NATIONS

UNIES

CCPR

Pacte international

relatif aux droits civils

et politiques

Distr.GÉNÉRALE

CCPR/C/SR.220227 août 2004

Original: FRANÇAIS

COMITÉ DES DROITS DE L’HOMME

Quatre‑vingt‑unième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 2202e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le 15 juillet 2004, à 10 heures

Président: M. AMOR

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial de la Namibie (suite)La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS SOUMIS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 40 DU PACTE (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Rapport initial de la Namibie (suite) (CCPR/C/NAM/2003/1; CCPR/C/81/L/NAM)

1.Sur l’invitation du Président, la délégation namibienne reprend place à la table du Comité.

2.M. KATJAVIVI (Namibie), répondant à la question relative aux mesures prises pour lutter contre le VIH/sida, souligne que le Gouvernement namibien est très actif tant en termes de prévention, de traitement, de sensibilisation de la population que de soins. Cette lutte, dont il a fait une de ses priorités, s’inscrit dans le cadre des efforts considérables déployés par la jeune démocratie namibienne pour renforcer les capacités du pays, mettre en place la décentralisation et la bonne gouvernance, promouvoir la santé et l’éducation, compte tenu des graves inégalités héritées du passé.

3.M. Katjavivi se félicite du dialogue qui s’est instauré avec le Comité; les remarques seront d’une grande utilité pour son pays et l’aideront de plus dans l’élaboration des prochains rapports qu’il lui adressera.

4.M. NUJOMA (Namibie) répond tout d’abord aux questions posées au sujet de la Commission électorale. Il s’agit d’un organe indépendant, créé en vertu de l’article 3 de la loi sur les élections, qui est doté d’une autorité exclusive pour organiser, surveiller et contrôler en toute justice et impartialité les élections prévues par la loi. Selon l’article 5 de la loi sur les élections, la Commission est composée d’un président – un juge de la Cour suprême ou de la Haute Cour – et de quatre membres nommés par le Président de la République avec l’approbation du Parlement. Pour ce qui est des juges, leur nomination en Namibie est régie par l’article 82 de la Constitution, qui énonce que tous les juges de la Cour suprême et de la Haute Cour sont nommés par le Président de la République, sur recommandation de la Commission de la magistrature. À la demande du Président de la Cour suprême, le Président de la République peut nommer des juges par intérim à la Cour suprême pour remplir des vacances de poste occasionnelles ou pour siéger dans des affaires touchant à des questions constitutionnelles ou au respect des libertés et droits fondamentaux. En cas de faute commise par un juge, c’est la Commission de la magistrature qui mène une enquête ou désigne des professionnels privés pour ce faire, conformément à la loi sur la Commission de la magistrature.

5.Un membre du Comité s’est interrogé sur la protection des employés de la zone franche d’exportation; il faut savoir qu’ils ont les mêmes droits que tous les autres salariés et la nouvelle loi sur le travail, qui devrait entrer prochainement en vigueur, contient des dispositions pour garantir l’égalité de droits pour tous.

6.Le Parlement a adopté une loi interdisant la discrimination raciale et l’idéologie de l’apartheid dont la majorité des Namibiens ont souffert pendant des décennies. Une certaine «discrimination positive» a été instaurée afin de corriger les iniquités héritées des anciennes lois discriminatoires. Par exemple, le Gouvernement rachète des terres aux producteurs agricoles blancs qui souhaitent vendre, et les redistribue. Nombre de familles ainsi réinstallées ont des femmes à leur tête. Toutes les mesures prises visent à réduire la pauvreté, à assurer la sécurité alimentaire et à favoriser le développement. Il faut rappeler qu’en vertu de l’article 10 de la Constitution de la Namibie, nul ne peut faire l’objet de discrimination en raison de son sexe, de sa race, de sa couleur, de son origine ethnique, de ses convictions religieuses ou de sa situation sociale ou économique. Là où des inégalités existaient, le Gouvernement les a corrigées en faisant adopter des textes législatifs, par exemple la loi sur l’égalité des conjoints, qui redonne notamment aux femmes le droit à la propriété, la loi portant modification de la loi d’interdiction de la discrimination raciale et la loi sur l’action positive.

