Nations Unies

CCPR/C/SR.3615

Pacte international relatif aux droits civils et politiques

Distr. générale

17 juillet 2019

Original : français

Comité des droits de l ’ homme

1 2 6 e session

Compte rendu analytique de la 3615 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le jeudi 4 juillet 2019, à 15 heures

Président (e):Mme Pazartzis (Vice-Présidente)

Sommaire

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40 du Pacte (suite)

Deuxième rapport périodique de la Mauritanie

La séance est ouverte à 15 h 5.

Examen des rapports soumis par les États parties en application de l’article 40 du Pacte (suite)

Deuxième rapport périodique de la Mauritanie (CCPR/C/MRT/2, CCPR/C/MRT/Q/2, CCPR/C/MRT/Q/2/Add.1 et HRI/CORE/1/Add.112)

1. Sur l ’ invitation de la Présidente, la délégation mauritanienne prend place à la table du Comité.

2.M. Ould Sidi (Mauritanie) dit que le rapport a été établi par le Comité technique chargé de l’élaboration des rapports, en consultation avec toutes les parties prenantes, y compris les institutions nationales des droits de l’homme et les organisations de la société civile.

3.Depuis quelques années, les pays de la région sahélo-saharienne doivent faire face à des défis sans précédent en matière de sécurité et de développement en raison notamment de la persistance du terrorisme, de l’afflux massif de réfugiés et de la criminalité transfrontière organisée. Or, leurs ressources sont limitées du fait de la crise économique et de la sécheresse qui sévit depuis des années. Convaincu que le meilleur moyen de relever tous ces défis est de bâtir un état de droit, la Mauritanie s’est employée à mettre en place des institutions solides et stables et a doté ses forces armées et ses forces de sécurité de ressources suffisantes leur permettant d’assurer la protection de la population et des frontières.

4.Le processus de démocratisation entamé en 1990 a abouti à la consécration du multipartisme, qu’illustre la diversité de la composition politique de l’Assemblée nationale. Depuis l’examen du rapport initial, les autorités ont organisé deux élections législatives et municipales, plusieurs élections régionales et deux élections présidentielles. En outre, la Constitution a fait l’objet de deux révisions, qui ont permis d’introduire de nouvelles dispositions prévoyant notamment de modifier la composition du Conseil constitutionnel de façon à assurer une meilleure représentation de l’opposition au sein de cet organe, de fusionner le Haut Conseil de la fatwa et des recours gracieux et le Haut Conseil islamique, d’instituer la Commission nationale des droits de l’homme, d’ériger l’esclavage et la torture en crimes contre l’humanité et de reconnaître la diversité culturelle et linguistique du pays. L’élection présidentielle de juin 2019 s’est déroulée dans un esprit de transparence et de saine compétition et a abouti à une alternance entre deux présidents élus démocratiquement, ce qui est une première dans l’histoire politique du pays.

5.Afin de donner effet aux dispositions du Pacte, la Mauritanie a mis en place un cadre institutionnel et juridique de promotion et de protection des droits de l’homme. Les organisations de la société civile participent à l’élaboration, à l’application et au suivi des politiques publiques. On dénombre actuellement plus de 6 000 associations locales, 34 centrales syndicales et plus de 400 syndicats professionnels non affiliés. En outre, 62 organisations non gouvernementales (ONG) internationales sont actives dans le pays. Quelque 103 partis politiques ont vu le jour depuis 1991 ; huit d’entre eux sont dirigés par des femmes. Actuellement, le pays compte 26 partis.

6.La Mauritanie s’est dotée d’un cadre juridique garantissant le droit à la vie et interdisant la torture et les atteintes à l’intégrité physique et morale. En outre, elle a mis en place le mécanisme national de prévention dont la création est prévue par le Protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants.

7.La Mauritanie est partie aux instruments régionaux et internationaux relatifs à la lutte contre la corruption et, depuis quelques années, des mesures sont prises pour garantir une gestion transparente et équilibrée des ressources publiques. La société civile, à travers notamment deux observatoires et deux réseaux de presse, joue également un rôle important dans la lutte contre la corruption.

