NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.245815 janvier 2008

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-dixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2458e SÉANCE*

tenue au Palais Wilson, à Genève,le mercredi 11 juillet 2007, à 15 heures

Président: M. RIVAS POSADA

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Troisième rapport périodique du Soudan

La séance est ouverte à 15 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Troisième rapport périodique du Soudan (CCPR/C/SDN/3; CCPR/C/SDN/Q/3 et CCPR/C/SDN/Q/3/Add.1 (arabe seulement))

1.Sur l’invitation du Président, MM. Abduldaim Zamrawy, Ibrahim M. I. Mohamed Kheir, Omar D. F. Mohamed, Abdulla Ahmed Mahdi, Mustafa Matar et Mohamed Hassan Kheir, et M mes Bothina Mahmoud Abdulaziz, Rahman Salih Elobeid et Igbal Elamin, prennent place à la table du Comité.

2.M. IBRAHIM M. I. MOHAMED KHEIR (Soudan) déclare que le Gouvernement soudanais est désireux de coopérer avec le Comité des droits de l’homme, comme il le fait avec le Conseil des droits de l’homme et avec d’autres organes conventionnels. Il tient à remercier le Comité pour ses observations finales sur le rapport précédent, formulées en 1997, qui lui ont été très utiles. Pour la première fois, le Gouvernement voyait ses efforts reconnus de manière objective, alors qu’il ne recevait auparavant que des critiques sur la situation des droits de l’homme dans le pays, et cela fut assurément très encourageant.

3.Aujourd’hui, le Gouvernement centre son attention sur ce qui se passe sur le terrain. L’expérience lui a montré qu’il ne suffit pas d’introduire des principes ou des mesures législatives: il faut aussi vérifier leur application dans la pratique. C’est pourquoi il s’est attaché à collecter un très grand nombre de données statistiques, qui n’ont malheureusement pas pu être transmises à l’avance au Comité. Ces statistiques montrent combien la situation a changé depuis 1997. On peut dire que le Soudan vit une véritable révolution en matière de droits civils et politiques: multipartisme, liberté de la presse, multiplication des journaux, chaînes de télévision et stations de radio, accès des femmes à l’université … rien de tout cela n’existait dix ans plus tôt.

4.Certes, des problèmes persistent, comme en témoigne la crise au Darfour. Mais le Gouvernement a consenti au déploiement d’une force «hybride» de l’ONU et de l’Union africaine dans la région et il est convaincu qu’une solution politique sera trouvée, comme cela a été le cas pour le Sud-Soudan, où aucun combat n’a été signalé depuis l’accord de cessez-le-feu qui a mis fin à 19 ans de guerre civile. À ce propos, il convient de souligner que la population du Sud-Soudan a exercé son droit à l’autodétermination, un droit rarement octroyé bien que ce soit le premier consacré dans le Pacte. C’est là une avancée historique que le Comité ne manquera pas d’apprécier. Le Gouvernement tient à sa disposition deux rapports qu’il a établis sur la mise en œuvre, respectivement, de l’Accord de paix global au Sud-Soudan et de l’Accord de paix pour le Darfour.

5.M. ZAMRAWY (Soudan) dit que le Gouvernement soudanais se réjouit d’examiner son troisième rapport périodique avec le Comité, étant convaincu que ce dialogue sera constructif. D’importants changements se sont produits depuis l’élaboration du rapport, notamment la signature des accords de paix et l’adoption de la Constitution provisoire de 2005, et la délégation va donc s’efforcer de mettre à jour les informations fournies en tenant compte de cette évolution.

6.La Constitution provisoire de 2005 est un grand pas en avant. Elle a permis de résoudre la situation au Sud-Soudan mais également dans d’autres régions. Elle a réparti plus équitablement les richesses et les pouvoirs, et instauré les institutions nécessaires à la transition vers la démocratie. Chacun des États fédérés a été doté d’une constitution propre et une importante réforme législative a été entreprise. De nouvelles lois ont ainsi été adoptées sur les partis politiques, la fonction publique et les forces armées, et d’autres sont à l’examen sur les élections, la police et les droits fondamentaux, entre autres. Cependant, comme il a déjà été dit, le Gouvernement ne se contente pas de promulguer des lois, il s’attache également à s’assurer qu’elles sont appliquées dans la pratique. C’est pourquoi, après avoir présenté dans son rapport le cadre juridique de l’application du Pacte, il va démontrer, à l’aide de statistiques exhaustives, la réalité de cette application. Ces statistiques montrent par exemple que l’égalité des sexes s’est considérablement améliorée, que les droits des femmes sont mieux garantis et que celles-ci sont de plus en plus nombreuses à exercer des fonctions politiques, législatives ou judiciaires. D’autres statistiques montrent que des membres des forces de sécurité ont été jugés pour des violations des droits de l’homme, ce qui prouve que nul n’est au-dessus de la loi. D’autres encore témoignent de l’évolution dans les domaines de l’information et de la politique.

