Nations Unies

CAT/C/SR.994

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

23 mai 2011

Original: français

Comité contre la torture

Quarante-sixième session

Co mpte rendu analytique de la première partie (publique)* de la 994 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mardi 17 mai 2011, à 10 heures

Président: M. Grossman

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (suite)

Rapport initial du Turkménistan

La séance est ouverte à 10 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 19de la Convention (suite)

Rapport initial du Turkménistan (CAT/C/TKM/1; HRI/CORE/TKM/2009)

1. Sur l ’ invitation du Président, la délégation turkmène prend place à la table du Comité.

2.M. Serdarov (Turkménistan) dit qu’afin d’intensifier la collaboration entre son pays et les organisations internationales s’occupant de la promotion et la protection des droits de l’homme, le Président de la République a récemment ouvert une mission permanente du Turkménistan auprès de l’Office des Nations Unies à Genève et que l’ambassadeur qui dirige cette mission fait partie de la délégation.

3.Le Gouvernement turkmène a lancé un processus de réforme de grande ampleur et s’est notamment fixé comme priorité l’harmonisation de la législation interne avec les normes généralement reconnues du droit international. Le Président de la République a approuvé un programme dont l’un des volets porte sur l’incorporation des normes internationales dans le droit interne. L’importance attachée par le Turkménistan au respect de ses engagements internationaux est illustrée par l’adoption en septembre 2008 de la nouvelle Constitution, qui reprend les principales dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme, dont la Convention. L’article 6 de la Constitution consacre, dans l’ordre juridique interne, la primauté des normes universellement reconnues du droit international qui, à l’instar des accords internationaux conclus par le Turkménistan, sont considérées comme une partie intégrante du droit turkmène.

4.Afin de garantir l’exercice des droits et libertés de la personne consacrés dans la Constitution et l’application des normes internationales relatives aux droits de l’homme, le Président du Turkménistan a créé par décret, le 19 février 2007, la Commission d’État chargée d’examiner les plaintes des citoyens concernant les activités des organes ayant mission de faire respecter la loi. En outre, dans le cadre du processus de réforme, une série de textes législatifs garantissant la protection des droits de l’homme ont été adoptés en 2009, dont la loi sur les tribunaux, la loi sur la prokuratura et le Code de procédure pénale. En 2010, la loi sur le barreau et la profession d’avocat ainsi que le nouveau Code pénal ont été adoptés. La législation pénale a été assouplie: la durée des peines maximales applicables aux infractions graves a été réduite et les possibilités de recourir à des peines de substitution ont été élargies. La même année, le Président Berdymukhammedov a approuvé le décret portant création d’une commission de surveillance du fonctionnement des organes chargés de l’exécution des peines et des activités de réinsertion des détenus. La création de cette commission a contribué à élargir l’accès de la société civile aux établissements pénitentiaires. En mars 2011, le Parlement a adopté un nouveau Code pénitentiaire élaboré conformément aux instruments de l’Organisation des Nations Unies et de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe relatifs à l’exécution des peines et au traitement, à la réadaptation et à la réinsertion des détenus.

5.L’une des priorités de la politique étrangère du Turkménistan est la coopération avec les organisations internationales, en particulier l’ONU. Dans ce cadre, le Gouvernement turkmène entretient un dialogue franc et constructif avec tous les mécanismes chargés des droits de l’homme. Avec l’Union européenne et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, il exécute actuellement un projet portant sur la période 2009-2012 visant à renforcer les capacités nationales dans le domaine de la protection des droits de l’homme et à promouvoir la collaboration entre le Turkménistan et les organes et mécanismes internationaux chargés des droits de l’homme. Dans le cadre de ce projet, une visite d’étude et trois séminaires ont été organisés en 2010 et 2011 en prévision de l’examen du rapport initial du Turkménistan par le Comité. Le groupe de travail constitué dans ce contexte a étudié les méthodes du Comité et sa procédure d’examen des rapports initiaux ainsi qu’une liste de thèmes fondamentaux communiquée par le secrétariat du Comité.

