Nations Unies

CAT/C/SR.935

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

12 mai 2010

Original: français

Comité contre la torture

Quarante ‑ quatr ième session

Co mpte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 935 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le vendredi 30 avril 2010, à 15 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (suite)

Sixième rapport périodique de la Suisse

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19 de la Convention (point 7 de l’ordre du jour) (suite)

Sixième rapport périodique de la Suisse (CAT/C/CHE/6; CAT/C/CHE/Q/6; CAT/C/CHE/Q/6/Add.1; HRI/CORE/1/Add.29/Rev.1)

1. À l’invitation du Président, la délégation suisse prend place à la table du Comité.

2.M. Stadelmann (Suisse) dit que la Suisse, convaincue que l’examen périodique de la mise en œuvre de la Convention contre la torture constitue un élément clef de la lutte contre la torture et les mauvais traitements, s’associe pleinement aux efforts déployés par le Comité pour faire respecter la Convention. La Suisse tient à réaffirmer sa politique de tolérance zéro envers tout acte de torture et autres mauvais traitements.

3.Le sixième rapport périodique de la Suisse, qui couvre la période comprise entre le 1er juillet 2000 et le 30 avril 2008, a été soumis au Comité le 2 juillet 2008. Plusieurs faits nouveaux importants se sont produits depuis. Le 24 septembre 2009, la Suisse a ratifié le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il convient de rappeler que la Suisse, à travers Jean-Jacques Gautier, fondateur de l’Association pour la prévention de la torture (APT), a joué un rôle moteur dans l’élaboration de cet instrument. En application du Protocole facultatif, une commission nationale de prévention de la torture a été créée; elle est entrée en fonction le 1er janvier 2010. Présidée par le représentant de la Suisse au sein du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), elle est composée de 12 experts spécialistes des domaines juridique et médical, de la poursuite pénale et de l’exécution des peines.

4.Dans le rapport qu’il a publié en novembre 2008 sur sa cinquième visite en Suisse, le CPT n’a relevé aucun signe de torture ou de mauvais traitements graves dans les établissements où il s’est rendu, que ce soit dans les locaux de la police, les établissements accueillant des personnes sous le coup d’une mesure thérapeutique institutionnelle ou d’une mesure d’internement, les unités de haute sécurité ou les foyers d’éducation pour mineurs. Il a cependant formulé des recommandations tendant à améliorer la protection des personnes détenues dans ces différents établissements, qui ont déjà été en partie mises en œuvre par les autorités suisses.

5.Des progrès ont été réalisés en ce qui concerne l’adaptation du droit pénal suisse au Statut de Rome de la Cour pénale internationale, ratifié par la Suisse le 12 octobre 2001 et entré en vigueur le 1er juillet 2002. Le Parlement fédéral examine actuellement un projet de loi visant à introduire la notion de crimes contre l’humanité dans le droit pénal suisse et à définir plus en détail les éléments constitutifs des crimes de guerre.

6.Plusieurs projets législatifs d’envergure ont été menés à bien ou sont en cours. Le nouveau code de procédure pénale, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2011, remplacera les 26 codes cantonaux de procédure pénale et la loi fédérale sur la procédure pénale. Il renforcera les droits de la défense et les droits des victimes, ainsi que les mesures de protection des témoins. La procédure applicable aux mineurs fera l’objet d’une loi distincte, qui mettra l’accent sur la protection et l’éducation. L’unification du droit de la procédure pénale permettra de mieux respecter les principes de l’égalité devant la loi et de la sécurité du droit et de lutter plus efficacement contre la criminalité. Le code de procédure civile, qui entrera également en vigueur le 1er janvier 2011, simplifiera l’accès à la justice et, partant, facilitera la réalisation du droit au quotidien. Il contribuera également à la transparence et à la prévisibilité des règles et permettra une unification de la jurisprudence.

