Nations Unies

CCPR/C/SR.2749

Pacte international relatifaux droits civils et politiques

Distr. générale

21 octobre 2010

Original: français

Comité des droits de l’homme

Centième session

Compte rendu analytique de la 2749e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le jeudi 14 octobre 2010, à 10 heures

Président:M. Iwasawa

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40du Pacte (suite)

Quatrième rapport périodique de la Jordanie (suite)

La séance est ouverte à 10 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l’article 40du Pacte (suite)

(suite)(CCPR/C/JOR/4; CCPR/C/JOR/Q/4; CCPR/C/JOR/Q/4/Add.1; HRI/CORE/1/Add.18/Rev.1)

Sur l’invitation du Président, la délégation jordanienne reprend place à la table du Comité.

2.Le Président invite la délégation jordanienne à continuer de répondre aux questions posées par les membres du Comité à la séance précédente.

3.M. Masarweh (Jordanie) dit que la Cour de sûreté de l’État est composée de juges civils et militaires, dont l’indépendance et la neutralité sont garanties. Ils sont nommés en fonction de leurs compétences et de leur expérience et bénéficient d’une formation professionnelle continue. Il n’est jamais arrivé qu’un juge ait dû quitter ses fonctions avant l’âge de la retraite, ni qu’un juge ait été mis à la retraite en raison des jugements qu’il avait rendus. La Cour de sûreté de l’État applique les règles de procédure pénale tout comme les tribunaux civils. Toutes les décisions rendues par cette Cour peuvent être contestées devant la plus haute juridiction du Royaume, la Cour suprême. Celle-ci est composée de juges civils, dont l’indépendance est garantie par la loi relative à l’indépendance du pouvoir judiciaire. Le Conseil de la magistrature, présidé par un juge, est chargé des questions relatives à la nomination, à l’affectation et à la mutation des juges. En vertu de la législation, lorsque le procureur décide d’engager des poursuites, il est tenu de renvoyer l’affaire au tribunal compétent dans des délais raisonnables. Avec les modifications apportées en 2009 au Code de procédure pénale, les pouvoirs des procureurs ont été limités et la durée de la détention provisoire a été fixée à une semaine au plus pour les infractions mineures et à quinze jours pour les infractions pénales. Dans des cas exceptionnels et dans l’intérêt de l’enquête, la détention provisoire peut être prolongée. La détention provisoire obligatoire a été supprimée pour les infractions pénales. Le placement en détention est désormais laissé à la discrétion de l’autorité judiciaire, qui ne l’ordonne que lorsqu’il est absolument nécessaire aux fins de l’enquête.

4.La loi de 2006 relative à la prévention du terrorisme ne confère aucun pouvoir exceptionnel aux organes des forces de l’ordre. Toutes les décisions prises en application de cette loi le sont par les autorités judiciaires et sont soumises au contrôle d’autorités judiciaires supérieures. Jusqu’à présent, personne n’a été traduit en justice en application de cette loi. Le Service des renseignements généraux opère dans le respect de la législation qui encadre ses activités. Ses attributions sont connues et officielles. Il coopère avec des organisations de la société civile qui travaillent dans le domaine des droits de l’homme. Ces ONG organisent fréquemment des séminaires et des formations portant sur les dispositions des instruments internationaux et de la législation nationale en matière de droits de l’homme et de traitement des détenus, auxquels elles convient les représentants du Service des renseignements généraux et de la Direction de la sûreté publique.

5.La détention dans les locaux de la police est régie par la législation relative au système pénitentiaire. Il n’est possible de procéder à une arrestation que muni d’un mandat. Les centres de détention de la police sont sous le contrôle des autorités judiciaires et sont inspectés par des organismes tels que le Centre national des droits de l’homme ou le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui établissent des rapports, transmis notamment au Ministère de l’intérieur, lequel s’efforce de donner suite aux recommandations formulées.