7.Bien entendu, la situation est loin d’être parfaite et des violations continuent de se produire. Mais l’important est de garantir l’efficacité des mécanismes mis en place pour combattre ces violations. En ce qui concerne le Darfour, la délégation tient à assurer le Comité que le Gouvernement s’acquitte de son obligation de protéger les civils et de lutter contre les violences faites aux femmes. Il a coopéré avec le Conseil des droits de l’homme et espère que la communauté internationale fera de même, au lieu de multiplier les confrontations stériles. C’est dans ce même esprit de coopération que le Gouvernement engage le dialogue avec le Comité, en étant convaincu que leurs liens s’en trouveront renforcés et que cela permettra d’améliorer l’application du Pacte au Soudan.

8.Le PRÉSIDENT invite la délégation à répondre aux 15 premières questions de la liste des points à traiter qui lui a été communiquée par le Comité.

9.M. ZAMRAWY (Soudan) va s’efforcer de préciser les réponses déjà fournies par son Gouvernement. En ce qui concerne la place du Pacte dans le droit interne, il convient de rappeler qu’en vertu du paragraphe 3 de l’article 27 de la Constitution provisoire de 2005, tout instrument international ratifié par le Soudan est incorporé à la deuxième partie de la Constitution et peut donc être invoqué devant les tribunaux. Toute loi nationale qui serait en conflit avec une de ces normes internationales serait donc jugée inconstitutionnelle. Toute personne qui s’estime atteinte dans ses droits constitutionnels peut saisir la Cour constitutionnelle, qui est l’organe compétent en matière de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par exemple, une requête en inconstitutionnalité a été présentée contre la loi de 2006 sur le travail bénévole, au motif que celle-ci violait le droit à la liberté d’association. Une autre a été présentée contre la condamnation à mort d’un mineur. La requête peut être soumise par l’intermédiaire d’un avocat ou d’un représentant légal, d’un groupe de personnes ou d’un parti politique. Le requérant doit payer l’équivalent de 50 dollars, puis de 1 000 dollars après l’acceptation de son recours, mais il peut obtenir une exonération des frais en vertu de l’article 19-6 de la loi portant création de la Cour constitutionnelle.

10.En ce qui concerne les questions relatives à la Commission des droits de l’homme du Sud‑Soudan, la personne la plus compétente pour y répondre est Mme Joy Kwafe, représentante du Gouvernement du Sud-Soudan, qui n’a pu être présente. Elle devrait cependant arriver ultérieurement et la délégation assure donc le Comité qu’il sera répondu à ces questions avant la fin de l’examen du rapport périodique.

11.Pour ce qui est des violations commises par les forces de sécurité, il faut savoir que, selon les lois applicables à la police et à l’armée, aucun membre de ces corps ne peut faire l’objet de poursuites sans la levée préalable de son immunité. La décision de lever l’immunité est prise par le Commandant en chef des forces armées, ou par le Ministère de l’intérieur dans le cas de la police. Cependant, en cas de refus, le ministère public peut faire appel de la décision conformément à la loi sur la Cour constitutionnelle. En outre, la levée de l’immunité n’est pas nécessaire s’il y a eu flagrant délit. Par conséquent, l’immunité dont jouissent les membres des forces de sécurité ne permet pas à ces derniers d’échapper à la justice, comme le montrent les statistiques très détaillées que le Gouvernement a rassemblées à l’intention du Comité.