7.Un projet de révision partielle de la loi sur l’asile a été lancé en janvier 2009 et devrait être présenté au Parlement en 2010. Plusieurs organisations consultées dans ce cadre ont signalé un manque de clarté dans la systématisation des motifs de non-entrée en matière, à la suite de quoi une proposition tendant à substituer une procédure matérielle accélérée à la procédure de non-entrée en matière a été présentée. Parallèlement, une réflexion sur l’adaptation et la simplification nécessaires de la procédure de non-entrée en matière a été menée. La commission d’experts mandatée par le Département fédéral de justice et police a proposé des modifications établissant une distinction entre la procédure de non-entrée en matière, qui resterait assortie d’un délai de recours de cinq jours, et une procédure matérielle d’asile uniformisée assortie d’un délai de recours de quinze jours. La première s’appliquerait uniquement aux personnes provenant d’un État tiers sûr et aux personnes transférées en application du Règlement du Conseil de l’Europe établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (Règlement Dublin II). Elle ne concernerait donc plus les personnes ne pouvant pas présenter de documents d’identité. En outre, pour améliorer la protection juridique des demandeurs d’asile, la représentation lors de l’audition, actuellement assurée par des organismes d’entraide, devrait être remplacée par une prestation de conseil financée par la Confédération, qui porterait sur la procédure et l’évaluation des chances.

8.En 2010, la Suisse a inauguré un nouveau système de statistique policière de la criminalité qui a permis pour la première fois de recenser selon des critères identiques l’ensemble des délits enregistrés dans les 26 cantons du pays et de centraliser ces données en vue de leur analyse. Cette innovation comble des lacunes de longue date dans l’information sur la criminalité.

9.M. Gaye(rapporteur pour la Suisse) accueille avec satisfaction la ratification par l’État partie du Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture ainsi que les différentes réformes du droit interne qui ont été entreprises, notamment l’harmonisation du droit procédural pénal.

10.Dans sa réponse à la question de savoir pourquoi il n’avait pas incorporé dans son droit pénal de définition spécifique de la torture, l’État partie a fait valoir que l’incorporation d’une telle définition n’était pas nécessaire dans la mesure où les actes de torture tombaient sous le coup d’autres infractions prévues par le Code pénal et étaient donc réprimés en droit pénal suisse. Pour le Comité, cet argument n’est pas recevable. La Convention de Vienne sur le droit des traités dispose expressément qu’un État ne peut invoquer les dispositions de son droit interne pour justifier la non-exécution d’un traité. De ce point de vue, tout État partie à la Convention contre la torture se doit d’incorporer dans son droit interne une définition de la torture conforme à celle qui figure dans la Convention.

11.En outre, l’absence d’une incrimination spécifique de la torture fait que les peines prononcées à l’encontre d’auteurs d’actes de torture ne sont souvent pas proportionnelles à la gravité des actes commis. C’est ainsi que des agents de l’État, poursuivis pour abus d’autorité ou voies de fait faute de pouvoir l’être pour torture, sont condamnés à des peines très légères, comme le montrent les exemples cités par l’État partie dans ses réponses (p. 2 et 3). En n’incorporant pas de définition spécifique de l’infraction de torture dans son droit pénal, l’État partie non seulement manque à ses obligations au regard des articles 1er et 4 de la Convention, mais compromet la mise en œuvre de l’ensemble des mesures visant à empêcher la torture prévues par la Convention, et tout particulièrement en matière de non‑refoulement. Il est donc de la plus haute importance que l’État partie définisse expressément l’infraction de torture dans son droit pénal.

12.L’internement à vie des délinquants sexuels ou violents qualifiés d’extrêmement dangereux, sans possibilité de mise en liberté anticipée ou de congé (par. 10 du rapport), prévu par l’article 123a de la Constitution, soulève des préoccupations au regard de l’article 2. Cette disposition a-t-elle déjà été appliquée et, dans l’affirmative, des exemples concrets pourraient-ils être donnés? Des précisions concernant la notion de «délinquants sexuels ou violents qualifiés d’extrêmement dangereux» et les «expertises nécessaires au jugement» seraient utiles. L’alinéa 2 de l’article 123a de la Constitution prévoit que l’autorité qui prononce la levée de l’internement au vu de nouvelles expertises établissant que le délinquant ne représente plus de danger pour la collectivité est responsable en cas de récidive, ce qui est pour le moins inhabituel. Toute explication que la délégation pourra donner à ce sujet sera la bienvenue. L’internement à vie pour raison de sûreté est-il également applicable aux mineurs? Si le souci de mettre à l’écart les individus représentant un danger pour la société est légitime, il devrait néanmoins exister d’autres moyens d’y veiller, davantage respectueux de la dignité humaine.