6.En mai 2011, un centre d’information sur les droits de l’homme a été créé à l’Institut national pour la démocratie et les droits de l’homme près le Président du Turkménistan. Son objectif est de promouvoir les droits de l’homme par l’organisation d’activités de sensibilisation aux instruments internationaux, dont la Convention contre la torture. Parmi les activités inscrites à son programme figurent la création et l’administration d’une base de données sur les droits de l’homme accessible au public, la constitution d’une bibliothèque sur les droits de l’homme et d’une base de données juridiques et l’organisation de séances d’information, de conférences et de tables rondes sur les droits de l’homme.

7.Le rapport initial du Turkménistan a été établi conformément aux Directives générales du Comité concernant la forme et le contenu des rapports initiaux (CAT/C/4/Rev.3). Les rédacteurs ont utilisé des informations émanant des ministères compétents et des services concernés de l’administration publique et des renseignements reçus d’organisations de la société civile. Le projet a été soumis à toutes les parties prenantes afin de recueillir leurs observations et suggestions. Celles-ci ont été prises en considération lors de l’établissement de la version finale du rapport.

8.M me Gaer (Rapporteuse pour le Turkménistan) se félicite de la présentation du rapport initial de l’État partie, tout en notant qu’il a été soumis avec neuf années de retard, et de la richesse du contenu du document de base (HRI/CORE/TKM/2009). Relevant que le Turkménistan n’a pas fait les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention ni adhéré au Protocole facultatif se rapportant à la Convention, elle souhaiterait savoir s’il envisage de prendre des mesures à cette fin.

9.De manière générale, la Rapporteuse constate que le rapport donne beaucoup de renseignements sur les lois en vigueur au Turkménistan, mais ne contient pas d’informations permettant au Comité de se faire une idée de l’application concrète de la Convention dans l’État partie. À cet égard, elle appelle l’attention de la délégation sur l’Observation générale no 2 du Comité concernant l’application de l’article 2 de la Convention (CAT/C/GC/2), dans laquelle on peut lire que le Comité recommande systématiquement aux États parties de présenter dans leurs rapports des données ventilées afin qu’il puisse évaluer de manière appropriée la mise en œuvre de la Convention. Ces données permettent en effet aux États parties au Comité de repérer l’existence de traitements discriminatoires qui pourraient passer inaperçus et de prendre des mesures pour y remédier.

10.Plusieurs des États, qui ont adressé des recommandations au Turkménistan à l’issue de l’Examen périodique universel dont il a fait l’objet en 2008 (A/HRC/10/79), l’ont exhorté à collaborer davantage avec les mécanismes de l’ONU chargés des droits de l’homme, dont le Rapporteur spécial sur la question de la torture. Le Turkménistan a répondu qu’il étudierait la possibilité de donner suite aux recommandations l’engageant à autoriser le Comité international de la Croix-Rouge à se rendre dans les lieux de détention et à mettre en place une institution nationale de défense des droits de l’homme sur la base des Principes de Paris, mais aucune information n’a été fournie quant à leur mise en œuvre. Il serait intéressant de savoir si les autorités turkmènes ont pris des mesures à cette fin depuis l’Examen périodique universel, en particulier, si elles entendent inviter le Rapporteur spécial sur la question de la torture à se rendre dans le pays.

11.D’après des informations émanant d’organes de l’ONU et d’organisations non gouvernementales, des défenseurs des droits de l’homme seraient victimes de persécutions. En septembre 2010, le Président Berdymukhammedov a demandé au Ministère de l’intérieur de mener une lutte sans merci contre les personnes qui tenaient des propos diffamatoires sur le régime. Ces instructions ont été données après la diffusion de l’interview d’un défenseur des droits de l’homme exilé en Autriche, Farid Tukhbatullin, dont le site Web a été mis hors service par des pirates informatiques et qui aurait des motifs fondés de craindre pour sa sécurité. La délégation turkmène voudra bien préciser ce qu’il faut comprendre par «lutte sans merci» et donner au Comité des assurances qu’aucune mesure de rétorsion ne sera prise contre M. Tukhbatullin ou tout autre défenseur des droits de l’homme pour avoir communiqué des renseignements au Comité ou à d’autres instances de l’ONU.

