NATIONS UNIES

CCPR

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.245925 février 2008

FRANÇAISOriginal: ANGLAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre-vingt-dixième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 2459e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le jeudi 12 juillet 2007, à 10 heures

Président: M. RIVAS POSADA

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Troisième rapport périodique du Soudan (suite)

La séance est ouverte à 10 h 05.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (suite)

Troisième rapport périodique du Soudan (suite) (CCPR/C/SDN/3; CCPR/C/SDN/Q/3)

Sur l’invitation du Président, les membres de la délégation soudanaise reprennent place à la table du Comité.

M. ZAMRAWY (Soudan), répondant à la question no 14 de la liste des points à traiter (CCPR/C/SDN/Q/3), dit que l’enlèvement est une pratique tribale ancienne courante dans les conflits locaux. L’autorisation donnée aux personnes enlevées de retourner dans leur village et leur famille entraîne la réconciliation tribale et le règlement des conflits. Avec l’interminable guerre civile au Sud-Soudan et les affrontements entre tribus des zones frontières les enlèvements se sont multipliés. Le Gouvernement soudanais, conscient des menaces qui pèsent sur les victimes et soucieux de créer des conditions de nature à favoriser la paix tribale dans ces régions, a créé le Comité pour l’éradication des enlèvements de femmes et d’enfants (CERFE) en mai 1999. Ce comité est chargé de rechercher les personnes victimes d’enlèvement et de rassembler des informations sur leur cas, pour que les mesures juridiques nécessaires puissent être prises en vue de garantir leur retour dans leurs familles. Il est présidé par l’ex-Sous‑Secrétaire à la justice et se compose de représentants d’institutions gouvernementales, d’organisations de la société civile, d’associations de femmes et de chefs tribaux. Les membres du Comité, en particulier les représentants du Gouvernement, avaient au départ exprimé le souhait que des mesures juridiques soient prises contre les ravisseurs mais les chefs tribaux ont recommandé de ne recourir à ce genre de mesures qu’en dernier ressort. Ils estiment qu’il convient de privilégier le dialogue car des mesures juridiques risquent d’entraîner des représailles contre les victimes et la disparition d’éléments prouvant les éventuelles infractions commises. En 2002, le rôle et les ressources du Comité ont été accrus et à ses membres sont venus s’adjoindre un certain nombre de représentants d’ONG et d’organisations internationales.

Entre 1999 et 2004, le CERFE a recueilli des informations sur 1 842 cas d’enlèvement dans des régions habitées par des tribus et permis le retour de 1 496 personnes enlevées à leurs familles. Entre mars 2004 et novembre 2006, des informations ont été recueillies concernant 11 237 cas d’enlèvement. Cette augmentation peut être attribuée à la signature d’un accord de paix global qui a facilité les déplacements à l’intérieur du pays et a également encouragé davantage de victimes à signaler leur enlèvement aux autorités locales. Au cours de cette période, le CERFE a permis le retour dans leur famille de 3 398 personnes enlevées et ses efforts se poursuivent. L’accord de paix ayant facilité les déplacements dans le pays à la recherche des ravisseurs, le problème a commencé à perdre de son ampleur.

Les peines infligées pour ce type de pratiques sont clairement définies dans le Code pénal de 1991: l’incitation (art. 161) est passible d’une peine de sept ans d’emprisonnement assortie éventuellement d’une amende ou de l’obligation d’indemniser la victime; l’enlèvement (art. 162) est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement et/ou d’une d’amende; l’esclavage (art. 163) d’une peine d’un an de prison et la détention illégale (art. 164) d’une peine pouvant aller jusqu’à trois mois d’emprisonnement et/ou d’une amende.