12.La délégation soudanaise a communiqué au secrétariat des statistiques détaillées sur les condamnations et les peines qui ont été prononcées contre des agents des forces de la sécurité (documents sans cote, en anglais seulement). M. Zamrawy mentionne plusieurs cas (figurant dans les documents remis) de policiers et de militaires qui ont été reconnus coupables de meurtre ou d’assassinat dans différents États (Khartoum, Kordofan occidental, Sinnar, Al Qadarif, mer Rouge) et ont été condamnés à des peines de prison allant de six mois à quatre ans. En outre, les tribunaux ont ordonné l’indemnisation des victimes pour des montants allant de 2 à 30 millions (montant maximum prévu par la loi) de dinars. M. Zamrawy mentionne ensuite plusieurs cas de membres des forces armées déployées au Darfour qui ont été condamnés, en 2005 ou 2006, pour viol, pillage, ou vol à main armée à des peines allant de deux ans de prison et 50 coups de fouet à cinq ans de prison. Il cite également le cas d’un membre des forces armées et d’un policier qui ont été condamnés pour homicide à la peine de mort par pendaison.

13.M. KHEIR (Soudan) précise que la délégation soudanaise tient à la disposition du Comité la liste complète des agents des forces armées, de la sécurité nationale ou de la police qui ont été reconnus coupables de violations des droits de l’homme et condamnés entre 1990 et 2004. Il ajoute que cette liste est systématiquement transmise aux organisations s’occupant des droits de l’homme au soudan ainsi qu’aux Rapporteurs spéciaux concernés. Citant quelques cas tirés de la liste, M. Kheir indique que, dans une affaire, le policier incriminé a été acquitté. Un membre de la police pénitentiaire, qui avait été reconnu coupable de possession et de trafic de stupéfiants, a été condamné à deux ans de prison. Plusieurs agents de la sécurité nationale qui avaient été reconnus coupables de meurtre ont été condamnés à des peines de prison et au versement du «prix du sang».

14.Dans d’autres affaires mettant en cause neuf officiers des forces de la sécurité nationale, tous les accusés avaient été condamnés à mort. Cependant, la loi prévoit que les familles des victimes peuvent demander que le coupable ne soit pas exécuté mais verse le «prix du sang», qui équivaut à 30 000 à 40 000 dollars environ. Les familles ont accepté le «prix du sang» dans cinq cas et les quatre autres responsables des forces de sécurité ont été exécutés.

15.M. ZAMRAWY (Soudan) cite encore d’autres cas d’indemnisation des victimes de violation des droits de l’homme commises par des membres des forces de sécurité. Le montant des dommages‑intérêts versés aux ayants droit des victimes atteint entre 5 et 30 millions de dinars.

16.M. MATAR (Soudan), répondant à la question concernant l’amnistie générale qui a été proclamée en juin 2006 (question no 5), dit que cette décision constituait un premier pas dans la mise en œuvre de l’Accord de paix signé à Abuja. Il s’agissait d’amnistier les personnes qui avaient porté des armes au Darfour et avaient attaqué des membres des forces armées ou des civils; l’amnistie s’appliquait également à leurs complices. Les infractions visées par l’amnistie ne comprenaient pas les crimes de guerre au sens du droit international. La procédure d’amnistie a été simplifiée: les factions rebelles communiquent aux autorités les noms des personnes susceptibles de bénéficier de l’amnistie, et les autorités délivrent ensuite des attestations de grâce nominatives, signées par le président du parquet de la province concernée.

17.En ce qui concerne la coopération du Soudan avec la Cour pénale internationale, il est important de rappeler que le Soudan n’a pas signé le Statut de la Cour. Les autorités soudanaises considèrent que la résolution du Conseil de sécurité qui défère au Procureur de la Cour la situation au Darfour a un caractère politique et ne respecte pas le principe fondamental de la non‑discrimination, et elles invitent le Comité à s’abstenir d’entrer dans des considérations politiques. Elles considèrent que la Cour pénale internationale n’a pas une compétence inhérente pour les questions liées à la situation au Darfour, et qu’il s’agit d’une autorité complémentaire aux juridictions nationales. Même si le Conseil de sécurité lui a déféré la situation au Darfour, la Cour pénale internationale n’est pas compétente en la matière. En outre, elle ne peut pas être saisie si l’État concerné ne veut pas exercer sa compétence interne. La chambre de première instance de la Cour a passé outre à ce principe, en violation du droit international. De surcroît, la Cour pénale internationale a envoyé plusieurs délégations au Soudan pour constater l’action des autorités nationales, mais il n’en est pas tenu compte dans les décisions de la Cour. De même, les demandes d’arrestation aux fins de remise émanant de la Cour contreviennent aux principes de la coopération internationale énoncés aux chapitres IX et X du Statut et n’ont aucun fondement juridique. Qui plus est, elles privent les personnes mises en cause des garanties prévues au paragraphe 3 de l’article 20 et au paragraphe 2 de l’article 89 du Statut. M. Matar conclut sur ce point en soulignant que le Soudan entend exercer son droit souverain de poursuivre les auteurs d’infractions pénales sans discrimination aucune. Il entend également utiliser les procédures du droit coutumier en vigueur au Darfour comme la réconciliation, l’octroi d’une réparation entre tribus ou groupes ethniques, etc.