8.La Constitution interdit toute forme de discrimination raciale ou ethnique et plusieurs textes de loi ont été adoptés pour incorporer dans le droit interne les dispositions de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Afin de renforcer la cohésion nationale, l’ordonnance sur les partis politiques prévoit que les groupements politiques ont l’interdiction d’être fondés sur l’appartenance à une race, une ethnie, une religion ou un sexe. La Mauritanie est fière de sa diversité culturelle et linguistique et s’emploie à préserver et promouvoir ses langues nationales et son patrimoine culturel. En vertu de la Constitution, quatre langues − l’arabe, le pulaar, le soninké et le wolof − ont le statut de langue nationale. Un institut chargé de la promotion de l’écriture et de l’enseignement des langues nationales a été créé et les médias officiels sont tenus de diffuser une partie de leurs programmes dans les différentes langues nationales.

9.Des progrès ont été enregistrés en ce qui concerne la représentation des femmes dans la vie politique, économique et sociale et l’accès aux postes électifs. Actuellement, les femmes représentent 20 % des membres de l’Assemblée nationale, 31 % des conseillers municipaux, 35,2 % des conseillers régionaux, 36 % des membres du Gouvernement et 35 % de l’ensemble du personnel de la fonction publique.

10.Les recommandations formulées dans la feuille de route pour l’élimination des formes contemporaines d’esclavage adoptée en 2014 ont été appliquées dans une large mesure. Le règlement du passif humanitaire s’est concrétisé par le rapatriement volontaire et organisé de plus de 24 500 Mauritaniens réfugiés au Sénégal, en application de l’accord conclu en novembre 2007 par la Mauritanie, le Sénégal et le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). L’opération de rapatriement a pris fin le 25 mars 2012 et près de 1 200 fonctionnaires et agents contractuels de l’État victimes des événements de 1989 ont été indemnisés et réintégrés.

11. M. Ben Achour constate, à la lecture des réponses écrites de l’État partie à la liste de points établie par le Comité, qu’un seul article du Pacte, l’article 11, a été directement appliqué par les tribunaux mauritaniens et qu’aucun exemple concret tiré de la jurisprudence n’est cité à titre d’illustration. La délégation voudra bien préciser si d’autres articles du Pacte ont été directement appliqués par les juridictions internes et, le cas échéant, citer les affaires pertinentes.

12.M. Ben Achour relève que la Mauritanie se définit comme un État islamique, choix qui procède des prérogatives de tout État souverain et qui n’a pas à être contesté. Il est en revanche préoccupé de lire dans les réponses écrites que la charia est l’unique source du droit mauritanien, car cette affirmation revient à nier l’existence du droit international des droits de l’homme en général, et du Pacte en particulier. M. Ben Achour constate que, depuis l’examen du rapport initial, la législation mauritanienne est devenue de moins en moins compatible avec le Pacte dans des domaines fondamentaux tels que le droit à la vie, l’égalité entre hommes et femmes, la liberté de conscience et de religion et la liberté d’expression et que l’État et la société semblent suivre une tendance inquiétante à l’islamisation qui nuit à l’application du Pacte. Un exemple de cette évolution est l’adoption le 27 avril 2018 de la loi portant modification de l’article 306 du Code pénal, dont l’article 18 prévoit l’obligation de prononcer la peine de mort contre tout individu reconnu coupable d’apostasie ou de blasphème, même si l’intéressé s’est repenti. Or, cette disposition est contraire au Pacte, mais elle est aussi contraire à la charia elle-même, celle‑ci excluant la possibilité d’exécuter un apostat qui a manifesté son repentir. La délégation voudra bien commenter ces observations et, en particulier, fournir des informations sur la situation de Mohammed Shaikh Ould Mohammed M. Mkhaitir, blogueur condamné à mort pour apostasie en 2014, qui serait actuellement maintenu en détention dans un lieu secret alors qu’il a bénéficié d’une commutation de peine en 2017 et qu’il aurait dû être remis en liberté, ayant déjà exécuté sa peine. La délégation est invitée en outre à expliquer pourquoi l’avortement est interdit dans presque tous les cas en Mauritanie, y compris lorsque la grossesse est la conséquence d’un viol ou d’un inceste. Il fait observer qu’une telle interdiction est contraire non seulement au Pacte, mais aussi à la charia, qui, selon d’éminents juristes, autorise les familles nombreuses qui souhaitent limiter le nombre des naissances à recourir à l’avortement, à condition que celui-ci soit pratiqué pendant les trois premiers mois de la grossesse.

