Nations Unies

CAT/C/66/D/768/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

12 juin 2019

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 768/2016 * , **

Projet de recommandation proposé par le Rapporteur

Communication p résentée par :

J. M. (représenté par des conseils, Bart Stapert, Caroline Buisman et Devika Kamp)

Victime(s) présumée(s) :

L’auteur

État partie :

Pays-Bas

Date de la requête :

11 juillet 2016 (date de la lettre initiale)

Références :

Décision prise en application de l’article 115 du Règlement intérieur du Comité, communiquée à l’État partie le 26 août 2016 (non publiée sous forme de document)

Date d’adoption de la présente décision :

16 mai 2019

Objet :

Extradition des Pays-Bas vers le Rwanda

Questions de procédure :

Examen par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement ; épuisement des recours internes ; fondement de la requête ; recevabilité ratione materiae

Question(s) de fond :

Risque de torture et de mauvais traitements

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est J. M., de nationalité rwandaise, né le 24 octobre 1959. Au moment de la soumission de sa requête, il était sous le coup d’une mesure d’extradition vers le Rwanda. Il affirme que son extradition vers le Rwanda constituerait une violation par l’État partie des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. L’État partie a fait la déclaration prévue au paragraphe 1 de l’article 22 de la Convention le 20 janvier 1989. Le requérant est représenté par des conseils.

1.2Le 28 août 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a décidé de ne pas demander de mesures provisoires au titre de l’article 114 de son règlement intérieur. Le requérant a été extradé vers le Rwanda le 12 novembre 2016.

1.3Le 4 mai 2017, en application du paragraphe 3 de l’article 115 de son règlement intérieur, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a rejeté la demande de l’État partie tendant à ce qu’il examine la recevabilité de la requête séparément du fond. La demande de l’État partie tendant à ce que le Comité cesse l’examen de la requête a été rejetée le même jour.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant a quitté le Rwanda en avril 1994. Dans un premier temps, il s’est enfui en République démocratique du Congo avec sa femme et ses enfants. En 1999, il est arrivé aux Pays-Bas, où il a vécu avec sa famille jusqu’en 2016. Le 22 novembre 2012, les autorités rwandaises ont sollicité l’extradition du requérant, qui était soupçonné de génocide et d’appartenance à une organisation criminelle. Il a été arrêté par les autorités de l’État partie le 23 janvier 2014. Le 11 juillet 2014, le tribunal de district de La Haye a déclaré que l’extradition pouvait être autorisée pour des faits de génocide, mais qu’elle ne pouvait être accordée pour des faits d’appartenance à une organisation criminelle, les traités ne prévoyant pas ce motif d’extradition. Le tribunal a souligné que le requérant serait jugé en vertu de la loi organique no 11/2007 relative au renvoi d’affaires à la République du Rwanda par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (« la loi relative au renvoi d’affaires »), de sorte que l’on pouvait légitimement espérer que le Rwanda respecterait les garanties d’un procès équitable. Le tribunal de district a également estimé que le requérant n’avait pas suffisamment étayé son grief selon lequel il serait victime d’une violation du droit à un procès équitable qu’il tient de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) en cas d’extradition vers le Rwanda, ni son affirmation qu’il constituait une cible politique et qu’il serait poursuivi pour des infractions politiques. En outre, le tribunal de district a estimé que c’était au Ministre de la justice et de la sécurité qu’il incombait d’apprécier le grief du requérant selon lequel il risquerait d’être torturé s’il était extradé. Cette décision a été confirmée le 16 décembre 2014 par la Cour suprême des Pays-Bas.

2.2Le 3 juin 2015, le Ministre de la justice et de la sécurité a autorisé l’extradition du requérant, estimant qu’elle ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction de la torture). Il a souligné que l’emprisonnement à perpétuité n’était pas une peine disproportionnée s’agissant d’une personne déclarée coupable de génocide ; que si le requérant était déclaré coupable, il aurait le droit d’être gracié et de bénéficier d’une réadaptation ; que le requérant ne risquait pas d’être soumis à la torture en détention ; que les centres de détention étaient conformes aux normes internationales. En ce qui concerne la violation potentielle de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, le Ministre a indiqué que les autorités rwandaises avaient confirmé, par une lettre en date du 18 novembre 2014, que le requérant avait le droit d’être représenté en justice par un avocat étranger ; que le Gouvernement rwandais prendrait à sa charge les frais de représentation ; que l’ambassade des Pays-Bas pourrait suivre le procès du requérant et publier tous les rapports qu’elle établirait à ce sujet. Le Ministre a conclu en soulignant qu’il n’existait aucun lien entre les critiques d’ordre politique formulées par le requérant à l’égard du Gouvernement rwandais et les faits qui lui étaient reprochés.