6.M. Alshishani (Jordanie) dit que le bureau du Médiateur des droits de l’homme a été créé le 21 juillet 2005 à la Direction de la sûreté publique. Le Médiateur rend compte au chef de la Direction de la sûreté publique et a les mêmes compétences et les mêmes attributions que les procureurs. Il est chargé de traiter les violations commises par les agents des services de maintien de l’ordre. Il effectue des visites inopinées dans les établissements pénitentiaires pour s’assurer que les détenus ne font pas l’objet de mauvais traitements, qu’ils bénéficient des garanties prévues par le Pacte et que la loi est respectée. En 2009, le bureau du Médiateur a reçu 299 plaintes, dont 26 plaintes pour mauvais traitements; 10 d’entre elles ont été transmises au tribunal de police et, dans six affaires, le responsable a été condamné à une peine d’emprisonnement ou à la révocation. Les cas de mauvais traitements qui peuvent survenir ne reflètent en aucun cas la politique de l’État. La Direction de la sûreté publique travaille en partenariat avec les organisations de la société civile qui s’occupent de la défense des droits de l’homme et, en 2009, de très nombreuses activités conjointes ont été organisées, tels des ateliers, des sessions de formation et des campagnes visant notamment à sensibiliser les agents des forces de l’ordre aux droits de l’homme, et en particulier aux droits des détenus.

7.MmeAjwa (Jordanie)ajoute que la loi fait aux procureurs obligationde se rendre au moins une fois par mois dans les centres de détention relevant de leur juridiction pour s’assurer que personne n’est illégalement détenu. Le procureur vérifie le registre du centre ainsi que les mandats d’arrêt et les ordonnances de placement en détention, en fait des copies et s’entretient avec tous les détenus. Il est tenu de prendre note de toute plainte formulée par ces derniers. Le personnel pénitentiaire doit apporter sa collaboration au procureur et lui communiquer toutes les informations nécessaires. Tout détenu peut formuler des plaintes oralement ou par écrit auprès du personnel pénitentiaire, plaintes qui doivent être consignées dans un registre et transmises immédiatement aux services du procureur. Quiconque a connaissance d’un cas de détention illégale doit en aviser le procureur, lequel, vérification faite, ordonne immédiatement la remise en liberté de l’intéressé. Il est prévu d’organiser des formations pour renforcer les compétences des procureurs sur ces questions. Une unité chargée de veiller à ce que les personnes détenues dans les centres de redressement et de réadaptation soient traitées dans le respect des normes des différents instruments internationaux ratifiés par la Jordanie a été créée au Ministère de la justice. Elle effectue des visites périodiques dans ces centres et apporte une assistance juridique aux détenus victimes de mauvais traitements.

8.La Constitution de la Jordanie garantit l’indépendance des juges, qui n’obéissent qu’à la loi. La loi relative à l’indépendance de la justice fixe les règles à suivre pour la vérification des qualifications et de la moralité des juges. Le Conseil de la magistrature recrute les juges sur concours et est le seul organe habilité à révoquer un juge. La stratégie de développement de la justice pour 2010-2012 contient un volet portant sur le renforcement de l’impartialité de la justice.

9.M. Awamleh (Jordanie) dit que la volonté du Roi Abdallah II de renforcer les programmes relatifs à la protection des femmes, des enfants et des personnes appartenant à des groupes vulnérables s’est traduite par l’adoption de la loi no 6/2008 relative à la protection contre la violence dans la famille et par l’introduction de modifications dans le Code pénal, en 2010. Le Gouvernement a entrepris une étude approfondie des cas de maltraitance enregistrés par les services sociaux. Des bureaux des services sociaux ont été inaugurés en 2009 dans les centres de protection familiale d’un certain nombre de gouvernorats. Des centres de réconciliation familiale, créés sur l’initiative de la Reine Rania, offrent des services de médiation familiale et accueillent des femmes battues − 806 femmes y ont été prises en charge en 2009, contre 299 en 2008. On a également entrepris, en collaboration avec l’Université de Columbia, l’élaboration d’un programme de formation à l’intention des travailleurs sociaux; des ateliers de sensibilisation à la question de la violence à l’égard des femmes et de formation à la loi relative à la protection contre la violence dans la famille ont été organisés et, en 2008 et 2009, des séminaires ont été spécialement tenus à l’intention des personnels des services de santé, de réadaptation et de l’éducation.

10.Les tribunaux pour mineurs ont compétence pour connaître des affaires pénales impliquant des mineurs. Lorsqu’une infraction a été commise en association entre un mineur et un adulte, l’affaire est jugée par un tribunal spécial. Des dispositions sont prises en vue de protéger le mineur et un superviseur du comportement, relevant du Ministère du développement social, est chargé de réaliser une étude sociale, qui porte notamment sur les conditions de vie, les résultats scolaires et l’environnement familial du mineur. Le superviseur du comportement est présent durant la procédure et veille à ce que l’intérêt supérieur du mineur soit pris en considération.

11.MmeAjwa (Jordanie) dit que les «crimes d’honneur» sont classés dans la catégorie des infractions graves. Depuis la modification apportée en 2010 au Code pénal, l’auteur d’un tel acte ne peut plus invoquer la disposition de l’article 98 qui permettait de plaider l’état de furie pour obtenir une sentence plus clémente.

