Nations Unies

CAT/C/65/D/801/2017

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

30 janvier 2019

Français

Original : anglais

Comité contre la torture

Décision adoptée par le Comité en vertu de l’article 22 de la Convention, concernant la communication no 801/2017 * , **

Communication présentée par :

E. T. (représenté par un conseil, Judith Pieters)

Au nom de :

E. T.

État partie :

Pays-Bas

Date de la requête :

23 février 2015 (date de la lettre initiale)

Date de la présente décision :

26 novembre 2018

Objet :

Expulsion des Pays-Bas vers l’Arménie

Questions de procédure :

Néant

Questions de fond :

Risque de torture et de mauvais traitements

Article(s) de la Convention :

Article 3

1.1Le requérant est E. T., de nationalité arménienne, né le 8 août 1984. Sa demande d’asile a été rejetée par les Pays-Bas. Le requérant affirme que son expulsion vers l’Arménie constituerait une violation des droits qu’il tient de l’article 3 de la Convention. Il est représenté par un conseil.

1.2Le 6 février 2017, le Comité, agissant par l’intermédiaire de son Rapporteur chargé des nouvelles requêtes et des mesures provisoires de protection, a informé le requérant qu’il avait rejeté sa demande de mesures provisoires visant à ce que l’État partie ne l’expulse pas vers l’Arménie tant que sa requête serait à l’examen.

Rappel des faits présentés par le requérant

2.1En Arménie, le requérant était membre d’un parti d’opposition appelé le parti République. Sa tâche consistait à distribuer des dépliants et des brochures et il a participé à des manifestations. Le 15 octobre 2010, le requérant a été arrêté pendant une manifestation et accusé d’avoir troublé l’ordre public. Il a été détenu pendant cinq jours dans un commissariat de police à Erevan où il a été roué de coups par des policiers. Lorsque le requérant a été libéré, il est resté à son domicile pendant quelques jours parce qu’il était sérieusement blessé et que, comme il était chauffeur pour quelqu’un « qui travaillait pour le Gouvernement », il ne souhaitait pas que l’on sache pourquoi il avait été blessé. Lorsque le requérant a repris son travail, son chef était furieux, car il avait découvert la raison pour laquelle il avait été absent. Il a informé le requérant que celui-ci devait cesser de participer à des manifestations, étant donné qu’« il travaillait pour une personne faisant partie des autorités ».

2.2Le 9 novembre 2010, le requérant a participé à une autre manifestation et a été arrêté de nouveau. Il a été détenu au poste de police à Erevan pendant trois jours et a été roué de coups par la police. Après sa libération, il est resté à son domicile pendant deux jours supplémentaires afin que ses blessures soient moins visibles. Toutefois, son chef a appris l’arrestation du requérant et l’a informé qu’il ne pourrait se faire pardonner que s’il faisait de fausses déclarations contre son oncle qui était également un membre actif du parti République. Le chef a dit au requérant de faire une déclaration affirmant que son oncle faisait le commerce d’armes illégales et qu’il avait payé des personnes pour participer à des manifestations et pour voter pour le parti République. Le requérant a refusé et a démissionné de son poste, mais son chef lui a dit qu’il devait rester jusqu’à la fin du mois.

2.3Le 29 novembre 2010, le requérant reconduisait son chef à la maison. Après l’avoir déposé à son domicile, le requérant a été prié de passer prendre la femme de son chef à la résidence d’été de celui-ci. En chemin, une voiture de police a fait s’arrêter la voiture du requérant sur le bas-côté. Lorsque les policiers ont fouillé le véhicule, ils ont trouvé une arme. Le requérant ne savait pas qu’il y avait une arme dans le véhicule. Toutefois, lors de son interrogatoire, le chef a dit à la police que cette arme n’était pas la sienne et qu’elle appartenait probablement au requérant. Celui-ci a été arrêté pour infractions à la législation sur les armes et placé en détention à Ashtarak pendant quarante jours. Il avait été violemment frappé chaque jour avec une matraque sur les mains, les doigts, le ventre et le dos. Il a été libéré sous caution le 10 janvier 2011, à la condition qu’il remette son passeport, ce qu’il a fait.