2.3Le requérant a contesté la décision du Ministre de la sécurité et de la justice devant le tribunal de district de La Haye. Le 27 novembre 2015, ce tribunal a jugé que les garanties offertes par les autorités rwandaises en matière de procès équitable ne garantissaient pas de fait que le requérant bénéficierait d’un procès équitable étant donné qu’au Rwanda les avocats de la défense obtenaient généralement des résultats insatisfaisants et ne disposaient pas de moyens suffisants pour mener efficacement les enquêtes. Le 5 juillet 2016, la Cour d’appel de La Haye a infirmé le jugement du tribunal de district. Elle a statué que les allégations du requérant selon lesquelles les personnes jugées en vertu de la loi relative au renvoi d’affaires dans des procès similaires n’avaient pas été correctement défendues ne permettaient pas de démontrer qu’il y aurait une violation si fondamentale qu’elle constituerait un déni des droits qu’il tient de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a en outre souligné qu’il avait été remédié à nombre des insuffisances de la justice évoquées par le requérant ; que ce dernier n’avait pas démontré que les violations des droits de l’homme au Rwanda et les irrégularités qui avaient entaché les procès d’opposants politiques se reproduiraient dans son cas ; qu’il serait jugé du chef de génocide et non du chef d’infraction politique ; que l’extradition ne constituerait pas une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant fait valoir qu’il risque d’être torturé ou maltraité au Rwanda en raison de son appartenance au parti politique Coalition pour la défense de la République et de son engagement au sein de groupes d’opposition rwandais aux Pays-Bas. Il souligne qu’il était le Secrétaire général du Comité National de la Coalition pour la défense de la République au Rwanda. Il soutient que les autorités rwandaises ayant initialement demandé son extradition pour appartenance à une organisation criminelle, il y a de fortes chances que les membres de la Coalition, tels que lui-même, soient considérés comme des opposants politiques. Il affirme en outre que les autorités rwandaises imputent à la Coalition l’utilisation de sa milice, les impuzamugambi, pour tuer des Tutsis lors du génocide de 1994. Il fait valoir que bien qu’il n’ait pas été établi que le Comité National, dont il était le Secrétaire général, exerçait quelque contrôle que ce soit sur les membres de la milice impliqués dans le génocide ou que celle-ci relevait de sa responsabilité, en raison des fonctions qu’il occupait de jure dans la Coalition pour la défense de la République il est particulièrement exposé au risque de subir des violations de son droit à un procès équitable et des traitements humiliants ou dégradants. Il explique qu’il est accusé d’avoir participé à la création de la Radio-Télévision Libre des Mille Collines, une station de radio qui, selon le Tribunal pénal international pour le Rwanda, a joué un rôle décisif dans le génocide en incitant la population à tuer des civils Tutsis. Il ajoute qu’il n’est pas démontré qu’il était l’un des fondateurs de la Radio-Télévision Libre des Mille Collines et qu’en tout état de cause, le fait qu’une personne l’ait été ne suffirait pas en soi pour établir qu’elle a joué un rôle déterminant dans le génocide.

3.2Le requérant indique également qu’aux Pays-Bas il était le Président du Conseil d’administration de Federatie van Rwandese Maatschappelijke Organisations in Nederland (Fédération d’organisations sociales rwandaises aux Pays-Bas) et que, dans l’exercice de ses fonctions, il a manifesté son soutien aux chefs de l’opposition rwandaise.

3.3Le requérant soutient qu’en cas d’extradition vers le Rwanda, il risquerait d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention du fait de son appartenance à la Coalition pour la défense de la République et de son engagement politique dans l’opposition rwandaise aux Pays-Bas. Il affirme que les garanties consacrées par la loi relative au renvoi d’affaires seront méconnues et que sa condamnation à l’emprisonnement à perpétuité est décidée d’avance étant donné que le pouvoir judiciaire n’est pas indépendant. De surcroît, il affirme que la protection dont il bénéficiera en vertu de la loi relative au renvoi d’affaires prendra fin à l’issue du procès.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Dans une note en date du 26 octobre 2016, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité de la requête. Il estime que cette dernière devrait être déclarée irrecevable, aux motifs que : a) cette affaire a déjà été examinée par une autre instance internationale d’enquête ; b)le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes disponibles étant donné qu’il n’a pas formé de pourvoi en cassation devant la Cour suprême.

4.2L’État partie indique que le requérant a soumis une demande de mesures provisoires à la Cour européenne des droits de l’homme le 5 juillet 2016. Il affirme que la requête concernait les mêmes parties et les mêmes droits substantiels que ceux faisant l’objet de la communication dont le Comité a été saisi. L’État partie indique que, le 8 juillet 2016, la demande de mesures provisoires a été rejetée par la Cour, et que la requête a été déclarée irrecevable au regard des articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme. Il affirme que, bien que la Cour n’ait pas motivé précisément sa décision, cette dernière ne pouvait pas reposer uniquement sur des motifs de forme tels que l’expiration du délai de six mois au cours duquel la requête doit être soumise à la Cour. L’État partie soutient, par conséquent, que la requête a été jugée irrecevable pour l’un des motifs suivants : a) tous les recours internes n’avaient pas été épuisés ; b) le requérant n’a pas été considéré comme victime d’une violation de la Convention européenne des droits de l’homme ; c) la requête a été considérée comme incompatible avec les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme, comme manifestement mal fondée ou comme constituant un abus du droit d’introduire une requête individuelle ; d) la Cour a estimé que le requérant n’avait pas subi un préjudice important. L’État partie fait valoir que ces motifs supposent un certain examen au fond de la requête, de sorte que celle-ci est irrecevable par le Comité compte tenu du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention.