12.M. Lallah rappelle que l’article 14 du Pacte garantit au suspect le droit de ne pas témoigner contre lui-même et prévoit que la charge de la preuve incombe à l’accusation; il demande si, dans le cas où un prévenu déclare que ses aveux lui ont été extorqués sous la contrainte, le tribunal exige de l’accusation qu’elle prouve que les aveux étaient spontanés et n’ont pas été obtenus par la force ou par d’autres moyens illicites.

13.Que les tribunaux jordaniens n’aient pas eu à connaître d’affaires relevant de la loi relative à la prévention du terrorisme est une bonne chose mais on peut se demander s’il est déjà arrivé que des personnes aient été arrêtées en vertu de cette loi et ce qu’il est advenu d’elles.

14.M. Thelin demande des explications au sujet du pouvoir discrétionnaire qu’aurait le Premier Ministre de renvoyer toute affaire devant la Cour de sûreté de l’État, malgré les règles fixées dans le Code de procédure pénale.

15.M. Amor demande si le fait que les conditions autorisant la polygamie soient devenues beaucoup plus strictes en 2010 constitue une tentative de limiter le phénomène et un pas vers la suppression de cette pratique.

16.M. O’Flaherty voudrait savoir si, outre les modifications législatives mentionnées par la délégation, des campagnes de sensibilisation et d’information du public sont menées pour faire évoluer les mentalités dans la société en ce qui concerne les crimes d’honneur.

17.M. Salvioli relève que, comme l’a reconnu l’État partie, certaines pratiques culturelles très enracinées dans la société peuvent être incompatibles avec les normes relatives aux droits de l’homme et que les auteurs d’actes de torture et d’actes de violence dans la famille jouissent souvent de l’impunité. Il demande quelles mesures les autorités jordaniennes envisagent de prendre pour faire progresser la société vers le plein respect des droits de l’homme. Il voudrait savoir quel est le pourcentage de plaintes relatives à des actes de torture qui débouchent sur l’ouverture de poursuites et quel est le pourcentage d’actes de violence dans la famille qui donnent lieu à des sanctions.

18.M. Bhagwati demande si les hauts magistrats de l’appareil judiciaire sont nommés par le pouvoir exécutif ou par un organe indépendant, comment toute l’influence du pouvoir exécutif est écartée dans les procédures de nomination et si les juges sont totalement inamovibles ou si la mise en accusation des juges est possible. Dans l’affirmative, il faudrait savoir quelle est la procédure et si elle est conduite par un organe indépendant. Il souhaiterait des détails sur les tribunaux pour mineurs, leur compétence, les affaires dont ils connaissent, les décisions qu’ils peuvent rendre et les recours éventuellement ouverts contre ces décisions.

19.M. El-Haiba demande quelles mesures les autorités jordaniennes envisagent de prendre pour supprimer totalement l’internement administratif et les centres d’internement administratif, qui sont des lieux de détention non officiels, distincts des établissements pénitentiaires et qui ne sont régis par aucun règlement. Il semblerait qu’un certain nombre de femmes victimes de violences soient retenues dans ces centres.

20.M. El-Haiba demande quels nouveaux éléments contient la loi contre la traite des êtres humains récemment adoptée et dans quelle mesure ce texte est conforme aux normes internationales pour la protection des droits des personnes appartenant aux groupes les plus vulnérables, en particulier à la Convention relative aux droits de l’enfant et au Protocole facultatif à la Convention, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants.

21.Sir Nigel Rodley demande des précisions sur les modalités du contrôle judiciaire de l’internement administratif. Il souhaiterait savoir en particulier si le contrôle peut porter aussi bien sur le respect de la procédure que sur le fondement de la décision.

22.En ce qui concerne le traitement des détenus, il serait intéressant d’avoir des éclaircissements sur l’inspection des lieux de détention de la police, en particulier sur les organes habilités à effectuer des visites, les éventuelles restrictions qui leur sont imposées et l’utilisation qui est faite de leurs rapports. Il est préoccupant de noter que le seul organe compétent pour examiner les plaintes des détenus dénonçant des actes de torture ou des mauvais traitements est le bureau du Médiateur et des droits de l’homme de la Direction de la sûreté publique, qui dépend de la force publique. Des commentaires sur ce point et des précisions sur la suite donnée aux plaintes, notamment les poursuites éventuellement engagées, seraient les bienvenus.

