Nations Unies

CRPD/C/12/D/5/2011

Convention relative aux droits des personnes handicapées

Distr. générale

14 novembre 2014

Français

Original: anglais

Comité des droits des personnes handicapées

Communication no 5/2011

Constatations adoptées par le Comité à sa douzième session (15 septembre-3 octobre 2014)

Communication présentée par:

Marie-Louise Jungelin(représentée par l’Association suédoisede jeunes malvoyants et l’Association suédoise de malvoyants)

Au nom de:

L’auteure

État partie:

Suède

Date de la communication:

18 février 2011 (date de la lettre initiale)

Références:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 70 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 1er décembre 2011 (non publiée sous forme de document)

Date de la décision:

2 octobre 2014

Objet:

Processus de recrutement et modifications et ajustements appropriés du lieu de travail

Question(s) de fond:

Égalité et non-discrimination; reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité; travail et emploi; appréciation des faits et des éléments de preuve

Question(s) de procédure:

Recevabilité ratione temporis

Article(s) de la Convention:

5 et 27

Article(s) du Protocole facultatif:

2  f

Annexe

Constatations du Comité des droits des personnes handicapées au titre de l’article 5 du Protocolefacultatif se rapportantà la Convention relativeaux droits des personnes handicapées(douzième session)

concernant la

Communication no 5/2011 *

P résentée par:

Marie-Louise Jungelin (représentée par l’Association suédoise de jeunes malvoyants et l’Association suédoise de malvoyants)

Au nom de:

L’auteure

État partie:

Suède

Date de la communication:

18 février 2011 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits des personnes handicapées, institué en vertu de l’article 34 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées,

Réuni le 2 octobre 2014,

Ayant achevé l’examen de la communication no 5/2011 présentée par Marie‑Louise Jungelin en vertu du Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteure de la communication et l’État partie,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre de l’article 5 du Protocole facultatif

1.1L’auteure de la communication est Marie-Louise Jungelin, de nationalité suédoise, née en 1970. Elle se déclare victime de violations par la Suède des droits qu’elle tient des articles 5 et 27 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. L’auteure est représentée par l’Association suédoise de jeunes malvoyants et l’Association suédoise de malvoyants. En vertu du paragraphe 2 de l’article 45 de la Convention et du paragraphe 2 de l’article 13 du Protocole facultatif s’y rapportant, la Convention et le Protocole sont entrés en vigueur à l’égard de l’État partie le 14 janvier 2009.

1.2Le 16 avril 2013, à sa neuvième session, le Comité des droits des personnes handicapées a décidé, en application des articles 65 et 70 du règlement intérieur du Comité, d’examiner la recevabilité séparément du fond. Le Comité a déclaré la communication recevable en ce qui concerne les griefs formulés par l’auteure au regard des articles 5 et 27 de la Convention.

Rappel des faits présentés par l’auteure

2.1L’auteure est atteinte depuis la naissance de déficience visuelle grave. Elle a été scolarisée dans une école ordinaire et a obtenu une licence en droit à l’Université de Stockholm. Elle a acquis une expérience de plusieurs années à différents postes, notamment dans les services de la police de Farsta, où elle transcrivait des interrogatoires enregistrés, puis pour la compagnie d’assurances Folksam Rättsskydd, où elle travaillait au règlement des sinistres. Elle a l’habitude de travailler avec différents types d’ordinateurs et de systèmes de traitement des dossiers, adaptés à ses besoins.

2.2En mai 2006, elle a présenté sa candidature à la Caisse suédoise d’assurance sociale (Försäkringskassan) pour y exercer les fonctions d’experte-enquêtrice concernant les demandes de prestations et d’indemnisation maladie. Il s’agissait d’un poste permanent qui consistait à traiter les demandes, à examiner les besoins des requérants en matière de paiement ou autres prestations, et à évaluer leurs droits. Pour s’acquitter de ces tâches, le titulaire du poste devait recueillir et analyser des renseignements provenant de différentes sources, notamment le système de suivi des dossiers, les systèmes auxiliaires et le programme d’administration du personnel, ainsi que des documents sur papier, y compris manuscrits.

2.3Le 13 juin 2006, l’auteure a été invitée à participer à une conférence de recrutement et, le 21 juin 2006, à un entretien personnel. Lors de cet entretien, elle a expliqué qu’elle était atteinte depuis la naissance de déficience visuelle et que sa capacité visuelle était très limitée mais qu’elle pouvait différencier le clair et le sombre ainsi que certaines couleurs. Elle a également expliqué qu’il était possible d’obtenir des aides et a souligné que le Département de la réadaptation du Service public de l’emploi lui avait promis qu’il se renseignerait sur les possibilités d’aménager les programmes informatiques utilisés par la Caisse d’assurance sociale.

2.4Le 25 août 2006, l’auteure a été informée du fait que, bien qu’elle possède les compétences, l’expérience et les références requises, elle n’était pas retenue pour le poste parce qu’il n’était pas possible d’adapter le système informatique de la Caisse d’assurance sociale aux besoins découlant de sa déficience visuelle. Selon la Caisse, son département informatique estimait que ni les matériels ni les logiciels n’étaient dotés de l’outil nécessaire pour convertir en braille les informations contenues dans le système informatique. De plus, une partie de ce système ne pouvait être rendue accessible à l’auteure même en recourant à différentes aides techniques.

2.5L’auteure a signalé son cas au Médiateur suédois chargé de la défense des droits des personnes handicapées. En mars 2008, celui-ci a saisi le Tribunal suédois du travail d’une requête au nom de l’auteure. Il y était affirmé que l’auteure était qualifiée pour exercer les fonctions d’experte-enquêtrice, et que la Caisse d’assurance sociale aurait pu mettre à sa disposition des aides techniques et un assistant personnel afin de réduire l’incidence de sa déficience dans une mesure telle qu’il n’y aurait pas eu de raison que celle-ci pèse sur la décision d’embauche. Par conséquent, en ne prenant pas les mesures de soutien et d’adaptation raisonnables qui l’auraient placée dans une situation comparable à celle d’une personne non atteinte de sa déficience fonctionnelle et lui auraient permis de mener à bien les tâches relevant du poste à pourvoir, la Caisse avait agi de manière directement discriminatoire à son égard, en violation de l’ancienne loi interdisant la discrimination fondée sur le handicap dans la vie professionnelle (1999:132). L’auteure avait demandé une somme de 70 000 couronnes suédoises de dommages-intérêts, augmentée des intérêts courus, plus les frais de justice.

