Nations Unies

CCPR/C/SR.2838

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

16 novembre 2012

Français

Original: anglais

Comité des droits de l’homme

103 e session

Compte rendu analytique de la 2838 e séance *

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le mercredi 19 octobre 2011, à 15 heures

Présidente :Mme Majodina

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l'article 40 du Pacte (suite)

Troisième rapport périodique de la Jamaïque

La séance est ouverte à 15 heures.

Examen des rapports soumis par les États parties conformément à l'article 40 du Pacte (suite)

Troisième rapport périodique de la Jamaïque (CCPR/C/JAM/3; CCPR/C/JAM/Q/3 et Add.1)

1. Sur l'invitation de la Présidente, la délégation jamaïcaine prend place à la table du Comité.

2.M. McCook (Jamaïque) indique que la Jamaïque est un pays qui possède une longue tradition de démocratie multipartite stable et de profond respect à l'égard de la primauté du droit et des droits et libertés fondamentaux de l’être humain. Petite économie insulaire en développement, elle est confrontée à nombre de défis dans sa quête du développement durable et sa progression vers des objectifs sociaux et économiques qui sont liés notamment aux effets du changement climatique et des catastrophes naturelles

3.Les défis économiques liés à la crise financière mondiale ont eu un fort impact sur les programmes à court et à moyen terme menés par le Gouvernement jamaïcain, y compris les programmes de protection sociale et autres programmes sociaux, à la réalisation desquels il demeure attaché. En dépit de ces défis, la Jamaïque s’est sensiblement rapprochée des normes internationales relatives à un certain nombre d'indicateurs sociaux clés, notamment la réduction de la pauvreté absolue, de la malnutrition et de la faim ainsi que l’universalisation de l'enseignement primaire, et elle est sur la bonne voie en ce qui concerne un certain nombre d'Objectifs du Millénaire pour le développement.

4.Les autorités continuent d’œuvrer à la promotion et à la protection des droits de l'homme universels et inaliénables au bénéfice des nationaux Jamaïcains; le pays est partie à la plupart des instruments internationaux fondamentaux des droits de l'homme. La Constitution et un certain nombre de lois nationales donnent effet aux droits consacrés par le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, que les tribunaux jamaïcains peuvent donc faire appliquer et respecter.

5.La mise en place, dès 1974, de plusieurs organismes chargés de promouvoir et de protéger les droits de l'homme, y compris les droits des personnes les plus vulnérables, met le Gouvernement en mesure de s'acquitter de ses obligations dans ce domaine, malgré l'absence de l’institution nationale spécifique préconisée par les Principes de Paris. À ces organismes s’ajoute un solide réseau d'ONG et de groupes de défense, ainsi que des médias ouverts qui jouent un rôle important dans le suivi et l'examen des mesures prises par l'État pour se conformer à ses obligations.

6.En élaborant son troisième rapport périodique, le Gouvernement jamaïcain a pris soigneusement en considération les observations finales et les recommandations formulées par le Comité au sujet du deuxième rapport périodique. Le Comité avait recommandé notamment l'adoption de mesures destinées à lutter contre la violence familiale envers les femmes, l'amélioration du système d'aide juridictionnelle et celle de l'administration des prisons de l'État ainsi que des conditions qui y règnent, y compris par la création d'un organe indépendant d’inspection des établissements carcéraux. Les recommandations préconisaient aussi l'élaboration de mesures législatives pour remédier aux insuffisances perçues par le Comité du cadre juridique de protection des droits civils et politiques.

7.Dans cette perspective, le Gouvernement a pris différentes mesures d'ordre législatif et politique, dont la plus notable est l'entrée en vigueur, le 8 avril 2011, de la Charte des libertés et droits fondamentaux. La Charte place l'accent sur cinq droits et libertés fondamentaux: la protection contre les traitements inhumains; la protection de la liberté de la personne; le droit à une procédure régulière; la protection des droits de propriété; la liberté de religion.