18.Répondant à propos de la mise en œuvre de l’Accord de paix global (question no 6), M. Matar indique qu’en reconnaissant le droit à l’autodétermination de la région du sud du Soudan, les autorités soudanaises ont considéré que les conditions étaient réunies pour que les habitants de cette région choisissent entre l’unité fédérale et la sécession, dans le cadre d’un référendum. Outre la formation d’un gouvernement du Sud‑Soudan, habilité à mettre en place des institutions régionales et qui sera représenté dans le Gouvernement fédéral, les autorités soudanaises ont pris trois mesures particulièrement importantes en faveur du droit à l’autodétermination de la région du sud. Premièrement, une commission a été chargée de déterminer le tracé de la frontière entre le nord et le sud du pays, en respectant le tracé de 1956 établi au lendemain de l’indépendance du Soudan. Les travaux de cette commission, composée d’experts du nord et du sud du pays, sont déjà bien avancés. En outre, les deux parties au Gouvernement d’union nationale ont pris ensemble des dispositions pour le règlement des questions liées à l’administration de la région d’Abyei, située à la limite du nord et du sud du pays. Deuxièmement, les autorités fédérales entendent œuvrer au retour des personnes déplacées du Sud‑Soudan, afin de faciliter le futur recensement démographique. Enfin, le Président de la République a décidé de créer un conseil du recensement démographique, qui devrait permettre en particulier le recensement de la population du nord du pays. On procède actuellement à un premier essai en préalable au recensement qui est prévu pour 2008.

19.M. KHEIR (Soudan) précise que la délégation soudanaise a remis au secrétariat un document d’une vingtaine de pages contenant un rapport de situation, établi à la fin de mai 2007, sur la mise en œuvre de l’Accord de paix global. Le Comité y trouvera des renseignements sur différentes questions touchant le nord comme le sud du Soudan.

20.M. MATAR (Soudan) indique, à propos de la non-discrimination, que l’article 63 de la loi de 1983 dispose que les terres sont remises aux familles et pas uniquement au mari, le cadastre étant tenu d’appliquer la loi selon laquelle la propriété foncière est partagée entre les époux. En cas de décès du mari, la femme et les enfants deviennent propriétaires de la totalité du bien. De même, une terre ne peut être vendue sans le consentement de l’épouse. Pour ce qui est de l’adultère, le Code pénal ne prévoit aucune différence de traitement entre l’homme et la femme car il emploie le terme de «personne». Le fait qu’une femme soit enceinte ne suffit pas à prouver qu’elle a commis le crime d’adultère. Si une femme affirme que sa grossesse est consécutive à un viol et qu’elle apporte des preuves de ce viol, le tribunal ne peut pas la juger pour adultère. Un accord a été conclu avec le groupe d’experts mis en place par le Conseil des droits de l’homme en vue d’organiser deux ateliers à Khartoum pour déterminer s’il existe une confusion quant aux moyens d’établir la preuve d’un adultère. Le Gouvernement a indiqué qu’il était prêt à modifier la loi si celle-ci risque de prêter à confusion.