4.3Le 23 janvier 2017, l’État partie a demandé au Comité de cesser l’examen de la requête ou, à défaut, de la déclarer irrecevable au motif que le requérant n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité. L’État partie fait savoir que le requérant a été extradé vers le Rwanda le 12 novembre 2016 et que sa détention fait l’objet d’un suivi de la Commission internationale de juristes. L’État partie indique également que, le 6 décembre 2016, des membres du personnel de l’ambassade des Pays-Bas ont rendu visite au détenu. Pendant cette visite, le requérant a confirmé que les autorités rwandaises le traitaient convenablement et qu’elles avaient pris les dispositions voulues pour qu’il reçoive des visites des membres de sa famille, qu’il ait accès à un conseil et que la Commission internationale de juristes contrôle ses conditions de détention. En outre, le requérant a confirmé que la crainte qu’il avait eue d’être torturé ou maltraité s’était révélée injustifiée. Par conséquent, l’État partie prie le Comité de mettre fin à l’examen de la requête ou de la déclarer irrecevable puisque le requérant n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie sur la recevabilité

5.1Dans une note en date du 12 janvier 2017, le requérant a fait part de ses commentaires concernant les observations de l’État partie sur la recevabilité de la communication. Il fait valoir que la requête qu’il avait introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme ne portait que sur des mesures provisoires et qu’il n’avait pas sollicité un jugement au fond. Il indique que le 8 juillet 2016, la Cour a rejeté sa demande de mesures provisoires en deux phrases : « la Cour (le juge de permanence) a décidé de ne pas indiquer au Gouvernement néerlandais, en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour, la mesure provisoire sollicitée. Dès lors, la Cour n’empêchera pas le renvoi du requérant ». Dans les trois paragraphes suivants, la Cour déclarait la requête irrecevable. Dans sa décision la Cour n’exposait pas les motifs sur lesquels elle s’est fondée pour rejeter la requête. Elle indiquait seulement que les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention n’étaient pas remplies. Le requérant fait valoir que la Cour n’ayant pas donné de véritable explication, il est possible que le rejet de la requête ait été fondé sur des motifs procéduraux.

5.2Pour ce qui est de l’affirmation de l’État partie selon laquelle la requête devrait être déclarée irrecevable au motif que toutes les voies de recours internes n’ont pas été épuisées, le requérant fait valoir qu’il n’était pas tenu de former un pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême pour épuiser toutes les voies de recours internes, étant donné qu’un tel pourvoi n’a pas d’effet suspensif. Au moment où il a saisi le Comité, son extradition était imminente ; même si le pourvoi en cassation avait été déclaré recevable, l’extradition aurait déjà eu lieu au moment où la Cour suprême aurait rendu sa décision.

5.3Dans une note en date du 24 février 2017, le requérant a soumis ses commentaires sur la demande de l’État partie tendant à ce qu’il soit mis fin à l’examen de la requête, ainsi que des nouvelles observations concernant la recevabilité de celle-ci. Il souligne que ses inquiétudes quant à sa sécurité au sein du système judiciaire rwandais sont loin d’être dissipées. S’il est vrai qu’il a, jusqu’à présent, été traité convenablement, il fait observer que la situation au Rwanda demeure imprévisible. Il explique qu’il n’a jamais craint d’être soumis à des traitements inhumains dès son arrivée, car les autorités rwandaises savent que les autorités néerlandaises suivent le déroulement de la procédure. En revanche, il est inquiet de ce qu’il se passera une fois que sa détention ne fera plus l’objet d’un quelconque contrôle. Il soutient que le risque de subir des traitements inhumains à un stade ultérieur, après sa condamnation, est aussi réel qu’il l’était avant son extradition vers le Rwanda. Selon lui, rien ne garantit que les personnes soupçonnées de génocide qui sont jugées en vertu de la loi relative au renvoi d’affaires ne soient pas soumises aux mauvais traitements pour lesquels les prisons rwandaises sont tristement connues.

5.4Le requérant affirme que ses droits sont déjà susceptibles d’être violés. L’accord de suivi manque de clarté car il ne précise pas quelles parties de la procédure feront l’objet d’un suivi, ni la fréquence des contrôles, ni les destinataires des rapports sur le suivi, ni les conséquences que ces rapports pourraient emporter. Le requérant affirme en outre qu’il y a un risque qu’il soit accusé d’appartenir à la Coalition pour la défense de la République, comme cela a été mis en évidence à la première audience, qui a eu lieu le 6 décembre 2016 et où il a été donné lecture des chefs d’inculpation. En effet, un des chefs d’inculpation mentionnait son appartenance à ce parti, alors que son extradition n’a été autorisée qu’au seul motif qu’il aurait personnellement et directement participé au génocide. Le requérant affirme que les preuves présentées jusqu’à maintenant ne sont pas suffisantes pour engager le procès. Il ajoute que son conseil a reçu des informations selon lesquelles des pressions sont exercées sur des détenus pour qu’ils déposent contre lui. Il en conclut donc que la tenue d’un procès équitable est incertaine.

5.5Le requérant confirme que, pendant sa détention, il avait le droit de recevoir des visites et de téléphoner à sa famille aux Pays-Bas. Toutefois, il a récemment été transféré de la prison centrale de Kigali à la prison de Mpanga, qui se trouve dans une localité éloignée de Kigali. D’autres personnes accusées de génocide n’ont été transférées à la prison de Mpanga qu’à l’issue de leur procès. Depuis son transfert, ses contacts avec le monde extérieur ont été considérablement réduits. Les contacts téléphoniques et les visites sont strictement réglementés en raison des contraintes logistiques liées à l’emplacement de la prison. La distance séparant la prison de Mpanga de Kigali complique également le suivi de sa situation. Par conséquent, le requérant affirme que, s’il n’a pour l’instant pas subi de traitements inhumains ou dégradants, le risque d’être victime de tels traitements à l’avenir demeure, compte tenu notamment de l’imprévisibilité des autorités rwandaises.