M. MONIM OSMAN (Soudan), répondant à la question no 15, souligne que les forces armées soudanaises ne comptent pas d’enfants dans leurs rangs. L’âge minimum légal d’enrôlement est de 18 ans. Le problème s’est posé à la suite de l’accord de paix global, lorsque de nombreuses factions en guerre au Sud‑Soudan, telles que les «forces amies», ont rejoint les forces armées soudanaises. Dans ces forces, il y a de nombreux enfants qui, soit participent directement aux opérations militaires soit accomplissent des tâches de soutien pour les forces armées. La guerre qui se déroule actuellement au Darfour a produit des phénomènes analogues avec la participation d’enfants. Au début du conflit notamment, des membres des factions en guerre pénétraient dans les camps de personnes déplacées, en particulier les camps de réfugiés au Tchad, pour enlever des enfants et les enrôler comme soldats. Après la signature de l’Accord d’Abuja et de l’Accord de paix global, prévoyant le désarmement ainsi que la démobilisation des enfants et leur réintégration au sein de leurs communautés après le retour à la paix, deux autorités chargées du désarmement ont été créées: l’Autorité chargée du désarmement, de la démobilisation et de la réintégration (DDR), dans le Nord-Soudan, et une autre autorité dans le Sud-Soudan, conformément à un décret républicain de 2006. L’autorité mise en place dans le Nord-Soudan, composée de militaires et de représentants de plusieurs ministères, a estimé le nombre d’enfants de moins de 18 ans participant à des opérations militaires à 7 000, dont 3 000 étaient recrutés par les «forces amies».

L’UNICEF participe au processus de démobilisation et de réintégration sociale des enfants et des contacts ont été pris avec la délégation du Comité international de la Croix‑Rouge à Khartoum pour l’associer au processus et, notamment, aux efforts axés sur le retour des enfants soldats dans leurs familles. Concrètement, un certain nombre d’enfants ont déjà été ramenés dans leurs provinces respectives: 24 dans la province de Gadarif, 16 dans celle de Khartoum et d’autres encore dans le Darfour et dans l’est du Soudan. L’autorité chargée du désarmement, de la démobilisation et de la réintégration a organisé des ateliers d’information à l’intention des parties belligérantes ayant signé les accords de paix, insistant sur le fait que l’enrôlement d’enfants viole les droits de l’homme et les principes du droit humanitaire et constitue un crime de guerre. Des ateliers ont également été organisés à l’intention des responsables de l’information dans la plupart des régions touchées. Une réunion importante a eu lieu entre les dirigeants de l’autorité chargée du désarmement, de la démobilisation et de la réintégration et certains chefs tribaux du Darfour dans le but de faire avancer le processus.

De nombreux problèmes perdurent néanmoins, en raison notamment de la poursuite du conflit armé au Darfour, où des tribus refusent de débattre de la question du désarmement des enfants. Bien que les affrontements entre les factions au Sud-Soudan, qui sont un obstacle majeur au processus, se poursuivent, l’autorité chargée du désarmement, de la démobilisation et de la réintégration a obtenu des résultats importants. L’arrivée récente des Forces orientales d’Érythrée au Soudan a retardé les enquêtes sur l’enrôlement d’enfants au Sud-Soudan, empêchant ainsi un suivi effectif de la situation. M. Monim Osman réaffirme toutefois que le Gouvernement soudanais est résolu à mettre fin au problème de l’enrôlement d’enfants.

M. AMOR remercie la délégation soudanaise pour les statistiques très utiles qu’il a fournies dans ses réponses écrites et pour les informations relatives à la mise en œuvre de l’Accord de paix global et de la loi sur les parties politiques. Il se félicite des faits nouveaux importants survenus dans le domaine des droits de l’homme au Soudan depuis la présentation du deuxième rapport périodique en 1997, y compris les efforts déployés pour instaurer la paix dans le sud et développer la Constitution. Des efforts importants ont été faits également concernant la protection des femmes, bien que beaucoup reste à faire. Les agressions commises par la police et les forces armées, en particulier au Darfour, exigent aussi des mesures résolues. Un dialogue a été entamé sur la façon dont le Pacte pourrait être appliqué en ce qui concerne le rôle du pouvoir judiciaire, l’enlèvement de femmes et d’enfants et l’enrôlement d’enfants dans l’armée.

Se reportant à la question no 1, M. Amor demande des précisions complémentaires sur certains points constitutionnels et juridiques. Il demande si le Pacte a valeur constitutionnelle, la délégation ayant déclaré que des articles du Pacte avaient été invoqués devant des tribunaux ordinaires et devant la Cour constitutionnelle, conformément à l’article 27 de la Constitution. En fait, une constitution intérimaire étant actuellement en vigueur, il se demande si une révision de la Constitution pourrait être envisagée pour la rendre conforme au Pacte. Elle pourrait en même temps appeler l’attention sur certains aspects de la législation nationale concernant, entre autres, l’application des sanctions islamiques, le statut du personnel et la torture. Existe-t-il au sein du Ministère de la justice des comités qui s’efforcent de rendre la Constitution compatible avec le Pacte?