8.Parmi les initiatives d’ordre législatif prises pour protéger les enfants figure la loi relative à la cybercriminalité, qui est entrée en vigueur le 17 mars 2010 et fixe les peines applicables en cas d’utilisation abusive et délictueuse de données informatiques; elle s’ajoute à la législation relative à la pornographie mettant en scène des enfants, et les protège contre la cybercriminalité. La Jamaïque a également ratifié le Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant la vente d'enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, avec effet au 26 août 2011. De plus, la loi relative à l'interception des communications, mentionnée au paragraphe 83 du rapport périodique, a répondu à l’avis exprimé par le Comité que les règles administratives relatives aux écoutes téléphoniques étaient insuffisantes.

9.Avec une assistance financière d’ONU-Femmes, le Bureau des affaires féminines a pris plusieurs initiatives à l'appui de la Politique nationale en faveur de l'égalité des genres, lancée en mars 2011; il a notamment organisé des ateliers de formation et de sensibilisation pour faire mieux connaître la politique relative à l'égalité des genres dans le secteur public comme dans le secteur privé. Un lien a également été établi avec la principale des politiques concernant le lieu de travail, à savoir la politique relative au VIH/sida sur le lieu de travail, et le projet de politique relative au harcèlement sexuel.

10.Le Gouvernement réaffirme son attachement indéfectible à la promotion et à la protection des droits de l'homme des citoyens jamaïcains; il reconnaît qu'une protection efficace exige le respect et la mise en œuvre des dispositions contenues dans la loi. La délégation jamaïcaine est prête à s'engager dans un dialogue interactif avec le Comité: c’est là un important moyen de stimuler les efforts déployés par la Jamaïque pour s’acquitter de ses responsabilités au titre du Pacte.

11.À la demande de la Présidente, M. McCook donne un exposé succinct des réponses écrites de la délégation, disponibles en anglais seulement..

12.La Présidente invite le Comité à aborder les questions 1 à 13 de la liste des points à traiter (CCPR/C/JAM/Q/3).

13.M. Thelin se dit déçu de constater qu'aucun représentant de la Jamaïque ne provient de la capitale. Les membres des délégations qui viennent de la capitale sont souvent particulièrement bien à même de répondre aux questions orales du Comité par des informations détaillées et à jour.

14.Le rapport périodique de la Jamaïque a été présenté tardivement, mais il est particulièrement bienvenu.M. Thelin remercie les diverses ONG qui ont aidé le Comité à se préparer à l'examen du rapport, et en particulier Jamaicans for Justice.

15.Constatant que, d'après les réponses écrites à la question 1 de la liste des points à traiter, le Pacte n'est pas directement applicable sur le territoire de la Jamaïque et que la Charte des libertés et droits fondamentaux est considérée comme remplissant quelques-unes des fonctions du Pacte M. Thelin demande à quelle date la Charte est entrée en vigueur. Les réponses écrites indiquent également que toute personne qui estime que les droits qui lui sont reconnus par la Charte ou la Constitution ont été violés peut se pourvoir devant la Cour suprême. M. Thelin demande si d’autres tribunaux sont compétents en matière de droits fondamentaux et si, dans le système Jamaïcain, les juridictions peuvent écarter une loi qui entre en conflit avec une norme supérieure, telle la Constitution.

16.Exprimant l’inquiétude qu’inspire au Comité, comme d’ailleurs à certaines ONG, le fait que les articles 76, 77 et 79 de la loi relative aux atteintes à la personne criminalisent les relations sexuelles entre hommes adultes consentants, il fait observer que, contrairement à ce que soutient l'État partie, tant que cette disposition restera inscrite dans la législation, elle constituera une violation du principe de non-discrimination consacré par le Pacte. Aussi encourage-t-il l'État partie à réexaminer sa position sur ce point.