13.Relevant qu’en 2017, la Commission nationale des droits de l’homme a été rétrogradée au statut « B », M. Ben Achour demande ce que l’État partie compte faire pour que cette institution obtienne de nouveau le statut « A ». Il aimerait savoir si l’indépendance du mécanisme national de prévention est garantie, sachant que son président et son secrétaire général sont nommés par l’exécutif. Enfin, il demande si la Mauritanie entend maintenir ses réserves aux articles 18 et 23 du Pacte.

14.M me  Brands Kehris souhaite savoir ce qui empêche l’abrogation de la loi n° 93‑23 du 14 juin 1993 portant amnistie pour les infractions commises dans le cadre du conflit sénégalo-mauritanien, entre 1989 et 1991. Sachant que, selon des informations communiquées par des organisations de la société civile, certains auteurs de ces infractions sont connus et occupent des postes politiques de haut rang, elle s’enquiert des mesures prises par l’État partie pour lutter contre l’impunité. Elle demande quels recours les victimes et les membres de leur famille peuvent utiliser sans risquer de représailles et comment l’État partie entend établir la vérité sur les événements survenus entre 1989 et 1991, identifier les auteurs des infractions et les punir par des peines appropriées. Elle invite la délégation à préciser si la définition de la discrimination, telle qu’elle figure dans la loi n° 2018-023 du 18 janvier 2018 portant incrimination de la discrimination, doit être conforme à la charia, comme plusieurs rapporteurs spéciaux de l’Organisation des Nations Unies l’ont affirmé. Elle demande ce que l’État partie a fait ou compte faire pour que les motifs de discrimination interdits par le Pacte soient expressément mentionnés dans son droit interne, et si la loi interdit à la fois les formes directes et indirectes de discrimination. Elle demande également si l’État partie a clarifié ou entend clarifier la notion d’incitation à la haine, en particulier l’incitation à la haine contre la doctrine officielle de la République islamique de Mauritanie, visée à l’article 10 de la loi portant incrimination de la discrimination. Elle aimerait savoir si l’interdiction de la discrimination est aussi consacrée par le droit civil et le droit administratif et, dans l’affirmative, pour quels motifs, dans quels domaines et quelles sont les sanctions encourues par les infracteurs. Elle invite la délégation à expliquer la relation entre les dispositions de la loi portant incrimination de la discrimination et celles de la loi relative à la cybercriminalité en matière d’interdiction de l’incitation à la haine. Elle aimerait savoir à partir de quelles analyses et données, y compris statistiques, il est établi qu’une discrimination est subie par certains groupes, notamment les communautés haratine et négro‑africaine. Elle demande combien d’activités de formation et de sensibilisation aux dispositions de la loi portant incrimination de la discrimination ont été organisées à l’intention des juges et des responsables de l’application des lois, si ces activités s’inscrivent dans des programmes de formation réguliers, quels ont été leurs résultats, et s’il y est question des préjugés et de la stigmatisation des Haratines et des Négro-Africains. Elle s’enquiert des obstacles à la participation de ces deux communautés aux affaires politiques et publiques et des mesures correctives adoptées. Elle demande si la loi portant modification de l’article 306 du Code pénal et rendant le blasphème et le sacrilège punissables de la peine capitale est entrée en vigueur et si l’État partie compte rendre cette loi conforme aux dispositions de l’article 6 du Pacte. Enfin, elle invite la délégation à réagir aux allégations de disparitions forcées formulées par plusieurs ONG à l’occasion de l’Examen périodique universel de la Mauritanie et à celles, plus récentes, concernant l’enlèvement de 14 détenus condamnés pour terrorisme, dont Mohamed Sebti et Mohamed Hmednah, par des membres des forces armées à la prison civile de Nouakchott, qui contredisent les réponses écrites de l’État partie.