À propos de la question no 4, M. Amor aborde la question des crimes graves commis par toutes les parties présentes au Darfour et des enquêtes y relatives. Les limites de ces enquêtes sont devenues très évidentes. Il demande à la délégation de fournir plus de détails au sujet des violations dont les femmes sont victimes, y compris les cas qui ont été négligés ou qui n’ont pas fait l’objet d’enquêtes. Le fait est que la question se pose de savoir si le Soudan a la capacité matérielle et judiciaire de lutter contre ces atrocités. Il est fréquent d’entendre dire que des victimes ou des témoins se gardent souvent de déposer plainte ou de faire des dépositions par crainte des conséquences; il demande des éclaircissements à ce sujet.

Tout en notant qu’un véritable processus de paix est en cours (question no 6), M. Amor se demande si les mesures prises, y compris la compilation de statistiques, seront suffisantes pour que le référendum dont il est question à l’article 222 de la Constitution intérimaire puisse avoir lieu dans les délais prévus.

La violence contre les femmes est quotidienne au Darfour et, aux dires de la délégation elle‑même, les victimes n’ont pas confiance dans la police soudanaise et craignent de signaler les agressions dont elles sont victimes. Les personnes soupçonnées d’avoir participé à des actes de violence contre des femmes se sont apparemment vu accorder l’immunité de poursuite. M. Amor se demande si une situation inquiétante comme celle‑ci doit être attribuée uniquement au manque de protection juridique des femmes ou aussi à la tendance dans la société à considérer les femmes comme étant inférieures aux hommes, une attitude fondée sur la tradition et la croyance religieuse. Tout État a le devoir de faire évoluer les mentalités et de faire en sorte que les membres des deux sexes jouissent de droits égaux, y compris le droit d’être protégé contre la violence. M. Amor demande s’il existe un véritable mouvement culturel et intellectuel au Soudan pour susciter ce type de changement social.

Il reconnaît que des attaques directes contre les croyances religieuses et culturelles peuvent être plus néfastes que bénéfiques car elles sont souvent davantage source de protestations que de solutions. Toutefois, il convient de dire clairement que ce ne sont pas seulement les obstacles juridiques qui n’empêchent pas les femmes de jouir d’une pleine protection. M. Amor demande des détails sur les lois éventuelles qui sont discriminatoires envers les femmes.

Le Gouvernement soudanais a manifesté la volonté politique de réformer sa législation et de la rendre conforme au Pacte. Il est donc important que le Comité et la délégation soudanaise engagent un dialogue ouvert sur la base d’explications approfondies.

Mme WEDGWOOD constate que, dans les statistiques fournies par l’État partie concernant les plaintes déposées, les procédures, les condamnations et les peines prononcées contre des membres de la police et des forces de sécurité, il n’est pas fait mention d’affaires impliquant des fonctionnaires de rang supérieur. Étant donné le principe, reconnu au niveau international, de la responsabilité du supérieur hiérarchique, elle trouve cela surprenant. Elle demande si le Gouvernement enquête ou a l’intention d’enquêter sur d’éventuelles affaires impliquant des fonctionnaires de rang supérieur.

Il semble que le Ministre de l’intérieur soit seul à avoir certains pouvoirs concernant l’immunité des auteurs présumés d’infractions pénales. Ceci confère trop de pouvoir à un seul membre du Gouvernement et elle souhaiterait savoir s’il est prévu de rendre le processus plus transparent.

Mme Wedgwood demande des précisions au sujet de la pratique de la diyya, pour que les membres du Comité puissent juger de l’équilibre trouvé entre les traditions nationales ou locales et le respect du droit international humanitaire, en particulier le Pacte. Elle estime que la question de la justice dans les affaires de violation des droits de l’homme va au-delà des règlements privés et relève du domaine public.

Elle invite instamment le Gouvernement à agir de manière responsable et à empêcher les représailles au Darfour après la signature des accords de paix. Elle demande ce qui empêche le Tribunal spécial sur les événements au Darfour d’organiser les procès qu’il a été créé pour organiser. Dans sa résolution 1593 (2005), le Conseil de sécurité a encore insisté sur le devoir qui incombe au Soudan d’enquêter sur les événements au Darfour en déférant au Procureur de la Cour pénale internationale la situation dans cette région.