23.Il est indiqué dans les réponses écrites que le Centre national des droits de l’homme a effectué plusieurs visites inopinées dans le centre de détention du Service des renseignements généraux ces trois dernières années, mais en moins grand nombre que celles du Comité international de la Croix-Rouge. Il serait intéressant de savoir si le nombre de ces visites est limité et de connaître les résultats. Les rapports du Centre national des droits de l’homme sont-ils rendus publics?

24.Le Président invite la délégation à répondre aux questions complémentaires du Comité.

25.M. Twal (Jordanie) dit qu’aucune affaire n’a été examinée à ce jour en vertu de la loi antiterroriste de 2006. Les affaires en cours portent sur des infractions qualifiées dans le Code pénal.

26.Mme Ajwa (Jordanie) dit que les aveux obtenus sous la contrainte ne peuvent pas être admis comme éléments de preuve dans une procédure et que les autorités judiciaires sont tenues d’établir les circonstances de tout aveu afin de s’assurer que les déclarations de l’accusé ont été faites spontanément et librement.

27.M. Twal (Jordanie) dit que le Gouvernement est disposé à réexaminer toutes les dispositions de sa législation relatives aux droits de l’homme et à l’état de droit et qu’il est ouvert à toute recommandation dans le cadre du vaste processus de réforme politique, juridique et judiciaire qu’il a engagé. En ce qui concerne le rôle du Premier Ministre dans le fonctionnement de la Cour de sûreté de l’État, il précise que le Premier Ministre ne peut intervenir que dans les affaires qui ont trait à la sûreté de l’État d’un point de vue purement économique, ce qui à ce jour est arrivé une fois seulement.

28.M. Twalbah (Jordanie) dit que les chiffres avancés concernant la polygamie couvrent les couples qui sont séparés de fait ou qui sont en attente de divorce, et sont donc supérieurs à la réalité. La loi de 2010 relative au statut personnel contient des dispositions tendant à restreindre la polygamie en énonçant des conditions claires. Elle protège les droits des deux épouses en établissant l’obligation d’informer l’une et l’autre de l’existence d’une autre union et de leur apporter le même soutien matériel. L’obligation d’équité entre les épouses est également inscrite dans la charia. L’âge minimum du mariage est de 18 ans mais le juge peut, dans des circonstances spéciales, autoriser une personne mineure à se marier, à condition qu’elle ait atteint l’âge de 15 ans et sous réserve de son consentement et de celui de ses parents. Cette exception vise à couvrir toutes les éventualités possibles et quand elle est appliquée, ce qui est rare, c’est le plus souvent pour le mariage de jeunes ayant presque atteint l’âge de 18 ans.

29.M. Twal (Jordanie) dit qu’il est difficile de donner des chiffres concernant la violence dans la famille, étant donné que de nombreuses femmes ne signalent pas les mauvais traitements dont elles sont victimes. Des mesures sont prises pour sensibiliser les femmes et les encourager à dénoncer les violences qu’elles subissent dans la famille. Des campagnes d’information ont été diffusées par les médias et de nombreux programmes sont mis en œuvre par la société civile dans le but de faire évoluer les mentalités et les comportements et d’apporter un soutien aux victimes.

30.L’âge de la responsabilité pénale a été relevé de 7 à 12 ans, comme suite notamment à la recommandation formulée en avril 2010 par le Comité contre la torture.

31.Mme Ajwa (Jordanie) dit que la délégation fera parvenir par écrit au Comité un complément d’informations sur le système de nomination des juges ainsi qu’une copie de la loi sur l’indépendance de la magistrature. Le Conseil de la magistrature se compose du Président de la Cour de cassation, du chef du parquet et du doyen des juges de la Cour suprême. L’exécutif n’intervient pas dans la nomination des membres du Conseil, qui prend en compte leur ancienneté.

32.M. Twal (Jordanie) dit que la loi no 9 de 2009 érige en infraction pénale toutes les formes de traite des êtres humains. Ce texte, qui a été rédigé avec l’assistance d’experts internationaux, contient une définition de la traite entièrement conforme à celle du Protocole de Palerme. Il prévoit des peines plus lourdes si les victimes sont des femmes ou des enfants. De plus, tout est mis en œuvre pour protéger les victimes en évitant qu’elles ne soient elles-mêmes poursuivies. Un comité national de lutte contre la traite doit être créé sous l’égide du Ministère de la justice. Un guide national contenant divers outils et recommandations aux fins de la lutte contre la traite est en cours d’élaboration.