12.Concernant l’article 2 de la Convention, la Rapporteuse relève que les juges sont nommés et révoqués sur décision du Président de la République, ce qui pose la question de leur indépendance, et que, d’après des informations émanant d’organisations non gouvernementales, les garanties d’un procès équitable ne sont souvent pas respectées par les tribunaux. La délégation voudra bien donner des précisions sur l’affaire Ilmurad Nurliev, un pasteur protestant russophone condamné en octobre 2010 à quatre ans d’emprisonnement pour escroquerie. Il n’aurait pas bénéficié d’un procès équitable: car plusieurs des chefs d’accusation étaient manifestement infondés: par exemple, l’une des victimes présumées se trouvait en prison au moment des faits imputés à M. Nurliev, le procès s’est déroulé en turkmène, langue que celui-ci ne comprend pas, le juge a refusé d’entendre les témoins à décharge et M. Nurliev n’a pas reçu la copie du jugement à temps, pour former un recours. La Rapporteuse voudrait savoir si les allégations de violation du droit à un procès équitable dans cette affaire ont été examinées et, le cas échéant, par quelle instance et si des mesures ont été prises pour remédier aux déficiences signalées par les organisations non gouvernementales.

13.En vertu de l’article 26 du Code pénal, toute personne a droit à l’aide juridictionnelle dans le cadre d’un procès pénal. Il serait intéressant de savoir combien d’avocats compte le pays et quelle formation leur est dispensée. Le Comité voudrait aussi savoir s’il existe une association indépendante du barreau au Turkménistan. Selon des informations reçues par le Comité, des avocats commis d’office refuseraient de plaider dans les affaires relatives à des actes de torture ou des mauvais traitements par peur des représailles? Qu’en est-il exactement? La délégation voudra bien indiquer aussi quelles mesures ont été prises par l’État partie pour donner suite aux conclusions et recommandations du Comité des droits de l’homme dans l’affaire Leonid Komarosvski (communication n° 1450/2006).

14.Les institutions nationales indépendantes des droits de l’homme jouent un rôle important dans la prévention de la torture. Le Comité souhaite savoir si l’Institut national pour la démocratie et les droits de l’homme, évoqué à plusieurs reprises dans le rapport, est compétent pour enquêter sur les allégations de torture et de mauvais traitements et, le cas échéant, quelle suite est donnée à ses conclusions. Pourquoi les époux Berdyev, qui tentent depuis de nombreuses années d’obtenir réparation pour des actes de torture et des mauvais traitements subis durant leur détention en 1998, ont été arrêtés le 21 avril 2001 par 10 hommes de la sécurité nationale à la veille de la visite d’une délégation du Parlement européen dans le pays? Quelle suite a été donnée aux différentes plaintes déposées au fil du temps par les intéressés pour actes de torture et mauvais traitements? Des précisions sur les conditions dans lesquelles ils ont été arrêtés seraient aussi les bienvenues. Ont-ils eu la possibilité de s’entretenir avec un avocat et d’être examinés par un médecin de leur choix? De manière plus générale, le Comité voudrait savoir quelles mesures ont été prises par le Président de la République pour faire en sorte que les auteurs d’actes de torture et de mauvais traitements soient poursuivis et jugés, et que les victimes soient indemnisées.

15.Le Comité a appris que des défenseurs des droits de l’homme seraient victimes d’agressions et que leurs proches ne pourraient pas circuler librement dans le pays; est-ce bien le cas? Quels commentaires peut faire, par ailleurs, la délégation au sujet des trois militants des droits de l’homme (Ogulsapar Muradova, Annakurban Amanklychev et Sapardurdy Khadzhiev) qui ont été arrêtés à la mi-juin 2006 en raison de leurs liens avec la Fondation Helsinki du Turkménistan (THF), une ONG de défense des droits de l’homme, et accusés d’«activités subversives» et de complot révolutionnaire. Au terme d’un procès qui a duré moins de deux heures, ils ont été condamnés à des peines allant de six à sept ans d’emprisonnement pour «acquisition, possession et vente de munitions et d’armes à feu». Le 14 septembre 2006, la famille d’Ogulsapar Muradova a appris qu’il était mort en détention. Le Comité voudrait savoir si ce décès, qui pourrait résulter d’actes de torture et de mauvais traitements, a donné lieu à une enquête.