21.La législation relative à la nationalité a été modifiée en 2005 de sorte qu’un nouveau-né peut maintenant avoir la nationalité de sa mère. Quant à la loi exigeant que le père ou le tuteur de la future épouse approuve le mariage, il s’agit en réalité d’une institution sociale qui existe dans bien d’autres pays et qui est destinée à garantir que les droits de la femme seront respectés après le mariage. La loi a été simplifiée au Soudan et prévoit que le mariage a lieu avec le consentement des deux époux, en présence de deux témoins et de deux personnes qui représentent chacun l’un des époux. Le père n’est donc pas le seul à pouvoir représenter la future épouse, puisqu’il s’agit en fait d’un représentant légal qui peut être un oncle, un parent, un voisin ou encore un ami, la loi n’apportant aucune précision à cet égard. En outre, la présence de ce représentant légal n’est pas une condition de la validité du mariage. Les futurs époux peuvent tous les deux exprimer leur consentement ou s’opposer au mariage devant un tribunal ou devant les autorités locales.

22.En ce qui concerne la liberté de déplacement des femmes, l’article 42 de la Constitution garantit à chaque citoyen la liberté de mouvement, le choix de son lieu de résidence et le droit de quitter le pays et d’y revenir. La loi sur les passeports et l’immigration prévoit ce droit sans discrimination. Le 13 novembre 2003, le Conseil des Ministres a adopté le décret n° 43 qui annule l’obligation pour la femme d’obtenir l’autorisation de son père ou de son tuteur pour effectuer tout déplacement.

23.M. ZAMRAWY (Soudan) précise, en ce qui concerne la propriété foncière et l’enregistrement des terres, que celles-ci sont soit achetées par une personne, homme ou femme, qui en devient le propriétaire et peut en disposer à sa guise, soit attribuées par l’État à des familles en échange d’une somme symbolique. Ces terres étaient à l’origine enregistrées au nom du mari mais, après de nombreuses plaintes, un décret a été pris interdisant au mari de disposer des terres sans le consentement de sa femme. Ce décret a ensuite été modifié et les terres attribuées sont désormais enregistrées au nom des deux époux. Cela étant, une personne célibataire ou veuve peut également se voir attribuer des terres qui seront enregistrées à son nom. L’idée selon laquelle une terre ne peut pas être enregistrée au nom d’une femme est donc erronée.

24.En ce qui concerne les statistiques sur les plaintes relatives aux allégations de crimes commis au Darfour et les suites données à ces plaintes et aux enquêtes, il faut rappeler que les faits en question ont commencé en 2003 dans cette région et que la situation en matière de sécurité s’est dégradée en 2004. Le Gouvernement a donc mis en place début 2005 une commission nationale d’enquête, composée notamment de juristes et de défenseurs des droits de l’homme et chargée de mener des enquêtes sur les plaintes pour violation du droit humanitaire international et du droit des droits de l’homme. Cette commission s’est rendue au Darfour afin d’y entendre des témoins puis a rédigé, et soumis au Président de la République, un rapport concluant que de graves violations du droit humanitaire international et du droit des droits de l’homme avaient été commises au Darfour. Étant donné que les éléments de preuve rassemblés par une commission d’établissement des faits ne sont pas recevables par un tribunal, la commission a recommandé qu’une commission d’enquête judiciaire soit créée. Celle-ci, qui est dirigée par un juge de la Cour suprême et comprend un autre juge et trois procureurs, a mené des enquêtes sur les événements qui se sont produits à Shattaya, Tawila, Kailek, El Fasher et Bourâm et dans d’autres régions. Elle a identifié 12 suspects et plus de 150 personnes ont été accusées. Deux membres des forces armées ont fait l’objet de poursuites pénales pour avoir commis des actes de torture et des plaintes ont été déposées contre des bandes qui opéraient au Darfour. La commission d’enquête a renvoyé plusieurs officiers des forces armées et membres des forces de défense populaire devant un tribunal pénal qui les a condamnés. Tous ont interjeté appel du jugement prononcé et les autorités compétentes examinent ces appels avant de les renvoyer devant une juridiction de deuxième instance.

25.Le Tribunal pénal spécial sur les événements au Darfour s’est prononcé sur neuf affaires et a condamné les auteurs à des peines allant de l’emprisonnement à la peine de mort. En ce qui concerne les violences contre les femmes, plus de 70 condamnations ont été prononcées. Le Tribunal pénal spécial d’El Fasher a également examiné plusieurs affaires et a condamné à mort plusieurs membres des forces armées. Dans le nord du Darfour, le Tribunal spécial a examiné 80 affaires de violences contre des femmes et prononcé quelque 70 condamnations, dont des peines d’emprisonnement. Dans certaines affaires, les accusés ont été relaxés faute de preuve. Il convient de rappeler que ces tribunaux spéciaux n’examinent que les affaires les plus graves telles que les vols à main armée, les violences contre des femmes, les incendies de villages, les attaques de civils.