En vertu du droit international, il est interdit aux États de financer ou de fournir du matériel pour des actes de guerre destructeurs visant des populations civiles. Selon certaines informations, non seulement le Gouvernement soudanais a fait cela mais les forces armées soudanaises ont été impliquées directement et indirectement dans des attaques de ce type. Mme Wedgwood demande à la délégation de commenter les allégations faisant état de l’appui apporté par le Gouvernement à ces actes illégaux.

Il appartient à tous les Etats Membres de l’ONU, qu’ils reconnaissent ou non la Cour pénale internationale, de garantir que tous les témoins faisant des dépositions au sujet des événements examinés par la Cour puissent être interrogés en toute sécurité. D’autre part, les membres du Gouvernement soudanais accusés d’avoir commis des actes graves au Darfour devraient être déchargés de leurs fonctions ministérielles pour que leur cas puisse être examiné. Mme Wedgwood fait référence en particulier à la responsabilité présumée de M. Ahmed Haroun, l’actuel Ministre des affaires humanitaires.

Mme CHANET dit que, étant donné les très graves violations des droits de l’homme commises au Darfour, le Soudan doit non seulement avoir la volonté de traduire les coupables en justice mais aussi la capacité concrète et juridique de le faire. Elle rappelle que le Gouvernement soudanais a rejeté comme ayant un caractère politique la résolution dans laquelle le Conseil de sécurité a déféré la situation au Darfour au Procureur de la Cour pénale internationale. Or les autorités soudanaises ont reconnu elles‑mêmes que les tribunaux du pays n’étaient pas en mesure de faire face à la situation. Apparemment, de nombreuses personnes ont été inculpées mais elle aimerait connaître le nombre exact de celles qui ont été jugées et condamnées par les tribunaux soudanais, y compris le Tribunal pénal spécial sur les événements au Darfour. Elle demande à la délégation de commenter le fait que, dans un rapport du Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies établi en 2006, les tribunaux soudanais, constitués pour juger d’affaires en rapport avec le Darfour, ont été décrits comme étant inefficaces. Elle demande des détails concernant les lois éventuelles en vertu desquelles des suspects peuvent être jugés pour génocide, crimes de guerre ou crimes contre l’humanité. Quelles procédures suivent les tribunaux et les droits consacrés par le Pacte sont‑ils garantis?

À propos de la pratique de la diyya, Mme Chanet demande combien de ces crimes sont commis avec la participation de membres de la police et des forces armées; cette participation serait particulièrement inappropriée.

Un autre exemple de l’incapacité matérielle et juridique du Gouvernement de garantir que les affaires de violation des droits de l’homme soient dûment jugées réside dans l’ambiguïté de la législation concernant les amnisties. Dans un rapport de l’ONU, il est fait référence à un règlement à l’amiable, conclu en vertu de cette législation, dont a fait l’objet un enfant de 13 ans torturé à mort dans le Nord-Darfour. Une compensation financière a été versée à sa famille et personne n’a été jugé. Elle invite la délégation à commenter ce point.

Mme Chanet se félicite de la modification apportée à la loi qui permet aux femmes de transmettre la nationalité soudanaise à leurs enfants. En revanche, elle demande des explications concernant le fait que, bien que les femmes puissent désormais circuler librement, les femmes mariées ou mineures soient tenues d’informer leur mari ou leur tuteur de leurs déplacements. Elle demande si les femmes doivent toujours obtenir l’autorisation de leur père ou d’un oncle pour se marier et pourquoi il est beaucoup plus difficile pour une femme que pour un homme d’obtenir le divorce. Les membres du Comité souhaiteraient que la délégation leur fasse part de ses commentaires au sujet du taux élevé d’analphabétisme parmi les femmes soudanaises, bien qu’une baisse ait été enregistrée ces dernières années. Le Gouvernement soudanais a reconnu que les mutilations génitales féminines étaient inacceptables mais, en plus d’interdire cette pratique, il devrait aussi mener une campagne de sensibilisation auprès de la population dans son ensemble. Même si leur nombre a baissé, beaucoup de jeunes filles continuent d’être mutilées et sont souvent l’objet de mutilations génitales féminines de type III selon la classification de l’Organisation mondiale de la santé. Mme Chanet invite le Gouvernement soudanais à abolir complètement cette pratique scandaleuse.