16.Dans le rapport, il est dit que toute personne détenue a accès à un avocat, mais on ne sait pas si elle a le droit de consulter un médecin de son choix ni si elle peut contacter un proche. Des précisions à ce sujet seraient utiles.

17.Plusieurs cas de disparition ont été portés à la connaissance du Comité, dont celle de Boris Chikhmouradov, ancien Ministre des affaires étrangères turkmène, placé en détention en septembre 2007 avec l’aval du Président du Turkménistan. La délégation est-elle en mesure de dire si l’intéressé est toujours vivant et, dans l’affirmative, peut-elle indiquer où il se trouve actuellement? On est également sans nouvelles de plusieurs personnes qui avaient été arrêtées à la suite des événements du 25 novembre 2002. Quelles informations pourrait fournir la délégation à leur sujet?

18.Concernant la définition de la torture en droit interne, il est dit au paragraphe 92 du rapport que le Code pénal ne contient pas de dispositions la réprimant directement. Il serait utile de savoir si les mesures législatives récemment adoptées changent la situation à cet égard. La Constitution turkmène interdit la torture mais ne la définit pas; quant à l’article 113 du Code pénal, il réprime le fait d’infliger des souffrances physiques ou mentales au moyen de coups et blessures systématiques ou par d’autres procédés violents, notamment la torture. La plupart des éléments de la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention ne figurent donc pas dans la législation turkmène. Ainsi, il n’est dit nulle part que la torture consiste pour un agent public ou toute autre personne agissant à titre officiel, à infliger des souffrances aiguës dans un but précis. Est-ce qu’aux yeux de la délégation toutes les mesures voulues ont été prises par le Turkménistan pour donner effet aux dispositions de l’article premier de la Convention?

19.Au paragraphe 2 du rapport, il est dit que lorsqu’un traité ratifié par le Turkménistan contient des dispositions contraires à celles prévues par les lois internes, ce sont les dispositions de ce traité qui s’appliquent. Le Comité voudrait savoir si les tribunaux turkmènes ont déjà appliqué directement la Convention contre la torture. La délégation turkmène voudra bien aussi préciser si les infractions visées aux articles 113 (Sévices), 107 (Lésions corporelles intentionnelles graves) et 108 (Lésions corporelles involontaires de moyenne gravité) du Code pénal sont prescriptibles.

20.Concernant l’application de l’article 3 de la Convention, il serait utile de savoir si des particuliers ont été expulsés ou extradés ces dernières années par le Turkménistan et, dans l’affirmative, vers quels pays. Notant qu’il revient directement au Président du Turkménistan d’octroyer l’asile, la Rapporteuse voudrait savoir dans combien de cas celui-ci a effectivement accordé ce droit. Rappelant que cette compétence devrait incomber aux autorités judiciaires, elle demande si des mesures sont prévues en ce sens. Le Comité voudrait également savoir si les tribunaux se sont déjà fondés sur l’article 3 de la Convention pour refuser d’expulser ou d’extrader un particulier vers un pays où il risquait d’être soumis à la torture? Concernant l’article 5 de la Convention, il serait intéressant de savoir si des tribunaux turkmènes se sont déjà déclarés compétents pour connaître d’affaires relatives à des actes de torture commis par un étranger ou en dehors du territoire national et si le Turkménistan a déjà extradé des ressortissants turkmènes qui étaient accusés du crime de torture?