Observations de l’État partie sur le fond et observations complémentaires sur la recevabilité de la requête

6.1Dans une note en date du 27 juillet 2017, l’État partie a soumis ses observations sur le fond de la requête et des observations complémentaires sur la recevabilité de celle-ci. Il souligne que, le 22 novembre 2012, le Ministère des affaires étrangères du Rwanda a demandé aux autorités néerlandaises d’extrader le requérant afin de pouvoir engager des poursuites pénales contre lui. Le requérant était soupçonné d’avoir, entre le 7 avril et le 14 juillet 1994, commis des faits de génocide, de complicité de génocide, d’entente en vue de commettre un génocide, de meurtre constitutif de crime contre l’humanité et d’extermination constitutive de crime contre l’humanité. Il était également soupçonné d’avoir violé l’article 3 commun aux Conventions de Genève et d’avoir créé une organisation constitutive d’association de malfaiteurs visant à nuire aux personnes ou à leurs biens, d’en avoir été membre, de l’avoir dirigée et d’avoir participé à ses activités.

6.2Le requérant a été arrêté le 23 janvier 2014. Le 11 juillet 2014, la chambre du tribunal de district de La Haye chargée des affaires d’extradition a jugé que l’extradition demandée pour les chefs de génocide et de tentative de génocide pouvait être autorités, mais qu’elle ne pouvait pas l’être pour les autres chefs d’inculpation, car la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ne prévoyait pas de tels motifs comme fondement d’une demande d’extradition. Le requérant a formé un pourvoi en cassation contre la décision du tribunal de district, qui a été rejeté par la Cour suprême le 16 décembre 2014. Le 3 juin 2015, le Ministre de la justice et de la sécurité a autorisé l’extradition conformément à la décision du tribunal de district. Le requérant a donc intenté une action contre l’État devant le tribunal de district de La Haye afin que ce dernier interdise à l’État partie de l’extrader vers le Rwanda. Le 27 novembre 2015, le tribunal de district a interdit l’extradition du requérant, estimant qu’il y avait de bonnes raisons de penser que son extradition vers le Rwanda entraînerait une violation de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme. L’État partie a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d’appel de La Haye. Le 5 juillet 2016, la cour d’appel a infirmé le jugement du tribunal de district. Elle a statué que l’extradition n’exposait pas réellement le requérant au risque de subir des traitements contraires aux articles 2, 3, 6, ou 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

6.3Le requérant a été extradé vers le Rwanda le 12 novembre 2016. Le 6 décembre 2016, deux membres du personnel de l’ambassade des Pays-Bas au Rwanda ont rendu visite au requérant à la prison centrale de Kigali. Il est ressorti de l’entretien qu’ils ont eu avec le requérant que les autorités rwandaises le traitaient convenablement, qu’il pouvait recevoir des visites de sa famille, qu’il avait accès à un avocat et que la Commission internationale de juristes suivait la procédure engagée contre lui. Au cours de cet entretien, le requérant a également dit que ses craintes d’être torturé au Rwanda ne s’étaient heureusement pas réalisées. Le 29 mars 2017, le rapport de la Commission internationale de juristes sur le suivi de la procédure qu’elle a assuré entre novembre et décembre 2016 a été envoyé au Parlement et publié sur le site du Gouvernement, de même que le texte de l’accord de suivi. Il faut principalement retenir de ce rapport initial que les autorités rwandaises respectent les garanties procédurales prévues dans l’accord. Le 23 mai 2017, le rapport de la Commission internationale de juristes sur le suivi assuré entre janvier et février 2017 a été publié sur ce même site. Ce rapport confirme les conclusions du rapport initial.

6.4En ce qui concerne la recevabilité de la requête, l’État partie réaffirme que cette dernière devrait être déclarée irrecevable au motif que le requérant n’a pas étayé ses griefs aux fins de la recevabilité. Il renvoie aux deux rapports de la Commission internationale de juristes sur le suivi assuré entre novembre 2016 et février 2017 et aux conclusions du personnel de l’ambassade et fait valoir que ces rapports et ces visites montrent que les autorités rwandaises traitent le requérant convenablement et que la crainte qu’avait ce dernier d’être torturé ou maltraité s’est révélée infondée. L’État partie rappelle que le requérant lui-même a fait savoir à la Commission internationale de juristes qu’il n’avait pas été agressé par les autorités rwandaises à son arrivée, que les conditions de détention étaient bonnes et que les autorités pénitentiaires étaient bien préparées à l’accueillir son arrivée. L’État partie fait valoir qu’il ressort des autres visites effectuées par la Commission internationale de juristes auprès du requérant que les conditions de détention respectent les garanties convenues et que, pour cette seule raison, la requête devrait être déclarée manifestement dénuée de fondement eu égard à l’article 113 b) du Règlement intérieur du Comité.

