; elle les traite avec humanité et de façon civilisée, leur donnant accès à l'éducation et aux services de santé même lorsqu'ils ne résident pas légalement sur son territoire. Des organisations tant gouvernementales que non gouvernementales œuvrent à la réinsertion des Iraquiens dont la santé physique ou mentale est altérée.

54.M. Madi (Jordanie) remercie le Comité qui s'emploie à améliorer la façon dont son pays applique la Convention et à appeler son attention sur les problèmes qui se posent.

55.M me Gaer (Rapporteuse pour la Jordanie), estime qu'un intervalle de 15 ans entre deux rapports est excessif, car beaucoup d'événements susceptibles d'appeler des éclaircissements se produisent durant un tel laps de temps. Le Comité apprécie la déclaration selon laquelle les droits sont garantis par la Constitution, mais continue de s'inquiéter à ce sujet étant donné que si l'article 7 de la Constitution consacre la liberté des personnes, il n'y est pas question de la liberté de ne pas être torturé. Il est permis de se demander pourquoi tels droits sont garantis mais non tels autres. Mme Gaer n'est pas certaine qu'il ait été répondu à la question de savoir s'il est prévu d'apporter des modifications ou ajouts à la Constitution, et elle aimerait recevoir des éclaircissements à ce sujet.

56.Dans son rapport sur la visite qu'il avait effectuée en Jordanie en 2006, le Rapporteur spécial sur la torture indiquait qu'il avait été empêché d'enquêter sur certains lieux de détention et que des fonctionnaires avaient délibérément tenté de faire obstacle à ses travaux; le Comité est donc amené à évoquer de nouveau la question de savoir qui est admis à visiter des lieux de détention, et lesquels. Des informations utiles ont été apportées au sujet des ONG, du Centre national des droits de l'homme et des organisations étrangères ayant pu effectuer des visites, mais il est difficile de savoir combien de visites, sur le total cité, ont été effectuées par des représentants du gouvernement. Une autre question à laquelle il n'a pas été répondu concerne les visites inopinées. Mme Gaer croit comprendre que les visites effectuées par le Centre national des droits de l'homme doivent être annoncées à l'avance et elle souhaiterait en avoir confirmation.

57.Plusieurs réponses ont été apportées au sujet du non-retrait de la nationalité: d'une manière générale, l'État partie semble affirmer que les allégations formulées à cet égard par diverses entités internationales déforment grossièrement les faits et les chiffres. Or, le Comité a reçu un gros rapport établi avec l'aide de Human Rights Watch, selon lequel les retraits de nationalité s'effectuent au hasard et de manière arbitraire, et qu'ils sont sans recours. L'État partie suggère-t-il que la démarche de Human Rights Watch est défectueuse?

58.Il a été affirmé à plusieurs reprises que les ordres d'un supérieur ne sauraient être invoqués pour excuser des actes de torture. Or le rapport de Human Rights Watch daté d'octobre 2008 fait état d'un incident à la prison de Swaqa à la suite duquel le directeur de cet établissement a été condamné à une amende et révoqué pour avoir ordonné le passage à tabac de 70 prisonniers et y avoir participé, cependant que 12 gardiens étaient jugés non coupables au motif exprès qu'ils avaient obéi aux ordres. Il serait important de savoir si une personne accusée de torture peut invoquer les ordres d'un supérieur pour sa défense ou même simplement être innocentée pour ce motif.

59.L'un des problèmes évoqués par le Rapporteur spécial dans son rapport a trait au fait qu'il n'y a pas de personnel spécialement formé pour travailler dans les établissements pénitentiaires, et que ce sont d'ex-agents de la sécurité qui, à tour de rôle, font fonctions d'agents du service pénitentiaire. Il serait souhaitable que l'État partie commente cette observation.

60.Au sujet des trois personnes décédées à la prison de Muwaqqar, il a été indiqué au Comité que l'autopsie n'a révélé aucun signe de torture et qu'une commission spéciale indépendante a été chargée d'examiner l'affaire. Ces dispositions ont-elles été prises après la parution du rapport de Human Rights Watch ou avant? Les familles n'ont pas été informées de ces investigations et une fois de plus, la police est à la fois la partie visée par l'enquête et l'instance qui enquête. Les poursuites ont été abandonnées, et le tribunal de la police n'est guère susceptible d'éclairer des civils sur ce qui paraît être une enquête interne. Il serait utile que l'État partie présente des observations à ce sujet.