7.En ce qui concerne la réconciliation nationale, des mesures particulières ont été prises pour unifier le pays et unir la population qui avait été divisée en ethnies, dont la plupart ont fait l’objet d’une discrimination systématique. Aujourd’hui, tous les Namibiens sont égaux devant la loi. Le Gouvernement a mis en place une politique de réconciliation nationale en vue d’instaurer la paix, l’unité et une allégeance commune envers l’État namibien.

8.Sur la question du procès pour trahison de détenus de la région de Caprivi, M. Nujoma insiste sur le fait que l’aide juridictionnelle n’a pas été refusée aux accusés mais que ceux‑ci ne reconnaissaient pas la compétence de la Namibie pour les juger, prétendant que la région de Caprivi n’était pas considérée comme faisant partie de la Namibie. Ce problème a été résolu et les accusés bénéficient de l’aide juridictionnelle.

9.En ce qui concerne la torture, il convient de rappeler que la Namibie est partie à la Convention contre la torture. De plus, l’article 8 de sa Constitution énonce que nul ne peut être soumis à la torture ou à d’autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Dans l’affaire Ex Parte Attorney ‑General, Namibia: In Re Corporal Punishment by Organs of the State par exemple, la Cour suprême a déclaré illégaux la torture et tout châtiment corporel, ayant directement invoqué la Convention. De plus, lorsqu’il est prouvé qu’un policier a commis des actes de torture, la victime a droit d’engager une procédure judiciaire. Il y a d’ailleurs eu des cas d’indemnisation pour de tels faits.

10.En ce qui concerne les foyers pour les femmes, un certain nombre ont été créés en collaboration avec l’Unité de protection de la mère et l’enfant qui dépend des services de la police. Ils offrent aide et protection aux femmes vulnérables et la plupart sont cachés afin que les femmes puissent s’y rendre pour y être plus en sécurité.

11.Au sujet de l’obligation de présenter devant un magistrat toute personne arrêtée dans un délai de 48 heures à compter de son arrestation, et du droit d’être jugé dans un délai raisonnable, le nombre de tribunaux pouvant traiter les affaires civiles mineures a été multiplié, ce qui devrait permettre ainsi une accélération des procédures et un désengorgement des tribunaux.

12.Le PRÉSIDENT invite les membres du Comité à formuler d’autres questions ou observations.

13.Mme WEDGWOOD s’interroge sur l’attitude de la Namibie à l’égard des homosexuels. Si l’homosexualité n’y est interdite que par une «loi morale» qui s’oppose notamment à toute manifestation en public de cette orientation sexuelle, le problème de la protection de la communauté homosexuelle se posera néanmoins un jour à la société namibienne, comme cela a été le cas dans d’autres pays. Il ne suffit pas de dire que cette question relève de la vie privée; il faut par exemple sensibiliser les policiers à la nécessité d’enquêter sur les plaintes déposées par les victimes de violence en raison de leur homosexualité et leur faire aussi comprendre qu’ils ne peuvent pas écouter leurs convictions personnelles quand ils exercent leurs fonctions. En ce qui concerne le VIH/sida, elle regrette l’attitude de pays voisins de la Namibie qui, refusant la réalité de la maladie, n’ont pas recherché les thérapies susceptibles d’aider les personnes atteintes ou n’ont pas réfléchi à des moyens tels que l’éducation sexuelle à l’école, les seringues à usage unique pour les toxicomanes ou encore l’utilisation des préservatifs pour des raisons d’hygiène. Si la lutte contre le VIH/sida relève des droits économiques et sociaux, elle est également très importante au regard du droit à la vie.

14.Sir Nigel RODLEY souhaite revenir sur la question de l’aide juridictionnelle. Il ne comprend pas bien pourquoi, puisque la Namibie dispose depuis 1990 d’un système d’aide juridictionnelle qui fonctionne, il faut que la Cour suprême établisse que l’État doit fournir cette aide dans des cas où l’État ne l’a pas assurée. Apparemment, la Cour suprême a confirmé l’applicabilité du Pacte pour l’octroi de l’aide juridictionnelle et Sir Nigel RODLEY souhaiterait un exposé de la situation réelle, avant et depuis l’arrêt de la Cour suprême.