2.6Dans le cadre de la procédure judiciaire, le Médiateur suédois chargé de la défense des droits des personnes handicapées a estimé que la Caisse d’assurance sociale ne s’était pas renseignée de manière adéquate sur les options possibles s’agissant d’aménager le poste de travail aux besoins de l’auteure, et n’avait pas tenu compte de l’éventuel soutien financier du Département de la réadaptation du Service public de l’emploi. Le Médiateur a fait trois propositions distinctes de mesures de soutien et d’adaptation, dont il estimait que la Caisse aurait raisonnablement pu les prendre, à savoir: a) adapter le système de suivi des dossiers au moyen de programmes permettant à l’auteure de naviguer dans ledit système et de lire directement les informations sur un écran d’ordinateur, ce qui aurait coûté approximativement 10 à 15 millions de couronnes, soit environ 2 % du budget informatique de la Caisse; b) mettre en place des programmes pour convertir l’information (des documents numérisés) en voix de synthèse ou en braille; et c) étant donné qu’en 2006, au moment de la procédure de recrutement, le responsable des dossiers avait essentiellement à traiter des documents sur papier, il aurait été possible de les convertir en voix de synthèse ou en braille à l’aide d’un scanner. Toutes les mesures proposées auraient nécessité l’aide d’un assistant personnel pour traiter les textes manuscrits qui, semble-t-il, constituaient 10 % de l’ensemble de la documentation. Le Médiateur a en outre fait valoir que l’assistant pourrait aussi s’acquitter de tâches supplémentaires. Il a souligné que de telles mesures avaient été prises auparavant dans d’autres cas qui s’étaient présentés à la Caisse, laquelle pouvait en tant qu’employeur bénéficier d’une aide financière de l’État.

2.7La Caisse d’assurance sociale a fait observer qu’elle avait étudié sérieusement la candidature de l’auteure lors du processus de recrutement, et qu’elle avait demandé à son département informatique de voir si le système de suivi des dossiers et les systèmes informatiques auxiliaires pouvaient être adaptés à ses besoins. De l’étude alors réalisée, qui comprenait des essais effectués par une société indépendante, il ressortait que même avec des aides techniques, l’auteure n’aurait pas été en mesure de lire toutes les informations contenues dans le système de suivi des dossiers et les autres systèmes informatiques ni de naviguer dans ces systèmes. En outre, il n’existait aucun outil technique permettant de transcrire tous les textes manuscrits (par exemple les demandes et les certificats médicaux). Par conséquent, un ajustement et une adaptation de l’ensemble du système informatique ou toute autre solution auraient été déraisonnables. Toutes les propositions auraient nécessité d’énormes investissements en temps et en ressources financières. La Caisse a également estimé que l’embauche d’un assistant personnel pour l’auteure aurait abouti à ce que celle‑ci ne s’occupe que de la préparation des notes récapitulatives préalables aux décisions relatives au droit à paiement tandis que l’assistant exécuterait 80 % du travail. Dans la pratique, cela signifiait que la Caisse devrait employer deux personnes pour s’acquitter des tâches d’une seule. Enfin, la Caisse a fait valoir que, au moment du recrutement, environ 95 % des demandes comportaient des documents écrits à la main que l’expert-enquêteur devait traiter. Par conséquent, l’ensemble des mesures de soutien et d’adaptation nécessaires pour rendre le poste accessible à l’auteure aurait constitué une charge déraisonnable pour la Caisse.

2.8Le 17 février 2010, le Tribunal du travail a rejeté la demande soumise par le Médiateur suédois chargé de la défense des droits des personnes handicapées. Il a estimé que les qualifications de l’auteure devaient être appréciées par rapport à toutes les tâches incombant au titulaire du poste; autrement dit, elle devait être en mesure de traiter les demandes de prestations et d’indemnisation maladie dans le système informatique, et d’utiliser celui-ci et les systèmes auxiliaires de manière à pouvoir accéder aux informations et les lire, naviguer d’un programme à un autre et s’en servir efficacement comme outils de travail. Ces tâches nécessitaient également de traiter des textes manuscrits, tâche qui, malgré la diminution du volume de documents manuscrits, ne pouvait être considérée comme marginale pour l’enquêteur. Le Tribunal a évalué les diverses mesures de soutien et d’adaptation proposées par le Médiateur et, à la lumière des témoignages et des avis d’experts présentés par les deux parties, a conclu qu’il avait été démontré que les mesures de soutien et d’adaptation que la Caisse d’assurance sociale aurait dû adopter pour placer l’auteure dans une situation comparable à celle d’une personne non atteinte de déficience visuelle n’étaient pas raisonnables. L’auteure n’avait donc pas les qualifications nécessaires pour le poste d’expert-enquêteur. En outre, le Tribunal a demandé au Médiateur de rembourser à la Caisse les frais de justice.

2.9Selon l’auteure, les décisions du Tribunal du travail ne sont pas susceptibles d’appel et, par conséquent, aucun autre recours ne lui est ouvert au niveau national.

Teneur de la plainte

3.1L’auteure fait valoir que le rejet par la Caisse d’assurance sociale de sa candidature pour le poste d’expert-enquêteur constitue une violation des articles 5 et 27 de laConvention.

3.2L’auteure soutient qu’elle a été victime de discrimination dans le processus de recrutement de la Caisse d’assurance sociale dans la mesure où celle-ci a rejeté sa candidature au lieu d’évaluer adéquatement la possibilité de prendre certaines mesures de soutien et d’adaptation. Si la Caisse avait adapté son système informatique aux utilisateurs ayant besoin d’un lecteur d’écran et d’un afficheur braille, l’auteure aurait pu effectuer la plupart des tâches correspondant au poste à pourvoir. En outre, on attendait de la Caisse, en tant que principale institution publique de l’État partie chargée de la mise en œuvre de la politique nationale à l’égard des personnes handicapées, qu’elle prenne des mesures respectant les obligations énoncées dans la Convention.