17.M me Waterval, relevant que la réponse de l'État partie à la question 2 est incomplète, demande de plus amples précisions sur les possibilités de recours offertes aux personnes qui s'affirment victimes d'une violation de leurs droits et sur l’efficacité de ces recours. Malgré la position de l'État partie au sujet du premier Protocole facultatif au Pacte, qu’il expose dans ses réponses écrites, elle l’exhorte à réexaminer sa dénonciation du Protocole

18.Un certain nombre d'institutions sont mentionnées dans les réponses à la question 3, mais aucune d'elles n’est une institution nationale des droits de l'homme au sens des Principes de Paris. La Jamaïque ayant affirmé dans ses réponses qu'elle soutient ces principes, Mme Waterval recommande la création d'une institution de cette nature pour offrir aux nationaux jamaïcains une meilleure protection de leurs droits. S'agissant des diverses organisations citées dans la réponse à cette question, il serait utile d’avoir des renseignements sur leur mandat, leur budget, leur degré d’indépendance et leurs ressources humaines.

19.Au sujet de la question 4, le Comité s’inquiète des informations qu’il a reçues selon lesquelles les personnes vivant avec le VIH/sida ne seraient pas protégées contre la discrimination et l’État partie aurait omis de donner suite à ses promesses répétées d’abroger des lois touchant la santé publique qui sont obsolètes, telles la loi relative à la quarantaine et celle qui a trait aux maladies vénériennes, qui pourraient permettre de détenir des personnes vivant avec le VIH/sida sans procédure régulière. De plus, des cas de harcèlement et de brutalités à l’égard d’homosexuels imputables à des fonctionnaires de police ont été signalés au Comité, tout comme plusieurs lynchages de personnes lesbiennes, homosexuelles, bisexuelles ou transgenres (LGBT) qui n’ont pas donné lieu à l’ouverture de poursuites. Mme Waterval aimerait connaître les mesures prises par l’État partie pour donner suite aux meurtres signalés et pour améliorer la protection des travailleurs sexuels ainsi que de la communauté LGBT contre la discrimination. Des renseignements sur la manière dont l’État partie compte améliorer l’accès de cette communauté à la prévention et au traitement du VIH seront également les bienvenus.

20.M. Neuman constate que la réponse détaillée à la question 6 fait état d’une réussite appréciable des efforts déployés pour accroître le nombre des femmes occupant des postes de responsabilité dans le secteur public. Dans la sphère politique, cependant, les progrès sont limités et M. Neuman se demande si l'État partie a envisagé d'encourager les partis politiques à présenter davantage de candidatures féminines, ou d'apporter au système électoral des changements qui pourraient déboucher sur une représentation accrue des femmes.

21.De même, la Charte des libertés et droits fondamentaux semble porter sur les droits dans le secteur public mais non dans le secteur privé. Comme l'article 26 du Pacte exige des États parties qu’ils assurent une protection égale et efficace contre la discrimination dans les deux secteurs, il serait utile de savoir comment d'autres dispositions de la législation abordent la discrimination dans le secteur privé.

22.Se félicitant de l'adoption de la loi relative à l'emploi (égalité de rémunération des hommes et des femmes), M. Neuman demande s'il existe une interdiction plus générale de la discrimination liée au genre dans l'emploi, s'étendant à des aspects tels que le recrutement, la promotion et la cessation de l’engagement, ainsi que des lois ou des projets de loi visant toutes les formes de discrimination dans différents domaines du secteur privé. Une question qui se pose tout particulièrement est celle du harcèlement sexuel sur le lieu de travail, lequel ne semble pas être interdit par la loi; le Comité accueillerait avec satisfaction davantage de précisions sur les plans de l'État partie à cet égard.

23.Se félicitant des renseignements fournis par la Jamaïque à propos de l'alphabétisation et de la scolarisation, M. Neumanrelève que le pourcentage des filles qui fréquentent l'école est supérieur à celui des garçons jusqu'à l'âge de 12 ans, et qu'ensuite le taux de scolarisation des filles fléchit sensiblement et la situation s'inverse. Il souhaiterait que la délégation expose les raisons de cet état de choses et décrive les mesures prises par l'État partie pour y remédier.

