NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.RESTREINTE*

CCPR/C/89/D/1320/20043 mai 2007

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMMEQuatre‑vingt‑neuvième session12‑30 mars 2007

CONSTATATIONS

Communication n o  1320/2004

Présentée par:

Mariano Pimentel et consorts (représentés par un conseil, M. Robert Swift)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Philipppines

Date de la communication:

11 octobre 2004 (date de la lettre initiale)

Décisions antérieures:

Décision prise par le Rapporteur spécial en application de l’article 97 du règlement intérieur, communiquée à l’État partie le 20 octobre 2004 (non publiée sous forme de document)

Date de l’adoption des constatations:

19 mars 2007

Objet: Exécution d’un jugement étranger sur le territoire de l’État partie

Questions de procédure: néant

Questions de fond: Notion de «procédure civile», délai raisonnable

Articles du Pacte: 2, par. 3 a) et 14, par. 1

Article du Protocole facultatif: 5, par. 2 b)

Le 19 mars 2007, le Comité des droits de l’homme a adopté le texte joint en annexe en tant que constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif concernant la communication no 1320/2004.

[ANNEXE]

ANNEXE

CONSTATATIONS DU COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME AU TITRE DU PARAGRAPHE 4 DE L’ARTICLE 5 DU PROTOCOLE FACULTATIF SE RAPPORTANT AU PACTE INTERNATIONAL RELATIF AUX DROITS CIVILS ET POLITIQUES

Quatre ‑vingt ‑neuvième session

concernant la

Communication n o  1320/2004**

Présentée par:

Mariano Pimentel et consorts (représentés par un conseil, M. Robert Swift)

Au nom de:

L’auteur

État partie:

Philipppines

Date de la communication:

11 octobre 2004 (date de la lettre initiale)

Le Comité des droits de l’homme, institué en vertu de l’article 28 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant achevé l’examen de la communication no 1320/2004 présentée au nom de M. Mariano Pimentel et consorts en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques,

Ayant tenu compte de toutes les informations écrites qui lui ont été communiquées par l’auteur de la communication et l’État partie,

Réuni le 19 mars 2007,

Adopte ce qui suit:

Constatations au titre du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif

1.Les auteurs de la communication sont M. Mariano Pimentel, M. Ruben Resus et Mme Hilda Narcisco, tous de nationalité philippine. Le premier auteur réside à Honolulu (Hawaii), et les autres aux Philippines. Ils affirment être victimes de violations par la République des Philippines des droits que leur confère le paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. La communication semble également soulever des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte. Le Pacte et le Protocole facultatif sont entrés en vigueur pour les Philippines le 23 janvier 1987 et le 22 novembre 1989, respectivement. Les auteurs sont représentés par un conseil, M. Robert Swift, de Philadelphie (Pennsylvanie).

Exposé des faits

2.1Les auteurs affirment faire partie d’un groupe de 9 539 Philippins qui ont obtenu un jugement définitif rendu aux États‑Unis vis‑à‑vis de la succession de feu Ferdinand E. Marcos («les avoirs Marcos») leur accordant réparation pour les tortures subies pendant le régime du Président Marcos1. Ferdinand E. Marcos résidait à Hawaii à cette époque.

2.2En septembre 1972, le premier auteur a été arrêté sur ordre du Président Marcos deux semaines après la proclamation de la loi martiale aux Philippines. Au cours des six années qui ont suivi, il a été détenu pendant quatre ans au total dans plusieurs centres de détention, sans aucun chef d’inculpation. Alors qu’il rentrait chez lui après sa dernière période de détention, il a été enlevé par des soldats, qui l’ont battu à coups de fusil, lui ont cassé les dents, fracturé un bras et une jambe, et disloqué les côtes. Il a été enterré jusqu’au cou dans un champ de canne à sucre isolé et abandonné, mais il a été ensuite secouru.

2.3En 1974, le fils du deuxième auteur, A. S., a été arrêté sur ordre du Président Marcos et détenu par les autorités militaires. Il a été torturé pendant son interrogatoire et maintenu en détention sans aucun chef d’accusation. Il a disparu en 1977. En mars 1983, le troisième auteur (une femme) a également été arrêté sur ordre du Président Marcos. Elle a été torturée et victime d’un viol collectif pendant son interrogatoire. Elle n’a jamais fait l’objet d’aucun chef d’inculpation ni été reconnue coupable d’une infraction.