21.Le Président, s’exprimant en sa qualité de Corapporteur pour le Turkménistan,faitobserver que la Constitution et le Code pénal mentionnent la torture mais n’en donnent aucune définition. Il voudrait savoir si le Turkménistan envisage de transposer la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention contre la torture dans son droit interne, ce qui serait selon lui le meilleur moyen de régler les problèmes soulevés par la législation actuellement en vigueur. Pour que le Comité puisse évaluer le respect par le Turkménistan de ses obligations au titre de la Convention, il importe que la délégation réponde de manière précise à toutes les allégations de torture et de mauvais traitements portés à sa connaissance par le Comité. Elle pourrait ainsi indiquer si le décès en détention d’Ogulsapar Muradova, un militant des droits de l’homme turkmène, a donné lieu à une enquête. Plus généralement, qu’en est-il, dans la pratique, de l’accès de la personne privée de liberté à un avocat et à un médecin de son choix? Est-ce que le Code de procédure pénale turkmène prévoit le recours en habeas corpus?

22.Il semblerait qu’en vertu de la Constitution, il peut être dérogé au principe de l’interdiction de la torture dans les situations d’urgence. La délégation doit savoir que dans un tel cas, le paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention serait violé. Est-ce que la Constitution ou la loi énoncent clairement le principe de l’interdiction absolue de la torture, y compris en cas de circonstances exceptionnelles. Concernant l’article 3 de la Convention, la délégation pourrait-elle indiquer si le Turkménistan a déjà eu recours aux assurances diplomatiques pour faciliter le renvoi, l’expulsion ou l’extradition d’une personne vers un pays où elle courait le risque d’être soumise à la torture?

23.Revenant sur la question de l’incrimination de la torture en droit interne, le Corapporteur relève qu’à l’article 113 du Code pénal, il est question de souffrances physiques ou morales infligées au moyen de coups et blessures «systématiques» et note que cela n’est pas prévu par la Convention. Un fait de torture peut très bien être un acte isolé et contrairement à ce que la législation turkmène laisse entendre, il n’a pas à s’inscrire dans le cadre d’une pratique plus généralisée de la torture pour être considéré comme tel. L’article 107 du Code pénal réprime le fait d’infliger intentionnellement des lésions corporelles «mettant en danger la vie». Or des faits peuvent très bien constituer des actes de torture ou des mauvais traitements sans mettre en danger la vie de la victime. Une fois de plus, le Comité exhorte le Turkménistan à prendre les mesures nécessaires pour incorporer la définition de la torture énoncée à l’article premier de la Convention dans son droit interne.

24.Selon des informations portées à la connaissance du Comité par Amnesty international, des femmes détenues pour des infractions mineures auraient été violées par des agents du Ministère de l’intérieur à Achgabat. Le Comité voudrait savoir si des poursuites ont été engagées contre les auteurs présumés de ces actes, s’ils ont été condamnés et si les victimes ont été indemnisées.

25.À propos de l’interdiction de la torture (art. 10), le Corapporteur souhaiterait que soient communiqués au Comité des exemplaires des documents utilisés pour former le personnel chargé de l’application des lois. Il demande aussi des précisions sur la fréquence des activités de formation dans ce domaine et voudrait savoir si elles sont obligatoires, s’il existe des indicateurs pour en mesurer l’impact et si elles sont exécutées avec la participation d’autres acteurs que l’État, issus par exemple de la société civile ou du monde universitaire, dont la contribution permettrait de rendre la formation dispensée plus concrète.

26.Le Corapporteur demande si, afin notamment de garantir le respect des droits des personnes faisant l’objet d’une procédure pénale, conformément à l’article 12 du Code de procédure pénale, l’État partie a prévu d’autoriser l’inspection des lieux de détention par des organisations indépendantes, comme le lui ont recommandé plusieurs États dans le cadre de l’Examen périodique universel. Il souhaite aussi savoir s’il existe un mécanisme auquel les particuliers peuvent adresser des plaintes en cas de violations commises en détention pour lesquelles l’État n’a pas engagé de poursuites.

27.Concernant l’application de l’article 12 de la Convention, le Corapporteur demande si une enquête impartiale a été menée à propos du décès, en 2006, de la journaliste Ogulsapar Muradova pendant sa garde à vue. Dans l’affirmative, il voudrait avoir des précisions sur les résultats de cette enquête et la manière dont elle a été conduite, notamment le nombre de personnes interrogées et les dispositions prises pour protéger ceux qui ont participé à la procédure.