3.3En concluant que les mesures proposées par le Médiateur suédois chargé de la défense des droits des personnes handicapées à la Caisse d’assurance sociale tendant à ce que la Caisse adapte ses systèmes informatiques et fournisse d’autres aides n’étaient pas raisonnables et proportionnées, le Tribunal du travail suédois avait rendu un jugement discriminatoire et n’avait pas garanti à l’auteure l’égale protection et l’égal bénéfice de la loi. Dans son appréciation, le Tribunal n’avait pas dûment pris en considération les témoignages et les avis d’experts et avait rejeté les propositions du Médiateur sans tenir compte du fait que l’employeur avait l’obligation de mettre en œuvre les ajustements nécessaires et appropriés du lieu de travail pour l’adapter aux besoins des employés handicapés. De plus, le Tribunal n’avait pas pris en considération le fait que tout ajustement des programmes informatiques de la Caisse aurait profité non seulement à l’auteure mais également à tout autre futur employé atteint d’une déficience visuelle. Enfin, l’auteure affirme que, bien que les enquêtes techniques demandées par le Tribunal du travail n’aient pas été concluantes contre ses allégations, la charge de la preuve n’incombe pas à l’employeur. Le jugement du Tribunal constitue donc en soi une violation de la Convention.

3.4L’auteure déclare en outre que l’État partie n’a pas adopté toutes les mesures législatives et administratives appropriées en ce qui concerne les droits consacrés dans la Convention, que la loi ne reconnaît pas pleinement aux personnes handicapées le droit au travail dans des conditions d’égalité avec les autres personnes, et que, de même, l’État partie n’a pas pris les mesures appropriées pour interdire la discrimination fondée sur le handicap dans tout ce qui a trait à l’emploi sous toutes ses formes, notamment les conditions de recrutement et d’embauche, et pour faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés aux lieux de travail en faveur des personnes handicapées.

Observations de l’État partie sur la recevabilité

4.1Le 29 février 2012, l’État partie a présenté ses observations sur la recevabilité de la communication et a demandé au Comité de l’examiner séparément du fond. Il considère que la communication est irrecevable puisque les faits portés devant le Comité se sont produits avant l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole facultatif.

4.2L’État partie fait valoir que la communication n’est pas claire. Tout en traitant dans une certaine mesure du cas particulier de l’auteure, elle porte principalement sur la législation nationale relative à la discrimination, en particulier la loi de lutte contre la discrimination (2008:567) et sa compatibilité avec la Convention. L’État partie rappelle que l’examen in abstracto de la législation interne (actio popularis) n’est pas recevable dans une procédure de communication individuelle.

4.3En ce qui concerne le cas particulier de l’auteure, l’État partie fait observer que la communication n’est pas recevable ratione temporis étant donné que les faits pertinents se sont produits en 2006, avant l’entrée en vigueur, le 14 janvier 2009, de la Convention et du Protocole facultatif s’y rapportant. La non-rétroactivité des traités est un principe général du droit international, qui est consacré à l’article 28 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités ainsi qu’à l’alinéa f de l’article 2 du Protocole facultatif. L’État partie note en outre qu’il n’existe pas encore de jurisprudence du Comité sur la question, et renvoie à d’autres jurisprudences internationales y afférentes, en particulier l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Blečićc. Croatie, dans lequel la Cour a estimé, en son paragraphe 79, ce qui suit:

Par conséquent, dans les affaires où l’ingérence est antérieure à la ratification tandis que le refus d’y remédier lui est postérieur, le choix de la date de ce refus pour la détermination de la compétence temporelle de la Cour aboutirait à rendre la Convention contraignante pour l’État mis en cause relativement à un fait ayant eu lieu avant son entrée en vigueur à l’égard de cet État. Cela serait contraire à la règle générale de non-rétroactivité des traités.

4.4Pour trancher la question de la recevabilité ratione temporis, il est fondamental de déterminer la «date critique», c’est-à-dire la date à laquelle l’instrument international devient obligatoire pour l’État partie, et de décider si les faits qui constituent l’infraction alléguée se sont produits avant ou après cette date. Dans le cas de la présente communication, la violation alléguée a eu lieu en août 2006 mais est devenue définitive le 30 août 2007, lorsque le Gouvernement a rejeté l’appel de l’auteure. Il est donc clair que les faits ne sont pas de nature continue. Le Médiateur suédois chargé de la défense des droits des personnes handicapées a ultérieurement introduit un recours contre la Caisse d’assurance sociale devant le Tribunal du travail, demandant que l’État soit condamné à payer des dommages-intérêts à l’auteure pour discrimination.

4.5Le fait que le jugement concernant la discrimination présumée à l’égard de l’auteure a été rendu par le Tribunal suédois du travail le 17 février 2010 ne permet pas de conclure que le Comité est compétent ratione temporis pour connaître de la présente communication. Si le Tribunal avait pris une décision favorable à l’auteure, il aurait pu ordonner une compensation financière, mais n’aurait pas pu casser la décision de la Caisse d’assurance sociale. Lorsqu’il a examiné l’affaire, le Tribunal appliquait la loi interdisant la discrimination fondée sur le handicap dans la vie professionnelle (1999:132), en vigueur au moment des faits, et non la loi de lutte contre la discrimination (2008:567) portant abrogation de la loi antérieure, entrée en vigueur le 1er janvier 2009. En outre, aucune disposition de la Convention ne fait référence à un droit automatique à une indemnisation. Par conséquent, l’État partie maintient que, en application de l’alinéa f de l’article 2 du Protocole facultatif, le Comité n’est pas compétent pour examiner la présente communication, et que son examen reviendrait à donner un effet rétroactif à la Convention et porterait également atteinte à la distinction fondamentale entre violation et réparation qui sous-tend le droit de la responsabilité des États.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

5.1Le 31 mai 2012, l’auteure a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie et a noté que les faits relatifs à la discrimination alléguée avaient eu lieu avant l’entrée en vigueur, à l’égard de l’État partie, de la Convention et du Protocole facultatif s’y rapportant. Cependant, «les principaux faits faisant l’objet» de sa communication se sont poursuivis après l’entrée en vigueur des instruments pertinents et, qui plus est, le Tribunal du travail a rendu son jugement après cette date.