2.4L’oncle du requérant lui a conseillé de dénoncer son chef à la police pour l’avoir fait inculper à tort de chefs d’infraction à la législation sur les armes. Le 13 janvier 2011, le requérant a déposé une plainte contre son chef auprès de la police. Le 15 janvier 2011, il a été conduit par le garde du corps de son chef dans un lieu inconnu. Le chef était sur les lieux. Il a jeté un document au requérant et lui a ordonné de le manger. Ce document était la plainte contre son chef que le requérant avait déposée auprès de la police. Le garde du corps a menacé le requérant avec une arme à feu et l’a obligé à avaler le document. Le requérant a alors été pris en otage pendant quinze ou seize jours et frappé chaque jour. À la fin de janvier 2011, il a été conduit au poste de police à Erevan et obligé de retirer sa plainte contre son chef.

2.5Après que le requérant a retiré sa plainte, il a été arrêté pour avoir fait une fausse déclaration à la police et a de nouveau été battu par les policiers. Le 2 février 2011, il a été conduit au poste de police d’Ashtarak en raison des chefs d’accusation relatifs à la législation sur les armes retenus contre lui. Il a de nouveau été battu par la police. Son état a empiré et, le 24 février 2011, il a été conduit dans un service hospitalier psychiatrique. Des policiers ont dit aux médecins qu’il avait essayé de se suicider, ce qui était faux. Le requérant a été détenu dans le service de psychiatrie pendant sept à huit jours. Le 4 mars 2011, un médecin est venu lui rendre visite. Il s’agissait d’un ami de son oncle et il a aidé le requérant à s’évader de l’hôpital. Son oncle a conseillé au requérant de quitter le pays. Le 24 avril 2011, le requérant a quitté l’Arménie. Il a demandé l’asile aux Pays-Bas le 16 juin 2011.

2.6Le requérant signale qu’au cours de la procédure d’asile, les autorités ont constaté qu’il avait été admis dans un service de psychiatrie à Ashtarak, du 24 février au 3 mars 2011, et qu’il avait travaillé comme chauffeur dans un ministère. Le Ministère néerlandais des affaires étrangères a fourni au Service de l’immigration et de la naturalisation néerlandais de plus amples informations sur la demande d’asile du requérant. Les autorités ont conclu que le requérant n’était pas crédible car elles ne pouvaient confirmer qu’il avait été placé en garde à vue en Arménie et qu’une enquête le visant était en cours. Le Service de l’immigration et de la naturalisation a donc rejeté sa demande d’asile le 23 mars 2012. La demande ultérieure d’examen judiciaire de la décision soumise par le requérant a été rejetée par le tribunal de district de La Haye le 10 janvier 2014 et le recours qu’il a formé contre cette décision a été déclaré sans fondement par la Division de la juridiction administrative du Conseil d’État le 26 août 2014.

2.7Le requérant fait valoir que les autorités arméniennes ne reconnaîtraient pas avoir commis des actes illicites et que, par conséquent, elles n’auraient pas confirmé qu’il avait été détenu en 2010 et en 2011. Le requérant affirme en outre que les autorités néerlandaises ne lui avaient pas permis de savoir qui leur avait fourni des renseignements sur lui car il n’avait pas été autorisé à consulter le rapport d’enquête de référence sur lequel le Ministère néerlandais des affaires étrangères s’est appuyé pour établir son rapport au Service de l’immigration et de la naturalisation.

Teneur de la plainte

3.1Le requérant soutient qu’il existe en Arménie un ensemble de violations graves et systématiques des droits de l’homme et que ce seul fait justifierait que l’État partie ne l’expulse pas vers ce pays.

