Nations Unies

CAT/C/65/D/765/2016

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

31 janvier 2019

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité contre la torture au titre de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 765/2016 * , * *

Communication présentée par :

X. (représenté par un conseil, Tarig Hassan)

Victime(s) présumée(s) :

Le requérant

État partie :

Suisse

Date de la requête :

15 août 2016 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

23 novembre 2018

Objet :

Expulsion vers l’Éthiopie

Question(s) de procédure :

Étaiement des griefs

Question(s) de fond :

Risque de mort, risque de torture ou de traitement inhumain ou dégradant en cas d’expulsion vers le pays d’origine (non‑refoulement)

Article(s) de la Convention :

3

1.1Le requérant est X., de nationalité éthiopienne, né le 18 janvier 1977. Il est entré en Suisse illégalement le 8 juin 2011 et a demandé l’asile le même jour. Le 13 juillet 2016, le Tribunal administratif fédéral a rejeté sa demande d’asile et ordonné son expulsion en exécution de la décision rendue par l’Office fédéral des migrations le 29 avril 2014. Le requérant s’est vu enjoindre de quitter la Suisse avant le 18 août 2016 sous peine d’être expulsé vers son pays par la force. La date de l’expulsion n’a pas été fixée.

1.2Le requérant soutient que son expulsion vers l’Éthiopie constituerait une violation par la Suisse des droits consacrés à l’article 3 de la Convention en ce qu’elle l’exposerait à un risque réel et imminent d’être torturé par les autorités éthiopiennes. Il demande que des mesures provisoires soient ordonnées afin de prévenir son expulsion et d’ainsi empêcher que soit causé un préjudice irréparable à son intégrité physique et mentale. Le requérant est représenté par un conseil.

1.3Le 16 août 2016, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a prié l’État partie de ne pas expulser le requérant vers l’Éthiopie tant que sa communication serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1Le requérant, de nationalité éthiopienne, est un Oromo de souche qui a grandi à Dembi Dolo. Il vient d’un milieu où le Front de libération oromo (« le Front ») est populaire, et lui-même est venu en aide à certains membres du Front. Les autorités éthiopiennes considèrent le Front comme une organisation terroriste. Deux des frères du requérant ont perdu la vie parce qu’ils en étaient membres, mais comme l’intéressé était très jeune à l’époque, il ne connaît pas précisément les circonstances de leur mort.

2.2Le requérant travaillait comme chauffeur-livreur pour Kemeo Shibo, Directeur régional de la communication de Dembi Dolo, qui était soupçonné d’être un agent du Front de libération oromo et d’entretenir des contacts avec le général Legesse Wegui. Il savait que M. Shibo soutenait la cause du Front, dont il était lui-même un sympathisant. Il pense que les services de renseignement ont mis le téléphone de M. Shibo sur écoute et que c’est pour cette raison qu’il a été arrêté à quatre reprises entre 2008 et 2011.

2.3Le requérant a été arrêté pour la première fois le 13 octobre 2008. Il a été frappé, giflé, aveuglé avec une lampe de poche, menotté et forcé à s’allonger au sol, et les autorités ont tenté de le forcer à faire de faux aveux concernant son appartenance au Front de libération oromo et à donner des informations sur M. Shibo. Il a été relâché au bout de vingt-cinq jours, après que son oncle a versé une caution, mais s’est vu ordonner de rester à la disposition des autorités et de ne pas quitter Dembi Dolo. Selon lui, M. Shibo a par la suite été arrêté à son tour et n’a pas été remis en liberté. Le requérant a subi le même traitement lorsqu’il a été arrêté pour la deuxième fois, le 19 décembre 2009, par un officier de l’armée. Il a été détenu pendant quatre jours et interrogé sur ses relations avec M. Shibo. Les services de sécurité ont tenté de le forcer à faire de faux aveux en le torturant comme ils l’avaient fait après sa première arrestation. Il a été mis en liberté après que son oncle a payé une caution de 5 000 birr. Le 17 juin 2010, le requérant a été arrêté pour la troisième fois, interrogé et torturé, et on a menacé de mettre fin à ses jours s’il ne donnait pas d’informations sur M. Shibo. Il a été libéré après avoir nié les faits reprochés pendant toute une journée. Le 28 mars 2011, le requérant a été arrêté pour la quatrième fois, à son domicile. Il a été détenu pendant cinq jours dans les mêmes conditions qu’auparavant, si ce n’est que cette fois on lui a dit que quelqu’un avait témoigné contre lui. Son oncle a de nouveau versé la caution nécessaire à sa libération, et il s’est engagé à ne pas quitter la région.

2.4Le 2 avril 2011, le requérant a appris que deux personnes à qui il avait livré des marchandises pour le compte de M. Shibo avaient aussi été arbitrairement arrêtées. Il a eu peur que l’une d’elles fasse de faux aveux l’incriminant et a décidé, le 3 avril 2011, de fuir le pays vers le Soudan.