5.2L’auteure fait valoir que le sujet principal de sa communication n’est pas le rejet discriminatoire de sa candidature par la Caisse d’assurance sociale, mais le fait que, alors que la Convention était en vigueur, le Tribunal du travail a rendu un jugement non conforme à celle-ci. Au cours de l’enquête menée par le Tribunal, le Médiateur et les experts techniques avaient présenté des propositions claires d’aménagements possibles et raisonnables du système informatique de la Caisse, et le Tribunal lui-même avait fait remarquer qu’on aurait pu s’attendre à ce que la Caisse ait élaboré des systèmes informatiques accessibles aux personnes handicapées. Le Tribunal avait examiné sa plainte de manière approfondie et évalué les éléments de preuve et les rapports techniques, mais ne s’était pas opposé à la discrimination manifeste exercée par une administration publique, en l’occurrence la Caisse d’assurance sociale. Le jugement du Tribunal était donc en soi contraire à la Convention qui était alors déjà en vigueur.

5.3L’auteure a également souligné que l’État partie n’avait pas pleinement mis en œuvre, par des mesures législatives, les droits et obligations énoncés dans la Convention, et qu’il n’avait pas pris de mesures pour empêcher que des actes de discrimination analogues se reproduisent.

Observations complémentaires de l’État partie

6.1Le 2 juillet 2012, l’État partie a soumis des observations complémentaires concernant la recevabilité de la communication. Il y réaffirmait que le cas personnel de l’auteure n’était pas le sujet principal de la communication, qui visait plutôt la législation générale relative aux personnes handicapées. Un tel examen général de la législation d’un État partie ne pouvait avoir lieu qu’au titre de l’article 36 de la Convention dans le cadre de l’examen par le Comité des rapports des États parties.

6.2Étant donné que les faits à l’origine des allégations de l’auteure s’étaient produits en 2006, le Tribunal du travail devait déterminer si la Caisse d’assurance sociale avait commis un acte de discrimination à l’égard de l’auteure en août 2006, lorsqu’elle avait décidé de ne pas l’engager. Par conséquent, les dispositions de la Convention ne s’appliquaient pas en l’espèce, puisque celle-ci n’était pas en vigueur lorsque l’acte de discrimination présumé avait été commis. L’État partie soulignait en outre que, dans la procédure devant le Tribunal, les parties n’avaient pas fait référence à la Convention.

Décision du Comité concernant la recevabilité

7.1À sa neuvième session, le 16 avril 2013, le Comité a examiné la recevabilité de la communication.

7.2Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément aux dispositions de l’alinéa c de l’article 2 du Protocole facultatif, que la même affaire n’avait pas été déjà examinée ou n’était pas en cours d’examen devant une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

7.3S’agissant de la recevabilité ratione temporis, le Comité a pris note du raisonnement de l’État partie selon lequel, puisque les faits pertinents s’étaient produits en août 2006 et en 2007, avant l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole facultatif le 14 janvier 2009, le Comité devait déclarer la communication irrecevable pour éviter une application rétroactive de la Convention. Cependant, tenant compte du fait que le Tribunal du travail avait rendu son jugement le 17 février 2010, le Comité a conclu qu’il était compétent ratione temporis pour examiner la présente communication.

7.4Le Comité a également pris note des griefs de l’auteure qui affirmait que les faits faisant l’objet de sa communication s’étaient poursuivis après l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie et que le jugement du 17 février 2010 du Tribunal du travail, qui avait examiné de manière approfondie sa plainte pour discrimination, était lui-même contraire à la Convention en ce qu’il n’avait pas établi que les ajustements et modifications proposés par le Médiateur et les experts techniques n’imposaient pas une charge disproportionnée ou indue à la Caisse d’assurance sociale.

7.5Le Comité a rappelé que, conformément aux règles générales du droit international, un traité, sauf disposition contraire expresse de celui-ci, n’avait pas d’effet rétroactif et ne liait par conséquent pas les parties en ce qui concernait les actes ou faits antérieurs à sa date d’entrée en vigueur pour ces parties, ou les situations qui avaient cessé d’exister à cettedate.

7.6Le Comité a observé que la décision de la Caisse d’assurance sociale de ne pas nommer l’auteure à un poste d’expert-enquêteur sur les demandes de prestations et d’indemnisation maladie avait été communiquée à l’intéressée le 25 août 2006 et confirmée par le Gouvernement en août 2007, avant l’entrée en vigueur de la Convention et du Protocole facultatif à l’égard de l’État partie le 14 janvier 2009. Néanmoins, le 17 février 2010, le Tribunal du travail avait examiné de manière approfondie la demande du Médiateur chargé de la défense des droits des personnes handicapées, présentée au nom de l’auteure, y compris des témoignages et des avis d’experts, puis rendu un jugement définitif en première instance sur la plainte pour discrimination déposée contre la Caisse par l’auteure. Le Comité a estimé que, le Tribunal étant la seule instance judiciaire compétente pour statuer sur la plainte pour discrimination, sa décision en la matière était particulièrement pertinente aux fins de l’examen de la communication de l’auteure. Le Comité a estimé également que la décision du Tribunal du travail ne pouvait être dissociée des deux décisions des organes administratifs de refuser d’engager l’auteure; que ces trois décisions constituaient des faits qu’il était prié d’examiner; et que la nature de la procédure engagée devant le Tribunal du travail était des plus pertinentes pour l’examen de l’objection de l’État partie à la recevabilité de la communication fondée sur l’argument ratione temporis. Le Comité a observé que le Tribunal du travail n’avait pas simplement examiné les éléments de forme ou les erreurs de droit dans les décisions précédentes des organes administratifs mais qu’il avait examiné les griefs de discrimination présentés par le Médiateur chargé de la défense des droits des personnes handicapées quant au fond. Dans ces circonstances, le Comité a considéré que la communication était recevable étant donné que le jugement du Tribunal du 17 février 2010 avait été rendu alors que la Convention était déjà en vigueur à l’égard de l’État partie et qu’il ne pouvait pas faire l’objet d’un autre recours. En conséquence, le Comité a considéré qu’il n’était pas empêché ratione temporis d’examiner la présente communication, étant donné que certains des faits qui lui étaient soumis et l’épuisement des recours internes s’étaient produits après l’entrée en vigueur pour l’État partie de la Convention et du Protocole facultatif s’y rapportant.

7.7S’agissant de l’épuisement des recours internes, le Comité a pris note de l’allégation de l’auteure selon laquelle le jugement du Tribunal du travail n’était pas susceptible d’appel et aucune autre voie de recours ne lui était ouverte. En conséquence, il a considéré que les voies de recours internes avaient été épuisées. En l’absence d’autres obstacles à la recevabilité de la communication, le Comité a déclaré que la communication était recevable.