15.M me  Tigroudja demande si l’État partie prévoit de modifier son Code pénal afin que l’homosexualité ne soit plus incriminée et punie de la peine capitale. De plus, compte tenu de l’obligation de protection mise à la charge de l’État partie par le Pacte, elle aimerait savoir quelles mesures de formation et de sensibilisation aux questions d’identité de genre sont prises pour lutter contre les stéréotypes. En ce qui concerne la participation des femmes à la vie politique, elle invite la délégation à communiquer des chiffres plus détaillés et plus récents que ceux qui figurent dans les réponses écrites. Des précisions sur les actions engagées en faveur d’une plus grande représentation des femmes dans la sphère publique seraient également les bienvenues. Certaines femmes, comme les femmes haratines et négro-africaines, font l’objet d’une double discrimination, fondée sur le sexe et l’origine ethnique. L’État partie est-il conscient de cette situation et agit‑il pour remédier à la marginalisation de ces femmes, voire à leur exclusion des affaires politiques et publiques ? Mme Tigroudja se félicite du moratoire sur la peine de mort qui est appliqué depuis 1987, mais demande si l’État partie prévoit de ratifier le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte. Elle aimerait savoir combien de condamnations à la peine capitale ont été prononcées annuellement depuis 2013, pour quels crimes et combien de ces condamnations ont été commuées en peines privatives de liberté, sachant que le nombre de condamnés à mort est passé de 90 à 115 entre 2017 et 2018, selon les informations communiquées au Comité. Elle demande également si l’État partie envisage de réviser son Code pénal pour restreindre la liste des crimes passibles de la peine capitale et quelles sont les garanties judiciaires, telles que l’accès à un avocat, qui sont prévues pour les personnes susceptibles d’être condamnées à mort.

16.M. Santos Pais demande où en est la révision de la loi no2001-052 du 19 juillet 2001 portant code du statut personnel, dont l’objet est d’éliminer toutes les dispositions discriminatoires à l’égard des femmes, et si un projet de loi est en discussion. Il aimerait savoir quelles mesures sont prises pour former les fonctionnaires, les magistrats et les membres des forces de l’ordre, et sensibiliser l’ensemble de la population, aux questions de genre. Il dit que l’égalité entre hommes et femmes en matière d’acquisition et de transmission de la nationalité, à laquelle visent la loino61‑112 portant code de la nationalité mauritanienne et la loi no2010-023 abrogeant et remplaçant certaines de ses dispositions, ne semble pas encore une réalité, si l’on en juge par les réponses écrites de l’État partie. En effet, la transmission de la nationalité est assortie de conditions lorsqu’elle se fait par la mère. Les enfants nés à l’étranger peuvent demander la nationalité mauritanienne après leur majorité si cette nationalité leur est transmise par leur père, mais doivent le faire un an avant leur majorité en cas de transmission par la mère. Quant à la transmission de la nationalité à un conjoint étranger ou apatride, elle semble accompagnée de conditions différentes selon qu’elle s’effectue par l’époux ou par l’épouse. M. Santos Pais invite la délégation à réagir à ces inégalités de fait. Il demande si l’État partie dispose de statistiques sur la composition ethnique de la population et fait observer que les deux tiers de celle-ci serait composée de Haratines (40 %) et d’Afro‑Mauritaniens (environ 30 %). Il invite la délégation à indiquer où en est le projet de loi-cadre de lutte contre les violences basées sur le genre, rejeté à trois reprises par le Parlement depuis 2017, et quelles innovations il contient. Il l’invite également à présenter les mesures et les programmes adoptés par le comité national et les comités régionaux de lutte contre les violences basées sur le genre, et à préciser la couverture géographique desdits comités régionaux, et s’enquiert des principaux objectifs et des principales mesures du plan d’action national sur les violences basées sur le genre. Il demande ce qui est fait pour faciliter le dépôt et l’enregistrement de plaintes, et invite la délégation à fournir des exemples des poursuites engagées et des condamnations fermes prononcées pour violences basées sur le genre. Il demande quelles procédures opératoires normalisées sont appliquées en vue d’une meilleure prise en charge des victimes, de quelle forme d’appui celles-ci bénéficient et si elles ont accès à une assistance judiciaire gratuite. Il aimerait aussi savoir si l’État partie entend mieux définir le crime de viol et empêcher la pratique apparemment répandue consistant à emprisonner ou à soumettre à des châtiments corporels les femmes ayant porté plainte pour viol, sous l’accusation d’adultère, lorsqu’elles ne peuvent pas prouver qu’elles n’étaient pas consentantes. Il invite la délégation à dresser le bilan des programmes de lutte contre les mutilations génitales féminines, notamment sur le plan de la formation et de la sensibilisation, et à donner des informations sur le nombre de plaintes déposées, de poursuites engagées et de condamnations fermes prononcées pour de tels actes ainsi que sur les mesures de réhabilitation, en particulier la prise en charge psychologique et sanitaire, qui sont assurées aux femmes mutilées. Il demande quels ont été les résultats du plan d’action contre le mariage d’enfants engagé en 2014 et si celui-ci doit être mis en œuvre sur l’ensemble du territoire, car jusqu’à présent, il ne semble couvrir que 10 wilayas sur les 15 existantes. Il s’enquiert du nombre de mariages d’enfants enregistrés ces trois dernières années, et des mesures prises par l’État partie pour lutter contre les causes structurelles de ces mariages, à savoir la pauvreté, l’analphabétisme et l’esclavage, et en particulier pour empêcher que des mineures fassent l’objet de mariages arrangés et dictés par l’intérêt personnel de leurs tuteurs. Il aimerait savoir où en est le projet de loi contre le mariage d’enfants et s’il est en conformité avec la loi no2018-024 portant code général de l’enfance, qui punit les mariages décidés par les parents sans prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. Enfin, il demande quelles autres mesures de formation et de sensibilisation sont prévues.