24.D'après les réponses écrites, «le Gouvernement jamaïcain est opposé à la discrimination et à la violence à l'encontre des homosexuels» (CCPR/C/JAM/Q/3/Add.1, par. 50); pourtant il semble y avoir une assez forte discrimination à l'égard des homosexuels, à la fois dans la législation et dans la société. La pénalisation des relations sexuelles librement consenties entre adultes du même sexe est en contradiction avec les articles 17 et 26 du Pacte, et la défaveur dans laquelle la législation tient les minorités sexuelles encourage à traiter les homosexuels comme des délinquants, en même temps qu’elle dissuade les victimes de se manifester. Il semble que les modifications apportées dernièrement à la Constitution élèvent cette défaveur au rang de principe constitutionnel en excluant l'orientation sexuelle du champ de la disposition relative à lutte contre la discrimination, en faisant échapper la législation relative aux infractions sexuelles à l'application des principes constitutionnels et en interdisant la reconnaissance de toute forme d'union légale de partenaires du même sexe, y compris celles conclues à l'étranger. Compte tenu de ces éléments, M. Neuman souhaite connaître les mesures prises par l'État partie pour lutter contre les problèmes de discrimination et de violence à l'égard des minorités sexuelles, notamment en ce qui a trait à la formation des fonctionnaires de police, à l'éducation du public en vue d'accroître la tolérance, et à la punition systématique des auteurs d'actes de discrimination et de violence déjà interdits par la législation nationale. Il voudrait également savoir si l'État partie projette de mettre sa législation en conformité avec le Pacte en dépénalisant les relations sexuelles librement consenties entre adultes du même sexe et en élargissant la protection légale contre la discrimination de manière à y inclure la discrimination fondée sur l'orientation sexuelle.

25.M. Rivas Posada signale que le Comité s’intéresse vivement à l'agitation sociale qui a suivi l'annonce de l'extradition de Michael Christopher Coke (Dudus) vers les États-Unis. Ces troubles ayant fait de nombreuses victimes, tant parmi les civils que dans les rangs de la police, il souhaite des renseignements supplémentaires et détaillés sur les résultats des enquêtes menées à la suite de ces événements et sur le point de savoir si une responsabilité a été imputée aux membres des forces de l'ordre qui ont été accusés de faire un usage excessif de la force.

26.Dans ses réponses écrites, le Gouvernement indique que selon certaines informations 263 personnes auraient été tuées par la police en 2009 (CCPR/C/Q/JAM/3/Add.1, par. 61) et que des enquêtes sont en cours. M. Rivas Posada demande des renseignements à jour sur les résultats de ces enquêtes.

27.Le Comité s'intéresse aussi aux organes d'investigation qui déterminent les responsabilités concernant les exécutions extrajudiciaires présumées avoir été commises par la police, et prend note avec satisfaction de la création de la Commission d'enquête indépendante. Il accueillerait avec intérêt des renseignements supplémentaires sur cet organe et sur les normes qu'il emploie pour que les recherches donnent d'authentiques résultats et pour combattre l'opinion largement répandue dans la population que la police jouit de l'impunité.

28.Relevant que la Jamaïque, comme de nombreux États, est victime des effets du trafic de drogue et qu'elle est donc tenue de prendre toutes les mesures possibles pour en réduire les effets, il encourage l'État partie à continuer d'élaborer des politiques dans ce domaine. De même, l'État partie devrait continuer d'enquêter sur la mort du défenseur des droits de l'homme Lenford «Steve» Harvey et traduire les responsables en justice.

29.Si le Comité reconnaît que la peine de mort n’est pas prohibée par les instruments internationaux, il encourage cependant les États parties à prendre des mesures en vue de son abolition. Comme il existe un moratoire de fait concernant l'imposition de la peine capitale en Jamaïque, le Comité encourage l’État partie à continuer d'étudier la pleine abolition de cette peine. La suppression, en 2005, de l’application obligatoire de la peine de mort aux auteurs de certains crimes est particulièrement bienvenue.