3.2Il fait également valoir qu’une enquête à son encontre est en cours en Arménie et qu’il existerait un risque réel qu’il soit soumis à la torture et que sa sécurité soit menacée par les autorités s’il était renvoyé en Arménie, où il craint d’être de nouveau roué de coups par la police en cas de détention. Il affirme en outre qu’étant donné qu’un agent de l’État était impliqué dans le coup monté contre lui avec la fausse accusation d’infractions à la législation sur les armes, il ne bénéficierait pas d’un procès équitable en Arménie. Le requérant affirme en outre qu’en raison de l’enquête indépendante sur ses antécédents menée par les autorités néerlandaises, il a été mis encore plus en danger, les autorités arméniennes ayant été informées du fait qu’il avait quitté le pays et demandé l’asile à l’étranger.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et sur le fond

4.1Le 4 août 2017, l’État partie a soumis ses observations sur la recevabilité et le fond de la requête. Il soutient que la requête n’est pas fondée.

4.2L’État partie indique qu’il ressort des rapports sur l’Arménie publiés par le Ministère néerlandais des affaires étrangères, ainsi que d’autres rapports portant sur l’Arménie, que la situation des droits de l’homme dans le pays suscite quelques préoccupations. Il indique que le rapport de pays publié par le Ministère des affaires étrangères montre que, bien que l’appartenance à un parti d’opposition n’ait pas en soi pour conséquence d’avoir des problèmes avec les autorités, au cours de la période considérée, des membres de l’opposition et des militants politiques ont été l’objet de menaces et d’actes intimidation et ont été agressés physiquement en raison des activités auxquelles ils se livraient. Toutefois, le rapport montre également que si les militants n’ont pas été victimes de violences lors des manifestations, ils en ont subi des conséquences négatives par la suite. Parmi les problèmes rencontrés figuraient par exemple des difficultés à trouver un emploi. L’État partie fait donc valoir que rien ne permet de conclure qu’une expulsion vers l’Arménie emporterait en soi un risque de violation de l’article 3 de la Convention, vu que les critères auxquels il faut satisfaire pour admettre l’existence d’un tel risque sont élevés. L’État partie soutient ainsi qu’il appartient au requérant d’avancer des arguments convaincants, fondés sur des faits et des éléments personnels, pour justifier sa crainte d’être victime d’une violation de l’article 3 de la Convention.

4.3L’État partie note que le requérant affirme qu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il risquerait d’être soumis à la torture à son retour en Arménie, étant donné qu’il existe un ensemble de violations graves et systématiques des droits de l’homme en Arménie. À cet égard, le requérant déclare qu’il a été menacé et agressé physiquement par son chef et qu’un mandat d’arrêt peut avoir été émis contre lui. Il estime en outre que l’enquête sur sa personne que les autorités néerlandaises ont menée en Arménie pour recueillir des renseignements sur lui pourrait l’avoir mis en danger. L’État partie affirme que le récit fait par le requérant à l’appui de sa demande d’asile n’est pas crédible et qu’il n’a pas été établi de façon satisfaisante que celui-ci courrait le risque de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention à son retour en Arménie.

4.4L’État partie relève que le requérant dit qu’il est peut-être recherché par les autorités et que celui-ci évoque des informations accessibles à tous indiquant que la torture est encore pratiquée dans les postes de police à grande échelle. L’État partie considère qu’il n’est pas douteux que le requérant ait été un membre du parti d’opposition République depuis 2009. Toutefois, il fait valoir que ce seul fait ne constitue pas un motif suffisant de supposer que, s’il était renvoyé en Arménie, le requérant risquerait de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. Il fait observer qu’on ne saurait déduire des rapports sur le pays que tout membre d’un parti d’opposition, y compris le parti République, qui prend part à des manifestations a des motifs de craindre de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention. L’État partie affirme que le requérant n’a pas démontré le bien-fondé de sa crainte d’une violation de l’article 3 de la Convention en se fondant sur des faits se rapportant précisément à lui et à sa situation personnelle.

