Nations Unies

CERD/C/SR.2255

Convention internationale sur l ’ élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr. générale

29 août 2013

Original: français

Comité pour l ’ élimination de la discrimination raciale

Quatre-vingt - troisième session

Compte rendu analytique de la 2255 e séance

Tenue au Palais Wilson, à Genève, le lundi 26 août 2013, à 15 heures

Président (e): M. Avtonomov

Sommaire

Examen des rapports, observations et renseignements soumis par les États partiesen application de l’article 9 de la Convention

Dix ‑septième à vingt ‑deuxième rapports périodiques de Chypre

La séance est ouverte à 15 h 10.

Examen des rapports, observations et renseignements soumis par les États parties en application de l’article 9 de la Convention

Dix-septième à vingt-deuxième rapports périodiques de Chypre (CERD/C/CYP/17-22; CERD/C/CYP/Q/17-22/; HRI/CORE/CYP/2011) ( suite)

Sur l ’ invitation du Président, la délégation chypri ote reprend place à la table du  Comité.

M me Koursoumba (Chypre) dit que le bureau du Commissaire aux lois est un organe indépendant chargé de s’assurer que Chypre s’acquitte de ses obligations en matière de présentation de rapports au titre des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Nommé par le Président de la République pour un mandat de six ans, le Commissaire fait des propositions de réforme législative et soumet aux autorités compétentes des propositions de ratification de nouveaux instruments internationaux. Il coopère avec le Médiateur et le Commissaire aux droits de l’enfant en vue de l’élaboration des rapports destinés aux organes conventionnels. À Chypre, tous les habitants, quelle que soit leur origine − qu’ils soient Turcs, Maronites, Latins ou Roms − bénéficient des mêmes droits, même si, du fait de la situation politique depuis 1963, les mesures législatives peuvent sembler s’adresser surtout aux Chypriotes grecs. Or, il n’en est rien car, depuis 1974, date de la division de facto de l’île, des mesures ont été prises pour répondre aux besoins de toutes les communautés présentes de part et d’autre de la ligne de démarcation. Ainsi, les élèves habitant dans les districts peuplés majoritairement de Chypriotes turcs reçoivent un enseignement dans leur langue maternelle et, conformément à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, l’arménien a été déclaré langue minoritaire protégée.

En 2004, l’ONU a élaboré un plan de réunification de l’île qui a été soumis par référendum aux deux communautés et a été rejeté par les Chypriotes grecs. Cela n’a pas empêché l’île d’entrer dans l’Union européenne la même année, ce qui fait que tous ses habitants sont désormais citoyens européens. Le droit interne répond à toutes les exigences de la Convention et la loi relative à la lutte contre le racisme et les autres formes de discrimination (L.42(1)/2004) dispose que la motivation raciale d’une infraction est une circonstance aggravante et est pénalement répréhensible. Il est vrai que des groupes d’extrême droite sont actifs à Chypre, mais ce phénomène n’est pas propre au pays, et le droit interne réprime expressément toute manifestation de haine raciale ou toute incitation à la haine raciale. En concertation avec le Médiateur, les organisations non gouvernementales (ONG), en particulier l’ONG Kisa, jouent un rôle important dans l’élaboration des politiques publiques de lutte contre la discrimination. Toutes les directives européennes que Chypre est tenue de respecter en tant que membre de l’UE s’appliquent à tous les groupes de population se trouvant sur le territoire où s’exerce sa souveraineté. La Constitution garantit la liberté de religion de tous les citoyens, qu’ils soient de confession orthodoxe, musulmane ou autre, et les élèves ne sont pas tenus d’assister à des cours d’instruction religieuse si cela est contraire à leurs convictions. Enfin, les personnes d’origine pontique sont une communauté minoritaire composée de descendants d’habitants de la région de la mer Noire d’origine grecque.

M.  Veis (Chypre) dit que, selon les données recueillies par l’Autorité indépendante chargée d’enquêter sur les cas d’allégation et les plaintes mettant en cause la police, entre 2009 et 2012, 45 % des plaintes contre la police concernaient des allégations de violations des droits de l’homme, dont 23 % se sont révélées fondées. Entre 2010 et 2012, 228 enquêtes pénales ont été ouvertes pour faire la lumière sur des irrégularités policières. La plupart ont donné lieu à des sanctions pénales ou disciplinaires: suspension de salaire, licenciement ou blâme. Entre 2005 et 2012, 78 % des infractions comptabilisées dans le registre électronique des crimes et délits à motivation raciste ont abouti à une condamnation. Afin de remédier au taux élevé de non-dénonciation des infractions racistes, la police a pris des mesures visant à encourager les victimes à porter plainte et à coopérer avec les autorités de poursuites et avec l’organe de lutte contre la discrimination. Cet organe a mené plusieurs enquêtes sur des incidents à caractère raciste, notamment sur l’agression d’un Chypriote d’origine africaine par des jeunes de moins de 14 ans, qui ont été acquittés car ils n’avaient pas atteint l’âge de la responsabilité pénale. En ce qui concerne l’agression commise contre des immigrés par des groupes de jeunes à Ipsonas, les 12 accusés ont été condamnés à des amendes ou à des peines de prison. Suite aux affrontements lors d’une manifestation antiracisme en novembre 2010, huit membres d’une association ont été arrêtés et un a été condamné pour avoir agressé un des dirigeants de l’ONG Kisa. Face à la recrudescence des agressions racistes, notamment en raison des tensions intercommunautaires causées par la crise, la police et l’organe de lutte contre la discrimination ont mis sur pied un cadre d’action visant à renforcer la protection des victimes, à les sensibiliser à leurs droits et à améliorer les capacités d’enquête et d’intervention de la police. La nouvelle formation du personnel de police, dispensée dès septembre 2013, comprend sept modules qui visent à sensibiliser l’ensemble des effectifs de police aux droits de l’homme, au respect de la diversité et à la lutte contre la discrimination. Des stages de formation seront assurés par une équipe pluridisciplinaire composée d’intervenants d’horizons divers, comme des avocats, des travailleurs de centres pour demandeurs d’asile ou des professeurs d’université.