30.Il ne fait pas de doute que la criminalisation de l'avortement a des incidences négatives sur le respect du droit à la vie; elle met en danger l’existence de certaines femmes en les contraignant à avoir recours à un avortement clandestin. L'État partie estime à trois ou quatre le nombre des décès causés chaque année par les avortements; ce chiffre n'est guère crédible car il est bien inférieur à celui qui existe dans tous les autres pays où l'avortement est illégal. Il est probable que de nombreux cas ne sont pas signalés du fait même que l'avortement est illégal. Il apparaît que les femmes qui subissent un avortement sur le territoire de l'État partie sont pénalement responsables, mais M. Rivas Posada voudrait savoir si ceux qui le pratiquent et leurs assistants peuvent également être poursuivis.

31.M. Salvioli est d'avis que l'État partie devrait examiner minutieusement la possibilité de réadhérer au premier Protocole facultatif se rapportant au Pacte, compte tenu en particulier de l'attachement qu'il proclame au respect des droits de l'homme et à celui de ses obligations internationales. Le retrait du Protocole facultatif a constitué sans aucun doute un recul, et il est inacceptable du point de vue de la réalisation progressive des droits de l'homme. De plus, les raisons que la Jamaïque avait de se retirer ont disparu.

32.Comme il n'est pas possible d'invoquer les dispositions du Pacte devant les tribunaux nationaux, M. Salvioli ne comprend pas comment la Jamaïque se conforme aux prescriptions de l’article 2 du Pacte, qui exige que les États parties respectent les droits reconnus par celui-ci. Le fait que les juges ne puissent pas invoquer l’interprétation faite par le Comité de ces dispositions, qui est contenue dans sa jurisprudence, ne fait qu’aggraver les choses. M. Salvioli aimerait entendre les observations de la délégation sur ce point.

33.Sir Nigel Rodley dit qu’il hésite à poser des questions concernant l’application du Pacte par des États qui ont été jadis sous domination britannique, surtout lorsque la puissance coloniale a légué un héritage négatif – en l’occurrence, la peine de mort et les châtiments corporels. Néanmoins, cela fait maintenant 49 ans que l’État partie a accédé à l’indépendance; peut-être au terme d’une cinquantaine d’années, cet héritage pourrait-il réellement appartenir au passé, d’autant que la puissance coloniale elle même a jugé bon, depuis bien longtemps, de revenir sur ces pratiques. L’application d’un moratoire sur les exécutions est en principe une bonne chose, puisqu’elle signifie par définition que nul n’est plus exécuté. Il serait utile cependant de mieux connaître le statut de ce moratoire, et de savoir en particulier s'il s'agit simplement d'une déclaration par laquelle le Gouvernement s’est engagé à commuer les sentences prononcées, ou simplement d'une décision, annoncée ou non, de ne pas confirmer les verdicts. Sir Nigel Rodley demande si le moratoire est considéré comme étant informel et officieux, ou au contraire formel et officiel, car cela aiderait les détenus qui attendent leur exécution à connaître le sort qui leur est réservé au lieu de d’être laissés dans une situation temporaire et arbitraire.

34.Entre 1957 et 1965, année de l'abolition officielle, le Royaume-Uni a appris qu’imposer la peine capitale pour ce qui s'appelait à l'époque «felony murder» (homicide involontaire) – l'équivalent de l’acte cité au paragraphe 77 (f) des réponses écrites de l'État partie – était une forme additionnelle d'arbitraire, car beaucoup d'autres infractions graves étaient commises qui n'entraînaient pas la peine de mort. Il serait intéressant de connaître les initiatives prises pour réexaminer l'application de la peine de mort en cas de meurtre au regard de différents autres crimes, et de savoir comment cela a fonctionné dans la pratique sur le territoire de l'État partie. Sir Nigel Rodley se félicite de la décision, prise en 2005, de mettre un terme à l'application obligatoire de la peine de mort.