28.Sur l’application de l’article 13, le Comité souhaiterait savoir, compte tenu de la loi turkmène autorisant les citoyens à déposer des plaintes et des réclamations concernant l’activité des organes de l’État, si les plaintes concernant des actes de torture ou des mauvais traitements sont enregistrées par l’État partie et, dans ce cas, combien de plaintes de ce type l’ont été pendant la période considérée et combien ont conduit à une enquête et à l’établissement de responsabilités individuelles.

29.Il serait aussi utile de savoir si l’État partie envisage d’imposer l’obligation de filmer les interrogatoires, comme c’est le cas aujourd’hui dans bon nombre de pays, afin notamment de garantir l’application de l’article 45 de la Constitution, selon lequel nul ne peut être contraint de témoigner ou de déposer des conclusions contre soi-même ou contre des parents proches, et les éléments de preuve obtenus par la coercition mentale ou physique, ou par d’autres moyens illégaux, n’ont aucune valeur juridique. Combien d’enquêtes ont été ouvertes à propos d’agents de l’État soupçonnés d’avoir obtenu des aveux par la torture, et ont donné lieu à des poursuites pénales?

30.Citant des renseignements selon lesquels le nombre total de personnes détenues dans des établissements et des colonies pénitentiaires serait plus de trois fois supérieur à la capacité d’accueil de ces structures, le Corapporteur demande si l’État partie a mis en place un plan d’action pour remédier au surpeuplement carcéral et, dans l’affirmative, quelles en sont les grandes lignes. Enfin, se référant à des renseignements selon lesquels il y aurait actuellement moins d’avocats au Turkménistan que par le passé, il demande des précisions sur le parcours pour devenir avocat et le nombre actuel de personnes qui y exercent cette profession.

31.M me Belmir souhaiterait obtenir des éclaircissements sur le déroulement de la carrière des juges, leur degré d’indépendance par rapport aux autres membres du pouvoir judiciaire, et la mesure dans laquelle ils peuvent exercer librement leur pouvoir de dire le droit. Elle souhaiterait aussi savoir si une distinction est faite dans l’État partie entre citoyenneté et nationalité. D’après certaines sources, en effet, il serait possible de priver des personnes ayant la nationalité turkmène de leur citoyenneté. Qu’en est-il exactement, notamment dans le cas des membres de minorités, ethniques ou autres? Une personne dispose-t-elle des mêmes droits, par exemple devant la justice, selon qu’elle possède ou non la citoyenneté?

32.M. Bruni demande si la disposition législative mentionnée dans le rapport de l’État partie, selon laquelle l’ordre donné par un supérieur hiérarchique ou par l’autorité publique ne peut constituer une justification de la torture (CAT/C/TKM/1, par. 30) a déjà été invoquée au cours d’un procès, et s’il existe au Turkménistan une procédure permettant à un subordonné de contester un ordre tendant à ce que des actes de torture soient commis ou perçus par lui comme tel. Se référant aux dispositions mentionnées au paragraphe 195 du rapport initial de l’État partie, M. Bruni souhaiterait obtenir des renseignements détaillés sur les visites les plus récentes effectuées par le procureur dans des établissements d’application des peines et autres lieux de privation de liberté. Quelles ont été les conclusions et recommandations du procureur à la suite de ces visites et comment ont-elles été appliquées? Cette question est extrêmement importante dans la mesure où, d’après certaines sources, il est impossible aux organisations internationales de vérifier la situation dans les prisons de l’État partie. L’accès aux lieux de détention est interdit au Comité international de la Croix-Rouge (CICR), et Médecins sans frontières a dû interrompre son programme dans le pays en avril 2010 faute d’avoir pu bénéficier de la coopération du Gouvernement turkmène. M. Bruni regrette le refus persistant de l’accès aux lieux de détention opposé au CICR et aux organisations humanitaires, plusieurs années après que l’Assemblée générale a constaté avec préoccupation, dans sa résolution 60/172 de 2005, «les mauvaises conditions qui règnent dans les prisons turkmènes et les rapports crédibles faisant état de pratiques courantes de torture et de mauvais traitements infligés aux prisonniers» et «le fait que le Gouvernement turkmène refuse le droit de visite des détenus» au CICR et aux observateurs internationaux. À cet égard, M. Bruni souhaiterait avoir des précisions sur les propositions de réforme du système des prisons et du système de justice pour mineurs qui seraient élaborées actuellement par la Commission interministérielle chargée de veiller à l’exécution des obligations internationales du Turkménistan dans le domaine des droits de l’homme, et sur l’état d’avancement de ces propositions.