13.À propos de la répartition des compétences entre les autorités civiles et militaires de poursuite pénale, il semble ressortir des informations figurant dans le rapport de l’État partie (par. 13) que les infractions commises par des civils contre des membres de l’armée suisse relèvent de la compétence du Tribunal militaire. Il faudrait être sûr que les principes d’un procès équitable sont dûment respectés en pareil cas.

14.Les informations communiquées par l’État partie sur les attributions de la Commission nationale de prévention de la torture (par. 16 des réponses écrites) n’indiquent pas si celle-ci peut saisir directement l’autorité judiciaire dans le cadre d’une procédure d’alerte. Il serait intéressant de savoir si tel est le cas. L’engagement pris par la Suisse dans le cadre de l’Examen périodique universel de créer une institution nationale des droits de l’homme n’a à ce jour pas été suivi d’effet. La délégation pourra peut-être indiquer si des progrès ont été faits dans ce sens.

15.Il serait utile d’en savoir plus sur les conditions qui encadrent l’utilisation des pistolets à impulsions électriques. L’expérience a en effet montré que, mal utilisées, ces armes, en principe simplement incapacitantes, pouvaient entraîner la mort.

16.L’interdiction absolue de la torture consacrée par l’article 2 de la Convention exclut toute justification de la torture par des circonstances exceptionnelles ou par l’ordre d’un supérieur. Or le nouvel article 14 du Code pénal (par. 24 du rapport) n’énonce pas clairement ce principe, dont le respect est d’autant plus difficile à garantir que les faits de torture ne peuvent être qualifiés comme tels faute d’une définition distincte de la torture dans le droit pénal. En outre, il ne semble pas exister de mécanisme pour protéger les agents de l’État qui refusent d’exécuter un ordre illégal contre d’éventuelles sanctions professionnelles. Des précisions à ce sujet seraient utiles.

17.De fréquentes allégations dénoncent les violences, humiliations et autres actes constitutifs de traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés par les agents des forces de l’ordre à des étrangers dans le cadre d’opérations d’éloignement par voie aérienne. Le cas récent d’un demandeur d’asile nigérian, décédé à l’aéroport de Zurich pendant son expulsion, en est une illustration tragique. À ce propos, la délégation pourra peut-être indiquer quelles ont été les conclusions de l’enquête et quelle suite y a été donnée. Il est urgent que l’État partie mette en place un dispositif de surveillance garantissant la présence d’observateurs indépendants et de médecins lors des opérations d’éloignement. Le Comité souhaiterait connaître ses intentions à ce sujet.

18.L’État partie affirme dans ses réponses écrites (par. 24) qu’à ce jour, aucun cas de torture ou de peine inhumaine ou dégradante n’a été signalé dans le contexte des rapatriements. Pourtant, l’exemple susmentionné et les informations reçues par le Comité de sources fiables indiquent le contraire. Parmi les différents cas signalés figure celui de M. A., frappé et blessé par des policiers alors qu’il refusait de monter dans l’avion à bord duquel il devait quitter le pays. Suite à sa plainte, il a été entendu par les collègues des policiers mis en cause mais a été expulsé rapidement avant qu’une enquête impartiale et indépendante ait pu être menée. Il serait utile d’entendre la délégation à ce sujet.

19.Les explications données par l’État partie concernant l’autorisation d’utiliser son espace aérien et ses aéroports de Genève et de Zurich qu’il aurait accordée à des aéronefs transportant des personnes détenues sans jugement vers des pays où elles auraient été torturées par la suite sont insuffisantes. Le Comité souhaiterait notamment obtenir des précisions concernant l’affaire Abou Omar, sur laquelle une enquête a été ouverte mais aurait semble-t-il été suspendue. Il voudrait savoir si tel est bien le cas et, dans l’affirmative, comment il est possible qu’une enquête soit suspendue sans qu’une décision sur le fond ait été rendue.

20.La réglementation suisse en matière d’expulsion est assez complexe et il est notamment difficile d’établir une distinction entre les cas dans lesquels les recours sont suspensifs et ceux où ils ne le sont pas. De plus, les demandes d’asile sont traitées différemment selon les cantons; une harmonisation de la réglementation en la matière au niveau fédéral serait souhaitable. Il est étonnant que des frais soient perçus pour le réexamen des demandes d’asile qui ont été rejetées une première fois. Cette pratique, en effet, tend à priver les demandeurs d’asile, qui sont souvent dans une situation précaire, de la possibilité de former un recours. De manière générale, il y a, dans l’État partie, un risque indéniable de violation fréquente du principe de non-refoulement. Il serait intéressant de connaître l’avis de la délégation à ce sujet.