35.Il relève que l'État partie ne compte pas ratifier le deuxième Protocole facultatif au Pacte ni amender sa Constitution afin d'abolir la peine de mort, et qu'en novembre 2008, le Parlement a voté le maintien de cette peine. La fait qu'une assemblée législative, peut-être sous l'influence de l'opinion publique, décide de prendre telle ou telle orientation n’autorise pas en lui-même à conclure que celle-ci est en adéquation avec les normes internationales. À cet égard, les raisons qu'à l'État partie aujourd’hui de ne pas réadhérer au premier Protocole facultatif ne sont toujours pas claires. Le Comité, qui applique le Pacte comme il a mission de le faire, n'est pas opposé à la peine de mort en tant que telle. Ce n'est donc pas l'existence de la peine capitale sur le territoire de l'État partie qui l'a conduit à conclure à des violations du Pacte; ce sont les résultats du processus qui a abouti au prononcé de sentences capitales en Jamaïque. Maintenant qu’il n’existe plus d’application obligatoire de la peine de mort pour certains crimes et que d'autres mesures semblent avoir été prises pour améliorer l’ordre juridique, il semblerait souhaitable que l'État partie envisage de réadhérer au premier Protocole facultatif, et Sir Nigel Rodley l’exhorte à s'engager dans cette voie.

36.Le Comité a exprimé sa préoccupation au sujet du recours de l’État partie aux châtiments corporels en novembre 1997. Le troisième rapport périodique, daté d'octobre 2009, évoquait la possibilité de l’adoption d’une loi portant abolition de ces châtiments, et les réponses écrites mentionnent une proposition de loi de portée restreinte présentée en octobre 2010. Une année s'étant écoulée depuis, Sir Nigel Rodley voudrait savoir s'il y a des faits nouveaux, au plan juridique comme dans la pratique, que l'État partie souhaiterait signaler. Comme, dans les réponses écrites, les châtiments corporels sont associés uniquement à l’école et au foyer ainsi qu’aux établissements de protection de l’enfance, il demande si ces châtiments ne sont plus imposés par les tribunaux. Dans le cas contraire, la proposition de loi de portée restreinte ne suffira pas nécessairement à régler le problème.

37.M. Lallah aimerait savoir si la Constitution a été modifiée pour introduire la Charte des libertés et droits fondamentaux, qui en a remplacé le chapitre III. Il semble que toute modification de la Constitution exige un vote des deux tiers du Parlement, et éventuellement un référendum. Aussi M. Lallah demande-t-il si la Charte a été votée à une majorité des deux tiers des parlementaires et si elle a fait l'objet d'un référendum. Il voudrait également savoir pourquoi la Charte emploie les termes «droit de ne pas faire l’objet d’une discrimination fondée sur le sexe, masculin ou féminin» tandis que l’article 13 de la Constitution – la première partie du chapitre III – utilise l’expression «sans distinction de…sexe». Il serait utile de savoir pourquoi la terminologie a été modifiée.

38.M. Lallahdemande qui nomme les défenseurs publics, quelle est la durée de leur mandat et quels sont leurs pouvoirs vis-à-vis d’une personne qui a subi une injustice ou une atteinte aux droits garantis par la Constitution. Il serait également intéressant de connaître les dispositions que la Commission d'enquête indépendante (INDECOM) peut prendre en pareilles circonstances et de savoir si, dans l'hypothèse d'une plainte pour brutalités policières, elle transmet le dossier au Bureau du Défenseur public ou prend elle-même des mesures. M. Lallah voudrait savoir également si ce bureau est lié par les investigations menées par l’INDECOM, si la question s'est posée dans la pratique et, dans l'affirmative, qui a résolu le conflit entre les deux institutions.

39.M. Flinterman demande si l’interdiction de l'avortement est absolue ou si la loi prévoit des exceptions – par exemple, lorsque la vie de la mère est en danger ou que la grossesse est la conséquence d'un viol. Il souhaite également savoir si les personnes qui ont pratiqué des avortements clandestins ayant entraîné la mort de la femme enceinte sont poursuivies. Il serait utile en outre de connaître le degré d'urgence attribué aux débats parlementaires en cours touchant la mise au point d'une politique relative à l'avortement et l’opportunité d’autoriser l’avortement et de permettre ainsi qu’il soit pratiqué dans de bonnes conditions.

40.M. Iwasawa, tout en comprenantque le Pacte ne peut pas être directement invoqué devant les tribunaux jamaïcains, voudrait savoir si les juges peuvent se référer à ses dispositions, aux observations générales du Comité, à la jurisprudence de celui-ci et aux autres instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme lorsqu'ils interprètent la Charte des libertés et droits fondamentaux.