33.M. Gallegos Chiriboga estime fondamental que l’État partie mette en place une institution nationale des droits de l’homme indépendante conforme aux Principes de Paris et combatte l’impunité dont jouissent parfois les auteurs d’actes de torture ou de traitements cruels, inhumains ou dégradants. Il invite, en outre, le Gouvernement turkmène à faire adopter une loi sur l’asile qui protège pleinement les droits des demandeurs d’asile et les réfugiés, tant aux frontières que dans les zones de transit, sur la base des normes internationales.

34.Préoccupé par les mauvais traitements que subissent souvent les personnes handicapées, M. Gallegos Chiriboga demande si l’État partie envisage d’adopter des règles applicables au traitement de ces personnes dans les prisons, les lieux de détention et les hôpitaux et de mettre en place un mécanisme indépendant pour veiller au respect de ces règles.

35.M. Mariño Menéndez voudrait savoir quelles sont les circonstances dans lesquelles le Président peut proclamer la déchéance de la nationalité turkmène et s’il est possible pour une personne frappée par une telle mesure de former un recours. S’agissant de l’égalité entre les nationaux et les étrangers notamment dans l’accès à l’emploi, la délégation turkmène voudra bien indiquer si les étrangers ont le droit d’exercer la profession d’avocat, et d’une manière générale si la pratique de ce métier est véritablement libérale. La délégation pourrait en outre préciser si les droits de l’homme sont enseignés dans les facultés de droit et inscrits aux programmes de l’enseignement général. Il serait également utile de savoir si l’État partie donne la possibilité aux personnes, qui ne souhaitent pas effectuer le service militaire obligatoire, d’opter pour le statut d’objecteur de conscience.

36.M me Sveaass demande un complément d’information sur le sort réservé à M. Guldely Annaniazov qui, après avoir vécu en Norvège jusqu’en 2002 en tant que réfugié, est rentré en 2008 au Turkménistan, où il a été arrêté peu de temps après son arrivée, le 23 juin. Elle souhaiterait notamment savoir où se trouve cette personne, ce qu’elle est devenue et, les raisons pour lesquelles elle a été arrêtée, sachant qu’elle est toujours titulaire d’un passeport de réfugié en Norvège.

37.Décrivant les conditions de détention particulièrement difficiles dans la prison pour femmes de Dashoguz − placements à l’isolement sans motif valable, rations insuffisantes, punitions collectives en cas de tentative de suicide de l’une des détenues, passages à tabac −, Mme Sveaass voudrait savoir quelles sont les mesures que l’État partie envisage de prendre pour améliorer la situation, et notamment s’il compte mettre sa législation dans ce domaine en conformité avec les normes internationales relatives aux droits de l’homme et avec l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus.

38.Mme Sveaass demande sur quoi portaient exactement les 1 000 plaintes dont a été saisie la Commission présidentielle chargée d’examiner les requêtes des citoyens concernant les organes chargés de faire respecter la loi au cours de sa première année d’exercice (2007-2008) et si ces plaintes ont donné lieu à des poursuites. Elle voudrait aussi savoir quel type d’activités la Commission a menées depuis 2008; notamment si certaines d’entre elles concernaient des actes de violence et des mauvais traitements infligés à des enfants, et dans l’affirmative, quelles mesures concrètes ont été prises pour y remédier, et si l’État partie entend interdire les châtiments corporels non seulement dans la sphère privée et à l’école mais aussi dans les établissements de protection de remplacement.

39.Mme Sveaass demande à la délégation de confirmer ou d’infirmer les informations émanant d’organisations non gouvernementales nationales et internationales selon lesquelles il leur est particulièrement difficile de faire leur travail dans l’État partie.