2.4En avril 1986, les auteurs ont engagé une action collective avec d’autres personnes contre la succession de Marcos. Le 3 février 1995, le jury du tribunal de district des États-Unis à Hawaii a accordé un montant total de 1 964 005 859,90 dollars des États-Unis aux 9 539 victimes de torture, d’exécution sommaire et de disparition (ou à leurs héritiers). Les jurés ont conclu à l’existence de violations constantes et systématiques des droits de l’homme aux Philippines pendant le régime du Président Marcos, de 1972 à 1986. Lorsque des noms ont été choisis au hasard, une partie de la somme allouée est répartie entre les plaignants. Les personnes dont le nom n’a pas été choisi au hasard mais qui sont intégrées dans l’action collective, y compris les auteurs, reçoivent une partie des dommages-intérêts accordés à trois sous-groupes. Cependant, les sommes n’ont pas été réparties entre plaignants, et c’est seulement lorsque le montant adjugé aura été collecté (en totalité ou en partie) que le tribunal de district des États-Unis à Hawaii attribuera un montant à chaque plaignant. Le 17 décembre 1996, la cour d’appel du neuvième circuit (Court of Appeal for the Ninth Circuit) des États-Unis a confirmé le jugement.

2.5Le 20 mai 1997, cinq membres du groupe, dont le troisième auteur faisait partie, ont déposé une plainte contre la succession de Marcos auprès du tribunal régional de première instance de Makati City (Philippines), afin d’obtenir l’exécution du jugement rendu aux États‑Unis. Les défendeurs ont répondu en déposant une motion de rejet, en affirmant que la somme de 400 pesos philippins (7,20 dollars des États-Unis) versée par chaque plaignant à titre de droits d’enregistrement était insuffisante. Le 9 septembre 1998, le tribunal régional de première instance a rejeté la plainte, au motif que les plaignants n’avaient pas versé le droit d’enregistrement de 472 millions de pesos philippins (8,4 millions de dollars des États-Unis) calculé sur la base du montant total de la demande (2,2 milliards de dollars des États-Unis). Le 10 novembre 1998, les auteurs ont déposé une requête en réexamen devant le même tribunal, qui l’a rejetée le 28 juillet 1999.

2.6Le 4 août 1999, les cinq membres de l’action collective ont déposé, devant la Cour suprême des Philippines, en leur nom propre et au nom du groupe, une requête pour demander à la Cour de déterminer que le droit d’enregistrement était de 400 pesos philippins au lieu de 472 millions de pesos philippins. À la date où la communication a été soumise au Comité (11 octobre 2004), la Cour suprême n’avait pas statué sur cette requête, en dépit d’une demande de règlement rapide déposée par les requérants le 8 décembre 2003 (voir mise à jour au paragraphe 4 ci‑dessous.).

2.7Selon les auteurs, depuis que les cinq membres de l’action collective ont déposé leur requête devant la Cour suprême des Philippines, cette dernière a rendu un jugement en faveur de l’État partie contre la succession de Marcos dans une procédure en confiscation et a ordonné l’exécution de ce jugement pour un montant supérieur à 650 millions de dollars des États-Unis alors que ce recours a été déposé plus de deux ans après la requête des auteurs.

Teneur de la plainte

3.Les auteurs affirment que la procédure qu’ils ont engagée aux Philippines pour demander l’exécution du jugement rendu aux États-Unis a dépassé un délai raisonnable et que le droit d’enregistrement exorbitant représente une négation de facto de leur droit à un recours utile pour obtenir réparation découlant de l’article 2 du Pacte. Ils font valoir qu’ils ne sont pas tenus d’épuiser les recours internes, étant donné que la procédure devant les tribunaux philippins a excédé des délais raisonnables. La communication semble soulever en outre des questions au titre du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte.