26.En ce qui concerne la situation juridique et la relation avec la Cour pénale internationale, il est clair que nul ne doit échapper à la loi et tous ceux qui détiennent des preuves que des violences ont été commises sont tenus d’en faire état. Les procédures se poursuivront donc devant les tribunaux nationaux pour ce qui est des crimes commis au Darfour.

27.Mme ADULAZIZ (Soudan), à propos de la représentation des femmes, explique que la Constitution intérimaire du Soudan prévoit l’égalité des hommes et des femmes et garantit à tous les mêmes droits civils, politiques, économiques, culturels et sociaux, y compris le droit à l’égalité des salaires. L’État s’efforce donc de soutenir les droits des femmes et de lutter contre toute forme de discrimination et contre les pratiques portant atteinte à leur dignité. Il assure des soins de santé pour les femmes et les enfants et pour les femmes enceintes. Il soutient les droits de l’enfant tels que consacrés par les instruments régionaux et internationaux auxquels le Soudan est partie.

28.Près de la moitié (49 %) des femmes sont alphabétisées. Elles représentent 55 % des élèves du secondaire et 58 % des diplômés, et comptent pour 41 % des titulaires de postes élevés et pour 22 % des titulaires de postes administratifs. Elles représentent 19,7 % des membres du Conseil national et 8,6 % des ministres d’État. Enfin, elles occupent 6,8 % des postes dans les ministères nationaux. Le Soudan garantit aux femmes des postes dans le système judiciaire. Ainsi, six femmes siègent à la Cour suprême et 31 dans des cours d’appel. Au Ministère de la justice, plus de 35 % des conseillers sont des femmes, et ce, à tous les niveaux. Cela étant, elles constituent aussi 87 % de la main‑d’œuvre agricole.

29.M. ZAMRAWY (Soudan) dit que conformément à la loi de 1991, les infractions ci-après sont passibles de la peine capitale: provocation d’une guerre contre l’État (art. 51), espionnage contre le pays (art. 53), assassinat (art. 126 et 130), incitation de mineurs au suicide (art. 134), adultère (art. 120), rapport sexuel contre nature (art. 148), viol (art. 149), crimes d’honneur (art. 150) et trahison commise par un agent de l’État (art. 177).

30.Pour ce qui est de l’application de la peine de mort aux mineurs de moins de 18 ans, elle est expressément interdite par la Constitution intérimaire nationale, qui prévoit néanmoins des exceptions dans les cas de meurtre avec préméditation ou de crimes punis de mort en vertu de la charia (houdoud). Comme stipulé à l’article 5 de la Constitution intérimaire nationale, le fondement du droit dans les États du Nord du Soudan est la loi islamique (charia); or ce n’est pas le cas dans les États du Sud, d’où certaines différences entre les dispositions régissant l’application de la peine de mort aux mineurs de moins de 18 ans de la Constitution intérimaire nationale et celles de la Constitution intérimaire du Sud‑Soudan.

31.La peine de mort est exécutée par pendaison. Les personnes condamnées à mort en application des exceptions susmentionnées peuvent saisir la Cour constitutionnelle. La condamnation est maintenue si elle recueille l’aval de sept des neufs membres de la Cour constitutionnelle. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui en vertu de l’article 27 3) de la Constitution intérimaire nationale du Soudan, est un texte de valeur constitutionnelle, est à ce titre dûment pris en considération. Une affaire de condamnation à mort pour meurtre avec préméditation est actuellement pendante devant la Cour constitutionnelle. Le conseil du condamné avait formé un premier recours contre la condamnation en faisant valoir que son client avait moins de 18 ans au moment des faits. La cour d’appel l’a débouté, une commission médicale ayant démenti cette affirmation. La Cour constitutionnelle devrait rendre sa décision prochainement.