4.5L’État partie note que le requérant évoque également les problèmes qu’il prétend avoir eus dans le passé avec son chef et avec les autorités arméniennes, et qu’il affirme qu’en raison de ceux-ci il ne pourrait pas obtenir une protection de la part des autorités s’il était renvoyé au Arménie. Il relève que le requérant affirme en outre que l’enquête menée par les autorités néerlandaises en Arménie pour rassembler des renseignements pour le rapport le concernant pourrait lui causer des problèmes s’il rentrait. L’État partie affirme que ces allégations ne sont pas crédibles. Il indique que le rapport sur l’intéressé établi le 10 février 2012 pour faire suite à l’enquête menée en Arménie par le Ministère des affaires étrangères comporte les conclusions suivantes : a) le requérant n’a été détenu à aucun moment à Erevan entre le 15 et le 20 octobre 2010 ou entre le 9 et le 12 novembre 2010 ; b) le requérant n’a été détenu à aucun moment au commissariat de police de Ashtarak entre le 29 novembre 2010 et le 10 janvier 2011 ou entre le 2 et le 24 février 2011 ; c) le requérant n’a pas déposé de plainte pénale contre son chef le 13 janvier 2011 ; d) le requérant travaillait comme chauffeur dans un bureau du Gouvernement, et il aurait démissionné de son poste le 1er avril 2011 ; e) le requérant n’est pas recherché par les autorités arméniennes ; f) il a été délivré un passeport arménien au requérant le 12 mars 2001 et le 11 mars 2011.

4.6L’État partie souligne qu’il attache une grande importance aux rapports généraux de pays publiés par le Ministère des affaires étrangères et aux rapports sur les personnes, qui sont fondés sur des enquêtes approfondies. Il indique que ces rapports s’appuient sur toute une série de rapports établis par d’autres organisations, comme le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, le Département d’État des États-Unis, le Ministère de l’intérieur du Royaume-Uni et Human Rights Watch. Les rapports sur les personnes sont fondés sur des recherches effectuées avec l’assistance des missions diplomatiques néerlandaises dans les pays concernés. Pour enquêter sur les informations et les documents présentés par les demandeurs d’asile, le Ministère des affaires étrangères fait appel aux services d’agents confidentiels, qui sont soigneusement sélectionnés pour ce qui est de leur objectivité et de leur fiabilité, sur la base d’informations fournies par des institutions telles que des organisations non gouvernementales (ONG), des organisations internationales comme l’Organisation internationale pour les migrations et des ambassades de pays tiers qui peuvent procéder à des évaluations impartiales et solidement étayées. Les agents confidentiels doivent satisfaire à des critères particulièrement élevés : ils doivent être discrets et méticuleux, disposer de réseaux étendus et avoir accès aux sources d’information. L’utilisation d’agents confidentiels protège les demandeurs d’asile et les membres de leur famille car cela garantit que personne dans leur pays d’origine ne les associe aux Pays-Bas. Les agents reçoivent des instructions avant de commencer leurs enquêtes et leurs constatations sont exposées méticuleusement et en détail lorsqu’ils font rapport à l’ambassade. L’enquête est soigneusement organisée de façon à ce que les autorités ne soient pas informées de l’identité de la personne concernée, afin que l’enquête du Ministère des affaires étrangères ne cause pas de problèmes à la personne dans son pays d’origine. L’État partie affirme qu’il ne faut pas ajouter foi à la déclaration du requérant selon laquelle l’enquête menée par les autorités néerlandaises en Arménie lui causerait des problèmes s’il devait retourner dans son pays.