Observations de l’État partie sur la recevabilité et le fond

4.Le 12 mai 2005, l’État partie a estimé que la communication était irrecevable pour non‑épuisement des recours internes. Selon lui, le 14 avril 2005, la Cour suprême a rendu sa décision dans l’affaire Mijares et al. c. Hon. Ranada et al. , confirmant que les auteurs devaient payer un droit d’enregistrement de 410 pesos philippins au lieu de 472 millions de pesos philippins au titre de leur requête pour obtenir l’exécution du jugement rendu par le tribunal de district des États-Unis à Hawaii. L’État partie conteste que les auteurs aient été privés d’un recours utile.

Commentaires des auteurs sur les observations de l’État partie

5.1Le 12 janvier 2006, les auteurs déclarent qu’il n’a pas été fait droit à leurs griefs. Ils confirment que, le 14 avril 2005, la Cour suprême a tranché en leur faveur en ce qui concerne le droit d’enregistrement. En revanche, alors que la Cour suprême a estimé que leur requête demandant l’exécution du jugement devait être tranchée rapidement par le tribunal de première instance, ce tribunal ne s’est pas encore prononcé sur le caractère exécutoire de la décision rendue par le tribunal de district des États-Unis à Hawaii.

5.2En outre, font valoir les auteurs, un appel formé dans une affaire parallèle un an avant celui des auteurs est en instance depuis plus de sept ans devant la Cour suprême des Philippines.

Commentaires supplémentaires des parties

6.Le 1er juin 2006, l’État partie a déclaré qu’à la suite de l’arrêt de la Cour suprême sur le droit d’enregistrement, l’affaire avait été rétablie devant le tribunal de première instance. Il ajoute que les auteurs de la communication n’ont pas de lien avec l’affaire qu’ils mentionnent au paragraphe 5.2.

7.1Le 15 juin et le 4 juillet 2006, en réponse à une demande d’éclaircissements émanant du secrétariat sur la qualité des auteurs en tant que «victime[s]» aux fins de l’article premier du Protocole facultatif, les auteurs ont indiqué qu’une action collective pouvait être engagée aux États‑Unis par n’importe quel membre du groupe concerné agissant au nom d’un nombre bien défini d’entre eux, en l’occurrence 9 539 victimes de torture, exécution sommaire et disparition. Tous les membres du groupe ont qualité pour agir dans une procédure d’action collective dès que cette procédure est agréée par un tribunal et ils ont tous droit à une part du montant fixé dans la décision finale. Le tribunal est libre de désigner certains membres du groupe ayant engagé une action collective comme «représentants» aux fins de l’action en justice, mais le «représentant» n’a pas un statut supérieur à celui des autres membres du groupe. Le fait que l’on ait choisi des «représentants» différents de ce même groupe pour la procédure d’action collective engagée aux États‑Unis et celle engagée aux Philippines n’a pas d’incidence sur la qualité pour agir des auteurs. La règle en matière d’action collective aux Philippines est fondée sur celle des États‑Unis.

7.2Selon les auteurs, il est inhabituel dans une action de groupe engagée aux États-Unis de déposer une liste de tous les membres du groupe engageant l’action collective. Dans le cas à l’examen, où le dossier public pouvait être examiné par le Ministère philippin, ce qui pouvait entraîner des représailles contre les victimes de torture encore en vie, une certaine prudence a été exercée. Les auteurs fournissent des éléments pour prouver qu’ils sont membres du groupe ayant engagé l’action collective aux États-Unis: un extrait du témoignage de Mme Narcisco lors du procès en responsabilité qui s’est tenu aux États-Unis; un extrait de la déposition faite par M. Pimentel en 2002 aux États-Unis ainsi qu’un jugement rendu aux États-Unis dans lequel ce dernier a été authentifié en tant que représentant du groupe dans une affaire ultérieure; enfin, une formule de dépôt de plainte requise par le tribunal en ce qui concerne M. Resus. Les auteurs confirment également qu’aucune mesure n’a été prise en vue de l’exécution du jugement.

Délibérations du Comité

Examen de la recevabilité

8.1Avant d’examiner toute plainte contenue dans une communication, le Comité des droits de l’homme doit, conformément à l’article 93 de son règlement intérieur, déterminer si la communication est recevable en vertu du Protocole facultatif se rapportant au Pacte.