2.5Bien qu’en Éthiopie il n’ait été que sympathisant du Front de libération oromo, une fois en Suisse, le requérant a resserré ses liens avec l’organisation et a activement participé aux manifestations organisées pour défendre la cause des Oromos.

2.6Le Tribunal administratif fédéral a déclaré que, s’il trouvait la thèse des arrestations crédible, le risque de violences, d’agression et de pression psychologique auquel l’obligation de rester à Dembi Dolo exposerait le requérant n’était pas suffisamment important pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Le Tribunal a estimé que l’intéressé n’avait pas dûment étayé l’argument selon lequel il risquait de subir un préjudice en cas d’expulsion et n’était pas d’avis que le fait d’avoir participé à des manifestations organisées en Suisse attirerait l’attention des autorités éthiopiennes.

2.7Le requérant affirme que sa requête n’a pas été et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant affirme que la Suisse violerait les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 3 de la Convention si elle l’expulsait vers l’Éthiopie, car il y courrait à nouveau le risque d’être tué ou d’être torturé ou soumis à des traitements inhumains ou dégradants en raison de son appartenance présumée au Front de libération Oromo.

3.2Le requérant rappelle qu’il a été torturé par les autorités à cause des liens que ses frères entretenaient avec le Front de libération oromo. Il soutient que s’il retournait en Éthiopie, il courrait un risque réel et imminent d’être soumis à la torture ou à d’autres traitements cruels ou dégradants car, après son départ, les autorités se sont rendues chez l’un de ses frères, ce qui pourrait justifier sa crainte d’être considéré comme un membre du Front. Il affirme en outre que le Tribunal administratif fédéral a établi que les autorités éthiopiennes tenaient un registre des dissidents, fussent-ils de moindre importance. Il craint donc d’être identifié et arrêté dès son arrivée à l’aéroport.

3.3Le requérant renvoie aux observations finales du Comité concernant le rapport initial soumis par l’Éthiopie en application de la Convention (CAT/C/ETH/CO/1), dans lesquelles le Comité s’est déclaré préoccupé par les allégations persistantes selon lesquelles les autorités torturaient les partisans des groupes insurgés, en particulier le Front de libération Oromo (par. 10). Il renvoie également à des rapports de Human Rights Watch et d’Amnesty International, dans lesquels ces organisations indiquent que les Oromos sont souvent accusés, sans fondement aucun, d’entretenir des liens avec le Front de libération oromo, et que ceux dont des proches sont membres du Front courent des risques particuliers. Il fait référence en outre à un rapport du Département d’État des États-Unis d’Amérique, dans lequel il est indiqué qu’en Éthiopie des personnes soupçonnées de sympathiser avec des groupes d’opposition ont été torturées. Dans son rapport de 2006, Amnesty International indique que l’on estime que les militants associés à la Coalition pour l’unité et la démocratie, les militants présumés aux niveaux national et local et les militants de la société civile et les journalistes qui ont critiqué les autorités et fui le pays parce qu’ils ont été victimes de violations des droits de l’homme ou craignent de l’être sont les plus susceptibles d’être soumis à une détention arbitraire pour une durée indéterminée, de faire l’objet d’un procès inéquitable ou même d’être victimes d’exécution extrajudiciaire en cas de retour forcé en l’Éthiopie. Le requérant affirme de plus que les policiers de la région de l’Oromia soumettent souvent les personnes soupçonnées de mener des activités liées au Front de libération oromo à la torture et à d’autres formes de mauvais traitements.

3.4Par conséquent, le requérant soutient qu’il serait probablement arrêté, interrogé et torturé à son retour en Éthiopie.

Observations de l’État partie sur le fond

4.1Dans une note en date du 14 février 2017, l’État partie a présenté ses observations sur le fond, récapitulant l’essentiel des griefs du requérant, à savoir les allégations concernant ses quatre arrestations en Éthiopie entre octobre 2008 et mars 2011, son arrivée en Suisse le 8 juin 2011 et son dépôt d’une demande d’asile le même jour, ainsi que sa participation à des activités de soutien du Front de libération oromo organisées en Suisse.

4.2L’État partie déclare que la demande d’asile du requérant a été rejetée par l’Office fédéral des migrations le 29 avril 2014, puis par le Tribunal administratif fédéral le 13 juillet 2016. Il reconnaît qu’au cours de la procédure d’asile, le requérant a présenté les informations relatives à ses arrestations alléguées de manière cohérente, précise et détaillée. Le Tribunal a donc jugé que ses allégations étaient probables. Toutefois, il n’a pas estimé que les violences subies étaient suffisamment graves pour justifier l’octroi du statut de réfugié. Il n’a pas non plus jugé crédibles les motifs avancés par l’intéressé pour expliquer son départ de l’Éthiopie. Le Tribunal a en outre conclu que le requérant n’avait pas démontré qu’il était probable que sa participation à des activités de soutien au Front de libération oromo en Suisse l’exposerait, en cas d’expulsion vers l’Éthiopie, à un risque de torture qui justifiait qu’on lui accorde l’asile.