61.M. Gallegos Chiriboga (Corapporteur pour la Jordanie) tient à souligner que le dialogue engagé avec l'État partie se déroule dans un esprit de collaboration et il remercie une délégation qui a bien conscience que le but du Comité est de soutenir les efforts faits par ce pays pour régler des problèmes auxquels la communauté internationale attache beaucoup d'importance.

62.Pour ce qui est de la violence à l'égard des femmes, les accusations formulées à l'échelle internationale attestent que le problème est général. Un autre sujet d'inquiétude concerne les représailles auxquelles s'exposent ceux qui, en Jordanie, dénoncent cette situation. Il est en outre à craindre que ceux qui communiquent des informations aux organisations effectuant des visites dans les prisons, voire les membres de ces organisations eux-mêmes, courent un danger.

63.M. Gallegos Chiriboga s'inquiète aussi de la différenciation qui caractérise le système judiciaire, dont la division en plusieurs volets – civil, policier et militaire – est de nature à favoriser l'impunité, puisque ce sont les mêmes personnes qui sont juges et parties. Une plus grande transparence s'impose à cet égard, et celle-ci pourrait être mesurée en examinant les condamnations prononcées en divers points du système: si la torture est considérée comme une infraction très grave par certains tribunaux et comme une infraction relativement mineure par d'autres, il faudrait rendre la législation plus claire et plus aisément applicable.

64.S'il est vrai qu'il existe des lois interdisant que les auteurs d'actes de torture jouissent de l'impunité, l'important est d'établir si cette disposition est respectée, en recherchant combien de personnes ont été condamnées, quelle a été la sévérité de leur peine, et si les condamnations prononcées sont conformes aux normes internationales que la Jordanie s'est engagée à respecter. D'après des renseignements fournis au Comité, des efforts sont faits et toute une série d'études et de stages de formation sont en cours, ce qui est fort louable; mais ce que le Comité préconise avant tout, c'est qu'il soit procédé à des visites inopinées dans les locaux du Service des renseignements généraux. Si la direction d'une prison militaire ou d'un établissement de la police apprend qu'une visite va avoir lieu, elle peut s'arranger pour que tout semble parfait. Plus de transparence s'impose donc, et les autorités civiles doivent exercer une supervision sur les appareils policier et militaire.

65.Le Corapporteur en vient à la discussion qui a eu lieu au sujet de l'indemnisation des victimes de la torture, physique mais aussi psychologique. Il souhaiterait apprendre s'il y a eu des cas où une indemnisation a effectivement été accordée. Ici encore, la délégation a bien indiqué que cela était prévu par la législation, mais les lois doivent être appliquées et leur efficacité évaluée.

66.La situation des défenseurs des droits de l'homme est également préoccupante. Leur donner la possibilité de s'acquitter de leur mission en toute indépendance, sans risque de représailles et avec l'appui ferme de l'État est le signe distinctif d'une société civilisée; en effet, les défenseurs des droits de l'homme aident l'État à prendre conscience des problèmes qui se posent à la société et contribuent ainsi à faire évoluer les mentalités de façon que la torture ou les traitements cruels, inhumains et dégradants ne soient plus qu'un mauvais souvenir. À cet égard, la Jordanie a des efforts particuliers à faire.

67.M me Sveaass appuie les observations de M. Gallegos Chiriboga au sujet des défenseurs des droits de l’homme. Il est extrêmement important que ceux-ci soient respectés, qu'ils bénéficient d'une protection et qu'ils puissent se consacrer à leur tâche en toute sécurité.

68.C'est avec satisfaction que Mme Sveaass apprendra que l'âge de la responsabilité pénale, fixé à l'origine par une loi datant de 1968, n'est plus de sept ans. Elle espère aussi que la loi permettant à un violeur d'échapper à tout châtiment en épousant sa victime sera modifiée à bref délai; cette disposition est réellement d'un autre âge.

69.Il serait utile d'obtenir davantage d'informations sur le droit des détenus de demander à être examinés par un médecin, et notamment de savoir qui est habilité à demander qu'un médecin procède à un examen plus complet en cas de torture.

70.Les renseignements déjà fournis sur les centres de réinsertion sont fort utiles, mais le Comité souhaiterait être renseigné sur les services de réinsertion offerts dans le cadre du traitement et des soins dispensés aux victimes de la torture après leur détention.