M. KÄLIN dit que la lenteur de la mise en œuvre des mesures visant à démobiliser tous les enfants du Soudan suscite des préoccupations de toutes parts. Des ateliers ont été organisés dans le cadre du Programme pour le désarmement, la démobilisation et la réintégration mais il se demande comment le Gouvernement fait en sorte que le personnel travaillant sur le terrain ait une expérience dans le domaine de la protection des enfants.

Le rapport de l’État partie met essentiellement l’accent sur les causes complexes du conflit au Darfour et ne donne que peu d’informations sur les milices. Or des dizaines ou des centaines de milliers de morts ainsi que des destructions massives et un nombre très élevé de personnes déplacées seraient la conséquence directe ou indirecte de ce conflit. Il semblerait que les forces gouvernementales aient, d’une manière ou d’une autre, soutenu les milices progouvernementales ou n’auraient pas réagi lorsqu’elles attaquaient des civils. Le Comité tient à être informé des conclusions de toute enquête officielle qui aurait été menée sur le rôle direct ou indirect joué par des sympathisants du Gouvernement dans le conflit. La délégation devra expliquer comment ce rôle peut se concilier avec le devoir de protection de l’État envers tous les citoyens. M. Kälin voudrait savoir ce que fait le Gouvernement pour éviter que les événements qui se sont produits au Darfour ne se reproduisent. Il demande ce que le Gouvernement a fait, fait ou a l’intention de faire pour désarmer les milices. Il a créé des commissions et des ateliers mais les progrès dans le sens d’un désarmement sur le terrain sont lents. Il demande à la délégation de fournir des explications.

M. O’FLAHERTY félicite le Gouvernement d’avoir inclus des dispositions interdisant la torture dans la Constitution intérimaire. Il semble disposé par ailleurs à ratifier la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, sans réserves autres que celles qui ont trait à la charia islamique. Il espère que cela sera fait bientôt. La volonté exprimée par le Gouvernement d’interdire la torture doit donner lieu à des dispositions intégrées dans le droit interne, en particulier dans la législation régissant les activités de la police et des forces armées. Jusqu’à présent, ce processus s’est révélé lent. Dans son rapport de 2006, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Soudan a invité instamment le Gouvernement à accélérer le processus de modification des lois sur ce sujet. Étant donné que la définition de la torture qui figure dans le Pacte et celle qui figure dans la Convention contre la torture ont un contenu légèrement différent, il faudra que la définition adoptée dans la législation soudanaise tienne compte de celle qui est donnée dans les deux instruments.

L’État partie devra indiquer si l’annulation des dispositions relatives au régime d’immunité actuellement en vigueur et incompatible avec l’interdiction de la torture énoncée dans la Constitution intérimaire est prévue dans le cadre des réformes législatives annoncées. En particulier, l’article 26 de la loi de 1999 sur les forces de police, le décret pénal no 3/1995, les dispositions pertinentes de la loi de 1986 sur les forces armées populaires qui concernent le procès des personnes accusées et les dispositions pertinentes de la loi de 1999 sur la sécurité nationale devraient être supprimés.

Bien que l’État partie ait affirmé que les tribunaux nationaux traitaient efficacement les allégations de torture, les statistiques montrent que seul un petit nombre de suspects font l’objet de poursuites. Par ailleurs, les meurtres et homicides involontaires résultant de tortures sont apparemment punis de peines relativement légères, souvent l’emprisonnement pour une courte durée ou une amende. Étant donné la gravité de ces crimes, M. O’Flaherty s’interroge sur la compatibilité du régime actuel des peines avec le Pacte.

Diverses sources, y compris les rapports du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Soudan, font état de tortures et de violences systématiques et persistantes infligées aux détenus par les membres des forces de sécurité de l’État partie. Par ailleurs, des ONG ont rapporté récemment que des journalistes auraient été placés en détention et maltraités, notamment lors de manifestations contre la construction du barrage de Kajbar. Il demande si l’État partie prend toutes les mesures nécessaires pour éliminer totalement la torture et traduire les coupables en justice en attendant l’entrée en vigueur de la législation pertinente.