Observations de l’État partie sur le fond

8.1Dans une note verbale du 20 novembre 2013, l’État partie a présenté ses observations sur le fond de la communication.

8.2L’État partie rappelle que la Convention relative aux droits des personnes handicapées est entrée en vigueur pour la Suède le 14 janvier 2009. Le Gouvernement de l’époque avait estimé qu’aucune modification de la législation nationale en vigueur n’était requise. À cet égard, l’État partie renvoie à l’article 2 du chapitre premier de sa Constitution, qui porte sur l’égalité et la non-discrimination et dispose que l’autorité publique doit favoriser la possibilité pour tous de parvenir à la participation et à l’égalité au sein de la société, et que les institutions publiques doivent lutter contre la discrimination fondée, notamment, sur l’incapacité fonctionnelle.

8.3L’État partie évoque en outre la loi de 1999 interdisant la discrimination fondée sur le handicap dans la vie professionnelle (1999:132). Cette loi, qui avait été abrogée le 1er janvier 2009 avec l’entrée en vigueur de la loi de lutte contre la discrimination (2008:567), était encore d’application au moment où l’auteure avait engagé auprès du Tribunal du travail une action contre la Caisse suédoise d’assurance sociale. Selon l’article 3 de la loi de 1999, un employeur ne peut désavantager un candidat à un poste ou un employé qui présente un handicap en lui réservant un traitement moins favorable que celui qu’il applique ou aurait appliqué à des personnes non handicapées dans des circonstances analogues. Selon l’article 5 de cette même loi, l’interdiction de la discrimination s’applique à toute une série de situations de la vie professionnelle, y compris lorsque l’employeur prend la décision de recruter, sélectionne un candidat pour un entretien ou prend d’autres décisions au cours de la procédure de recrutement.

8.4Pour déterminer si un employé ou un candidat a été défavorisé au sens de la loi de 1999, il faut procéder à une comparaison entre l’employé ou le candidat en question et un employé ou candidat réel ou fictif dans une situation comparable. Pour faire en sorte que la personne handicapée se trouve dans une situation comparable à celle des autres, l’article 6 de la loi de 1999 dispose qu’un employeur est tenu de prendre des mesures de soutien et d’adaptation raisonnables. L’État partie a en outre indiqué que, selon les travaux préparatoires de la loi de 1999, le soutien et l’adaptation requis de la part de l’employeur impliquent que l’employeur ne doit pas accorder d’importance au handicap de la personne s’il est possible et raisonnable d’éliminer ou de réduire, par des mesures de soutien et d’adaptation, l’impact du handicap sur la capacité de travail de la personne de telle sorte que celle-ci puisse s’acquitter des tâches les plus essentielles relevant du poste. Tout employeur qui refuse un poste à un candidat en raison d’un handicap dont l’impact aurait pu être éliminé ou suffisamment atténué au moyen de mesures de soutien et d’adaptation raisonnables, se rend coupable de discrimination directe. En revanche, si le handicap du candidat a des incidences réelles et considérables sur sa capacité de travail, même lorsque des mesures de soutien et d’adaptation raisonnables sont mises en place, l’intéressé n’est objectivement pas en mesure de s’acquitter de sa tâche et ne peut se déclarer victime de discrimination.

8.5Selon la loi de 1999, les mesures appropriées peuvent inclure l’achat de dispositifs fonctionnels professionnels ou l’adaptation du lieu de travail et peuvent supposer la modification de la façon dont le travail est organisé, qu’il s’agisse d’aménager les horaires ou d’adapter les tâches. L’employeur n’est tenu de prévoir que les mesures de soutien et d’adaptation qui peuvent être considérées comme raisonnables dans la situation spécifique considérée. L’évaluation prend en compte: «i) le coût des mesures en jeu par rapport à la capacité de l’employeur à les assumer; ii) la faisabilité de ces mesures et les effets escomptés pour la personne handicapée; iii) la possibilité de mettre en œuvre les mesures sur le lieu de travail proprement dit; iv) l’effet des mesures prises sur la capacité de la personne handicapée à s’acquitter des tâches correspondant au poste; v) la durée de l’emploi».

8.6L’État partie indique que la législation du pays, y compris la loi de 1999, repose sur diverses directives du Conseil de l’Europe relatives à la non-discrimination, notamment la Directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, qui a été intégrée à la législation nationale au moyen, entre autres mesures, de la loi de 1999 et de la loi de lutte contre la discrimination.

8.7L’État partie précise que l’objectif de la politique nationale relative au handicap est une société fondée sur la diversité, dans laquelle toute personne handicapée, quel que soit son âge, peut participer pleinement à la vie sociale et dans laquelle toutes les personnes handicapées − filles, garçons, femmes, hommes − bénéficient des mêmes conditions de vie. Les efforts déployés pour y parvenir consistent spécifiquement à recenser et éliminer les obstacles à la pleine participation des personnes handicapées à la société, à prévenir et à combattre la discrimination, et à donner aux enfants, aux jeunes et aux adultes handicapés les moyens de devenir autonomes et de faire leurs propres choix. Les objectifs de la politique relative au handicap doivent être mis en œuvre dans tous les domaines de la société. Depuis 2001, une ordonnance distincte dispose que les organes gouvernementaux doivent définir et déployer leurs activités en tenant compte des objectifs énoncés dans la politique relative au handicap et de façon à permettre aux personnes handicapées de participer pleinement à la société et de bénéficier des mêmes conditions de vie que le reste de la population. Le 1er janvier 2006, l’État partie a créé l’Office suédois pour la coordination de la politique relative au handicap (Handisam), qui assiste le Gouvernement dans l’exécution de la politique relative au handicap.

8.8Pour l’État partie, la question centrale de la plainte de l’auteure est celle de savoir s’il aurait été raisonnable d’exiger de la Caisse d’assurance sociale qu’elle prenne des mesures de soutien et d’adaptation pour faciliter l’emploi de l’auteure. Réaffirmant ses observations du 24 février 2012, l’État partie considère que le Comité ne peut pas examiner la communication au fond puisqu’elle vise à obtenir l’examen in abstracto de la compatibilité de la législation nationale relative à la discrimination avec la Convention.