4.3L’État partie rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, le requérant doit démontrer l’existence d’un risque réel, actuel et personnel d’être soumis à la torture à son retour dans son pays d’origine, et qu’il doit exister des motifs de croire que ce risque est grave. Il rappelle également que, pour déterminer si pareil risque existe ou non, les éléments suivants doivent être pris en considération : les preuves éventuelles d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives commises dans le pays d’origine ; toute allégation du requérant selon lesquelles il a été victime de tortures ou de mauvais traitements et les preuves éventuelles émanant de sources indépendantes venant étayer ces allégations ; toute activité politiques menées par le requérant à l’intérieur ou à l’extérieur de son pays d’origine ; toute preuves de la crédibilité du requérant ; toute incohérences factuelle dans les affirmations de l’intéressé. L’État partie présente ses observations en conséquence.

4.4L’État partie soutient que l’existence d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant de penser que telle ou telle personne serait victime de torture à son retour dans son pays d’origine. Le Comité doit déterminer si le requérant court « personnellement » le risque d’être torturé dans le pays où il serait renvoyé. En outre, d’autres éléments doivent être présents pour que le risque de torture puisse être qualifié de « prévisible, réel et personnel » au sens du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention, éléments qui ne peuvent se limiter à de simples supputations ou soupçons. À l’inverse, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne risque pas d’être soumise à la torture dans les circonstances qui sont les siennes. L’État partie reconnaît que la situation des droits de l’homme en Éthiopie est grave à plusieurs égards et que les autorités emploient souvent la torture, surtout contre les opposants politiques ou les personnes qui appartiendraient à des groupes séparatistes violents tels que le Front de libération oromo. Cependant, la situation dans le pays d’origine du requérant ne constitue pas en soi une raison suffisante de conclure que l’intéressé risquerait d’être torturé s’il était renvoyé chez lui. L’État partie soutient que le requérant n’a pas présenté d’éléments de preuves suffisants pour conclure qu’il courrait personnellement un risque réel et prévisible d’être soumis à la torture en cas d’expulsion vers l’Éthiopie.

4.5En ce qui concerne les allégations du requérant selon lesquelles il a été torturé, l’État partie admet qu’au cours de son interrogatoire, celui-ci a été frappé, menacé et aveuglé par le faisceau d’une lampe de poche. Toutefois, l’intéressé n’a pas subi de tortures ou de mauvais traitements ayant véritablement des conséquences préjudiciables. Bien qu’il ait eu l’occasion d’apporter des précisions sur ce qu’il avait vécu à l’Office fédéral des migrations et pendant la procédure d’appel, il n’a pas donné plus de détails sur les mauvais traitements graves dont il aurait fait l’objet. Le fait que le conseil du requérant se soit borné à affirmer qu’il était fort probable que son client ait également été victime de torture pendant sa détention donne à penser que l’intéressé n’a pas subi de mauvais traitements graves. L’État partie rappelle en outre que le requérant a été libéré chaque fois qu’il a été arrêté, après que des garanties adéquates ont été fournies sous la forme d’une caution. Il n’a rencontré aucune difficulté depuis sa dernière mise en liberté, en 2011, et les autorités n’ont pas restreint ses droits. Même si le requérant avait l’impression d’être sous surveillance et de devoir rendre des comptes à la police, sa situation n’était pas intenable car il n’était pas soumis à une pression psychologique intolérable.

4.6En ce qui concerne les activités politiques menées par le requérant en Éthiopie, l’État partie souligne que l’intéressé ne soutient pas qu’il était membre du Front de libération oromo dans ce pays, mais qu’il affirme seulement qu’en tant qu’Oromo de souche, il se considérait comme un sympathisant du mouvement. Si le requérant avait été considéré comme un opposant politique, les autorités éthiopiennes ne l’auraient pas interrogé à intervalles irréguliers et espacés, et à chaque fois elles l’auraient détenu pendant plus longtemps que quelques jours, alors qu’en fait seule sa première détention a duré vingt‑cinq jours. L’État partie soutient que, d’après ses déclarations, le requérant n’a jamais contribué directement aux activités du Front de libération Oromo et qu’il n’a participé qu’à des activités non précisées, par l’intermédiaire de M. Shibo, qui faisait l’objet d’une enquête des autorités éthiopiennes parce qu’il était soupçonné d’avoir des contacts avec un membre de premier plan du Front. Le requérant a été remis en liberté après chacune de ses arrestations une fois les garanties adéquates fournies et a nié tous liens avec le Front. L’État partie fait en outre observer que seule la première détention du requérant, en 2008, a duré plusieurs semaines, et que l’intéressé n’a quitté l’Éthiopie qu’en 2011. De surcroît, le requérant allègue que deux de ses frères aînés étaient liés au Front de libération oromo, l’un en tant que simple sympathisant du mouvement et l’autre en tant que membre du Front. L’aîné, chargé de promouvoir la ligne du parti et de recruter de nouveaux membres, est mort en 1995, quelques mois après être sorti de prison, où il avait subi des mauvais traitements. L’État partie soutient que l’engagement des frères du requérant au sein du mouvement date d’il y a une vingtaine d’années et qu’il n’exposerait donc pas l’intéressé à un risque prévisible de mauvais traitements s’il était renvoyé en Éthiopie.