17.M. Fathalla invite la délégation à réagir aux propos du père de Lamine Mangane, qui dit que la mort de son fils, survenue pendant des manifestations réprimées par les forces de l’ordre, n’a donné lieu à aucune enquête et à aucune indemnisation en sa faveur, contrairement à ce que l’État partie affirme dans ses réponses écrites. Il demande combien de personnes ont suivi les formations aux droits de l’homme qui, d’après certaines sources, ont été dispensées au personnel militaire, et en quoi consisteront exactement les formations à venir, notamment celles qui doivent être organisées à l’intention des policiers avec la coopération de l’Union européenne. Il demande quelles mesures sont envisagées pour remédier au manque de coordination entre les services de maternité, qui compromet le suivi et la prise en charge, et ce faisant, maintient la mortalité et la morbidité maternelles et infantiles à des taux parmi les plus élevés au monde, et s’enquiert de la valeur de ces taux dans l’État partie après 2015. Il invite la délégation à donner des précisions sur la mise en œuvre des mesures visant à améliorer l’accès aux services de santé mentionnées au paragraphe 50 des réponses écrites ainsi que sur les résultats obtenus à cet égard. Notant que l’État partie n’a pas répondu à la question de la liste de points relative à l’avortement et que le chef de la délégation n’a pas apporté d’informations à ce sujet dans sa déclaration liminaire, M. Fathalla dit qu’il croit comprendre que la nouvelle loi relative à la santé reproductive adoptée en 2018 légalise l’avortement au cours des trois premiers mois de grossesse dans certaines circonstances, notamment en cas de viol ou de maladie, et demande si l’État partie envisage de modifier le Code pénal, qui condamne l’avortement dans l’absolu, pour le mettre en conformité avec la nouvelle loi. Il voudrait enfin savoir quelles mesures concrètes l’État partie entend prendre pour mettre fin à la pratique des mutilations génitales féminines qui, bien qu’interdite par la loi, reste très répandue dans les régions pauvres du pays.

La séance est suspendue à 16 h 25 ; elle est reprise à 16 h 45.

18.M. Ould Moulaye Abdallah (Mauritanie) rappelle qu’en vertu de l’article 80 de la Constitution, les traités ratifiés par la Mauritanie et publiés au Journal officiel ont une autorité supérieure à celle des lois, et cite quatre affaires dans lesquelles des juges ont annulé des décisions ordonnant l’exécution d’une dette contractuelle par voie de contrainte par corps ou refusé d’autoriser l’exécution forcée de telles décisions en invoquant l’article 11 du Pacte. Le nouvel article 306 du Code pénal établit une distinction entre, d’une part, l’apostasie, qui a trait au rapport de l’individu à sa propre foi et dont il est possible de se racheter en se repentant, et le sacrilège commis contre le Créateur, les prophètes et les livres saints, pour lequel la possibilité de se repentir n’est pas prévue car un tel acte constitue, dans le contexte social et culturel mauritanien, une infraction particulièrement grave. Ces nouvelles dispositions sont conformes au rite malikite et acharite en vigueur en Mauritanie.