21.On constate un recours abusif à la rétention des étrangers qui demandent l’asile ou le statut de réfugié. Il conviendrait de trouver des solutions autres que le placement en détention pendant de longues périodes de personnes qui n’ont pas commis d’infraction, lequel constitue une violation des conventions internationales. M. Gaye se demande par ailleurs comment l’État partie procède pour déterminer qu’un État tiers donné est sûr. Il estime, enfin, que la notion de torture auquel l’État partie se réfère dans le cadre de sa gestion des flux migratoires pose problème dès lors qu’elle n’est pas consacrée par son droit positif.

22.M. Mariño Men é ndez (Corapporteur pour la Suisse) prend note avec satisfaction des mesures tendant à harmoniser le droit suisse en matière d’asile avec celui de l’Union européenne. Il souhaiterait savoir à partir de quel moment, dans la pratique, on considère qu’une personne appréhendée par la police est officiellement en état d’arrestation ou placée en détention et bénéficie ainsi du droit à l’assistance d’un avocat et de la possibilité de prévenir une personne de son choix. Il conviendrait aussi de préciser si le droit suisse prévoit l’expulsion administrative immédiate d’un étranger pour des raisons de sécurité, sans recours possible, ou si, au contraire, une décision d’expulsion est toujours susceptible de recours.

23.Le Comité a souvent observé qu’il y avait une certaine contradiction entre le paragraphe 2 de l’article 33 de la Convention relative au statut des réfugiés, qui autorise l’expulsion d’un étranger lorsqu’il y a des raisons sérieuses de le considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouveou lorsqu’il a été condamnépour un crime ou un délit particulièrement grave, et l’article de 3 de la Convention contre la torture. Il y a lieu de préciser si la Suisse considère que cette disposition de la Convention relative au statut des réfugiés l’autorise à expulser un réfugié dans un pays dans lequel il court un risque au sens de l’article 3 de la Convention contre la torture.

24.Il serait intéressant de savoir si les directives relatives à l’expulsion qui sont actuellement en cours d’élaboration traiteront de la question de l’utilisation des pistolets à impulsions électriques. Le cas du Nigérian décédé au cours de son expulsion a mis en lumière la nécessité de former davantage les forces cantonales et fédérales aux techniques d’utilisation de la force physique; la délégation pourra peut-être préciser s’il est envisagé de dispenser une telle formation.

25.Évoquant le problème du surpeuplement de certaines prisons suisses, M. Mariño Menéndez fait observer que celui-ci découle dans une large mesure de ce que les personnes en détention provisoire sont placées avec les condamnés. Si des mesures ont été prises pour y remédier dans la prison de Champ-Dollon, cela n’est pas le cas dans d’autres prisons. Il serait utile d’en savoir plus sur les mesures que la Suisse entend prendre pour corriger cette situation.

26.Les plaintes déposées contre la police pour mauvais traitements ne reçoivent pas toujours l’attention voulue, d’où la recommandation, formulée à diverses reprises, de mettre en place au sein des administrations cantonales un mécanisme indépendant chargé d’enquêter sur de telles plaintes. Des ONG ont souligné que l’institution de l’Ombudsman, si elle est véritablement efficace dans un ou deux cantons, ne l’est pas dans d’autres, où règne une sorte de loi du silence. Les organes de police compétents ne mènent pas d’enquêtes sérieuses sur les actes répréhensibles commis par des policiers, de sorte que les victimes sont impuissantes à faire valoir leurs droits. Il semblerait qu’il soit également difficile pour les victimes de torture d’obtenir réparation.

27.Il ressort des informations dont dispose le Comité que la Suisse sollicite la collaboration des victimes pour lutter contre la traite mais que, dans le même temps, elle n’offre pas de protection particulière aux personnes qui prennent le risque de dénoncer les auteurs de la traite. Est-il envisagé d’accorder un permis de résidence aux personnes qui collaborent de la sorte avec les autorités ou de prendre d’autres mesures en leur faveur?