8.9L’État partie estime en outre qu’il ne peut y avoir le moindre doute quant à la conformité de la loi de 1999 avec les exigences de la Convention en ce qui concerne les aménagements raisonnables. Selon les articles 3 et 6 de cette loi, l’employeur est tenu de prendre des mesures de soutien et d’adaptation pour faire en sorte qu’une personne handicapée puisse accéder aux mêmes postes qu’une personne non handicapée, afin d’éviter toute discrimination. L’obligation ne porte que sur les mesures qui peuvent être considérées comme «raisonnables». Pour l’État partie, cette limitation, ainsi que la loi de 1999 dans sa globalité, sont conformes aux articles 5 et 27 de la Convention, et la présente affaire ne fait donc apparaître aucune violation de la Convention pour ce qui est de la législation nationale.

8.10S’agissant de savoir si, dans le cas d’espèce, la législation nationale pertinente a été appliquée conformément à la Convention, l’État partie renvoie à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle l’État dispose d’une certaine marge d’appréciation, contrôlée au niveau européen, lorsqu’il prend des mesures législatives, administratives ou judiciaires dans le domaine des droits protégés par la Convention. La Cour a ainsi déclaré que «grâce à leurs contacts directs et constants avec les forces vives de leur pays, les autorités de l’État sont en principe mieux placées que le juge international pour juger de la “nécessité” d’une mesure particulière». L’État partie estime que la doctrine de la marge d’appréciation telle qu’appliquée par la Cour européenne des droits de l’homme est révélatrice du rôle auxiliaire que joue la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme) dans la protection des droits de l’homme puisque la responsabilité première en cette matière incombe aux parties contractantes. Le rôle de la Cour se limite à surveiller ce que font les États; il ne consiste pas à offrir une autre voie de recours contre les décisions des tribunaux nationaux qui appliquent la législation nationale.

8.11L’État partie renvoie aussi à la jurisprudence du Comité des droits de l’homme, et déclare que, souvent, celle-ci laisse aux États une marge d’appréciation particulièrement importante lorsqu’il s’agit de questions économiques. L’État partie estime que le Comité devrait adopter une approche analogue dans la présente affaire et ainsi prendre comme point de départ les délibérations et l’appréciation des autorités nationales, en particulier celles du Tribunal suédois du travail.

8.12L’État partie souligne que la procédure engagée devant le Tribunal du travail a fait intervenir non seulement des communications écrites de la Caisse d’assurance sociale et du Médiateur pour l’égalité mais aussi une audience publique devant le Tribunal. Les deux parties ont donc ainsi pu soumettre des éléments par écrit et par oral. Plusieurs témoins, dont l’auteure, ont été entendus sous serment à la demande des parties. L’État partie estime que le Tribunal du travail disposait donc d’une excellente base pour procéder à l’appréciation des faits de la cause. De plus, à la demande de l’auteure, le Médiateur pour l’égalité a été partie à la procédure en tant que demandeur. La cause de la requérante a donc été défendue par une autorité publique de lutte contre la discrimination, ce qui garantit que ses vues et ses intérêts ont été correctement représentés. Enfin, le Tribunal du travail est un tribunal spécialisé compétent pour apprécier les plaintes pour discrimination. Sept membres du Tribunal ont pris part à l’audience et aux délibérations, et ils ont conclu à l’unanimité que les demandes du Médiateur pour l’égalité devaient être rejetées.

8.13S’agissant de l’examen et de l’appréciation par le Tribunal du travail, l’État partie estime que l’enquête dans son ensemble n’a pas fourni la preuve qu’en reprogrammant le système de gestion des dossiers pour le compte de l’auteure seulement, celle-ci aurait eu les moyens de naviguer dans ledit système. La proposition consistant à faire en sorte que tous les éléments nécessaires soient accessibles s’est révélée trop longue et trop lourde. Selon l’État partie, il a par conséquent été démontré qu’il n’aurait pas été raisonnable pour la Caisse d’assurance de prendre les mesures de soutien et d’adaptation nécessaires pour placer la candidate dans une situation comparable à celle des personnes non handicapées.

8.14L’État partie estime que le jugement montre sans ambiguïté que le Tribunal du travail a procédé à un examen complet et approfondi de la demande du Médiateur pour l’égalité, qu’il a dûment motivé sa décision et qu’il a pris soin d’analyser les différents griefs avant de se prononcer.

8.15S’agissant du grief de l’auteure selon lequel le Tribunal du travail n’a pas pris en compte le fait qu’une modification du programme informatique de la Caisse d’assurance sociale aurait bénéficié à d’éventuels futurs employés déficients visuels, l’État partie fait valoir que les dispositions de la loi de 1999 et de la loi de lutte contre la discrimination relatives aux mesures de soutien et d’adaptation raisonnables visent à protéger les personnes contre des mesures discriminatoires dans une situation donnée, mais ne visent aucunement à assurer une accessibilité d’ensemble.

8.16En ce qui concerne l’argument de l’auteure selon lequel, dans les procédures engagées devant le Tribunal du travail, la charge de la preuve n’incombait pas à l’employeur alors que cela aurait dû être le cas, l’État partie précise que l’alinéa a de l’article 24 de la loi de 1999 suppose que, lorsque la personne qui affirme avoir fait l’objet d’une discrimination apporte la preuve de l’existence de circonstances au vu desquelles il y a lieu de penser qu’elle a effectivement été victime de discrimination, il appartient à la partie adverse de démontrer qu’il n’y a pas eu discrimination.

8.17L’État partie fait en outre valoir que, dans son appréciation, le Tribunal du travail a appliqué un «critère de rationalité» analogue à celui que le Comité devrait appliquer aux fins d’une évaluation au titre des articles 2, 5 et 27 de la Convention, dans laquelle les facteurs économiques doivent être examinés avec soin et un juste équilibre doit être trouvé entre les différents intérêts en jeu.

8.18Selon l’État partie, le fait que la décision du Tribunal du travail a été en défaveur de l’auteure n’a en soi aucune incidence sur la conclusion que, dans l’affaire considérée, lesdélibérations et l’appréciation des organes internes ont été tout à fait adéquates et que rien ne donne à penser qu’elles ont été arbitraires ou entachées d’irrégularités. L’État partie soutient que le Comité devrait accepter la conclusion duTribunal du travail selon laquelle, pour la Caisse d’assurance sociale, il n’était pas raisonnable d’adopter les mesures de soutien et d’adaptation qui auraient été nécessaires pour placer l’auteure dans une situation comparable à celle d’une personne non atteinte de sa déficience fonctionnelle. Parconséquent, l’État partie considère que, dans le cas d’espèce, il n’y a pas eu violation de la Convention.