La séance est suspendue à 17 h 5 ; elle est reprise à 17 h 20.

41.M. McCook (Jamaïque) indique que la délégation n'est pas pour le moment en mesure de commenter plus avant l'introduction et l'application du Pacte dans le droit interne. Cependant, il signale que le Pacte lui-même exige de États parties non pas qu'ils promulguent ses dispositions, mais qu'ils prennent les initiatives nécessaires pour adopter des lois et autres mesures de nature à donner effet aux droits qu'il reconnaît. Tout en prenant note de la préoccupation du Comité quant à l'adéquation de certaines lois nationales à la mise en œuvre des dispositions du Pacte, le Gouvernement jamaïcain a la conviction de s'acquitter de ses obligations au titre cet instrument

42.La Charte des libertés et droits fondamentaux est entrée en vigueur le 8 avril 2011 et remplace maintenant l’article 13 de la Constitution.

43.L'administration de châtiments corporels à la suite d'un délit a été déclarée inconstitutionnelle en 1998 par la Cour d'appel dans sa décision relative au recours engagé contre le Gouvernement par Noel Samuda et Walford Ferguson. Condamnés non seulement à des peines de prison mais aussi à la flagellation, les requérants ont fait valoir que celle-ci constituait un traitement inhumain et dégradant, et la Cour a déclaré illégal de sanctionner une infraction par des châtiments corporels.

44.La délégation a pris note de l'avis du Comité qui considère que la suppression de l’application obligatoire de la peine de mort semble lever l’obstacle à la réadhésion de la Jamaïque au premier Protocole facultatif. Toutefois, ce n’est pas là le seul motif de préoccupation du Gouvernement, et sa décision actuelle de ne pas réadhérer est sans équivoque. Sa décision de se retirer du Protocole facultatif n’a pas été prise à la légère. Une des principales considérations intervenues au cours des délibérations a été le fait que les citoyens jamaïcains puissent continuer d’en appeler à un organisme international compétent en cas de violation présumée de leurs droits civils et politiques – possibilité que leur offre le système interaméricain.M. McCook prend note des dispositions spécifiques du Protocole facultatif et de l'accès amélioré qu'il offrirait aux nationaux jamaïcains. Il rappelle qu'en 1977, au moment où la Jamaïque a dénoncé le Protocole facultatif, le Gouvernement a donné des explications circonstanciées qui montrent qu'il ne manque nullement de respect envers cet instrument.

45.Le Gouvernement étudie actuellement les possibilités de création d'une institution nationale des droits de l'homme qui opèrerait conformément aux Principes de Paris. Le point de savoir si l'État pourrait doter entièrement une institution nationale du personnel et des moyens financiers requis demande plus ample réflexion, d'autant que plusieurs entités apportent actuellement aide et protection aux groupes les plus vulnérables de la société jamaïcaine.

46.Passant à la question des personnes tuées en raison, apparemment, de leur orientation sexuelle, M. McCook précise que tous les actes de violence prenant la forme de coups et blessures volontaires ou d’un meurtre font l'objet d'une information, de poursuites et de sanctions pénales. Il n’en aura pas été autrement dans les cas cités.

47.Les autorités jamaïcaines reconnaissent que les femmes sont sous-représentées au Parlement. Depuis la présentation du troisième rapport périodique, une femme a été nommée Présidente de la Chambre des représentants. M. McCook rappelle que le Gouvernement est attaché à la non-discrimination et à la poursuite de l'autonomisation des femmes, et qu'il continuera de mener une action positive à cette fin. La Jamaïque est également attachée au principe «à travail égal, salaire égal», que défend l'Organisation internationale du Travail. Les autorités ont conscience qu’il existe aujourd’hui un écart, les femmes percevant 91,4% de la rémunération que reçoivent les hommes.

48.Il n'est pas prévu actuellement de modifier la loi relative aux atteintes à la personne. La délégation jamaïcaine prend note des préoccupations du Comité à ce sujet, eu égard notamment à la pénalisation des relations sexuelles librement consenties entre hommes.