28.Il serait intéressant de savoir si une personne qui a obtenu la nationalité suisse peut en être déchue, et, dans l’affirmative, quels sont les motifs pouvant justifier une telle mesure. Si la personne déchue de la nationalité suisse devient apatride, est-elle autorisée à rester sur le territoire suisse ou est-elle expulsée? La délégation est également invitée à donner des précisions sur les conditions du regroupement familial pour les personnes qui ont obtenu un permis de résidence.

29.Abordant la question des femmes victimes de violence conjugale, M. Mariño Menéndez note que les étrangères qui ont obtenu un permis de résidence en Suisse par le mariage perdent ce permis s’il y a divorce ou séparation. Lorsque la séparation est motivée par des violences, la femme concernée doit prouver qu’elle a été maltraitée et qu’elle n’a pas la possibilité de se réinsérer dans son pays d’origine, ce qui est souvent difficile. M. Mariño Menéndez cite l’exemple d’une femme serbe qui a épousé un compatriote ayant également la nationalité suisse et qui, après avoir subi des violences de la part de son mari, a décidé de le quitter. Elle s’est vu retirer son permis de résidence et ordonner de retourner en Serbie; à cela s’ajoutait le fait que son mari la menaçait. L’affaire est en cours d’examen devant un tribunal fédéral, le tribunal de première instance lui ayant refusé le permis de résidence. Les autorités suisses pourraient-elles, face à de tels cas, envisager d’accorder à la femme un permis de résidence distinct de celui de son conjoint?

30.M. Mariño Menéndez note avec satisfaction que la Suisse n’a recours aux assurances diplomatiques que dans les seuls cas d’extradition. Il demande des précisions sur le statut de la commission fédérale de prévention de la torture qui va être mise en place, les garanties relatives à son indépendance, y compris son indépendance financière, le mode d’élection de ses membres et les modalités selon lesquelles elle fera rapport. La délégation, enfin, est priée d’indiquer si des sociétés de sécurité privées accomplissent certaines tâches de police et, dans l’affirmative, de fournir des renseignements sur le régime auquel elles sont soumises et sur la manière dont elles rendent compte de leurs actes à l’administration publique.

31.M me  Gaersouhaiterait des précisions sur les mesures prises pour garantir que les plaintes pour mauvais traitements déposées contre la police fassent l’objet d’une enquête approfondie et que les victimes et leur famille soient mieux informées de leur droit d’obtenir réparation. Elle souhaiterait également savoir quels cantons disposent de mécanismes indépendants pour recevoir et examiner des plaintes contre la police.

32.En ce qui concerne les demandeurs d’asile, il serait intéressant de savoir comment ils sont informés de leurs droits dans les aéroports et dans les zones de transit et dans quelle langue. Rappelant les dispositions de l’article 3 de la Convention, Mme Gaer demande à la délégation de préciser ce qui, en droit suisse, constitue des motifs sérieux de croire qu’une personne risque d’être soumise à la torture et quelles sont les règles de preuve applicables en la matière. Le demandeur doit-il établir qu’il y a une simple probabilité qu’il soit soumis à la torture, ou doit-il établir l’existence d’un tel risque au-delà de tout doute raisonnable? Doit-il produire des documents pour étayer ses affirmations? Il serait également très utile pour le Comité de savoir si ce processus est de nature administrative ou judiciaire et s’il est assorti de toutes les garanties d’une procédure régulière.

33.Mme Gaer souhaiterait savoir de quelle manière la police intervient dans les cas de violence familiale et si, au-delà des mesures prises pour protéger les victimes, les auteurs de tels faits font l’objet d’enquêtes et sont traduits en justice. Évoquant l’arrestation, en juillet 2008, d’Hannibal Kadhafi et de sa femme, qui étaient accusés d’avoir maltraité deux employés de maison étrangers, lesquels avaient sollicité l’aide des autorités, elle se demande quelles sont les obligations de la police dans de tels cas. Est-elle tenue par la loi de procéder à une arrestation, comme elle l’a fait, ou intervient-elle de la sorte seulement à partir d’un certain seuil de violence? Les accusations portées par les victimes ont ensuite été abandonnées, et la presse a rapporté que celles-ci avaient reçu un dédommagement. Mme Gaer, à cet égard, souhaiterait savoir si ces personnes sont toujours en Suisse ou si elles ont été obligées de quitter le pays une fois les accusations abandonnées. Des précisions sur cette affaire permettraient de mieux comprendre les recours dont disposent les victimes dans de telles situations, en particulier les personnes étrangères, dont il est dit qu’elles sont plus exposées à ce type de violence.