4.7L’État partie indique que ses autorités s’appuient sur les informations figurant dans un rapport sur une personne tant qu’il n’y a pas de raisons de douter de leur exactitude ou de leur exhaustivité, et pour autant que le rapport communique les informations de manière impartiale, objective et claire et indique les sources des informations dans la mesure du possible et s’il n’est pas irresponsable de le faire. Il existe aussi un petit groupe d’agents spécialisés au Service de l’immigration et de la naturalisation qui s’assurent que le rapport a été rédigé avec soin en ce qui concerne à la fois le fond et la procédure suivie, et que son contenu est clair. Le membre du personnel du Service qui effectue ce contrôle de conformité a accès aux documents sur lesquels le rapport repose. Ce n’est qu’après que ce contrôle a été effectué qu’un rapport est utilisé pour parvenir à une décision. Le Ministère des affaires étrangères ne donne jamais d’informations au demandeur d’asile concerné ou à son représentant autorisé sur l’identité des agents ou des informateurs qui ont contribué à l’enquête, car cela pourrait exposer ces agents ou informateurs à un danger grave émanant des autorités, du demandeur d’asile ou des proches ou associés de celui-ci. Le Ministère des affaires étrangères ne fournit pas davantage d’informations sur les méthodes et techniques utilisées pour examiner les informations et les documents présentés par les demandeurs d’asile, afin de ne pas faciliter la fabrication de meilleurs faux ou de comptes rendus falsifiés des événements. L’État partie précise que les tribunaux de district et la Division de la juridiction administrative peuvent fonder leurs décisions concernant un rapport sur une personne en partie à partir des documents utilisés pour l’élaboration de ce rapport, à condition que le demandeur d’asile et le Secrétaire d’État à la sécurité et à la justice aient donné leur consentement. Avant que les documents ne soient examinés, le tribunal de district ou la Division de la juridiction administrative, sous la conduite d’un juge ou d’un collège de juges différent de ceux saisis de la demande de réexamen ou de l’appel interjeté par le demandeur d’asile dans le cadre de sa procédure d’asile, décide si les restrictions qui ont été placées sur l’accès dudit demandeur aux documents sur lesquels le rapport sur la personne est fondé sont justifiées. Par conséquent, lorsque le rejet d’une demande de permis de séjour est fondé en partie sur le rapport relatif à la personne concernée, la façon dont la procédure d’asile néerlandaise est organisée offre suffisamment de garanties pour qu’une enquête puisse être menée pour s’assurer que ce rapport a été élaboré avec le soin voulu.

4.8L’État partie soutient que le requérant n’a fait valoir aucune raison précise de douter de l’exactitude ou de l’exhaustivité du rapport le concernant. Il affirme que les agents confidentiels dont les services ont été utilisés par le Ministère des affaires étrangères sont bien informés des conditions locales et des réseaux locaux et sont pleinement en mesure de déterminer si des renseignements sont fiables et si des conclusions bien fondées peuvent en être tirées. L’État partie estime que l’affirmation du requérant selon laquelle les informations communiquées au Ministère des affaires étrangères risquent fort de ne pas être fiables est entièrement dénuée de fondement et est de nature tellement conjecturale qu’elle ne saurait remettre en cause les conclusions du rapport et les décisions des autorités nationales concernant la demande d’asile du requérant.

Commentaires du requérant sur les observations de l’État partie

5.Le 5 septembre 2018, le requérant a soumis ses commentaires sur les observations de l’État partie. Il reprend les arguments avancés dans sa lettre initiale et affirme qu’il a démontré qu’il courrait un risque réel et prévisible de subir un traitement contraire à l’article 3 de la Convention s’il était renvoyé en Arménie.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

6.1Avant d’examiner tout grief soumis dans une communication, le Comité doit déterminer s’il est recevable au regard de l’article 22 de la Convention. Le Comité s’est assuré, comme il est tenu de le faire conformément au paragraphe 5 a) de l’article 22 de la Convention, que la même question n’a pas été examinée et n’est pas actuellement examinée par une autre instance internationale d’enquête ou de règlement.

6.2Le Comité rappelle que, conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention, il n’examine aucune communication d’un particulier sans s’être assuré que celui-ci a épuisé tous les recours internes disponibles. Il note qu’en l’espèce, l’État partie n’a pas contesté que le requérant avait épuisé tous les recours internes disponibles. Le Comité en conclut que rien ne s’oppose à ce qu’il examine la requête conformément au paragraphe 5 b) de l’article 22 de la Convention.

6.3Ne voyant aucun autre obstacle à la recevabilité, le Comité déclare la requête recevable au regard de l’article 3 de la Convention et procède à son examen quant au fond.

Examen au fond

7.1Conformément au paragraphe 4 de l’article 22 de la Convention, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties concernées.

7.2En l’espèce, le Comité doit déterminer si le renvoi du requérant en Arménie constituerait une violation de l’obligation incombant à l’État partie en vertu de l’article 3 de la Convention de ne pas expulser ou refouler une personne vers un autre État où il y a des motifs de croire qu’elle risquerait d’être soumise à la torture.