32.M. MATAR (Soudan), en réponse à la demande de statistiques sur les cas de violence à l’égard des femmes ayant donné lieu à des poursuites judiciaires (question no 10), invite le Comité à se référer aux statistiques détaillées qui lui ont été fournies par écrit. Conscient de l’ampleur des violences infligées aux femmes dans la région du Darfour en raison du conflit, le Gouvernement a lancé un plan d’action dans le cadre duquel des commissions de lutte contre la violence à l’égard des femmes ont été constituées dans les trois États du Darfour. Composées de représentants du Gouvernement, d’organisations non gouvernementales étrangères, d’organismes des Nations Unies et d’observateurs spécialisés dans le domaine des droits de l’homme, ces commissions ont pour mandat de recueillir les plaintes faisant état de violences contre les femmes, de les transmettre aux autorités judiciaires, et d’assister aux audiences. Grâce à elles, les femmes victimes de violences que la peur de représailles et la défiance à l’égard des services de police réduisaient auparavant au silence ont désormais une voix. Pour encourager les victimes à porter plainte, le plan d’action prévoit également une augmentation du nombre de femmes dans la police.

33.Le combat contre la violence à l’égard des femmes ne se limite pas à la province du Darfour mais est mené sur tout le territoire. Une cellule spéciale a été créée sous la tutelle du Ministère de la justice. Un décret récemment adopté permet aux femmes victimes de violences de bénéficier d’un accès direct aux soins médicaux dont elles ont besoin alors qu’auparavant, elles devaient remplir certaines conditions préalables pour pouvoir se faire soigner. Les hôpitaux privés et les unités médicales d’organisations non gouvernementales ou d’organismes des Nations Unies présents sur le terrain sont désormais autorisés à accueillir ces femmes, ce qui leur était interdit auparavant. Un important travail est mené pour renforcer la coopération entre l’État, les médias et les autorités religieuses de manière à lutter sur tous les fronts contre la violence à l’égard des femmes. Par exemple, de vastes campagnes d’information sur la nécessité de punir les auteurs de violences contre les femmes, y compris lorsqu’il s’agit d’agents de l’État, ont été relayées par les trois chaînes de télévision nationales et des publications sur ce thème devraient prochainement être diffusées. La cellule spéciale au sein du Ministère de la justice a de son côté mis au point des modules de formation à l’intention des magistrats, de la police et des militaires.

34.Toutes ces mesures ont contribué à faire reculer considérablement la violence contre les femmes, en particulier dans la région du Darfour. Le Gouvernement soudanais est fermement décidé à poursuivre son action dans ce domaine, notamment en mettant tout en œuvre pour que les auteurs de telles violences, quels qu’ils soient, ne restent pas impunis.

35.M. ZAMRAWY (Soudan), abordant la question des mesures prises pour lutter contre les mutilations génitales féminines, rappelle que la pratique de l’excision est une tradition très ancienne qui n’est pas propre au Soudan mais est commune à de nombreux pays d’Afrique. Le Gouvernement, conscient des conséquences désastreuses de cette pratique pour les fillettes qui en sont victimes, a entrepris de lutter activement contre elle. Il se conforme en cela à l’article 32 3) de la Constitution nationale intérimaire, qui fait obligation à l’État de lutter contre les traditions qui portent atteinte à la dignité des femmes, et à l’article 32 5), en vertu duquel il est tenu de protéger les droits des enfants conformément aux traités internationaux et régionaux qu’il a ratifiés. Par ailleurs, en vertu du Code pénal, l’excision relève de l’infraction de coups et blessures et peut à ce titre entraîner des sanctions.

36.De nombreuses campagnes d’information, séminaires et autres initiatives de sensibilisation dénonçant l’excision ont été menés à bien par des organisations de la société civile avec le soutien du Gouvernement. Le Conseil de l’ordre des médecins a lui aussi pris position en publiant une décision interdisant aux médecins et au personnel médical de pratiquer des excisions. Il est utile de rappeler que dans le passé, la pratique de l’excision par des médecins était parfois encouragée, dans l’intérêt de la santé des fillettes. Le Conseil de la religion islamique a de son côté publié une fatwa interdisant catégoriquement l’excision. Enfin, la question de la lutte contre l’excision a été incorporée dans le cursus de formation des sages‑femmes ainsi que dans celui d’autres professions médicales. Le nombre d’excisions a considérablement diminué, en particulier dans les capitales. Le Gouvernement entend néanmoins prendre d’autres mesures pour intensifier la lutte contre cette pratique, notamment en renforçant la coopération entre l’État, les organisations de la société civile et les organisations internationales.