6.5Pour ce qui est du fond de la requête, l’État partie soutient que les personnes soupçonnées de crimes graves devraient, autant que faire se peut, être poursuivies et jugées dans le pays où les faits ont été commis, car c’est là que le procès aura le plus d’effets sur le plan de l’ordre juridique et que se trouvent les éléments de preuve. Les victimes, les proches qui ont survécu, les témoins et leurs concitoyens doivent pouvoir voir de leurs propres yeux que justice est faite, et comment elle l’est. Les articles VI et VII de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide soulignent expressément l’importance de juger les affaires dans le pays où les infractions ont été commises et d’autoriser l’extradition à cette fin. L’État partie indique que, comme il importe d’examiner les demandes d’extradition de manière approfondie et avec la diligence voulue, la procédure nationale d’extradition prévoit différentes garanties. Une décision du Ministre de la justice d’accorder une extradition est soumise à un examen objectif de la chambre du tribunal de district de La Haye. Ce double examen des demandes d’extradition, qui permet un examen approfondi et objectif des demandes d’extradition, constitue une importante garantie de la procédure d’extradition. Le droit de former un pourvoi en cassation contre la décision de la chambre du tribunal chargée des affaires d’extradition constitue une garantie supplémentaire. De plus, il est possible d’introduire une action civile pour déterminer si la décision du Ministre d’autoriser l’extradition était raisonnable.

6.6L’État partie affirme que les rapports sur le Rwanda montrent qu’il y a eu une amélioration générale de la situation des droits de l’homme au cours des cinq dernières années. Il fait observer en outre que, selon des organisations non gouvernementales, entre 2011 et 2016, les problèmes relatifs aux droits de l’homme recensés concernaient principalement le harcèlement et l’arrestation de journalistes, d’opposants politiques et de défenseurs des droits de l’homme, ainsi que les mauvais traitements qui leur ont été infligés. La plupart des problèmes ont trait aux droits civils et politiques ; la liberté d’expression en particulier est limitée et il n’est guère possible de critiquer le Gouvernement.

6.7L’État partie fait valoir qu’il ressort des rapports sur le Rwanda que les personnes reconnues coupables de génocide sont traitées de la même manière que les autres citoyens. Dans certains cas, comme elles craignaient de rentrer dans leur village après leur libération, elles ont reçu le soutien des autorités publiques. Le Gouvernement rwandais veillant à ce que personne ne se venge, très peu d’actes de vengeance ont été enregistrés. L’État partie met en relief que selon les rapports sur le Rwanda, il y a eu une amélioration générale des conditions de vie dans les prisons rwandaises. Le système pénitentiaire a été conçu pour accueillir 54 700 détenus. Si, à la fin de l’année 2012, la population carcérale s’élevait à 55 618 personnes, elle est passée à environ 54 000 personnes en 2015. D’après le Service pénitentiaire du Rwanda, toutes les prisons sont équipées de dortoirs, de toilettes, d’installations sportives, d’une infirmerie, d’un parloir et d’une cuisine et sont raccordées aux réseaux d’eau et d’électricité. Les personnes détenues dans le cadre de la loi relative au renvoi d’affaires, comme le requérant, bénéficient d’un régime spécial. Pendant leur procès, les personnes accusées de génocide qui ont été extradées d’un pays étranger sont logées dans un quartier de haute sécurité confortable de la prison centrale de Kigali, qui est réservé à cet effet. En juillet 2015, il accueillait cinq détenus. Ceux-ci peuvent, entre autres, regarder la télévision et utiliser un ordinateur. Ils disposent également de leur propre cuisine. En cas de reconnaissance de culpabilité, ils sont transférés à la prison de Mpanga, où les conditions de détention sont conformes aux normes internationales, en raison notamment des prescriptions de la loi relative au renvoi d’affaires. Huit personnes inculpées par le Tribunal spécial résiduel pour la Sierra Leone sont détenues dans une aile de la prison de Mpanga spécialement construite à cet effet. Un détenu extradé de Norvège vers le Rwanda qui a été condamné à trente ans d’incarcération en première instance s’y trouve également. Sa cellule est spacieuse, confortable et équipée d’une salle d’eau individuelle.

6.8L’État partie renvoie à la décision de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Ahorugeze c. Suède, où la Cour a conclu que l’extradition vers le Rwanda d’une personne soupçonnée de génocide ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour a souligné que les autorités rwandaises avaient donné l’assurance que le requérant serait détenu à la prison de Mpanga, dans laquelle il exécuterait également son éventuelle peine d’emprisonnement, et que pendant le procès, il serait détenu de façon provisoire à la prison centrale de Kigali. La Cour a jugé que ces deux établissements pénitentiaires respectaient les normes internationales et que rien n’indiquait que le requérant risquerait d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements à la prison de Mpanga ou à la prison centrale de Kigali.

6.9L’État partie soutient qu’en dépit des préoccupations liées à la situation des droits de l’homme au Rwanda, rien ne permet de conclure qu’une extradition vers le Rwanda emporterait en soi un risque de violation de l’article 3 de la Convention ou que toute personne soupçonnée de génocide renvoyée au Rwanda courrait personnellement un risque prévisible et réel de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention, d’autant plus que les personnes jugées en vertu de la loi relative au renvoi d’affaires, comme le requérant, bénéficient d’un régime spécial.