33.La loi régissant l’internement administratif doit faire prochainement l’objet d’une réforme. Le Gouvernement est conscient de la responsabilité qui incombe à l’État de faire évoluer la société pour mettre fin à certaines pratiques préjudiciables. Cela dit, il ne peut que tenir compte des traditions et des mentalités à l’origine de certains comportements. Dans un nombre limité de cas, le recours à l’internement administratif est indispensable, notamment pour protéger les femmes dans certaines circonstances. Dans tous les cas, les personnes placées en internement administratif ont le droit de consulter immédiatement un avocat.

34.Il convient de souligner que le Comité international de la Croix-Rouge a facilement accès aux autorités et qu’il est en contact fréquent avec le Service des renseignements généraux et le Département de la police. Le Gouvernement est ouvert à toute assistance juridique, financière et technique, notamment à des fins de formation et pour l’amélioration de sa législation.

35.Le Président invite les membres de la délégation à répondre aux questions posées par les membres du Comité concernant les questions nos 14 à 25.

36.M. Twalbah (Jordanie) dit que le droit à la liberté de religion est inscrit à l’article 14 de la Constitution. Tout citoyen jordanien a le droit de choisir et de pratiquer sa religion. Il appartient à l’État de protéger la liberté de culte et de religion et de garantir l’exercice de ce droit, tant qu’il ne porte pas atteinte à l’ordre public, à la morale et à la sécurité publique. L’absence de contrainte en religion est également inscrite dans le Coran. En ce qui concerne les bahaïs, la Jordanie est un des pays les plus tolérants de la région envers cette communauté. Les bahaïs sont libres de pratiquer leur culte, sans se heurter à des restrictions ni subir des harcèlements. Rien n’est fait pour les contraindre à adopter une autre religion ou conviction. Tout citoyen jordanien, quelle que soit sa confession, peut exercer ses droits civils et politiques. Le Code civil et la loi de 2001 relative au statut personnel énoncent le droit pour tout Jordanien de plus de 16 ans d’avoir sa propre carte d’identité, quelles que soient sa langue, son origine ethnique ou sa religion.

37.M. Twal (Jordanie) précise que les personnes appartenant à la communauté bahaïe peuvent se déclarer de religion bahaïe sur leur carte d’identité bien que celle-ci ne soit pas reconnue par la Constitution. L’origine ethnique n’est pas mentionnée sur la carte d’identité. La mention de la religion n’est obligatoire que pour la carte d’identité; elle n’apparaît pas sur le passeport, le permis de conduire, ni aucun autre document officiel d’identification. Au-delà des raisons pratiques qui sont à l’origine de cette prescription − nécessité de connaître la religion des candidats au Parlement pour établir les listes conformément aux quotas définis par la loi −, il faut bien comprendre que ni les chrétiens ni les musulmans ne ressentent le fait d’être identifiés en tant que tels comme une stigmatisation car ils sont profondément fiers d’être ce qu’ils sont.

38.Depuis que la loi sur les publications et les médias a été modifiée, le Service des publications relève non plus du Ministère de l’information mais du Ministère de la culture. Les peines d’emprisonnement encourues auparavant pour les délits de presse ont été remplacées par des peines d’amendes. La Cour de sûreté de l’État n’est plus compétente pour connaître des affaires relatives aux médias, qui sont désormais jugées au civil par une chambre spécialisée créée à cette fin. Les poursuites contre les journalistes accusés d’avoir porté atteinte aux relations diplomatiques ou à la famille royale ont été abandonnées à la demande du Roi. Un institut de formation a été créé pour permettre aux journalistes d’apprendre comment mieux exercer leur métier, sans autocensure. La législation relative aux médias devrait être intégralement revue sous peu. La Jordanie prône la modération et la tolérance et œuvre en faveur de la paix. Elle a lancé de nombreuses initiatives dans ce sens, comme le Message d’Amman, qui rappelle que le respect de l’autre est une valeur fondamentale de l’islam. La Jordanie encourage également le dialogue entre les cultures et les religions. Elle adoptera prochainement un plan d’action national destiné à promouvoir l’ouverture et le dialogue dans les écoles, les universités et les médias. La loi de 2008 relative aux réunions publiques n’a pas vocation à restreindre le droit de réunion; elle organise les modalités d’exercice de ce droit de manière à prévenir les risques de débordements. Tout rassemblement doit faire l’objet d’une demande d’autorisation auprès du gouverneur, qui doit dûment motiver sa décision en cas de rejet de la demande. Le motif de rejet le plus souvent invoqué parmi ceux que prévoit la loi est l’atteinte à l’ordre public. La décision est susceptible de recours devant la Cour suprême, qui est compétente pour connaître de toutes les décisions administratives. Au moment de l’attaque d’Israël contre Gaza en 2008, des marches de protestation ont été organisées dans tout le pays; la loi a été appliquée et les manifestations, dûment encadrées, ont pu se dérouler sans incident.