34.M me  Belmir salue les mesures prises par l’État partie pour maintenir la capacité de fonctionnement du Tribunal fédéral et jeter les bases de l’unification de la procédure pénale. Au paragraphe 10 du rapport, il est indiqué que le 8 février 2004, le peuple et les cantons suisses ont accepté l’initiative populaire fédérale intitulée «Internement à vie des délinquants extrêmement dangereux et non amendables». Il en est résulté l’ajout d’un article 123a dans la Constitution, selon lequel l’autorité qui prononce la levée de l’internement, au vu d’expertises établissant que le délinquant peut être amendé et qu’il ne représente plus un danger pour la collectivité, est «responsable» en cas de récidive. La délégation pourrait-elle apporter des précisions sur la nature de la responsabilité encourue par ces autorités, à savoir les juges? En ce qui concerne le traitement des ressortissants étrangers, on peut regretter que la reconnaissance de leur personnalité juridique ne soit pas toujours assurée.

35.M. Bruni note que la Commission nationale de prévention de la torture créée en tant que mécanisme national de prévention est tenue par la loi d’établir un rapport annuel public sur ses activités. Il voudrait savoir si les constatations de la Commission concernant ses visites dans les lieux de détention et les recommandations qu’elle adressera aux autorités compétentes figureront dans son rapport annuel.

36.Concernant l’application de l’article 3 de la Convention, des précisions seraient les bienvenues sur l’état de l’initiative populaire fédérale pour le renvoi des étrangers criminels, qui propose d’ajouter à l’article 121 de la Constitution une disposition prévoyant l’expulsion systématique des étrangers condamnés pour des actes criminels graves. Il semblerait que cette disposition soit contraire au principe de non-refoulement, mais également au paragraphe 3 de l’article 25 de la Constitution suisse qui dispose que «nul ne peut être refoulé sur le territoire d’un État dans lequel il risque la torture ou tout autre traitement ou peine cruels et inhumains». Il serait intéressant à cet égard de savoir quelle suite a été donnée au contre-projet indirect opposé par le Conseil fédéral à cette initiative. Est-il envisageable qu’une initiative populaire manifestement contraire à la Constitution fasse l’objet d’un référendum?

37.Des informations seraient aussi les bienvenues sur les suites de l’enquête concernant le décès d’un ressortissant nigérian survenu le 17 mars 2010 à l’aéroport de Zurich lors de son expulsion. Il semblerait que la procédure de rapatriement sous contrainte par voie aérienne ne soit pas conforme à la Convention; il serait intéressant de savoir ce qu’en pense la délégation. La présence d’un accompagnateur indépendant ne pourrait-elle pas être envisagée?

38.Concernant l’article 16 de la Convention, M. Bruni voudrait attirer l’attention de la délégation sur le problème de la surpopulation carcérale en Suisse. Même si le taux d’occupation moyen des établissements pénitentiaires suisses était de 91 % en 2009 − ce qui est convenable par rapport à la moyenne des pays membres du Conseil de l’Europe − un vrai problème de surpopulation carcérale subsiste depuis des années en Suisse romande. C’est notamment le cas à la prison de Champ-Dollon, dans le canton de Genève, dont le taux d’occupation serait supérieur à 200 % et où la situation se serait encore récemment détériorée. Les autorités genevoises compétentes ont annoncé un programme de construction rapide de modules préfabriqués qui permettra de créer 100 lits supplémentaires. On peut toutefois douter que cela soit suffisant pour remédier à une situation aussi urgente. La délégation pourrait-elle indiquer si d’autres mesures sont envisagées à court terme, comme le transfert de détenus dans d’autres établissements pénitentiaires? Ne pourrait-on pas prévoir la requalification de certains délits, de façon à éviter l’application de peines privatives de liberté?

39.M me  Sveaass voudrait savoir si les fonctionnaires de l’Office fédéral des migrations appliquent le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul). Elle demande en particulier si des examens médicaux peuvent être pratiqués sur les demandeurs d’asile de façon à détecter d’éventuels signes de torture, qui pourraient justifier l’asile ou l’octroi d’une protection. Notant que selon le nouvel article 123a de la Constitution, de nouvelles expertises ne sont effectuées sur le délinquant sexuel ou violent qualifié d’extrêmement dangereux que si de «nouvelles connaissances scientifiques» permettent d’établir qu’il peut être amendé, Mme Sveaass tient à rappeler que seul un examen au cas par cas et approfondi peut permettre de tirer de telles conclusions. Il serait intéressant de savoir comment les médecins et les psychologues suisses ont réagi à l’adoption de cet article.