15.En ce qui concerne la torture, le Comité contre la torture avait lui‑même souligné l’absence de législation criminalisant la torture au sens de la Convention contre la torture. Qu’il existe la possibilité d’engager des poursuites civiles en la matière n’est pas suffisant au regard de cet instrument comme du Pacte (art. 2 et 7 lus conjointement), qui requiert des poursuites pénales à l’encontre d’agents de l’État coupables de torture. Il se demande comment la common law permet la criminalisation de la torture et, en cas de procédure au civil, en quoi consisterait la plainte d’une personne qui n’aurait pas été torturée elle‑même mais qui serait menacée du fait même qu’un de ses proches a été torturé.

16.M. BHAGWATI demande, au sujet de la lutte contre le VIH/sida, si la Namibie sollicite l’aide de l’OMS, qui dispose de programmes très complets dans ce domaine. En ce qui concerne les actions positives prévues en vertu de l’article 10 de la Constitution, il croit comprendre que la loi sur l’action positive est sur le point d’être adoptée et voudrait savoir quels sont les projets prévus dans le cadre de cette loi, quelles formes prendront les actions positives, s’il s’agira de la mise en place de quotas par exemple. Il aimerait avoir des informations plus détaillées sur ce sujet. Pour ce qui est de la révocation des juges pour faute, il se demande en quoi consiste la procédure, qui en a l’initiative, qui la conduit, si la personne chargée de cette enquête est désignée par le Président et comment il est établi qu’un juge a commis une faute.

17.M. SHEARER souhaiterait un complément d’information sur la manière dont certains droits peuvent être mis en œuvre par la loi namibienne, en l’absence d’un code pénal. À titre d’exemple, il voudrait savoir si les dispositions de la Convention contre la torture s’appliquent directement, en vertu de l’article 144 de la Constitution, ou s’il faut passer par un mécanisme de droit namibien pour leur donner plein effet. À l’autre bout de l’échelle de gravité des infractions, il demande quels textes couvrent des faits comme les manifestations de rue ou le vagabondage, qui ne relèvent généralement pas de la common law et dont la répression sert parfois de prétexte à des violations. Ces faits sont‑ils couverts par des lois datant d’avant l’indépendance? De manière générale, il voudrait savoir quelle est exactement la common law qui régit les infractions pénales en Namibie, sachant qu’en Afrique du Sud le droit pénal relevait non pas de la common law mais du droit anglais.

18.M. NUJOMA (Namibie), répondant aux questions des membres du Comité, insiste sur le fait que l’aide juridictionnelle est accordée à toutes les personnes indigentes sans discrimination. Dans le procès pour trahison auquel se réfèrent les membres du Comité, les accusés avaient refusé toute aide juridictionnelle et ne reconnaissaient même pas la légalité du tribunal. Lorsqu’ils ont changé d’avis, il a bien fallu que l’État détermine qui n’avait pas les moyens de payer un avocat. En ce qui concerne les sources du droit pénal, il s’agit essentiellement de la loi de procédure pénale, dont la réforme est en cours. Parallèlement, les principes généraux du droit pénal sont en cours de codification et seront examinés par la Commission de réforme et de développement du droit.

19.En ce qui concerne la lutte contre le VIH/sida, la Namibie collabore avec l’OMS et applique ses directives. Des projets de distribution de médicaments génériques et antirétrovirus sont mis en œuvre en collaboration avec tous les partenaires pour le développement. Parmi les nombreuses mesures de discrimination positive, on peut citer celles qui ont permis de faire en sorte que le secteur des pêches soit désormais entièrement entre les mains de Namibiens et le programme de réinstallation agricole de mères célibataires qui permet, entre autres, d’améliorer la sécurité alimentaire de la population.

20.Sur la question de la révocation des juges, le cas ne s’est pas encore présenté mais, a priori, ce serait à la suite d’une enquête de la Commission de la magistrature et du Parlement. L’article 84 de la Constitution stipule que les juges ne peuvent être révoqués que par le Président de la République sur la recommandation de la Commission de la magistrature, pour motif d’incapacité mentale ou de faute grave.