49.L'état d'urgence n'a pas été décrété à cause de manifestations. Il a été proclamé en raison de la réaction d'une communauté donnée à l'autorité de l'État et pour permettre de pénétrer dans cette communauté au cours d’un dur affrontement. Le nombre des décès de civils et d'autres personnes qui n’appartenaient pas aux forces de sécurité fait actuellement l'objet d'investigations, menées en particulier par le Défenseur public. La Jamaïque a fait venir des pathologistes étrangers pour pouvoir mieux relever les défis de l’enquête.

50.Dans la pratique, l'indépendance du pouvoir exécutif est assurée par l’attribution à des entités d’une autorité qu'elles tiennent directement du corps législatif. Le Bureau du Défenseur public et la Commission d'enquête indépendante relevant du Parlement, ils sont considérés comme suffisamment autonomes. M. McCook demande si la délégation a raison d’interpréter la question du Comité comme signifiant que cette séparation des pouvoirs pourrait être considérée comme insuffisante.

51.Pour ce qui est de la peine capitale, aucune exécution n'a eu lieu au cours de la période considérée dans le rapport, mais il n'a jamais été déclaré qu'il n'y en aurait plus à l'avenir. Le Gouvernement n'a pas pris de mesures positives en vue d’une suspension des exécutions à quelque fin particulière que ce soit.

52.Quiconque a été convaincu d'avoir pratiqué ou aidé à pratiquer un avortement ayant entraîné la mort d'une femme enceinte est passible d'une sanction pénale fixée par la justice.

53.M. Salvioli exhorte l'État partie a envisager d'envoyer, aux réunions futures du Comité, une délégation de personnes originaires de la capitale afin de faciliter le dialogue.

54.Il signale que la Convention américaine relative aux droits de l'homme diffère sensiblement du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et que les interprétations de la Commission interaméricaine des droits de l'homme sont différentes de celles du Comité des droits de l'homme.

55.S'agissant de la question de la peine capitale, le Conseil privé a clairement reconnu, dans l'affaire Pratt and Morgan v. Attorney General of Jamaica, qu’une incarcération prolongée dans le couloir de la mort constitue un châtiment cruel, inhumain ou dégradant. M. Salvioli demande si la nouvelle Charte des libertés et droits fondamentaux dispose que le temps passé dans le quartier des condamnés à mort ne doit pas être pris en compte pour déterminer si un détenu a subi un châtiment cruel, inhumain ou dégradant.

56.M. Thelin ne parvient pas à comprendre comment l'État partie peut affirmer que le maintien de la pénalisation de l'homosexualité masculine est compatible avec les dispositions de l'article 2, lu en parallèle avec les articles 17 et 26, du Pacte. Peut-être cela s'accorde-t-il avec les dispositions de la nouvelle Charte, mais il y a là une violation manifeste des droits consacrés par ces articles du Pacte. Que les nationaux jamaïcains ne puissent pas compter sur les tribunaux pour remédier à cet état de choses ne fait que souligner combien il importe d'harmoniser le système juridique de l'État partie avec les obligations découlant de l'article 2 du Pacte.

57.Sir Nigel Rodley invite la délégation à commenter l’article 13 (8) de la Constitution, modifié par la Charte des libertés et droits fondamentaux, qui dispose que l'exécution d'une peine capitale imposée après l'entrée en vigueur de la Charte ne sera pas considérée comme contraire à cet article ou incompatible avec lui à raison du temps écoulé entre la date du prononcé de la sentence et la date où elle est exécutée. Il semble y avoir là une tentative d'inverser par la Constitution la décision rendue dans l'affaire Pratt et Morgan, qui a instauré une présomption en faveur d'une commutation de peine au terme de cinq années. Sir Nigel Rodley demande des précisions sur le processus qui a abouti à l'adoption de cette disposition, et s’inquiète à l'idée que, sur le territoire de l'État partie, des personnes peuvent passer jusqu'à 13 ans dans le quartier des condamnés à mort.

La séance est levée à 18 heures.