6.10L’État partie prend note de l’assertion du requérant selon laquelle son engagement dans diverses organisations d’opposition au Gouvernement rwandais l’expose particulièrement au risque d’être victime d’une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Toutefois, il affirme que des événements ultérieurs ont démenti cette assertion et que ce fait à lui seul permet de conclure que le requérant ne risquerait pas d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. L’État partie estime en outre que le requérant n’a pas suffisamment étayé ou développé ses allégations selon lesquelles les autorités rwandaises le considéreraient comme un opposant politique du fait de ses activités au sein de la Coalition pour la défense de la République, la Radio-Télévision Libre des Mille Collines ou la Federatie van Rwandese Maatschappelijke Organisations in Nederland. Il souligne qu’il est fondamental pour le Rwanda de poursuivre et de juger les personnes soupçonnées de génocide, et qu’il est donc dans son intérêt de respecter les engagements qu’il a pris pour pouvoir efficacement engager des poursuites pénales contre le requérant et le juger. Cela est mis en évidence par le fait que les autorités rwandaises sont disposées à donner de larges garanties ainsi qu’à autoriser un suivi de grande portée et qu’elles ont respecté tous les accords qui ont été conclus depuis l’extradition du requérant. Même si le Gouvernement rwandais accordait une importance telle aux opinions politiques du requérant qu’il le considérerait comme un opposant politique, il est très peu probable qu’il le soumettrait à des actes de torture ou à des mauvais traitements compte tenu de l’importance qu’il attache à poursuivre et à juger les auteurs des actes commis et de la nécessité qui en découle de les traiter convenablement. L’État partie affirme que les éléments concrets apportés au soutien de l’assertion du requérant sont insuffisants. Il prétend enfin que les allégations du requérant en ce qui concerne le droit à un procès équitable, en particulier l’absence d’indépendance du pouvoir judiciaire et la méconnaissance du principe de la présomption d’innocence, n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 3 de la Convention.

6.11L’État partie soutient que, quel que soit le bien-fondé de l’affirmation du requérant selon laquelle la détention l’exposerait au risque d’être soumis à la torture, que de nombreuses autres personnes emprisonnées subissent, la situation du requérant n’est pas comparable à celle des autres détenus. La loi relative au renvoi d’affaires est applicable pendant la durée du procès du requérant et le Gouvernement rwandais a donné d’importantes garanties aux autorités néerlandaises. Aux termes de l’article 23 de la loi relative au renvoi d’affaires, « les conditions de détention de toute personne dont l’affaire a été transférée au Rwanda […] seront conformes aux conditions minimales de détention prévue dans l’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement ». En outre, le Comité international de la Croix-Rouge ou un observateur nommé par le Président du Mécanisme internationalappelé à exercer les fonctions résiduelles des Tribunaux pénaux aura le droit de contrôler les conditions de détention. La détention des personnes relevant de la loi relative au renvoi d’affaires n’est donc pas comparable à celle des autres suspects. Dans l’affaire Jean Uwinkindi, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a souligné que l’une des garanties prévues par la loi relative au renvoi d’affaires était que toute personne transférée, comme c’est le cas du requérant, serait détenue conformément aux normes minima en matière de détention adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies. Les autorités rwandaises ont indiqué que la prison de Mpanga serait le principal lieu de détention du requérant mais qu’il serait temporairement détenu à la prison centrale de Kigali. S’il se révélait nécessaire de le transférer dans une autre prison, cette dernière serait également conforme aux normes internationales. Le suivi assuré jusqu’à maintenant montre que les autorités rwandaises respectent ces engagements.

6.12L’État partie prend note de l’affirmation du requérant selon laquelle il risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention à l’issue du procès, mais soutient qu’elle relève de la pure conjecture. Il réaffirme que la situation du requérant fait l’objet d’un suivi assuré à plusieurs niveaux et qu’il est fort peu probable que la communauté internationale cesse de la suivre une fois le procès terminé.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

7.1Dans une note en date du 9 juillet 2018, le requérant a soumis des commentaires sur les observations de l’État partie. Il maintient que sa requête est recevable. Il prend note de ce que, d’après l’État partie, la requête devrait être déclarée irrecevable faute d’être suffisamment étayés aux fins de la recevabilité, les autorités rwandaises traitant le requérant conformément à l’accord qu’elles ont conclu avec les autorités néerlandaises, mais il conteste cet argument. Il fait observer qu’il était censé bénéficier d’un dispositif d’aide juridictionnelle assorti des fonds destinés à financer une enquête ; cependant, ces ressources n’ont pas encore été mises à sa disposition. Il indique également qu’il n’a pas été autorisé à entrer en contact avec son avocat étranger. Le requérant concède qu’il n’a, pour l’instant, pas été victime de torture physique ou de traitements inhumains. Néanmoins, il affirme que sa crainte de subir de tels traitements est légitime vu qu’il est considéré comme un opposant politique du Gouvernement rwandais et que le recours à la torture est généralisé au Rwanda.

7.2Le requérant prend note de l’argument de l’État partie selon lequel la situation des droits de l’homme au Rwanda s’est améliorée ces dernières années. Il affirme cependant que les récents rapports relatifs aux droits de l’homme brossent un tableau différent et que, fréquemment, l’armée rwandaise détient illégalement et torture des personnes placées en détention en utilisant diverses méthodes telles que les passages à tabac, l’asphyxie, les simulacres d’exécution et les chocs électriques. Les plaintes faisant état de tortures commises en de telles circonstances n’ont pas donné lieu à des enquêtes et les éléments de preuves obtenus sous la torture n’ont pas été écartés par les tribunaux. Le requérant affirme également que, le 20 octobre 2017, le Sous-Comité des Nations Unies pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a reporté sa visite au Rwanda parce que le Gouvernement refusait de coopérer et imposait des restrictions importantes à son accès aux détenus. D’après le requérant, les rapports sur le Rwanda montrent ainsi que les personnes considérées comme des opposants politiques continuent d’être persécutées dans les faits et qu’il court un risque réel et imminent d’être soumis à la torture ou à d’autres traitement inhumains ou dégradants. Il affirme aussi que bien que sa situation fasse l’objet d’une certaine surveillance et d’un suivi, cette situation changera dès que ce suivi prendra fin.