4.7L’État partie soutient que les autorités n’auraient pas libéré le requérant si elles le soupçonnaient d’être personnellement engagé au sein du Front de libération oromo en raison de ses liens familiaux. En outre, aux audiences, le requérant n’a pas dit que les activités politiques de ses frères étaient à l’origine de ses problèmes et a seulement fait référence à ces activités pour expliquer pourquoi M. Shibo avait décidé de lui confier la livraison de marchandises. En outre, le requérant a reconnu que, à l’exception de ses défunts frères, aucun de ses proches n’avait été actif au sein du Front de libération oromo. En conséquence, l’État partie soutient que rien dans le dossier ne permet de conclure que l’intéressé était recherché par les autorités lorsqu’il a décidé de quitter l’Éthiopie. Le requérant n’avance pas qu’il faisait l’objet de poursuites ou qu’il était visé par un mandat d’arrêt, et n’a pas démontré qu’il était une personnalité suffisamment importante pour attirer l’attention des autorités éthiopiennes.

4.8En ce qui concerne les activités politiques menées par le requérant en Suisse, l’État partie rappelle que, selon la jurisprudence du Comité, le fait qu’une personne mène ce type d’activités en exil ne suffit pas à confirmer qu’elle courrait un risque important d’être soumise à la torture en cas de renvoi dans son pays d’origine. Seul le fait de promouvoir des idées ou de s’engager dans des activités politiques d’un type particulier, susceptibles d’attirer l’attention des autorités, pourrait étayer l’existence d’un risque de ce type. Dans la communication qu’il a adressée au Comité, le requérant allègue qu’il est actuellement membre actif du Front de libération oromo et de la communauté oromo de Suisse, et qu’il a participé à de nombreuses manifestations et réunions. À l’appui de ses allégations, il a présenté trois lettres pour prouver son appartenance au front et à la communauté oromo, et plusieurs photographies.

4.9S’agissant de l’arrêt rendu par le Tribunal administratif fédéral, l’État partie soutient que le requérant n’a pas clairement démontré qu’il avait pris part à des activités politiques suffisamment importantes pour attirer l’attention des autorités éthiopiennes. Bien qu’il soit confirmé, dans la lettre datée du 7 juillet 2014, que le requérant est un membre actif de la communauté oromo, celle-ci ne comporte aucun renseignement sur les activités que le requérant aurait menées en tant que tel. Dans la lettre en date du 7 juin 2014, il est indiqué que le requérant est un sympathisant du Front de libération oromo et qu’il a pris part à des manifestations, mais il n’est donné aucune indication concernant les activités qu’il a menées, de sorte que cette lettre ne saurait pas non plus être considérée comme ayant une véritable une valeur probante. L’État partie fait observer que cette lettre ne contient aucun élément indiquant que le requérant serait identifié par les autorités, ni même d’élément concret étayant cet argument, et que les photographies ne montrent pas que le requérant est une personne haut placée ou que ses activités pourraient d’une quelconque manière conduire les autorités éthiopiennes à enquêter sur lui. Enfin, la lettre produite pour prouver l’appartenance du requérant au Front de libération oromo, datée du 8 août 2016, a été établie après la clôture de la procédure engagée devant le Tribunal administratif fédéral, le 13 juillet 2016, et n’a donc pas pu être prise en considération. La dernière lettre indique que le requérant est actuellement un membre actif du Front de libération oromo, ce dont il n’avait pas été fait mention. Cependant, il n’est fait état d’aucune activité concrète qui rendrait le requérant particulièrement susceptible d’être repéré.

4.10Le requérant a eu de nombreuses occasions de donner à l’État partie des preuves de ses activités politiques et des précisions à ce sujet. Or les éléments qu’il a fournis n’ont pas permis au Tribunal administratif fédéral de conclure que ces activités étaient suffisamment importantes pour lui faire courir un risque important d’être soumis à la torture à son retour en Éthiopie. La simple participation du requérant à des manifestations et rassemblements organisés par les Oromos pendant qu’il est en exil, fut-elle prouvée, n’est pas une activité politique d’une importance et d’une nature telles qu’elle représente une menace grave et concrète pour le Gouvernement éthiopien. Aussi, l’État partie soutient que les éléments fournis au Comité ne démontrent pas que le requérant ait agit, en exil, de quelque manière que ce soit qui pourrait préoccuper particulièrement les autorités éthiopiennes, et affirme que les activités politiques menées par l’intéressé en Suisse n’exposeraient pas celui-ci à un risque de torture s’il était expulsé vers l’Éthiopie.