39.M. Awamleh (Jordanie) dit qu’en application de la loi de 2008 relative aux associations, l’autorité chargée de l’examen des demandes d’enregistrement dispose d’un délai de soixante jours à compter de la présentation de la demande pour rendre sa décision. Passé ce délai, la demande est réputée acceptée. En cas de rejet, un recours peut être formé devant les tribunaux. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, en 2008, une seule demande d’enregistrement a été rejetée; les auteurs ont fait appel et leur demande a finalement été acceptée. Le droit des associations d’accepter des fonds ou des dons n’est soumis à aucune condition lorsque les donateurs sont jordaniens. Tout financement étranger doit en revanche être approuvé par le Gouvernement. Il doit pour cela remplir plusieurs critères: être légal et compatible avec l’ordre public et les bonnes mœurs, être compatible avec le Règlement intérieur de l’association et être destiné à la réalisation des objectifs de l’association. Le Gouvernement a trente jours à compter du dépôt de la demande pour rendre sa décision. Passé ce délai, la demande est réputée acceptée.

40.Mme Ajwa (Jordanie) dit qu’un réexamen de la législation applicable aux enfants a été entrepris afin d’en vérifier la compatibilité avec les normes internationales. Le Code du travail interdit le travail des enfants de moins de 16 ans. Les mineurs de plus de 16 ans peuvent travailler, sous réserve de la présentation d’un certificat d’aptitude délivré par un médecin et d’une autorisation signée par les parents. Les conditions de travail sont strictement réglementées: interdiction d’affecter le mineur à des travaux dangereux; limitation de la durée de la journée de travail à six heures et respect des jours fériés et des fins de semaine. La traite et l’exploitation de mineurs sont sévèrement punies par la loi de 2009 relative à la traite des êtres humains. Pour lutter contre ces pratiques, une stratégie globale alliant protection et assistance aux victimes, mesures de prévention et répression, a été mise en place. L’utilisation d’enfants dans la production de matériels à caractère pornographique est punie par la loi.

41.M. Twal (Jordanie) dit qu’en application de la loi de 2007 relative aux partis politiques, un parti politique ne peut être enregistré que s’il réunit au moins 500 membres fondateurs. À ce jour, aucune demande d’enregistrement n’a été rejetée. En conformité avec la loi, chaque parti dûment enregistré reçoit une aide financière de l’État. Des mesures sont mises en œuvre pour améliorer le fonctionnement des partis. Par exemple, des cours de formation consacrés entre autres domaines aux techniques de gestion, à la transparence et à la communication avec les médias sont organisés à leur intention, avec le concours d’experts issus d’organisations non gouvernementales nationales ou internationales.

42.L’amélioration de la participation des femmes à la vie politique ne peut pas être réduite à une question de quotas; elle nécessite une évolution profonde de la société. Des progrès considérables ont été accomplis dans les domaines de l’accès des femmes à la santé et à l’éducation, mais elles restent majoritairement exclues de la vie économique et de la vie politique. La mise en place de dispositifs, législatifs notamment, en faveur d’une plus grande participation des femmes est certes indispensable, mais il faut aussi agir directement auprès des principales intéressées pour susciter dans leurs rangs la mobilisation et les vocations nécessaires. Des actions sont menées dans ce sens par le Ministère du développement politique, en collaboration avec la société civile. Les modifications du système électoral prévues par la loi provisoire sur les élections qui a été adoptée en mai 2010 visent à garantir une plus grande transparence et une meilleure représentativité. Un autre signe positif d’évolution est la décision du Gouvernement d’autoriser la supervision des prochaines élections législatives, prévues pour novembre 2010, par des observateurs internationaux. Le Ministère du développement politique a élaboré un ambitieux plan de réforme politique et législative pour la période 2011-2020 en vue de renforcer la bonne gouvernance et le respect des normes internationales relatives aux droits de l’homme. D’un point de vue démographique, il est un fait que des minorités existent en Jordanie, mais il faut bien comprendre que les personnes qui appartiennent à ces minorités ne se pensent pas comme telles; elles se considèrent avant tout comme jordaniennes. Ce sentiment national très fort est un rempart contre les phénomènes de repli sur soi et de ghettoïsation que l’on peut observer dans d’autres pays.