M. O’Flaherty demande un complément d’information au sujet du nombre de personnes enlevées au Soudan. D’après le rapport de l’État partie et d’autres sources, il y a quelque 8 000 cas enregistrés mais il semble qu’en réalité le nombre de ces personnes soit beaucoup plus élevé. D’après des informations diffusées par les médias en février 2006, il pourrait y avoir au moins 40 000 personnes enlevées dans le Nord-Soudan. Le Comité pour l’éradication des enlèvements de femmes et d’enfants a été vivement critiqué et, en 2003, le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme au Soudan a cité des sources le décrivant comme «tout à fait défaillant». À l’époque, le Rapporteur spécial s’est plaint du manque de soutien apporté par le Gouvernement aux travaux du Comité. La délégation est invitée à faire des commentaires au sujet des allégations selon lesquelles l’efficacité du Comité est entravée par un manque de fonds et ses activités opérationnelles sont limitées aux régions de l’ouest du Kordofan et du sud du Darfour depuis 2002, bien que le problème s’étende bien au-delà.

Sir Nigel RODLEY dit que les progrès sur la voie de la paix et de l’éventuelle autodétermination de la région du Darfour faciliteront certainement l’exercice des droits de l’homme à long terme. Toutefois, plusieurs questions, y compris celle de l’impunité, nécessitent que des mesures soient prises d’urgence. On voit mal, d’après les mesures décrites, dans quelle mesure le Gouvernement soudanais est disposé à traduire en justice les responsables des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du génocide. La plupart des cas cités ne concernent pas des incidents majeurs. Sir Nigel Rodley demande où en sont les procédures engagées contre Ali Kushayb et si des enquêtes ont été entreprises concernant les allégations de fond dirigées contre Ahmed Mohammed Haroun, ancien Ministre de l’intérieur et actuel Ministre des affaires humanitaires.

Sir Nigel Rodley se félicite d’apprendre que l’État partie a pris l’engagement, attendu depuis longtemps, d’apporter à la loi les modifications qui faciliteront la ratification de la Convention contre la torture. Cependant, modifier la loi sur l’immunité accordée aux fonctionnaires, en particulier le personnel chargé de la sécurité nationale, ou renforcer les limites fixées par la loi, est très insuffisant. Il faut que des mesures soient prises pour empêcher la torture. La détention de suspects pour des périodes allant jusqu’à neuf mois en vertu d’un décret, sans qu’ils aient la possibilité de communiquer avec l’extérieur si cela est jugé nécessaire aux fins de l’enquête, est la porte ouverte à la torture et aux violences. La question doit être examinée d’urgence dans le contexte des réformes législatives à venir.

Les réserves à la ratification de la Convention contre la torture émises par l’État partie au sujet de la définition de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants sont sans conséquence pour ce qui est des obligations qui lui incombent en vertu du Pacte. En ce qui concerne l’interprétation de la charia par l’État partie, Sir Nigel Rodley trouve assez stupéfiant que l’esclavage et la détention illégale entraînent des peines relativement légères, comme l’emprisonnement de courte durée ou une amende, tandis que l’adultère, la consommation ou la distillation d’alcool, le changement de religion et le viol sont des infractions qui peuvent entraîner la flagellation, des amputations ou même la mort. Il ne veut pas du tout donner à penser que les crimes graves devraient être punis de la peine capitale; l’imposition de la peine de mort, la flagellation ou des châtiments analogues dans le contexte de la protection des droits de l’homme sont tout à fait inappropriés. Il n’est pas convaincu que l’échelle de valeur dont témoigne ce genre de législation soit compatible avec les principes fondamentaux du Pacte. La délégation est invitée à donner des exemples précis dans lesquels les auteurs d’actes de torture ont été condamnés à une peine comprise entre trois et dix ans d’emprisonnement, ainsi que le prévoit la législation.

Il semble que les crimes commis par des membres de la police ou les forces armées donnent souvent lieu pour tout règlement au versement du prix du sang. Sir Nigel Rodley s’interroge sur l’origine des sommes souvent considérables versées aux familles des victimes et sur les garanties qui existent pour empêcher que les victimes ne soient contraintes d’accepter le prix du sang. Des dispositions séparées devraient être adoptées pour les crimes commis par des agents de l’État qui normalement devraient donner lieu au versement du prix du sang; dans ce type de cas, le crime ne devrait plus être traité comme une affaire à régler entre deux familles seulement.