4.11En ce qui concerne la crédibilité du requérant et les incohérences factuelles relevées dans son discours, l’État partie soutient qu’une allégation qui manque de précision n’est pas dûment étayée et peut au contraire prouver que l’intéressé n’a pas vécu les événements décrits. De même, l’État partie considère qu’une allégation qui est contraire à la logique ou à l’expérience générale sur un point essentiel est peu plausible. Il ne juge pas crédibles les allégations du requérant, pour les raisons exposées ci-après. L’intéressé allègue qu’il a fui l’Éthiopie après avoir entendu, le lendemain de sa dernière arrestation et après avoir été mis en liberté, que les deux personnes auxquelles il aurait livré des marchandises pour le compte de M. Shibo avaient été arrêtées. Il a eu peur que ces personnes fassent de faux témoignages l’incriminant. Il n’affirme pas, toutefois, que les autorités, le recherchant, se sont rendues à son domicile après qu’il a quitté le pays. En revanche, il soutient que son frère a des problèmes financiers depuis son départ, notamment qu’il est lourdement taxé malgré la fermeture de sa boucherie. Cependant, son frère ne semble pas avoir rencontré d’autre problème, et les explications données par le requérant concernant les problèmes financiers avec lesquels celui-ci est aux prises depuis son départ sont vagues et ne permettent pas de conclure que les autorités auraient eu de nouvelles raisons de penser qu’il était impliqué dans les activités du Front de libération oromo, ou qu’il est activement recherché. Le requérant n’a donc pas fourni d’explication crédible quant aux circonstances dans lesquelles il a quitté l’Éthiopie.

4.12En conclusion, l’État partie estime que le requérant n’a pas établi l’existence de motifs sérieux de penser qu’il courrait personnellement un risque d’être torturé s’il était renvoyé en Éthiopie. Partant, l’État partie invite le Comité à conclure que l’expulsion du requérant vers l’Éthiopie ne constituerait pas une violation des obligations mises à sa charge par l’article 3 de la Convention.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.1Dans une note en date du 26 juin 2017, le requérant a présenté ses commentaires sur les observations de l’État partie.

5.2Le requérant fait tout d’abord observer que l’État partie a reconnu que la situation des droits de l’homme en Éthiopie était préoccupante et que la torture était couramment employée dans ce pays, en particulier contre les opposants politiques et les personnes appartenant à des groupes séparatistes violents tels que le Front de libération oromo. Il conteste l’argument selon lequel il n’a fourni aucun élément permettant de penser qu’il courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Éthiopie. Reprenant sa communication initiale, il soutient que les activités politiques qu’il a menées en Éthiopie et en Suisse sont suffisamment importantes pour attirer l’attention des autorités éthiopiennes et qu’elles lui feraient donc personnellement courir un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Éthiopie.

5.3Le requérant conteste l’affirmation selon laquelle les actes de torture et les autres mauvais traitements qu’il a subis par le passé et qu’il a décrits devant l’Office des migrations, puis en appel devant le Tribunal administratif fédéral, ne sont pas suffisamment graves pour l’avoir particulièrement affecté. Il n’est pas non plus d’accord avec la thèse selon laquelle ses allégations concernant les tortures auxquelles il a été soumis en détention ne sont que de simples affirmations qu’aucun élément de preuve concret ne vient étayer.

5.4Le requérant affirme qu’il est incontesté qu’il a été arrêté à quatre reprises entre 2008 et 2011. Frapper une personne à coups de bâton, l’aveugler, la menotter, la menacer de mort et la forcer à se coucher au sol va bien au-delà d’une simple réprimande physique. Compte tenu du nombre de fois où ces actes de violence lui ont été infligés, le requérant est en peine de comprendre pourquoi les autorités chargées d’examiner sa demande d’asile en première instance ont estimé qu’ils n’étaient pas assez graves pour l’affecter particulièrement. À cet égard, il renvoie à la jurisprudence relative à l’application de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, selon laquelle les souffrances ayant atteint un certain degré de gravité doivent être prises en considération dans leur intégralité. Il précise que les critères qui doivent être retenus pour déterminer si des souffrances peuvent être qualifiées de « graves » sont les suivants : durée de l’agression ; conséquences physiques et psychologiques pour la victime et sa santé ; but de l’agression et intention des autorités ; circonstances dans lesquelles l’agression a été commise. Le requérant rappelle qu’il a été arrêté quatre fois et qu’il a subi plusieurs examens physiques au cours de plusieurs interrogatoires, et que son affaire peut donc, dans son ensemble, être considérée comme étant de longue durée. Même s’il n’a pas de cicatrices physiques, les effets à court terme de ce qu’il a vécu, notamment la perte temporaire de la vue causée par l’aveuglement, ne doivent être négligés. Les agressions visaient à lui extorquer de faux aveux, ce en quoi elles sont totalement interdites et constituent clairement un signe de torture. Étant donné qu’il est Oromo de souche et qu’il était soupçonné d’être membre d’un mouvement séparatiste, l’intention des autorités était aussi de le faire souffrir. Le fait que les agressions répétées dont il a été victime ont été commises alors qu’il était détenu peut être considéré comme un signe de torture. En tout état de cause, il a subi des mauvais traitements suffisamment graves pour qu’il s’en trouve particulièrement affecté. Se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, le requérant soutient que les menaces de mort qu’il a reçues sont constitutives de traitement inhumain.