8.2Le Comité note que la plainte relative à l’exécution du jugement rendu par le tribunal de district des États-Unis à Hawaii est actuellement en instance devant le tribunal régional de première instance (Regional Trial Court) de l’État partie. Depuis la dernière audience consacrée à la question du droit d’enregistrement, le 15 avril 2005, à laquelle la Cour suprême a statué en faveur des auteurs, la question de l’exécution du jugement a été rétablie devant le tribunal régional de première instance. Pour cette raison, et compte tenu du fait que la plainte concerne une action civile en dommages-intérêts pour actes de torture, le Comité ne peut conclure que la procédure a excédé les délais raisonnables au point d’exonérer les auteurs de l’obligation d’épuiser les recours internes. Par conséquent, le Comité est d’avis que cette plainte est irrecevable en vertu du paragraphe 2 b) de l’article 5 du Protocole facultatif.

8.3Le Comité constate que, depuis que les auteurs ont engagé leur action devant le tribunal régional de première instance (Regional Trial Court) en 1997, le tribunal lui-même et la Cour suprême ont examiné la question du droit d’enregistrement découlant de leur réclamation à trois reprises (le 9 septembre 1998, le 28 juillet 1999 et le 15 avril 2005), et sur une période de huit ans, avant de se prononcer en faveur des auteurs. Le Comité considère que le temps qu’il leur a fallu pour régler ce point soulève une question au titre du paragraphe 1 de l’article 14, ainsi que du paragraphe 3 de l’article 2, qui doit être examinée quant au fond.

Examen au fond

9.1Conformément au paragraphe 1 de l’article 5 du Protocole facultatif, le Comité a examiné la présente communication en tenant compte de toutes les informations qui lui ont été communiquées par les parties.

9.2En ce qui concerne la durée de la procédure relative au droit d’enregistrement, le Comité rappelle que le droit à l’égalité devant les tribunaux, au sens du paragraphe 1 de l’article 14, comporte un certain nombre de conditions, y compris la condition que la procédure devant les tribunaux soit conduite avec la célérité suffisante pour ne pas compromettre le principe d’équité. Il note que le tribunal régional de première instance (Regional Trial Court) et la Cour suprême ont mis huit ans pour examiner cette question subsidiaire et qu’ils lui ont consacré trois audiences, et que l’État partie n’a pas expliqué pourquoi il avait fallu tant de temps pour régler une question qui n’était pas d’une grande complexité. Pour cette raison, le Comité considère que la durée de la procédure en question a excédé un délai raisonnable, ce qui constitue une violation des droits conférés aux auteurs par le paragraphe 1 de l’article 14, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2 du Pacte.

10.Le Comité des droits de l’homme, agissant en vertu du paragraphe 4 de l’article 5 du Protocole facultatif se rapportant au Pacte, est d’avis que les faits dont il est saisi font apparaître une violation du paragraphe 1 de l’article 14 du Pacte, lu conjointement avec le paragraphe 3 de l’article 2, en ce qui concerne la procédure relative au montant du droit d’enregistrement.

11.Le Comité estime que les auteurs ont droit à un recours utile en vertu du paragraphe 3 a) de l’article 2 du Pacte. L’État partie est tenu d’offrir aux auteurs une réparation appropriée sous la forme, notamment, d’une indemnisation et d’un règlement rapide de l’action qu’ils ont engagée pour demander l’exécution dans l’État partie du jugement rendu aux États-Unis. L’État partie est tenu en outre de prendre les mesures nécessaires pour que des violations analogues ne se reproduisent pas.

12.Étant donné qu’en adhérant au Protocole facultatif, l’État partie a reconnu que le Comité avait compétence pour déterminer s’il y avait eu ou non violation du Pacte et que, conformément à l’article 2 du Pacte, il s’est engagé à garantir à tous les individus se trouvant sur son territoire et relevant de sa juridiction les droits reconnus dans le Pacte et à assurer un recours utile et exécutoire lorsqu’une violation a été établie, le Comité souhaite recevoir de l’État partie, dans un délai de quatre-vingt‑dix jours, des renseignements sur les mesures prises pour donner effet à ses constatations.

[Adopté en anglais (version originale), en espagnol et en français. Paraîtra ultérieurement en arabe, en chinois et en russe dans le rapport annuel du Comité à l’Assemblée générale.]

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