40.Le nombre de mineurs placés en détention administrative, qui est actuellement de 71, est relativement élevé. La délégation pourrait-elle apporter des précisions sur la durée de leur détention et indiquer si ces mineurs bénéficient d’une assistance psychologique? Selon les nouvelles dispositions de la loi sur l’asile, tout mineur non accompagné a droit à l’assistance d’une personne de confiance, désignée pour l’aider à accomplir toutes les démarches déterminantes. Il serait intéressant de savoir qui exactement peut avoir accès au mineur pendant sa détention.

41.Relevant l’adoption par la Suisse de nouvelles dispositions légales concernant la traite des êtres humains, Mme Sveaass souhaiterait savoir combien de personnes ont été poursuivies en application de ce texte. Enfin, elle voudrait savoir si des ressortissantes étrangères peuvent être expulsées vers des pays où elles courent le risque d’être victimes d’un crime d’honneur.

42.M. Wang Xuexian note que la Suisse, qui compte environ 7,7 millions d’habitants − dont 1,6 millions sont issus de l’immigration − a su faire preuve de générosité dans l’octroi du droit d’asile et de titres de séjour. Il fait néanmoins observer que l’expulsion d’étrangers pour raisons de sécurité publique est une source de préoccupation pour le Comité, de même que la procédure accélérée d’examen des demandes d’asile, qui risque de porter atteinte aux droits des requérants. Quelles mesures ont été prises par la Suisse pour garantir le respect des droits des demandeurs d’asile dans le cadre de cette procédure? La délégation pourrait-elle indiquer par ailleurs si les observations finales du Comité contre la torture sont traduites dans les différentes langues officielles de la Confédération helvétique?

43.M me  Kléopas observe que le Comité a reçu des informations émanant d’organisations non gouvernementales selon lesquelles un nombre relativement important de mineurs non accompagnés disparaîtraient sur le territoire suisse pendant l’examen de leur demande d’asile et parfois même avant. Ces mineurs, qui disparaîtraient peu de temps après leur arrivée en Suisse, seraient particulièrement vulnérables à la traite à des fins d’exploitation sexuelle ou de travail forcé. La délégation pourrait-elle indiquer si des enquêtes ont été menées sur ces faits et si les autorités disposent d’informations sur le sort des personnes concernées. Par ailleurs, il serait intéressant de savoir si des mesures sont prévues pour permettre aux détenus de la prison de Champ-Dollon victimes de troubles mentaux d’avoir accès à des soins de santé adaptés.

44.Le Président note qu’au paragraphe 7 de ses réponses écrites à la liste des points à traiter, l’État partie indique qu’en application du nouveau droit pénal des mineurs, ces derniers doivent bénéficier d’une prise en charge éducative adaptée à leur personnalité. La délégation pourrait-elle apporter des précisions sur le contenu de cette prise en charge? Aux paragraphes 25 et 26 de ses réponses écrites, la Suisse indique qu’il incombe aux cantons de fournir l’aide sociale ou l’aide d’urgence à toute personne dans le besoin, indépendamment de sa nationalité ou de son statut de séjour. Il est précisé que l’article 80 de la loi sur l’asile confirme la compétence des cantons pour octroyer ces deux types d’aide. Les demandeurs d’asile en situation de détresse qui se sont vu refuser une telle aide peuvent-ils exercer un recours? Existe-t-il des mécanismes permettant de veiller à ce que les personnes concernées aient effectivement accès à l’aide sociale ou à l’aide d’urgence?

45.Le Comité souhaiterait également savoir si en droit suisse, les femmes susceptibles de subir des mutilations génitales dans leur pays d’origine, ou les membres de minorités sexuelles, sont considérés comme des groupes sociaux au sens de la Convention relative au statut des réfugiés, et sont par conséquent fondés à obtenir l’asile. Au paragraphe 41 de ses réponses écrites, l’État partie indique que la Délégation des commissions de gestion des chambres parlementaires a décidé en décembre 2005 de procéder à une enquête afin de connaître précisément les informations dont disposaient les autorités fédérales au sujet des vols de transports de prisonniers et des prisons secrètes de la CIA en Europe. De l’avis de la délégation, l’enquête menée présentait-elle des garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité?