5.5En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel il a été libéré à chaque fois en échange de simples garanties et n’a été soumis à aucune restriction, même s’il était tenu de se présenter régulièrement à la police, le requérant déclare que sa liberté de circulation a été entravée car il n’avait pas le droit de quitter Dembi Dolo et ne pouvait donc travailler qu’à l’intérieur d’un périmètre donné. En outre, en raison de ses arrestations, il a eu peur de reprendre les livraisons pour le compte de M. Shibo et a donc été contraint de se limiter lui-même dans ses activités professionnelles. Ces restrictions ont constitué une véritable pression psychologique car elles ont duré plusieurs années.

5.6Concernant ses activités politiques menées en Éthiopie, le requérant a déclaré à maintes reprises au cours de la procédure que les autorités n’avaient probablement pas de preuves contre lui. Ce n’est qu’une fois que les deux personnes à qui il avait livré des marchandises ont été arrêtées qu’il a commencé à craindre d’être maintenu en détention prolongée. De surcroît, il est probable que les autorités l’ont libéré après chaque arrestation dans l’espoir qu’il reprendrait contact avec M. Shibo et qu’elles arriveraient ainsi à recueillir des preuves des activités de dissidence menées par l’un et l’autre. Le requérant réaffirme que sa première détention a duré plusieurs semaines. Il soutient qu’au cours de ses interrogatoires, les autorités lui ont posé des questions au sujet de ce que ses deux frères avaient fait vingt ans auparavant. Par conséquent, on ne saurait exclure la possibilité que les services de renseignement éthiopiens ont enquêté sur les activités qu’il a menées depuis son départ, y compris les activités de dissidence menées en Suisse, puisqu’ils sont parvenus à mettre au jour son historique familial. Il pourrait donc être identifié comme étant le frère de deux anciens opposants politiques. Renvoyant à un rapport d’Amnesty International, le requérant soutient qu’il pourrait avoir « hérité » de la qualité de suspect en raison des opinions de ses frères, et qu’il est donc hautement probable qu’il serait arrêté à son retour.

5.7Le requérant conteste l’argument de l’État partie selon lequel aucun élément de preuve ne permettait de conclure qu’il était recherché par les autorités lorsqu’il a décidé de quitter l’Éthiopie. Il affirme que les deux personnes à qui il livrait des marchandises et qui avaient été arrêtées pouvaient révéler son identité, livrer des informations sur ses activités et donc fournir des éléments justifiant sa détention à long terme. Il reconnaît néanmoins qu’on ne peut pas affirmer avec certitude que les autorités avaient des preuves contre lui et qu’il était réellement recherché au moment de son départ.

5.8En réponse à l’affirmation de l’État partie selon laquelle aucun élément ne montre clairement que les activités politiques qu’il a menées en Suisse sont suffisamment importantes pour attirer l’attention des autorités éthiopiennes, le requérant admet que les lettres produites pour confirmer son appartenance à la communauté oromo de Suisse ne suffisent pas à prouver que les autorités éthiopiennes s’intéresseraient effectivement à lui. Néanmoins, elles montrent qu’il est membre d’une organisation considérée comme terroriste par les autorités éthiopiennes. C’est son appartenance à ce mouvement qui lui ferait courir personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture ou à des traitements inhumains s’il était renvoyé en Éthiopie. En outre, les photographies fournies prouvent qu’il est un membre actif du Front de libération oromo, et qu’il assiste régulièrement aux réunions et manifestations organisées par le mouvement en Suisse. Elles montrent aussi qu’il s’est entretenu avec des opposants politiques de haut rang, dont Haile Neway et Leta Baysissa. Ces personnes sont suivies régulièrement et de près, de sorte que même un bref contact avec elles peut suffire pour être considéré comme un opposant politique par les autorités éthiopiennes.