19.Les 14 individus auxquels Mme Brands Kheris a fait référence n’ont jamais été victimes de disparitions forcées. Ils ont été placés en détention à la prison de Teyaret Elwasaa par décision du Ministère de la justice, prise conformément à la prérogative qui est la sienne de déterminer la structure la plus appropriée pour accueillir certaines catégories de condamnés. Après la visite du Rapporteur spécial sur la question de la torture, les intéressés ont tous été rapatriés à la prison centrale de Nouakchott en juin 2016, où ils sont détenus depuis lors. Bien que la peine de mort soit toujours prévue par le Code pénal, aucune exécution n’a eu lieu depuis 1987. Les personnes jugées pour une infraction punie de la peine de mort bénéficient des garanties juridiques fondamentales et de la possibilité de faire appel au même titre que les autres prévenus. S’il est vrai que, par le passé, certaines difficultés ont pu entraver le respect du droit à l’assistance d’un conseil, de grands progrès ont été faits à cet égard et tous les chefs-lieux de région, où se trouvent les juridictions pénales, accueillent désormais des avocats en nombre suffisant. Chacun des 115 condamnés à mort actuellement incarcérés a été reconnu coupable de meurtre ; 90 d’entre eux sont sous le coup d’un jugement définitif et n’ont donc plus de recours à leur disposition. À défaut de pouvoir donner des statistiques précises sur le nombre de commutations de peines de mort qui ont été accordées à ce jour, M. Ould Moulaye Abdallahindique que le dernier cas remonte à 2016, et que dans plusieurs affaires, c’est grâce à l’initiative prise par l’État de payer les diyas que les peines ont pu être commuées.

20.Les conditions d’acquisition de la nationalité mauritanienne par voie de naturalisation sont les mêmes pour les hommes et les femmes depuis la réforme de la loi no 61.112 en 2010. Les dispositions régissant la transmission de la nationalité mauritanienne ne sont nullement discriminatoires puisqu’il est permis à l’enfant né sur le sol mauritanien de parents mixtes de répudier sa nationalité mauritanienne, et à l’enfant né à l’étranger de parents mixtes de choisir la nationalité mauritanienne, le même principe s’appliquant dans tous les cas, à savoir que la double nationalité n’est pas admise, excepté dans certaines circonstances bien précises. L’article 306 révisé du Code pénal semble susciter l’inquiétude du Comité, mais il ne faut pas oublier le pouvoir d’appréciation exercé par le juge pour déterminer la qualification des faits, dont dépend la peine applicable. L’affaire Mangane a donné lieu à une enquête préliminaire qui a été menée à bien par une équipe de police judiciaire différente de celle du lieu des faits. Le Procureur de la République a statué sur l’opportunité des poursuites et a classé l’affaire par décision dûment motivée.

21.M. Ould Bobacar (Mauritanie) dit que M. Mkhaitir a été condamné à l’issue d’un procès équitable à une peine de deux ans d’emprisonnement qu’il a exécutée, et qu’il n’est donc plus en conflit avec la loi. Toutefois, ses propos sur le prophète ayant profondément choqué et indigné la population mauritanienne, il a été décidé, pour sa propre sécurité, et conformément à l’obligation qui incombe à l’État d’assurer la sécurité de tout citoyen mauritanien, de le placer en détention administrative. Il n’est donc pas détenu arbitrairement, mais en vertu d’un arrêté légal du Ministre de l’intérieur, et il sera libéré dès qu’il sera estimé que sa sécurité n’est plus menacée.

22.La formation de la police est un sujet que la Mauritanie prend très au sérieux, comme l’atteste le plan de formation qu’elle a lancé dans ce domaine. L’école nationale de police forme les commissaires de police ; pour y être admis, les candidats doivent être titulaires d’un master 2 en droit, et leur formation dure vingt-six mois. Le programme est essentiellement axé sur des thématiques juridiques telles que le fonctionnement de la justice, les obligations de l’État, les libertés publiques et l’ordre public. Il comporte un enseignement de la Constitution, laquelle contient tous les principes fondamentaux relatifs aux droits de l’homme, ainsi que de tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et au droit humanitaire que la Mauritanie a ratifiés. L’école nationale de police assure également des formations continues sur des thèmes divers, tels que le droit d’asile ou les violences fondées sur le genre, qui ne s’adressent pas uniquement aux commissaires de police mais aussi aux agents de la police judiciaire. Créé il y a quelques années, le Collège sahélien de sécurité est une institution qui forme les officiers du haut-commandement militaire des pays du G5 Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie et Tchad) confrontés au terrorisme. Les modules de formation proposés portent essentiellement sur les droits de l’homme et la gestion des crises humanitaires et publiques. L’Académie mauritanienne de la paix et de la sécurité dispensera dès septembre des formations traitant des libertés publiques et des conventions internationales, élaborées en coopération avec l’Union européenne.