37.Concernant les allégations faisant état de la persistance de violations graves perpétrées par des milices au Darfour avec la complicité active ou passive des autorités (question no 12), M. Zamrawy juge utile de rappeler brièvement le contexte dans lequel le conflit a éclaté. Les hostilités sont nées d’un conflit d’intérêts entre les tribus pastorales nomades et les tribus paysannes sédentaires, attisé par la raréfaction des ressources en eau et en pâturages due à la sécheresse. Il ne s’agit pas de prétendre que c’est là l’unique cause du conflit, mais c’en est l’une des causes fondamentales. D’autres facteurs ont contribué à aggraver l’instabilité dans la région: importants flux d’armements en provenance des États voisins, faible niveau de développement, insuffisance des infrastructures, isolement des populations … etc.

38.La présence de milices armées au Darfour est un fait avéré. Certaines d’entre elles représentent les tribus pastorales, d’autres les tribus paysannes. Les Janjawids constituent un groupe à part, qui se compose de membres des deux catégories de tribus. Quoique leurs motivations diffèrent, ces groupes armés ont effectivement été à l’origine d’incidents tragiques: incendies de villages, massacres de civils, pillages des récoltes, etc. Des enquêtes ont été menées au sujet des événements survenus en 2003 et en 2004, au plus fort du conflit. Certaines se poursuivent; d’autres sont terminées. Certains des suspects ayant été jugés ont fait appel; la procédure est en cours.

39.Les allégations de complicité des autorités sont infondées. D’aucuns se demandent pourquoi les enquêtes et les procédures judiciaires prennent autant de temps. Il faut bien comprendre que l’insécurité ambiante, l’absence d’infrastructures de base (routes, moyens de communications, etc.), la réticence des rescapés à témoigner, sans oublier l’étendue du territoire à couvrir sont autant de difficultés qui ralentissent les travaux des commissions d’enquêtes. En outre, certains membres des milices se cachent hors du territoire relevant de la juridiction de l’État soudanais, ce qui explique que certaines poursuites n’aient pas abouti. L’État reste néanmoins déterminé à tout mettre en œuvre pour que les coupables ne restent pas impunis. Il espère que la poursuite de la coopération avec les forces déployées par l’ONU et l’Union africaine permettra de rétablir le calme nécessaire à l’accomplissement de la justice.

40.M. MATAR (Soudan), répondant à la question no 13, relative aux mesures prises contre les tortures et mauvais traitements qui seraient infligés par des membres des forces de sécurité nationale lors d’arrestations et de détentions, indique que l’article 33 de la Constitution nationale intérimaire interdit expressément la torture et les traitements dégradants. Des violations de cette disposition persistent néanmoins, et doivent être réprimées. À cette fin, l’interdiction de la torture et la responsabilité pénale des auteurs d’actes de torture seront clairement stipulées dans les nouvelles lois sur la police, l’armée et la sécurité, actuellement en cours d’élaboration. Il est essentiel de légiférer de manière que les coupables ne puissent se prévaloir d’aucune immunité. Plusieurs affaires de torture impliquant des membres de l’armée et de la police ont abouti à la condamnation des inculpés, les peines prononcées allant de l’emprisonnement à la peine capitale. Par ailleurs, le Soudan s’est engagé auprès du groupe d’experts désigné par le Conseil des droits de l’homme à faire en sorte que toutes les instructions officielles émanant de l’armée ou de la police comportent des dispositions interdisant expressément la torture et engageant la responsabilité pénale de tout agent qui se rendrait coupable d’actes de torture.

41.L’État soudanais envisage sérieusement d’adhérer à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et ce, sans aucune réserve. Il est prêt à reconnaître la compétence du Comité contre la torture concernant la conduite d’enquêtes sur son territoire. En outre, un projet de loi portant création d’un organe chargé de recevoir les plaintes faisant état d’actes de torture est actuellement à l’étude au Parlement.

42.Le PRÉSIDENT remercie la délégation soudanaise pour les réponses très détaillées qu’elle a fournies au Comité. Il déplore néanmoins que les réponses écrites n’aient pas pu être fournies dans les langues du Comité. Rappelant qu’un temps de parole suffisant doit être ménagé aux membres du Comité pour poser des questions complémentaires, il engage la délégation à se montrer plus concise à la séance suivante.

43. La délégation soudanaise se retire.

La séance est levée à 18 heures.

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