5.9Le requérant conteste l’affirmation selon laquelle rien ne vient démontrer que ses activités politiques sont d’une importance et d’une nature telles qu’elles font de lui une cible des autorités éthiopiennes, et soutient que les Éthiopiens qui mènent des activités de dissidence à l’étranger sont étroitement surveillés. Il réaffirme que sa participation, en exil, à nombre d’activités de dissidence auxquelles ont pris part des dirigeants du mouvement et sa notoriété politique ont acquis une importance suffisante pour constituer une menace sérieuse et concrète pour les autorités éthiopiennes. Étant donné qu’il est le frère de deux anciens opposants au Gouvernement, qu’il était déjà soupçonné d’être en contact avec des opposants dans son pays d’origine et qu’il a demandé l’asile à l’étranger, il est très peu probable que les autorités éthiopiennes ne s’intéressent pas à lui.

5.10En ce qui concerne l’argument de l’État partie selon lequel le récit du requérant comporte des incohérences factuelles et que le requérant manque de crédibilité en raison des réponses évasives aux questions posées et de l’absence d’éléments montrant que les autorités, le recherchant, se sont rendues à son domicile après qu’il a quitté le pays, le requérant affirme que son frère, avec qui il habitait, a eu des problèmes à la suite de son départ. Il ajoute qu’en Éthiopie, il est courant que les autorités punissent les familles des opposants présumés, qu’elles critiquent les membres de la famille des personnes qui expriment des opinions dissidentes et qu’elles les arrêtent à la place de leurs véritables adversaires. S’agissant des explications qu’il a données pendant la procédure d’asile concernant les problèmes rencontrés par son frère, il affirme que ses réponses n’étaient pas évasives mais qu’il avait des difficultés de compréhension. Une fois qu’il a compris ce que l’enquêteur voulait savoir au sujet des problèmes concrets rencontrés par son frère, il a donné des réponses tout à fait plausibles.

5.11Le requérant conclut en faisant valoir qu’il a de sérieuses raisons de craindre qu’il courrait personnellement le risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Éthiopie. En conséquence, il demande au Comité de conclure que son expulsion vers ce pays serait contraire au principe de non-refoulement et constituerait donc une violation, par la Suisse, de l’article 3 de la Convention.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme le paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention lui en fait l’obligation, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles.

6.3Le Comité estime que la communication, dans laquelle le requérant argue que s’il était renvoyé en Éthiopie il courrait le risque d’être arrêté, interrogé et torturé ou soumis à des mauvais traitements en raison de son appartenance présumée au Front de libération oromo dans son pays d’origine et des activités dissidentes menées dans son pays d’asile, soulève des questions de fond au regard de l’article 3 de la Convention car les faits et les fondements des griefs formulés par le requérant sont suffisamment étayés aux fins de la recevabilité. En l’absence d’objection de l’État partie sur ce point, le Comité constate que rien ne fait obstacle à la recevabilité de la présente communication et déclare donc celle‑ci recevable.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la requête en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été fournies par les parties.

7.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant vers l’Éthiopie constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu du paragraphe 1 de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un État où il y a des motifs de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant risquerait personnellement d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Éthiopie.

7.4Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, le Comité doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence éventuelle d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives. Le Comité rappelle toutefois que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être victime de torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risquerait d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays. Il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.5Le Comité rappelle son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 de la Convention dans le contexte de l’article 22, dans laquelle il indique que, pour conclure à l’existence de « motifs sérieux » permettant de penser que le requérant serait exposé à un risque de torture prévisible, personnel, réel et actuel en cas de renvoi, il faut que, au moment où il adopte sa décision, des éléments crédibles montrent que l’expulsion pourrait conduire à une violation des droits que l’intéressé tient de la Convention. Les éléments permettant de conclure à l’existence de pareil risque comprennent, sans toutefois s’y limiter : a) l’origine ethnique du requérant ; b) l’appartenance politique ou les activités politiques du requérant ou des membres de sa famille ; c) l’arrestation ou le placement en détention sans garantie d’un traitement et d’un procès équitables ; d) une condamnation par contumace (par. 45). En ce qui concerne le bien-fondé d’une communication soumise au titre de l’article 22 de la Convention, la charge de la preuve incombe au requérant, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire montrer de façon détaillées qu’il courrait personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture (par. 38). Par ailleurs, le Comité rappelle qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie concerné, mais qu’il n’est pas tenu par ces constatations et qu’il peut apprécier librement les informations dont il dispose, conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, en se fondant sur l’ensemble des circonstances de l’affaire (par. 50).

7.6En l’espèce, aux fins de l’appréciation du risque de torture, le Comité note que le requérant soutient qu’il a été arrêté et détenu à plusieurs reprises en Éthiopie en raison des activités politiques de ses deux frères et de son appartenance présumée au Front de libération oromo et qu’il a été battu, maltraité et menacé au cours de ses interrogatoires. Le Comité note également que le requérant avance que s’il était renvoyé en Éthiopie, il serait exposé à un risque réel d’être soumis à la torture ou à d’autres mauvais traitements de la part des autorités éthiopiennes en raison de son profil politique et de sa participation aux activités menées par le Front de libération oromo en Suisse. Le Comité constate que, à l’appui de ses allégations, le requérant renvoie à des informations selon lesquelles les autorités éthiopiennes exercent une répression contre les dissidents politiques et les militants en exil, en particulier ceux que l’on soupçonne de soutenir le Front de libération oromo. Le requérant fait valoir que ce sont non seulement les dirigeants ou les personnalités politiques en vue qui risquent d’être détenus, maltraités ou torturés en Éthiopie, mais aussi toute personne qui s’oppose ou est soupçonnée de s’opposer au régime en place.