7.3Le Comité doit apprécier s’il existe des motifs sérieux de croire que le requérant courrait personnellement le risque d’être soumis à la torture en cas de renvoi en Arménie. Pour ce faire, conformément au paragraphe 2 de l’article 3 de la Convention, il doit tenir compte de tous les éléments pertinents, y compris l’existence d’un ensemble systématique de violations graves, flagrantes ou massives des droits de l’homme dans le pays. Le Comité rappelle que le but de cette analyse est de déterminer si l’intéressé courrait personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture dans le pays où il serait renvoyé. Il s’ensuit que l’existence, dans un pays, d’un ensemble de violations systématiques des droits de l’homme, graves, flagrantes ou massives ne constitue pas en soi un motif suffisant pour établir qu’une personne donnée risque d’être soumise à la torture à son retour dans ce pays ; il doit exister des motifs supplémentaires portant à croire que l’intéressé courrait personnellement un risque. Inversement, l’absence d’un ensemble de violations flagrantes et systématiques des droits de l’homme ne signifie pas qu’une personne ne puisse pas être soumise à la torture dans la situation particulière qui est la sienne.

7.4Le Comité renvoie à son observation générale no 4 (2017) sur l’application de l’article 3 dans le contexte de l’article 22 de la Convention, selon laquelle l’obligation de non-refoulement existe chaque fois qu’il y a des « motifs sérieux » de croire qu’une personne risquerait d’être soumise à la torture dans un État vers lequel elle doit être expulsée, que ce soit à titre individuel ou en tant que membre d’un groupe qui risquerait d’être torturé dans l’État de destination. Le Comité rappelle que des « motifs sérieux » existent chaque fois que le risque de torture est « prévisible, personnel, actuel et réel » (par. 11). Les facteurs de risque personnel peuvent comprendre, entre autres : l’origine ethnique du requérant ; les actes de torture subis antérieurement ; la détention au secret ou une autre forme de détention arbitraire et illégale dans le pays d’origine ; la fuite clandestine du pays d’origine en raison de menaces de torture (par. 45).

7.5Le Comité rappelle également que la charge de la preuve incombe à l’auteur(e) de la plainte, qui doit présenter des arguments défendables, c’est-à-dire des arguments montrant qu’il ou elle court personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis(e) à la torture. Toutefois, lorsque le requérant est dans une situation où il ne peut pas donner de précisions sur son cas, par exemple, lorsqu’il a démontré qu’il n’avait aucune possibilité d’obtenir les documents concernant ses allégations de torture ou lorsqu’il est privé de sa liberté, la charge de la preuve est renversée et il incombe à l’État partie concerné d’enquêter sur les allégations et de vérifier les informations sur lesquelles est fondée la requête. Le Comité rappelle en outre qu’il accorde un poids considérable aux constatations de fait des organes de l’État partie intéressé. Toutefois, il n’est pas lié par de telles constatations et il apprécie librement les informations qui lui sont soumises, conformément au paragraphe 4) de l’article 22 de la Convention, en tenant compte de toutes les circonstances de chaque cause.

7.6Dans le cas présent, le requérant soutient qu’il existe, en Arménie, un ensemble de violations graves et systématiques des droits de l’homme et que ce seul fait justifierait que l’État partie ne l’expulse pas vers ce pays. À cet égard, le Comité prend en considération la situation actuelle des droits de l’homme en Arménie et renvoie à ses observations finales sur le quatrième rapport périodique de l’Arménie, dans lequel il s’est dit préoccupé par, notamment, la persistance d’allégations faisant état d’actes de torture et de mauvais traitements infligés par des agents des forces de l’ordre lors de l’arrestation, du placement en détention et de l’interrogatoire, ainsi que par les insuffisances et le manque d’efficacité qui caractérisent encore la conduite des enquêtes sur de tels griefs et l’engagement de poursuites (CAT/C/ARM/CO/4, par. 17). Cependant, le Comité rappelle que l’existence, dans le pays d’origine d’un requérant, de violations des droits de l’homme n’est pas en soi suffisante pour conclure que l’intéressé courrait personnellement le risque d’être soumis à la torture et qu’il doit exister des motifs supplémentaires donnant à penser que l’intéressé serait personnellement en danger.