46.Selon la Ligue suisse des droits de l’homme, dans tous les cas où une plainte a été déposée pour utilisation disproportionnée de la force par la police du canton de Genève lors d’une expulsion, l’étranger concerné a été renvoyé quelques jours après le dépôt de la plainte, ce qui rendait impossible toute enquête en bonne et due forme. Toutes les plaintes déposées auraient été classées au bout de quelques mois, le Procureur général ayant considéré qu’elles n’avaient plus d’objet. Il serait intéressant d’entendre les observations de la délégation sur ces informations. Notant par ailleurs que la législation suisse prévoit la possibilité de placer des étrangers en détention administrative pour une période allant jusqu’à dix-huit mois, voire vingt-quatre mois dans des cas exceptionnels, le Président voudrait savoir si la nécessité de leur maintien en détention est régulièrement vérifiée.

47.Au paragraphe 51 de ses réponses écrites, l’État partie indique qu’un acte commis à l’étranger ne peut être réprimé en Suisse que s’il tombe sous le coup d’une norme pénale au lieu où il a été commis. Le Président voudrait savoir si pour la Suisse, la ratification de la Convention contre la torture est suffisante pour que la condition de l’incrimination de la torture soit satisfaite. En ce qui concerne l’article 6 de la Convention, le Président voudrait savoir si lorsque les éléments de preuve nécessaires pour engager des poursuites pénales n’ont pas pu être réunis à temps, mais que des indices de culpabilité existent, il est possible de prolonger l’enquête ou si le suspect doit être libéré.

48.Le Président relève au paragraphe 60 des réponses écrites que le Centre suisse de formation pour le personnel pénitentiaire ne dispense pas de cours à l’intention du personnel médical travaillant en milieu carcéral. Il voudrait savoir si la question de la torture est traitée dans le cadre de la formation dispensée au personnel médical et si le Protocole d’Istanbul est abordé dans ce contexte. Il demande en outre s’il existe des mécanismes permettant aux détenus d’avoir accès à un médecin de leur choix. D’après les renseignements dont dispose le Comité, les suspects appréhendés par la police dans le canton de Zurich doivent être informés de leurs droits s’il s’agit de leur première arrestation. La délégation suisse voudra bien préciser dans quelle langue ces droits leur sont notifiés, quelle est la teneur exacte de ces informations et si cette règle n’est appliquée que dans le canton de Zurich ou si elle est en vigueur dans tout le pays. Elle pourra peut-être également préciser quelles sont les situations dans lesquelles les membres des forces de l’ordre sont autorisés à utiliser des moyens de contrainte pour maintenir un détenu et fournir des statistiques annuelles ventilées en fonction de ces situations sur le nombre de cas dans lesquels la police a eu recours à ces mesures.

49.Se fondant sur un document adressé au Comité par l’organisation non gouvernementale Mesemrom, qui dénonce l’acharnement policier dont seraient victimes les Roms dans le canton de Genève, le Président prie la délégation suisse d’indiquer combien de plaintes ont été déposées par des Roms contre des membres des forces de l’ordre depuis la présentation du rapport périodique précédent, quelle était la nature des violations imputées à la police et quelle suite a été donnée à ces plaintes. Il souhaiterait en outre savoir combien de Roms ont été arrêtés pendant cette période et pour quelles raisons, et si les membres de la police reçoivent une formation spécialisée sur la manière de traiter les personnes appartenant à une minorité, en particulier les Roms. Enfin, il voudrait savoir ce qu’il est advenu des mendiants roms mineurs appréhendés par la police en janvier 2010 sur ordre du Conseil d’État du canton de Genève.

50.D’après un rapport soumis au Comité par la Ligue suisse des droits de l’homme, la police aurait effectué des perquisitions chez des suspects d’origine géorgienne sans leur avoir préalablement présenté de mandat d’arrêt. La délégation voudra bien indiquer combien de plaintes pour des faits de ce type ont été déposées, si des procédures ont été engagées à la suite de ces plaintes et quelle en a été l’issue.

51.Le Président remercie la délégation suisse et l’invite à répondre aux questions du Comité à une séance ultérieure.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 17 h 2 0 .