21.Enfin, l’homosexualité est considérée comme relevant de la vie privée et les homosexuels ne sont ni poursuivis ni harcelés ni arrêtés ni battus. Sur ce sujet comme sur d’autres, la formation des policiers insiste sur le fait que les droits reconnus à tous par les traités internationaux doivent être respectés.

22.Le PRÉSIDENT annonce que le Comité a ainsi achevé l’examen du rapport initial de la Namibie. La délégation namibienne pourra bien évidemment présenter par écrit des informations complémentaires, avant le lundi 19 juillet pour que ces informations puissent être prises en compte dans les observations finales. Le rapport initial qui vient d’être examiné montre bien les efforts faits par la Namibie pour édifier un État et un régime démocratiques. La Namibie mérite à ce titre non seulement la sympathie mais également un soutien et une assistance pour renforcer ses capacités, surtout dans le domaine des droits de l’homme. Ce rapport dénote une conscience aiguë des problèmes et une volonté manifeste de changer les choses malgré les pesanteurs historiques et culturelles du passé. On y décèle également des messages prometteurs tels que l’abolition de la peine de mort en toute circonstance et pour toute cause ou l’ouverture aux autres acteurs sociaux, en particulier aux ONG.

23.Certains points demeurent néanmoins problématiques, voire préoccupants, qui ont trait non pas aux normes mais à leur mise en œuvre dans les faits. Le Comité est plus directement interpellé par la question des rapports entre le Pacte et la loi positive d’une part, et entre le Pacte et le droit coutumier d’autre part. Sur le premier point, le droit positif est encore limité et ne permet pas de porter une appréciation exacte sur l’application du Pacte par la Namibie. La question de la torture est un bon exemple à cet égard. La Namibie est partie à la Convention contre la torture, et il semble que cet instrument peut même être invoqué directement devant les tribunaux, mais tout le principe de la légalité des peines et des infractions et toutes les règles pénales qui doivent entourer cette question de la torture restent indéterminés, voire inexistants. Il importe que la loi interne définisse les sanctions applicables en cas de torture.

24.Sur le deuxième point, le droit coutumier est en général nébuleux et son appréciation peut varier selon les régions et les groupes, ce qui en fait souvent une source d’abus. En tout état de cause, dès qu’un État assume des obligations internationales, son droit écrit et non écrit doit être conforme à ces obligations. Il semble que cela ne soit pas le cas en particulier pour la condition de la femme. Le fait que 54 % des mariages ne sont pas enregistrés, notamment, a des répercussions sur la condition de la femme, la filiation, l’héritage et l’égalité entre les sexes.

25.Le Comité a adressé à la Namibie des constatations auxquelles la suite voulue doit être donnée. L’argument de la non‑ingérence dans le pouvoir judiciaire n’est pas opposable aux engagements internationaux de l’État. Le Comité attend de la Namibie des initiatives et actions dans ce domaine. Enfin, la question de la violence doit être posée. La violence domestique est une réalité en Namibie comme dans de très nombreux autres pays et il incombe à l’État partie non seulement de faire tout son possible au regard notamment de la situation des femmes et des enfants battus mais également sur le plan de la prévention et de l’éducation. Quant à la violence policière, elle nécessite la mise en place de mécanismes et de procédures externes et indépendants d’enquête et de poursuites, ainsi qu’une meilleure formation des policiers.

26.M. NUJOMA (Namibie) remercie le Comité d’un dialogue enrichissant et qui doit se poursuivre. En appelant l’attention sur les lacunes du rapport initial, le Comité aidera la Namibie à faire mieux pour les prochains rapports. L’engagement au service de la cause des droits de l’homme est une affaire personnelle et beaucoup considèrent cet engagement comme peu intéressant sur le plan matériel, d’où le manque de capacité de la Namibie dans ce domaine. Il faut espérer que le Comité l’aidera à se doter de capacités durables de protection et de promotion des droits de l’homme.

27.La délégation namibienne se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 11 h 10.

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