Commentaires de l’auteure sur les observations de l’État partie

9.Le 11 mars 2014, l’auteure a soumis sa réponse aux observations de l’État partie, dans laquelle elle déclarait qu’elle n’avait pas d’autres commentaires à formuler, et réaffirmait tous les arguments présentés dans la lettre initiale.

Examen au fond

10.1Le Comité des droits des personnes handicapées a examiné la présente communication à la lumière de toutes les informations reçues, conformément aux dispositions de l’article 5 du Protocole facultatif et du paragraphe 1 de l’article 73 du règlement intérieur du Comité.

10.2Le Comité prend note de l’argument de l’État partie selon lequel le Comité ne peut examiner le fond de la communication puisque celle-ci vise à obtenir l’examen in abstracto de la compatibilité de la législation nationale relative à la discrimination avec la Convention. Le Comité rappelle que, pour que l’auteur d’une communication soit considéré comme une victime, il ne lui suffit pas de prétendre que, de par sa seule existence, une loi viole ses droits. En l’espèce, l’auteure estime que la loi de 1999 a été appliquée en sa défaveur. Le Comité n’est donc pas concerné par la loi de 1999 in abstracto, mais par son application directe par le Tribunal du travail au cas de l’auteure.

10.3En l’espèce, la question est de savoir si le jugement rendu en 2010 par le Tribunal du travail constitue une violation des droits de l’auteure au regard des articles 5 et 27 de la Convention. À cet égard, le Comité prend note des allégations de l’auteure qui affirme que le jugement du Tribunal du travail était discriminatoire en ce qu’il n’était pas fondé sur une évaluation adéquate de la possibilité pour la Caisse d’assurance sociale de prendre les mesures de soutien et d’adaptation nécessaires pour adapter le système informatique interne de la Caisse à la déficience visuelle de l’auteure, et permettre ainsi à cette dernière de s’acquitter des obligations professionnelles correspondant au poste d’expert/enquêteur pour lequel elle s’était portée candidate; et que le jugement ne tenait pas compte du fait que les modifications apportées au programme informatique de la Caisse d’assurance sociale auraient bénéficié aux éventuels futurs employés déficients visuels.

10.4Le Comité rappelle que, conformément aux alinéas a, e, g et i de l’article 27 de la Convention, les États parties sont tenus: d’interdire la discrimination fondée sur le handicap dans tout ce qui a trait à l’emploi sous toutes ses formes, notamment les conditions de recrutement, d’embauche et d’emploi, le maintien dans l’emploi, l’avancement et les conditions de sécurité et d’hygiène au travail; de promouvoir les possibilités d’emploi et d’avancement des personnes handicapées sur le marché du travail, ainsi que l’aide à la recherche et à l’obtention d’un emploi, au maintien dans l’emploi et au retour à l’emploi; d’employer des personnes handicapées dans le secteur public; et de faire en sorte que des aménagements raisonnables soient apportés aux lieux de travail en faveur des personnes handicapées. Le Comité rappelle en outre que, selon l’article 2 de la Convention, on entend par «aménagement raisonnable» les modifications et ajustements nécessaires et appropriés n’imposant pas de charge disproportionnée ou indue, apportés en fonction des besoins dans une situation donnée pour assurer aux personnes handicapées la jouissance ou l’exercice, sur la base de l’égalité avec les autres, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales. Le Comité fait observer également que les dispositions des paragraphes 1 et 2 de l’article 5 imposent à l’État partie les obligations générales de reconnaître que toutes les personnes sont égales devant la loi et en vertu de celle-ci et qu’elles ont droit sans discrimination à l’égale protection et à l’égal bénéfice de la loi; d’interdire toutes les discriminations fondées sur le handicap et de garantir aux personnes handicapées une égale et effective protection juridique contre toute discrimination, quel qu’en soit le fondement.

10.5Le Comité considère que lorsqu’il s’agit d’évaluer le caractère raisonnable et la proportionnalité des mesures d’aménagement, les États parties disposent d’une certaine marge d’appréciation. Il considère en outre que c’est généralement aux tribunaux des États parties à la Convention qu’il appartient d’apprécier les faits et les éléments de preuve dans une affaire donnée, à moins qu’il ne soit établi que cette appréciation a été manifestement arbitraire ou qu’elle a constitué un déni de justice.

10.6En l’espèce, le Comité considère que le Tribunal du travail a procédé à une analyse approfondie et objective de tous les éléments présentés par l’auteure et la Caisse d’assurance sociale avant de conclure que les mesures de soutien et d’adaptation recommandées par le Médiateur représenteraient une charge indue pour la Caisse. Le Comité estime en outre que l’auteure n’a apporté aucune preuve lui permettant de conclure que l’appréciation qui a été faite a été manifestement arbitraire ou a constitué un déni de justice. Dans ces circonstances, le Comité ne peut pas conclure que le jugement rendu par le Tribunal du travail n’était pas fondé sur des considérations objectives et raisonnables. Par conséquent, le Comité estime qu’il ne peut conclure à l’existence d’une violation des articles 5 et 27 de la Convention.

11.Le Comité des droits des personnes handicapées, agissant en vertu de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant à la Convention relative aux droits des personnes handicapées, est d’avis que les faits dont il est saisi ne constituent pas une violation des articles 5 et 27 de la Convention.

Appendice

Opinion individuelle (dissidente) de Carlos Ríos Espinosa, Theresia Degener, Munthian Buntan, Silvia Judith Quan‑Changet María Soledad Cisternas Reyes

Nous ne sommes pas d’accord avec la position du Comité selon laquelle la question centrale dans la présente affaire est celle de savoir si le jugement était discriminatoire au motif qu’il ne s’est pas fondé sur une évaluation adéquate du point de savoir si la Caisse d’assurance sociale pouvait prendre les mesures de soutien et d’adaptation nécessaires pour adapter le système informatique interne de la Caisse à la déficience visuelle de l’auteure (voir plus haut par. 10.3). Nous estimons que la question était plus large étant donné que le Médiateur suédois chargé de la défense des droits des personnes handicapéesa proposé à la Caisse plusieurs options possibles visant à permettre à l’auteure de s’acquitter des obligations professionnelles correspondant au poste d’expert/enquêteur. Ces différentes options auraient dû être analysées sous l’angle des critères énoncés à l’article 5 de la Convention s’agissant des aménagements raisonnables à apporter dans une situation donnée.