7.7Le Comité constate que l’État partie reconnaît que la situation des droits de l’homme en Éthiopie peut être légitimement considérée comme préoccupante. Il note que le requérant dit avoir été arrêté, maltraité et torturé en détention au motif que lui et ses deux frères étaient soupçonnés d’être membres du Front de libération oromo et que, à l’issue de la procédure d’asile, l’intéressé a fourni des lettres qui confirmaient son appartenance au Front et sa participation aux activités de celui-ci. Il prend également note de ce que, selon l’État partie, le requérant n’a pas établi que les mauvais traitements subis s’apparentaient à une pression psychologique intolérable, ni précisément expliqué en quoi consistait ses activités de soutien au Front ou donné de preuves tangibles de son appartenance à ce mouvement. Le Comité prend note en outre de ce que d’après l’État partie, le requérant n’est pas cohérent dans ses déclarations, notamment en ce qu’il dit avoir été libéré malgré son appartenance présumée au Front et en ce qu’il ne tire pas argument du militantisme de ses frères pour expliquer les problèmes qu’il a rencontrés, et eu égard au temps écoulé entre sa première détention en 2008 et sa fuite en 2011, autant d’incohérences que les autorités chargées de se prononcer sur ses demandes d’asile ont considéré comme portant atteinte à sa crédibilité. Le Comité note également que, selon l’État partie, les activités politiques menées par le requérant en Suisse n’avaient pas une notoriété suffisante pour que l’intéressé soit considéré comme une menace sérieuse pour le Gouvernement éthiopien. Le Comité prend note en outre de l’affirmation du requérant selon lequel les autorités éthiopiennes surveillent les membres de l’opposition à l’étranger, mais constate que celui-ci ne fournit aucun élément pour l’étayer. Enfin, le Comité prend note du processus de transition récemment engagé en Éthiopie, ainsi que de l’engagement pris de respecter les droits de l’homme et d’établir les responsabilités pour les violations commises dans le passé, ce qui peut constituer un signe que le risque de subir des mauvais traitements courus par les personnes revenant dans leur pays d’origine a diminué.

7.8Le Comité rappelle qu’il doit déterminer si le requérant courrait actuellement le risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Éthiopie. Il note que le requérant a amplement eu la possibilité d’étayer et de préciser ses griefs au niveau interne devant l’Office fédéral des migrations et le Tribunal administratif fédéral, notamment au moyen de certificats médicaux et d’attestations, mais que les éléments qu’il a fourni n’ont pas permis aux autorités nationales chargées des demandes d’asile de conclure que les arrestation et les actes de torture dont il avait été l’objet par le passé l’exposeraient au risque d’être de nouveau soumis à la torture s’il était renvoyé en Éthiopie. Le Comité constate également que le requérant n’a pas signalé d’irrégularités dans la procédure d’asile de l’État partie. Il constate en outre que le requérant n’a pas fourni suffisamment d’éléments permettant de prouver qu’il menait des activités pour le compte du Front de libération oromo ou pour étayer comme il se doit l’argument selon lequel les activités politiques auxquelles il a participé en Suisse sont d’une importance suffisante pour véritablement attirer l’attention des autorités éthiopiennes, et qu’il n’a pas non plus apporté de preuve que les autorités éthiopiennes le recherchent ou qu’il courrait personnellement le risque d’être soumis à la torture s’il était renvoyé dans son pays d’origine. Le Comité est préoccupé par les nombreuses informations selon lesquelles des violations des droits de l’homme sont commises en Éthiopie, notamment des actes de torture, ainsi que par la répression des dissidents politiques et les arrestations de blogueurs et de journalistes. Néanmoins, il rappelle qu’aux fins de l’article 3, l’intéressé doit courir personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays vers lequel il doit être renvoyé, sachant que le fait d’avoir été arrêté par le passé ne constitue pas en soi un motif de croire qu’un tel risque existe. À ce sujet, le Comité souligne qu’aucun risque de subir des tortures ou des pressions de la part des autorités ne saurait être acceptable, même si celles-ci ne sont pas intolérables (voir par. 4.5). Le Comité, tout bien considéré, estime que les informations fournies par le requérant ne suffisent pas à établir que l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Éthiopie.

8.Compte tenu de ce qui précède, le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, conclut que le renvoi du requérant en Éthiopie par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.