23.La Mauritanie est un des premiers pays de la région à s’être engagés dans la lutte contre les violences fondées sur le genre, notamment en créant, dès les années 1990, une commission de lutte contre ce type de violences et des commissariats spécialisés dans la lutte contre les violences fondées sur le genre et les violences envers les mineurs. Certains magistrats sont spécialement formés à ces questions, et les victimes sont prises en charge par des assistantes sociales. Une coopération a été mise en place dans ce domaine avec l’Allemagne, dans le cadre de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit (GIZ), et avec l’Espagne, dans le cadre du programme Masar.

24.M. Diakite (Mauritanie) rappelle que la Mauritanie a adhéré à la Convention relative aux droits de l’enfant, à la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant et à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, ainsi qu’à d’autres conventions qui interdisent les mauvais traitements envers les enfants. En application de ces instruments, le pays a pris diverses mesures pour lutter contre les mariages d’enfants. Il a notamment adopté la loi no 024-2018 portant code général de l’enfance, dont l’article 17 prévoit que le fait de marier un enfant sans tenir compte de son intérêt supérieur est passible de cinq à dix ans d’emprisonnement, et la loi de 2001 portant code du statut personnel, dont l’article 6 interdit les mariages précoces. Les mariages doivent être enregistrés à l’état civil, et seuls peuvent être enregistrés ceux qui sont contractés par des personnes âgées de plus de 18 ans. Le Gouvernement a créé en 2014 un comité multisectoriel de lutte contre le mariage des enfants, composé de représentants des ministères compétents et de la société civile, ainsi que du Fonds des Nations Unies pour l’enfance et du Fonds des Nations Unies pour la population, qui a organisé des actions de sensibilisation sur cette question. Des formations ont été dispensées à tous ceux qui prennent part à la lutte contre les mariages d’enfants au niveau des régions. Le comité multisectoriel a aussi fait diffuser par toutes les stations de radio locales et les chaînes de télévision des émissions de sensibilisation, et a mis en place des caravanes de sensibilisation dans cinq wilayas du pays. En outre, une loi rendant obligatoire la scolarisation de tous les enfants âgés de 6 à 14 ans a été adoptée, des programmes de bourses visant à encourager la scolarisation des filles ont été lancés et des centres de formation professionnelle pour les filles ont ouvert dans tout le pays.

25.La lutte contre les violences fondées sur le genre est une priorité du Gouvernement, qui collabore avec l’ONU, la société civile et les acteurs communautaires pour mettre fin à ce fléau et faire prendre conscience au grand public que ces violences sont des violations graves des droits de l’homme. Un Comité national de lutte contre les violences fondées sur le genre a été créé, qui est chargé de conseiller les acteurs responsables de la lutte contre les mutilations génitales féminines. Une cellule spécialisée a été mise en place au sein du Ministère des affaires sociales, de l’enfance et de la famille, ainsi que des comités régionaux dans les régions où ces pratiques sont répandues. D’autres instances, notamment la Commission nationale des droits de l’homme, le Mécanisme national de prévention, des réseaux de femmes et des réseaux de parlementaires participent aussi à la lutte contre les violences fondées sur le genre. Des arguments basés sur les préceptes religieux ont été fournis aux oulémas pour les aider à lutter contre les mutilations génitales féminines. D’importants efforts ont également été déployés pour former le personnel médical. Entre 2013 et 2017, des actions de sensibilisation ont été menées dans les sept wilayas les plus concernés par cette pratique. Des communautés villageoises ont déclaré publiquement qu’elles renonçaient à pratiquer des mutilations génitales féminines. La prévalence de ces mutilations chez les filles de moins de 14ans a baissé, passant de 72 % en 2007 à 41 % en2015.