7.3Le requérant fait valoir que les rapports sur le suivi établis par la Commission internationale de juristes revêtent un caractère général et ne comportent pas d’analyses, de conclusions ou de recommandations portant sur son cas particulier. En outre, ils sont publiés de manière irrégulière, parfois à intervalles de six mois. Ces rapports comportent très peu de détails sur le traitement qui lui est réservé, sur les personnes qui sont autorisées à lui rendre visite et sur les possibilités qu’il a d’envoyer et de recevoir du courrier. Le requérant souligne que le fonctionnement du dispositif d’observation semble dénué de transparence. L’accord conclu entre le Ministère des affaires étrangères des Pays-Bas et la Commission internationale de juristes ne prévoit aucun calendrier ou plan de travail. Rappelant que le but des rapports sur le suivi est d’empêcher de potentielles violations de ses droits, il fait valoir que leur caractère général et leur publication irrégulière et souvent tardive réduisent leur efficacité en tant que mesure de protection. Le requérant souligne également que les manœuvres d’intimidation et les menaces des autorités rwandaises lui sapent le moral. Par ailleurs, il affirme que l’accusation n’apporte que des preuves par commune renommée et qu’il s’est révélé impossible de trouver des personnes disposées à témoigner à décharge, car elles craignent d’être victimes d’actes d’intimidation et de persécution si elles se font connaître. Comme les avocats de la défense et les enquêteurs sont soumis à des pressions de la part des autorités, ils doivent choisir avec soin leur stratégie de défense.

Observations complémentaires de l’État partie

8.1Dans une note en date du 10 octobre 2018, l’État partie a soumis des observations complémentaires sur la recevabilité et sur le fond de la requête. Il réaffirme que la requête devrait être déclarée irrecevable au motif que la Cour européenne des droits de l’homme a déjà statué sur cette affaire, que le requérant n’a pas épuisé tous les recours internes et qu’il n’a pas suffisamment étayé ses griefs aux fins de la recevabilité. Il réaffirme également que, si le Comité jugeait la requête recevable, il devrait la considérer comme étant dénuée de fondement.

8.2En ce qui concerne sa position selon laquelle le Comité devrait déclarer la requête irrecevable au motif que les griefs ne sont pas étayés aux fins de la recevabilité, l’État partie renvoie à sa note du 27 juillet 2017. Il fait observer qu’après une année, les autorités rwandaises continuent de respecter les garanties qu’elles avaient offertes et que les conditions carcérales sont bonnes. L’État partie fait valoir que, comme les autorités rwandaises ont toujours bien traité le requérant depuis son arrivée en novembre 2016, il n’y a pas lieu de penser que celui-ci fera l’objet d’un traitement différent à l’avenir. Cette assertion est renforcée par le fait que d’autres personnes jugées pour génocide en vertu de la loi relative au renvoi d’affaires, comme Jean Uwinkindi, n’ont pas été victimes de traitements contraires à l’article 3 de la Convention. L’État partie affirme en outre que rien ne laisse supposer que le requérant risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention d’ici à la fin du procès ou au cours de l’exécution d’une éventuelle peine d’emprisonnement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

9.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement. Le Comité rappelle sa jurisprudence selon laquelle une communication a été ou est actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement si l’examen par l’autre instance portait ou porte sur la même question au sens du paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, c’est-à-dire avait ou a trait aux mêmes parties, aux mêmes faits et aux mêmes droits substantiels. Le Comité constate que, le 8 juillet 2016, la Cour européenne des droits de l’homme, siégeant en formation de juge unique, a déclaré irrecevable la requête dont elle a été saisie car les conditions de recevabilité prévues par les articles 34 et 35 de la Convention européenne des droits de l’homme n’étaient pas remplies, sans fournir une motivation quant aux raisons concrètes qui l’ont amené à une telle conclusion. Le Comité constate également que la requête soumise à la Cour portait apparemment sur les mêmes faits que ceux faisant l’objet de la présente communication. Le Comité souligne toutefois que dans sa décision la Cour n’expose pas le raisonnement l’ayant conduit à déclarer la requête irrecevable, ce qui ne lui permet pas de déterminer dans quelle mesure la Cour a examiné la requête du requérant et, notamment si elle a procédé à une analyse approfondie de l’affaire sur le fond. En conséquence, le Comité considère qu’il n’est pas empêché par le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention d’examiner la présente affaire.

9.2Le Comité note que, selon l’État partie, la présente requête devrait être déclarée irrecevable pour non-épuisement des recours internes vu que le requérant n’a pas formé de pourvoi en cassation auprès de la Cour suprême contre la décision de la cour d’appel de La Haye du 5 juillet 2016. Toutefois, il prend note de l’argument du requérant selon lequel un tel recours n’aurait pas constitué un recours utile en l’espèce, puisqu’il n’aurait pas eu d’effet suspensif et n’aurait pas empêché son extradition. Le Comité constate que l’État partie n’a ni réfuté l’argument du requérant à ce sujet ni fourni d’informations donnant à penser qu’un pourvoi en cassation devant la Cour suprême aurait eu un effet suspensif dans le cas du requérant ou que ce dernier aurait pu solliciter une mesure provisoire interdisant son extradition dans l’attente d’une décision. Le Comité en conclut que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la requête conformément au paragraphe5 b) de l’article 22 de la Convention.