43.Le Pacte ne fait pas l’objet de mesures d’information spécifiques mais les droits de l’homme sont au cœur de nombreuses actions du Gouvernement et sont diffusés dans le cadre des programmes scolaires et des médias.

44.M. O’Flaherty ditque dans ses réponses concernant la liberté de religion la délégation a surtout évoqué les groupes religieux; or le Pacte met l’accent sur l’exercice individuel et non collectif de la liberté de religion et, par conséquent, sur la possibilité pour chacun d’intégrer ou non un groupe religieux. Dans cette perspective, il serait utile de savoir comment sont appliquées les règles relatives à l’apostasie. Certes l’apostasie n’est pas illégale en Jordanie, de sorte qu’il est possible d’abandonner la religion islamique pour en adopter une autre, mais les réponses écrites donnent à penser que certains droits sont retirés à l’apostat, ce qui peut soulever des questions au regard de l’article 18 du Pacte. La mention de la religion sur la carte d’identité peut avoir une utilité pratique pour s’assurer du respect des quotas en faveur des minorités religieuses lors des élections législatives, mais l’on peut s’interroger sur sa compatibilité avec les dispositions du Pacte relatives au droit au respect de la vie privée: un particulier peut très bien vouloir que sa religion ne soit pas dévoilée. M. O’Flaherty voudrait savoir s’il est exact qu’une personne athée ou n’appartenant pas à l’une des trois principales religions monothéistes pratiquées en Jordanie peut faire inscrire la mention «néant» sur sa carte d’identité, et s’il est vrai que les bahaïs doivent faire inscrire la mention «musulman».

45.Dans la révision de la législation relative à la liberté de la presse et à la liberté d’expression qu’il a entreprise l’État partie devrait s’attacher à assurer la compatibilité de toutes les dispositions avec l’article 19 du Pacte, en particulier pour ce qui est des conditions dans lesquelles la liberté d’expression peut être restreinte. Il est légitime de soumettre l’exploitation de médias électroniques à l’obtention d’une licence, pour des raisons techniques, mais rien ne justifie l’application du régime de l’autorisation préalable aux organes de la presse écrite. La législation contient toujours un certain nombre de restrictions à la liberté de la presse. Ainsi, la responsabilité pénale des journalistes qui écrivent des articles considérés comme préjudiciables aux relations diplomatiques du pays ou à la famille royale peut être engagée. De telles dispositions devraient être abrogées.

46.M. El-Haiba dit qu’aucune information sur les mesures prises ou envisagées par l’État partie pour lutter contre la discrimination, la violence et la haine raciales ne figure dans son rapport périodique ou dans ses réponses écrites. Pourtant aucun pays n’est à l’abri de ces phénomènes, qui appellent non seulement des mesures juridiques mais également des programmes de sensibilisation visant à modifier les comportements et faire évoluer les mentalités. En ce qui concerne la représentation des femmes dans la vie publique et politique, en 1994, dans ses observations finales sur le troisième rapport périodique de la Jordanie, le Comité des droits de l’homme avait noté avec inquiétude qu’il existait encore dans la pratique et dans la loi des inégalités entre les sexes, concernant notamment la participation à la vie publique. Il serait utile de savoir quelles mesures ont été prises pour remédier à cette lacune, prévenir la discrimination à l’égard des femmes, lutter contre les préjugés sexistes et libérer la société jordanienne du poids de certaines traditions préjudiciables pour les droits des femmes.

47.Le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale en 1999 et le Comité pour l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes en 2007 avaient noté des lacunes dans la législation et dans la pratique concernant la répression et la prévention de la discrimination raciale et de la discrimination fondée sur le sexe. Si l’adoption de normes pour lutter contre les discriminations de toutes sortes est importante, des programmes de formation et de sensibilisation sont tout aussi nécessaires. Les ateliers sur la lutte contre la violence, la haine et la discrimination, organisés par l’État partie vont donc dans le bon sens et il faut maintenant évaluer les résultats obtenus.

48.En ce qui concerne la représentation des femmes dans la vie publique et politique, M. El-Haiba voudrait savoir combien de femmes siègent actuellement au Sénat, combien exercent les fonctions de juge, combien occupent des postes de direction, dans le secteur public et dans le secteur privé et à l’université et combien de femmes dirigent des partis politiques, ou appartiennent à leurs instances dirigeantes.