26.M. Santos Pais remercie la délégation pour les réponses qu’elle a apportées. Il observe que des différences persistent entre la situation des hommes et celle des femmes en ce qui concerne la transmission et l’acquisition de la nationalité, et qu’il conviendrait de modifier la loi afin de parvenir à une pleine égalité. Il prend note des explications de la délégation concernant l’article306 du Code pénal et le pouvoir d’appréciation et de qualification des juges, mais fait observer que ceux-ci sont tenus d’appliquer la loi et que leur marge de manœuvre est donc limitée. En ce qui concerne le classement de l’affaire Mangane, il invite la délégation à préciser si l’action du parquet est régie par le principe de la légalité des poursuites ou par celui de l’opportunité des poursuites. M.Santos Pais s’étonne du maintien en détention administrative de M.Mkhaitir, une telle mesure étant censée servir à prévenir un risque pour la sécurité des populations, et non à garantir la sécurité de la personne détenue. Bien que l’intention soit louable, il est choquant que l’État partie n’ait pas choisi une autre mesure que la détention administrative, qui peut se prolonger indéfiniment. M.Santos Pais salue les efforts déployés par l’État partie pour lutter contre les violences fondées sur le genre et les mutilations génitales féminines. Il constate toutefois avec inquiétude que près de la moitié des filles subissent encore ces mutilations, et encourage l’État à poursuivre son action dans ce domaine. Il invite en outre la délégation à dire si les femmes qui portent plainte pour viol risquent toujours d’être l’objet de poursuites pour adultère si elles ne sont pas en mesure de prouver l’absence de consentement.

27.M. Ben Achour rappelle que la charia n’est pas un instrument rigide ; elle évolue et peut faire l’objet d’interprétations libérales. Il invite la Mauritanie à suivre ces interprétations, qui vont dans le sens du Pacte, et à envisager les questions de l’apostasie, de l’interruption volontaire de grossesse, de l’égalité hommes-femmes et de la liberté de conscience à la lumière d’une interprétation éclairée de la charia. M. Ben Achour rappelle que l’on ne saurait placer une personne en détention pour en assurer la sécurité. Si l’État partie craint que la libération de M. Mkhaitir entraîne des troubles à l’ordre public, il lui est loisible de prendre les mesures de police administrative nécessaires pour éviter ces troubles.

28.M me Tigroudja demande quelles réformes sont envisagées pour garantir que seuls les crimes les plus graves soient passibles de la peine de mort, conformément à l’article 6 du Pacte. Les derniers chiffres sur les commutations de peine datant de 2016, elle invite la délégation à fournir des données plus récentes, qui permettraient d’illustrer le caractère automatique des commutations. La délégation ayant indiqué que la condamnation à mort n’était prononcée qu’en cas de crime de sang, Mme Tigroudja demande quelles mesures l’État partie entend prendre en ce qui concerne l’incrimination de l’homosexualité, qui est toujours passible de la peine capitale. Saluant les efforts déployés par l’État partie dès les années 1990 pour lutter contre les violences fondées sur le genre, elle demande si la question des violences homophobes est prise en compte dans ce cadre. Enfin, elle invite de nouveau la délégation à fournir des informations, y compris des données statistiques, sur la représentation des femmes, notamment des Haratines et des Négro-africaines, dans la sphère publique.

29.M. Fathalla demande de nouveau si l’État partie entend aligner son Code pénal sur la loi de 2018 relative à la santé reproductive, qui autorise l’interruption de grossesse dans certaines circonstances. Il invite à nouveau la délégation à fournir des données récentes sur la mortalité maternelle et infantile et à indiquer quelles mesures sont prises pour développer la coordination entre les hôpitaux dans ce domaine.

30.M. Zimmermann invite la délégation à répondre à la question qui lui a été posée au sujet des réserves formulées par l’État partie à l’article 18 du Pacte. Il demande si ces réserves sont compatibles avec le Pacte, quels sont leurs éventuels effets en droit, et quelle est la position du Gouvernement sur cette question.

31.M. Bulkan demande si le droit mauritanien contient des normes claires en ce qui concerne la commutation des peines capitales et l’octroi de la grâce, et si les condamnés ont la possibilité de solliciter la commutation de leur peine ou la grâce. La délégation pourra aussi indiquer depuis combien de temps, en moyenne, les 115 personnes actuellement condamnées à mort attendent leur exécution.

32.M me Brands Kehris invite la délégation à répondre aux questions qu’elle a posées au sujet de la loi no 2018-023 du 18 janvier 2018 portant incrimination de la discrimination et de l’abrogation de la loi d’amnistie de 1993. Elle demande aussi des précisions sur les conditions auxquelles la loi relative à la santé reproductive autorise l’interruption de grossesse.

33.M. Muhumuza Laki est préoccupé par les informations indiquant que l’esclavage a toujours cours en Mauritanie. Il invite la délégation à commenter ces informations.

34.La Présidente dit que la question de l’esclavage sera examinée à la séance suivante.

La séance est levée à 17 h 55.