Il est regrettable que la Constitution intérimaire ne prenne pas en compte les normes internationales relatives aux droits de l’homme. La délégation est invitée à expliquer comment les tribunaux soudanais pourraient interpréter les dispositions du Pacte qui concernent la Constitution et la législation de l’État partie. La Cour constitutionnelle est actuellement saisie d’une affaire ayant trait à l’imposition de la peine de mort à un mineur. Il a été suggéré à la Cour d’annuler la condamnation en se fondant sur les dispositions du Pacte, bien que la Constitution intérimaire ne prévoit cette peine qu’à condition qu’elle ne soit exécutée qu’après que le mineur a atteint l’âge de 18 ans. Il demande à la délégation de faire part de ses commentaires à ce sujet.

La séance est suspendue à 11 h 45 et reprend à 12 h 05.

M. ZAMRAWY (Soudan) explique que les dispositions de la Constitution intérimaire seront revues à la lumière des résultats du référendum sur l’autodétermination du Sud‑Soudan. Tout changement à la structure fédérale actuelle du pays résultant du référendum devra être pris en compte dans la Constitution. Toutefois, aucun des amendements pris n’affectera les droits et libertés constitutionnels.

Bien qu’il faille certainement réviser certaines dispositions de la législation soudanaise, il n’y a pas d’incompatibilité fondamentale avec le Pacte. La flagellation, par exemple, est une forme de châtiment légal au Soudan qui, en tant que tel, n’est pas incompatible avec le Pacte.

Sur les crimes perpétrés au Darfour, les autorités judiciaires mènent des enquêtes approfondies. Les tribunaux spéciaux n’ont compétence que pour juger des affaires très spécifiques dont ils sont saisis par des commissions d’enquête internationales ou locales; toutes les affaires qui leur ont été soumises ont été réglées. La complexité de la situation sur le plan de la sécurité, l’insuffisance des infrastructures et les déplacements massifs de populations rendent souvent extrêmement difficile de localiser les témoins et de recueillir des données. En outre, de nombreux crimes sont commis dans des zones contrôlées par les rebelles auxquelles les forces gouvernementales n’ont qu’un accès limité. Par contre, il n’y a pas d’obstacle aux enquêtes ou aux procédures judiciaires lié à un manque de ressources humaines; le Soudan a suffisamment d’avocats, de tribunaux et de personnels chargés de l’application des lois pour procéder aux enquêtes, aux poursuites et à l’exécution des peines.

La réticence que les témoins ont à faire des dépositions est principalement due à la situation sur le plan de la sécurité. Celle‑ci s’est progressivement améliorée depuis la signature de l’accord de paix de 2005 et les témoignages dont on dispose à ce jour ont permis de procéder à des inculpations dans plusieurs affaires.

On a recours au mode tribal de résolution des conflits ainsi qu’aux coutumes régionales pour compléter les dispositions juridiques existantes. Un certain nombre de cas résolus ont contribué à créer un climat dans lequel victimes et témoins ne craignent pas de faire des dépositions, ce qui réduit au minimum la probabilité que les auteurs de violations des droits de l’homme jouissent de l’impunité.

M. MONIM OSMAN (Soudan) dit que le Gouvernement soudanais a récemment dépensé quelque 150 millions de dollars des États-Unis pour introduire avec succès une monnaie commune dans le nord et qu’il s’emploie actuellement à tracer des frontières administratives.

Abordant la question de la situation des femmes, il dit qu’il y a au Soudan un mouvement de femmes important et qu’un grand nombre de lois protègent leurs droits. Des négociations sont en cours pour accroître la participation des femmes, en tant qu’électrices et en tant que candidates, aux élections et pour que 25 % des membres du parlement soient des femmes. Il y a des femmes chirurgiennes, avocates et juges et l’on œuvre à la mise au point d’un système de congés de maternité satisfaisant. Les femmes jouissent de la liberté d’expression. Bien que les violations des droits des femmes au Darfour aient considérablement baissé, M. Monim Osman invite instamment la communauté internationale à continuer à fournir de l’aide dans cette région.