49.En ce qui concerne les mesures prises pour garantir des élections libres et transparentes, le Centre national des droits de l’homme, à qui a été récemment confiée la tâche de participer à la surveillance des élections, a fait état d’irrégularités lors des élections municipales, irrégularités qui auraient influencé le résultat du scrutin. Il voudrait savoir ce qui a été fait comme suite à ces constatations.

50.M. Amor note que pour adhérer à un parti politique il faut être âgé de 21 ans au moins, ce qui est une source de préoccupation. Le système des quotas adopté pour les élections législatives donne aux minorités des droits politiques «excédant» ceux auxquels leur donne droit leur nombre par rapport à la population totale, ce qui mérite d’être salué. Il faudrait savoir si ces minorités peuvent dispenser un enseignement dans l’école publique. M. Amor voudrait également savoir si le Centre national des droits de l’homme et les organisations non gouvernementales jordaniennes ont participé à l’élaboration du rapport périodique et si le public a été informé de son examen par le Comité.

51.M. Thelin voudrait savoir si la loi sur le service militaire obligatoire, modifiée lors de sa remise en vigueur en 2007, contient des dispositions énonçant les procédures à suivre en cas d’objection de conscience. Si ce n’est pas le cas, il demande quelles mesures sont envisagées pour donner effet à l’article 18 du Pacte. Il demande aussi si «l’Armée du peuple» est encore opérationnelle et si les personnes appelées à servir dans ses rangs peuvent faire valoir leur droit à l’objection de conscience.

52.M. Twalbah (Jordanie) dit, au sujet de l’apostasie, que la charia et la Constitution de la Jordanie reconnaissent et garantissent la liberté de religion ainsi que le libre exercice des cultes religieux, que l’État a donc le devoir de protéger. Par conséquent, toute personne qui abandonne l’islam pour une autre religion n’est passible d’aucune sanction pénale. Les apostats jouissent sans réserve de l’ensemble des droits civils et politiques. Pour ce qui est de leur droit d’hériter, en vertu de la charia, rien n’empêche un testateur de désigner un apostat en tant que légataire universel et rien ne l’empêche non plus, par des dispositions écrites, de déshériter l’apostat; sa volonté doit alors être respectée.

53.M. Twal (Jordanie) dit, en ce qui concerne la liberté d’expression, que la création de médias électroniques n’est soumise à aucune autorisation préalable, en témoigne d’ailleurs la véritable prolifération de ce type de médias dans le pays. La délégation jordanienne prend bonne note des observations concernant la nécessité de supprimer les restrictions à la liberté de la presse. Pour ce qui est de la représentation des femmes dans la vie publique et politique, 7 des 55 sièges que compte le Sénat à l’heure actuelle sont occupés par des femmes. Dans la magistrature, 67 femmes exercent actuellement la fonction de juge, ce qui représente 8,8 % des effectifs. Un grand nombre d’universités jordaniennes ont adopté des quotas en faveur des femmes à tous les niveaux de responsabilité. En outre, depuis cinq ans, la Jordanie prend en considération les questions relatives à l’égalité hommes-femmes dans l’établissement des budgets alloués aux différents ministères. Il existe au sein du Ministère de la planification et de la coopération internationale un département de l’égalité hommes-femmes. Au Ministère du développement politique, dont M. Twal est Secrétaire général, 1 femme occupe les fonctions de secrétaire général adjoint et 4 des postes de directeur; en outre la moitié des chefs de service sont des femmes. Pour ce qui est de la représentation des femmes dans la vie politique, deux partis politiques sont dirigés par des femmes. En ce qui concerne l’âge minimum de l’affiliation à un parti politique, M. Twal dit que la question sera examinée dans le cadre de la réforme de la loi sur les partis politiques. La question de l’objection de conscience ne se pose pas en Jordanie, où le service militaire n’est pas obligatoire; quant à «l’Armée du peuple», elle a été dissoute.

54.La délégation jordanienne remercie le Comité d’avoir appelé son attention sur les questions cruciales méritant un examen plus approfondi, au cours d’un dialogue enrichissant. Elle attend avec intérêt ses observations finales et recommandations auxquelles la plus grande attention sera accordée.

55.Le Président remercie la délégation jordanienne de ses réponses aux nombreuses questions du Comité, qui a eu avec elle un dialogue franc et fructueux. Il l’invite à faire parvenir par écrit les réponses aux questions qui n’ont pu être traitées faute de temps, dans les meilleurs délais pour qu’il puisse en être tenu compte dans les observations finales.

La séance est levée à 13 heures.