Il est vrai que le Comité n’est pas habilité à agir comme une juridiction de troisième degré lorsqu’il examine des communications émanant de particuliers. Il est également vrai que les États parties jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour évaluer le caractère raisonnable de mesures d’aménagement et la question de la charge indue dans une situation donnée. Toutefois, le Comité aurait dû examiner les critères appliqués par l’État partie en l’espèce afin de déterminer si l’appréciation qui avait été faite constituait une violation des articles 5 et 27 de la Convention. Lorsque le Tribunal du travail a rendu son jugement en 2010, la Convention était déjà en vigueur pour l’État partie, comme l’a relevé le Comité dans sa décision concernant la recevabilité. Le Tribunal du travail aurait donc dû prendre en considération non seulement les normes définies dans la loi de 1999 interdisant la discrimination fondée sur le handicap dans la vie professionnelle mais aussi ce que recouvrait les «aménagements raisonnables» prévus à l’article 5 de la Convention. Cette appréciation n’oblige pas le Comité à analyser in abstracto la loi pour déterminer si elle est conforme à la Convention; elle suppose qu’il examine les critères qui ont été appliqués dans la situation donnée pour déterminer s’il était ou non raisonnable de mettre en œuvre les mesures recommandées par le Médiateur suédois pour l’égalité.

En l’espèce, le Tribunal du travail a fondé son analyse sur cinq critères qui découlaient tous de la loi de 1999 interdisant la discrimination fondée sur le handicap dans la vie professionnelle, à savoir: i)le coût des mesures en jeu par rapport à la capacité de l’employeur à les assumer; ii) la faisabilité de ces mesures et les effets escomptés pour la personne handicapée; iii) la possibilité de mettre en œuvre les mesures sur le lieu de travail; iv) l’effet des mesures prises sur la capacité de la personne handicapée à s’acquitter des tâches correspondant au poste concerné; v) la durée de l’emploi.Après avoir examiné l’affaire à la lumière du cadre juridique décrit ci-dessus, le Tribunal du travail a conclu que les aménagements recommandés auraient été trop compliqués et trop longs à mettre enœuvre.

Les «aménagements raisonnables» doivent être analysés au cas par cas, et le caractère raisonnable et la proportionnalité des mesures d’aménagement proposées doivent être évalués compte tenu du contexte dans lequel celles-ci sont demandées. En l’espèce, l’aménagement était réclamé dans un contexte professionnel. Les critères du caractère raisonnable et de la proportionnalité devaient par conséquent garantir, entre autres, i) que les mesures d’aménagement étaient demandées pour faciliter l’emploi d’une personne handicapée qui possédait les compétences et l’expérience professionnelles voulues pour s’acquitter des fonctions correspondant à l’emploi auquel elle avait postulé; et ii) que l’on pouvait raisonnablement attendre de l’entreprise ou de l’entité, privée ou publique, auprès de laquelle la personne avait postulé qu’elle adopte et mette en œuvre les mesures d’aménagement. La question de savoir si l’auteure avait les capacités et l’expérience professionnelles requises pour s’acquitter des tâches correspondant au poste pour lequel elle s’était portée candidate ne s’est jamais posée. L’un des objectifs concrets de l’aménagement raisonnable est de compenser les limitations factuelles dans l’optique de faciliter l’emploi de personnes handicapées, afin que le fait de ne pas avoir la «capacité factuelle» de s’acquitter des fonctions concernées ne puisse être considéré comme le principal obstacle à l’emploi de la personne.

Nous estimons que le Tribunal du travail n’a pas tenu compte, en tant que critère positif additionnel pour apprécier la proportionnalité des aménagements demandés, les effets que pouvaient avoir les mesures proposées par le Médiateur sur le recrutement ultérieur d’autres personnes présentant des déficiences visuelles. Nous sommes par conséquent d’avis que, même si les aménagements raisonnables concernent en principe des individus, le bénéfice qui en découlerait pour d’autres employés devrait également être pris en considération aux fins de l’évaluation du caractère raisonnable et de la proportionnalité, conformément aux articles 5, 9 et 27 de la Convention. Le Tribunal du travail aurait dû s’intéresser de plus près au profil, y compris au rôle et aux fonctions, de la Caisse d’assurance sociale en tant que principale institution publique de l’État partie chargée de la mise en œuvre de la politique nationale à l’égard des personnes handicapées (voir plus haut par. 3.2). Enfin, le Tribunal du travail n’a pas tenu compte de la subvention salariale et des prestations d’assistance dont la candidate et l’employeur potentiel auraient pu bénéficier si la candidate avait été choisie pour le poste alors qu’elles étaient expressément mentionnées dans les options proposées par le Médiateur.

Eu égard à ce qui précède et compte tenu de toutes les informations qui ont été communiquées par les parties, nous considérons que le Comité aurait dû décider que le jugement du Tribunal du travail découlait d’une interprétation large de la notion de «charge indue» qui limitait considérablement les perspectives d’emploi des personnes handicapées à des postes nécessitant l’adaptation de l’environnement de travail à leurs besoins. Nousestimons que l’appréciation des mesures de soutien et d’adaptation demandées qui a été faite par le Tribunal du travail conformément à la loi de 1999 a confirmé le refus d’aménagement raisonnable, ce qui s’est traduit par l’exclusion discriminatoire de facto de l’auteure du poste pour lequel elle s’était portée candidate. Le Comité aurait dû considérer qu’une telle appréciation n’était pas conforme aux principes généraux énoncés aux alinéasi et j du préambule de la Convention et constituait une violation des articles 5 et 27 de laConvention.

Opinion individuelle (dissidente) de Damjan Tatic

Je souscris à l’opinion individuelle, à l’exception de l’argument, exposé aux première et deuxième phrases du paragraphe 5, selon lequel les effets potentiels de l’aménagement raisonnable sur le futur emploi de personnes handicapées par la Caisse suédoise d’assurance sociale auraient dû être pris en considération.