M. ZAMRAWY (Soudan) dit que si des policiers sont accusés de violations des droits de l’homme, leurs supérieurs sont concernés également. Les plus hautes autorités, y compris le Président de la République, sont tenus de respecter les principes du droit. Les chefs et leurs adjoints sont aussi passibles de sanctions s’ils omettent de prendre des mesures pour éviter que les violations dont ils ont connaissance se reproduisent.

La plupart des personnes reconnues coupables d’homicide involontaire sont condamnées à mort. Selon la charia, les deux parties dans une affaire judiciaire ont droit à ce que leur cause soit entendue. Les familles des victimes d’un homicide peuvent requérir la peine capitale contre le coupable ou demander une indemnisation. Toutefois, même si la famille de la victime accepte une indemnisation, l’État exige que le coupable soit condamné à un minimum de dix ans d’emprisonnement. La durée de la peine est fixée par le juge, suivant les circonstances du crime.

La résolution 1593 (2005) du Conseil de sécurité déférant la situation au Darfour au Procureur de la Cour pénale internationale est incompatible avec les droits de l’homme car elle constitue un acte de discrimination entre États. M. Zamrawy exhorte le Comité à se distancier de cette résolution. Le Gouvernement soudanais a déclaré dès le départ que la Commission internationale d’enquête sur la situation au Darfour avait outrepassé son mandat. Le Gouvernement est, toutefois, resté objectif et a déclaré qu’il veillerait à ce que tous les actes criminels au Soudan fassent l’objet de poursuites et à ce que nul ne jouisse de l’impunité. Aucune personne reconnue coupable de torture ne peut être amnistiée. Le Président de la République a été disculpé dans l’intérêt du maintien de la paix mais cette action n’a pas porté sur des crimes commis contre des individus. L’objectif était de renforcer la confiance dans les milices et de les encourager à revenir à une action pacifique.

Au sujet de la question de l’égalité des sexes, M. Zamrawy souligne que tous les citoyens, y compris les femmes, jouissent de la liberté de circulation. Ce droit ne fait l’objet d’aucune restriction. La pratique des mutilations génitales féminines est une tradition sociale profondément enracinée que le Gouvernement a clairement interdite; il poursuit ses efforts d’information dans ce domaine. Les cas de mutilation génitale féminine sont en baisse. Étant donné que plus de femmes que d’hommes travaillent dans les établissements d’enseignement supérieur et les écoles, il est vraisemblable que cette baisse va se poursuivre.

M. MONIM OSMAN (Soudan) dit que le Soudan s’est félicité de l’aide fournie par l’UNICEF et des experts internationaux pour la démilitarisation et la réintégration sociale des enfants soldats. Les personnes reconnues coupables d’avoir commis des agressions au début du conflit au Darfour ont été jugées et certaines condamnées à mort. Soulignant que le Soudan est le seul pays à qui il a été demandé d’organiser des procès pendant un conflit, M. Monim Osman demande à la communauté internationale d’appliquer au Soudan les principes qui ont été appliqués à d’autres États et de l’autoriser à juger les criminels après la fin du conflit. Le Gouvernement soudanais s’efforce de trouver une solution durable, faute de quoi un cessez‑le‑feu rigoureux sera imposé à titre de première mesure sur la voie de la paix. Il semblerait toutefois que certains États ne soient pas favorables à l’idée d’un cessez‑le‑feu. Après la signature de l’accord de paix d’Abuja, le Gouvernement a établi un plan de démilitarisation clair, qui devrait inclure toutes les parties belligérantes du Darfour. Il est toutefois difficile de localiser un certain nombre de tribus et de les convaincre d’abandonner les armes. Le Gouvernement soudanais a toujours été disposé à coopérer avec les forces de l’Union africaine et lui est reconnaissant de son assistance. Il souligne que les résidents du Darfour n’ont jamais cru que le conflit était le résultat d’efforts du Gouvernement pour imposer un nettoyage ethnique, comme en témoigne le fait que quelque 1,5 million de résidents du Darfour vivent actuellement dans des camps de réfugiés gérés par le Gouvernement, sous la protection de troupes gouvernementales. La situation au Darfour s’est améliorée et le nombre d’incidents violents a considérablement baissé.

La séance est levée à 13 h 05.

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