7.7Le Comité note en outre que le requérant affirme également qu’il risquerait d’être soumis à la torture ou à des mauvais traitements en raison de l’enquête en cours contre lui en Arménie et du traitement qu’il aurait subi lorsqu’il était détenu dans le pays. Il prend également note du fait que les autorités de l’État partie ont jugé que le récit fait par le requérant à l’appui de sa demande d’asile n’était pas crédible étant donné que, d’après les résultats de l’enquête menée en Arménie pour le compte du Ministère des affaires étrangères, il n’avait pas été détenu par la police lors des périodes en question ; il n’avait pas déposé de plainte pénale contre son chef ; il n’avait pas démissionné de son poste en novembre 2010, comme il l’affirme, mais était resté en poste jusqu’au 1er avril 2011 ; il n’était pas recherché par les autorités arméniennes. Le Comité prend note de l’argument du requérant selon lequel les conclusions de l’enquête sur sa personne menée par les autorités de l’État partie ne sont pas fiables car il n’a reçu aucune information sur la façon dont les informations avaient été recueillies et n’a pas été autorisé à consulter le rapport d’enquête de référence sur lequel s’est appuyé le Ministère néerlandais des affaires étrangères pour établir son rapport au Service de l’immigration et de la naturalisation. Il prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel les agents confidentiels auxquels il est fait appel dans le cadre des enquêtes sur les informations et les documents présentés par les demandeurs d’asile sont soigneusement sélectionnés pour ce qui est de leur objectivité et de leur fiabilité, sur la base des informations fournies par des ONG, des organisations internationales et des ambassades de pays tiers. Le Comité prend également note de l’argument de l’État partie selon lequel lorsqu’ils examinent d’une demande d’asile, le tribunal de district et la Division de la juridiction administrative peuvent fonder leurs décisions concernant un rapport sur une personne en partie sur les documents utilisés pour élaborer ce rapport. Le Comité prend note en outre de l’argument de l’État partie faisant valoir que l’affirmation du requérant selon laquelle les informations communiquées au Ministère des affaires étrangères ont de fortes chances de ne pas être fiables est sans fondement et de nature conjecturale. Il fait observer à cet égard que le requérant n’a présenté aucune raison, argument ou document précis qui indiquerait que les conclusions du rapport en question n’étaient pas fiables. Le Comité constate également que, dans sa demande d’asile, le requérant a affirmé qu’il était recherché par les autorités arméniennes et qu’il a indiqué à cet égard que, lorsqu’il avait été libéré sous caution le 10 janvier 2011, son passeport avait été confisqué. Cependant, d’après les conclusions du rapport le concernant, le requérant a reçu un nouveau passeport, délivré le 11 mars 2011, à la suite de quoi il a quitté le pays. Le Comité note que le requérant n’a pas fourni d’informations ni développé d’argumentation sur les raisons pour lesquelles les autorités lui délivreraient un nouveau passeport après que son passeport précédent a été confisqué. En conséquence, le Comité est d’avis que le requérant n’a pas soumis d’arguments montrant qu’il courrait personnellement et actuellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture s’il était renvoyé en Arménie.

7.8Le Comité note que le requérant affirme en outre qu’il ne bénéficierait pas d’un procès équitable en cas de renvoi en Arménie. Cependant, il constate que le requérant n’a pas fourni d’informations précises à ce sujet et considère donc qu’il n’a pas étayé cette partie de la requête.

8.Compte tenu des considérations qui précèdent et sur la base des informations dont il est saisi, le Comité estime que le requérant n’a pas fourni d’éléments de preuve suffisants pour lui permettre de conclure que son expulsion vers son pays d’origine lui ferait courir personnellement un risque prévisible et réel d’être soumis à la torture au sens de l’article 3 de la Convention.

9.Le Comité, agissant en vertu du paragraphe 7 de l’article 22 de la Convention, décide que le renvoi du requérant en Arménie par l’État partie ne constituerait pas une violation de l’article 3 de la Convention.