71.M me Belmir souscrit à la remarque de Mme Sveaass au sujet de la responsabilité pénale des mineurs. Il serait important que l'État partie s'attaque aux causes de la délinquance juvénile: exploitation des enfants à des fins commerciales, problème des enfants des rues, etc.

72.À propos des juridictions spécialisées telles que le tribunal de la police, il a déjà été dit que ce type de juridiction est incompatible avec le principe du droit à un procès équitable. Peut-être existe-t-il une façon acceptable de traiter au sein même des forces de police de problèmes purement disciplinaires par exemple, mais on ne saurait demander à la police d'être à la fois juge et partie; elle doit s'en remettre aux tribunaux ordinaires, faute de quoi on risque de voir telles ou telles entités sociales restreintes se doter de leur propre juridiction, comme cela a d'ailleurs été le cas pour la Cour de sûreté. L'État partie devrait réfléchir aux changements qu'il pourrait apporter à son système judiciaire, lequel au demeurant compte en son sein des magistrats de qualité et de haute réputation.

73.C'est un droit souverain pour chaque État que d'accorder ou non la nationalité à un étranger, mais dès lors qu'il l'a fait, cette nationalité doit être respectée. Toute personne ayant acquis une nationalité a de ce fait acquis certains droits qui ne sauraient lui être retirés, à moins qu'elle n'ait commis une infraction très grave ou qu'elle ait répudié ladite nationalité.

74.Mme Belmir en appelle à l'État partie pour qu'il se préoccupe bien davantage du problème de la traite des êtres humains et en particulier des femmes, car il s'agit là d'une forme moderne d'esclavage. Ce commerce attente à la fois aux droits de l'homme et à la dignité des personnes.

75.M. Mariño Menéndez, se référant aux différents points évoqués à propos de la nationalité, voudrait savoir si le droit jordanien comporte des dispositions concernant l'apatridie et si la Jordanie a ratifié, ou a l'intention de ratifier, les deux instruments principaux relatifs à la protection des droits des apatrides et à la réduction des cas d'apatridie. Si le retrait de la nationalité jordanienne fait de quelqu'un un apatride, quelle protection lui accorde la loi?

76.Par ailleurs, il serait souhaitable d'obtenir des éclaircissements au sujet des règles applicables aux établissements gérés par les services de renseignements. Il a été indiqué au Comité que ces services relèvent à la fois des dispositions de la Constitution et du droit commun, qui leur fournit le cadre dans les limites duquel ils doivent fonctionner, mais il n'a toujours pas été répondu à la question de savoir si les interrogatoires menés par eux le sont en application d'un règlement spécifique, ou bien en vertu des dispositions générales de la loi. Certaines techniques d'interrogatoire sont-elles prohibées, ou bien y a-t-il simplement une interdiction générale de la torture ou des traitements inhumains?

77.Pour le Président, deux questions indissociables semblent se poser: l'une concerne l'existence d'un cadre légal, point capital car il permet d'évaluer ce qui est en train d'être fait et de mesurer si, d'un point de vue juridique, l'État partie se conforme à ses obligations internationales. La seconde question est celle de l'application effective des textes; établir s'il leur est ou non donné effet est une préoccupation essentielle du Comité.

78.La situation en ce qui concerne les mariages contractés à la suite d'un viol reste à éclaircir. Il serait utile de savoir s'il existe des statistiques relatives à ces mariages, ventilés en fonction de l'âge de la femme.

79.Il serait par ailleurs souhaitable d'obtenir davantage de données sur les transferts illégaux, et de savoir si la Jordanie estime qu'il conviendrait d'enquêter spécifiquement sur ce problème compte tenu des informations publiées dans les médias et de l'opinion publique internationale. Il est important de mettre au jour les cas de torture ou de mauvais traitements, de façon qu'ils ne se reproduisent pas.

80.Le dialogue entre le Comité et l'État partie se poursuit. Il serait utile que la délégation envoie rapidement et par écrit tous renseignements supplémentaires qu'elle souhaiterait communiquer, de façon qu'il puisse en être tenu compte dans les observations finales. Le Président remercie la délégation de s'être efforcée de répondre aux questions du Comité et d'avoir fait montre d'un grand professionnalisme. Il a particulièrement apprécié la passion avec laquelle le chef de la délégation s'est exprimé, notamment à propos des réfugiés – un problème majeur pour la Jordanie. Le Comité a beaucoup appris sur ce pays.

La séance est levée à 1 2 h 15 .