40.Mme Sveaass rappelle que les mauvais traitements, la corruption et le bizutage sont monnaie courante dans l’armée. Elle voudrait, à cet égard, connaître les circonstances de la mort de Baty Polypov, qui a été retrouvé pendu et le corps couvert d’hématomes en 2010, ainsi que celles de la mort de Rachid R., inhumé en avril 2011. Dans les deux cas, il semblerait que l’affaire ait été classée sans suite. La délégation turkmène voudra bien aussi de manière plus générale fournir des précisions sur les morts violentes et subites survenues au sein des forces armées.

41.Mme Sveaass souhaite aussi de plus amples informations sur les mesures prises pour offrir des services de réadaptation médicale et sociale aux personnes qui ont été déclarées victimes de tortures et de mauvais traitements au terme d’une procédure administrative ou judiciaire. Des renseignements sur l’état des installations du système de santé publique, réputées délabrées et auxquelles les femmes enceintes n’oseraient plus recourir pour accoucher de peur de contracter une maladie ou une infection, seraient aussi les bienvenus.

42.Mme Sveaass croit savoir que certains dissidents ou opposants politiques sont placés dans des hôpitaux psychiatriques et contraints de suivre un traitement contre leur gré. Elle souhaite en savoir plus sur le cas de M. Sazek Durdymuradov, qui aurait été interné en juin 2008 dans un établissement surnommé «le goulag turkmène» où il aurait été sauvagement battu. La délégation pourrait notamment préciser pourquoi cet homme, qui a été relâché après environ deux semaines de détention en raison de la pression de la communauté internationale, avait été détenu, et si une enquête a été lancée pour faire la vérité sur le traitement qu’il a subi.

43.M. Wang Xuexian dit qu’il ne comprend pas quel était le statut des 16 000 «personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays» avant que le Gouvernement turkmène ne leur octroie la citoyenneté. N’avaient-elles pas déjà la citoyenneté turkmène? Il voudrait aussi obtenir des précisions sur le projet de réforme du système pénal exécuté avec des experts britanniques et allemands, le projet de réforme du système de justice pénale et le projet visant à ériger en infraction les actes délictueux liés à la traite exécutés en collaboration avec le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) et le projet relatif au renforcement des capacités nécessaires à l’établissement des rapports réalisé en coopération avec le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) et le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD).

44.M me Kleopas, citant quatre affaires dont a été saisie la Cour européenne des droits de l’homme − Garabayev c. Russi e, Raybikin c. Russie, Soldatenko c. Ukraine et Kolesnik c. Russi e − dans lesquelles la demande d’extradition vers le Turkménistan a été refusée au motif que le Turkménistan n’avait pas mis en place de système efficace de prévention de la torture et que les prévenus et détenus subissaient dans ce pays des traitements inhumains et dégradants en détention, dit que le Comité est particulièrement préoccupé par les conclusions de cette juridiction internationale indépendante connue pour exiger un niveau de preuve particulièrement élevé.

45.La délégation turkmène voudra bien par ailleurs indiquer si des enquêtes ont été diligentées pour faire la lumière sur le décès de 30 détenus dans la prison LBK-12 survenu lors de bagarres ainsi que sur le suicide ou la tentative de suicide de plusieurs détenues dans la prison DZK-8 de Dashoguz, où la violence sexuelle et les actes de torture sont fréquents. Mme Kleopas cite notamment le cas d’Enebai Ataeva et de sa sœur Maya Geldyeva, de Kurbanbibi Atadjanova, de sa fille et de l’une de ses collaboratrices, et de Mme Guzel Ataeva.

46.Il serait intéressant de savoir si l’État partie envisage de créer un mécanisme de plainte indépendant des services de police et des services pénitentiaires, que les victimes d’actes de torture pourraient saisir, et si le personnel de santé et le personnel pénitentiaire sont tenus de suivre une formation pour déceler les séquelles de la torture comme le prescrit le Protocole d’Istanbul, ce qui contribuerait à combattre l’impunité.

47. La délégation turkmène se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 h 15.