9.3Le Comité prend note du grief du requérant selon lequel il ne bénéficiera pas d’un procès équitable au Rwanda. Il souligne que le fait qu’un requérant puisse être jugé dans le cadre d’un système judiciaire qui ne garantit pas le droit à un procès équitable peut être indicatif d’un risque de torture que les autorités d’un État partie doivent prendre en compte dans leurs décisions d’expulsion du territoire. En l’espèce, le Comité constate que les autorités de l’État partie ont examiné les griefs formulés par l’auteur à cet égard et ont conclu qu’il ne risquait pas de ne pas bénéficier du droit à un procès équitable au Rwanda. Il constate également que le requérant n’a pas fourni à ce sujet d’informations précises supplémentaires donnant à penser qu’il courrait le risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 en cas d’extradition vers le Rwanda. En conséquence, le Comité conclu que cette partie de la requête est irrecevable faute d’être suffisamment étayée aux fins de la recevabilité.

9.4Le Comité prend note de l’allégation du requérant selon laquelle l’extradition vers le Rwanda l’exposerait au risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il considère que le requérant a suffisamment étayé son grief aux fins de la recevabilité. Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare cette partie de la requête recevable en vertu de l’article 3 de la Convention et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

10.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

10.2Conformément à l’article 3 de la Convention, le Comité doit déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquait d’être soumis à la torture après son renvoi au Rwanda. Le Comité fait observer d’emblée que dans les cas où une personne a été expulsée alors que sa requête était à l’examen, le Comité apprécie ce que l’État partie savait ou aurait dû savoir au moment de l’expulsion. Les informations obtenues après le renvoi ne sont pertinentes que pour apprécier ce que savait l’État partie, ou sur ce qu’il aurait pu déduire, concernant le risque de torture au moment de l’expulsion du requérant.

10.3Pour déterminer s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquait d’être soumis à la torture à son retour au Rwanda, le Comité doit, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence dans le pays de retour d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. L’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi une raison suffisante pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

10.4Le Comité renvoie à son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, selon laquelle l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire que l’intéressé risque d’être soumis à la torture dans un État vers lequel il doit être expulsé, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe susceptible d’être torturé dans l’État de destination. Le Comité rappelle également que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel ».

10.5Le Comité rappelle que la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments montrant qu’il courrait personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture. Le Comité rappelle également qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé. Toutefois, il n’est pas tenu par de telles constatations et il apprécie librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes pour chaque cas.

10.6Le Comité prend note des affirmations du requérant selon lesquelles il risque d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements au Rwanda étant donné que les autorités rwandaises le considèrent comme un opposant politique du fait de son appartenance à la Coalition pour la défense de la République et de son engagement dans l’opposition rwandaise aux Pays-Bas. Il note également que, d’après le requérant, les garanties offertes par la loi relative au renvoi d’affaires ne constituent pas une mesure de protection suffisante. En outre, il relève l’argument de l’État partie selon lequel le requérant a été extradé vers le Rwanda en vertu de la loi relative au renvoi d’affaires et que ses conditions de détention seront donc conformes aux normes internationales, de même que la prison où il accomplira sa peine s’il est reconnu coupable. Il prend note du fait que l’État partie estime que le requérant n’a pas étayé son affirmation selon laquelle les autorités rwandaises le considérerait comme un opposant politique. Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie faisant valoir que l’affirmation du requérant selon laquelle il risque d’être soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention à l’issue du procès relève de la pure conjecture.

10.7Le Comité constate que les affirmations du requérant selon lesquelles il serait exposé au risque d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements s’il était extradé ont été examinées par les autorités de l’État partie avant l’extradition. Il constate également que le requérant n’a pas fourni d’informations précises ni d’éléments de preuves laissant à penser qu’il serait personnellement exposé à un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture en cas d’extradition vers le Rwanda. Le Comité note en outre que le requérant a été extradé en vertu de la loi relative au renvoi d’affaires, qui dispose que les conditions de détention de toute personne dont l’affaire a été transférée au Rwanda en application de cette loi seront conformes aux normes internationales minima en matière de détention. Il prend acte du fait que le requérant a été détenu à la prison de Mpanga et à la prison centrale de Kigali, dont il a été jugé qu’elles respectaient les normes internationales minima en matière de détention. Il constate également que le requérant a été extradé dans le cadre d’un accord de suivi et que la Commission internationale de juristes assure un suivi régulier de ses conditions de détention. Le Comité constate en outre que les affirmations du requérant se fondent principalement sur la présomption qu’en tant que personne extradée pour répondre de l’accusation de génocide, il risquerait automatiquement d’être torturé à son retour au Rwanda. Le Comité relève toutefois que les informations présentées par le requérant ne comportent aucune référence précise à des allégations d’actes de torture commis sur les personnes renvoyées au Rwanda pour être jugées pour des actes de génocide. Il constate en outre que le requérant n’a pas fourni d’informations concrètes pour étayer son grief selon lequel il serait exposé à un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Le Comité est donc d’avis que le requérant n’a pas suffisamment étayé son grief selon lequel son extradition vers le Rwanda l’exposerait au risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention.

11.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant au Rwanda par l’État partie ne constitue pas une violation de l’article 3 de la Convention.