M.  Tsiakkiros (Chypre) dit que le Gouvernement au pouvoir depuis mars 2013 a nommé une commissaire aux affaires humanitaires, qui est notamment chargée de tisser des liens avec les représentants des minorités nationales et de solliciter leurs avis sur les questions les intéressant, pour ensuite les transmettre au Ministère de l’éducation et de la culture. En ce qui concerne le racisme dans les écoles, une équipe multidisciplinaire d’experts, qui travaille avec les ONG compétentes, a été mise sur pied pour accompagner et conseiller les élèves vulnérables. Le Ministère a mis en place d’autres services pour lutter contre le racisme en milieu scolaire, comme l’Observatoire de la violence scolaire ou les centres scolaires de conseils psychologiques. Qu’ils soient dans des écoles privées ou publiques, les élèves chypriotes turcs ne sont victimes d’aucune forme de discrimination et leurs parents reçoivent des allocations pour s’acquitter des frais de scolarité de leurs enfants dans des écoles privées. Dans la ville de Limassol, les élèves chypriotes turcs inscrits dans le secondaire sont dispensés de suivre les cours d’histoire et d’éducation religieuse, qui sont remplacés par des cours d’histoire et de culture dans leur propre langue. Une refonte totale des programmes et des manuels scolaires a eu lieu en 2011, et une réforme a été engagée pour réaliser l’égalité des chances entre élèves, sans distinction d’origine, de sexe, de religion, de statut social ou autre, dans un climat de tolérance et de non-discrimination. L’enseignement de l’histoire revêt une importance particulière à Chypre et vise à permettre aux élèves de mieux comprendre le passé, tout en apportant un éclairage historique multiculturel et tourné vers l’avenir.

Dans le cadre d’un projet soutenu par l’initiative Action for cooperation and trust in Cyprus lancée par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), une ONG a mis au point des matériels pédagogiques multilingues et exempts de tout stéréotype racial à l’intention de tous les élèves, qu’ils soient Chypriotes turcs ou Chypriotes grecs. L’éducation religieuse fait partie intégrante des programmes scolaires mais elle est de moins en moins didactique et davantage tournée vers la sensibilisation à la différence. Les élèves du primaire et du secondaire qui ne sont pas de confession orthodoxe peuvent être dispensés d’instruction religieuse à la demande de leurs parents ou tuteur. Depuis 2008, des démarches officielles ont été entreprises pour codifier la langue arabe maronite, qui est une langue minoritaire menacée, et développer son enseignement. Afin d’éviter toute ségrégation scolaire, chaque élève doit être scolarisé dans l’établissement qui relève de la circonscription administrative où se trouve son domicile. Toutefois, des zones d’éducation prioritaires ont été instituées pour répondre aux besoins des élèves issus de familles défavorisées ou dont la langue maternelle n’est pas le grec, et éviter ainsi leur marginalisation et l’échec scolaire. Dans ces écoles, les classes ont des effectifs réduits, les enseignants parlent la langue maternelle des élèves et des activités périscolaires, notamment sportives, sont proposées. Ces initiatives ont permis de faire baisser les taux d’abandon scolaire, d’augmenter le niveau général des élèves et de réduire le taux de redoublement. Parallèlement, les élèves roms bénéficient d’un enseignement bilingue visant à favoriser leur intégration scolaire et des manuels spéciaux et des cours de soutien leur sont proposés.

M me Christodoulidou (Chypre) dit qu’au cours des dernières années, environ 700 Roms sont venus se réinstaller dans les zones contrôlées par le Gouvernement chypriote, qui les a relogés et leur a donné accès à l’éducation, aux services de santé et à des aides sociales. Le Ministère de l’intérieur est chargé d’assurer la réparation de toutes les mosquées. Il en existe au moins une dans chacune des principales municipalités du pays. La minorité juive, qui compte un millier de personnes, dispose d’une synagogue à Larnaca. Les religions sont généralement respectées à Chypre. Tous les migrants ont le droit de pratiquer librement leur religion. En 2010, le premier Plan national d’action pour l’intégration des étrangers en situation régulière (2010-2012) a été adopté. Ce plan avait pour ambition de couvrir tous les aspects de la vie des migrants, notamment l’éducation, l’emploi, la santé et la culture. Force est de reconnaître toutefois que très peu des mesures définies dans ce plan ont été mises en œuvre, ce qui est dû à un défaut de coordination entre les services concernés. En février 2013, un comité a été chargé d’élaborer un nouveau plan d’action plus réaliste.

Les employés de maison sont l’un des groupes les plus vulnérables car l’État peut difficilement surveiller leurs conditions de travail. Ils ont toutefois la possibilité de déposer plainte au service des étrangers et de l’immigration de la police, lequel transmet l’affaire au département compétent du Ministère du travail pour examen. En juillet 2013, le Médiateur a publié un rapport sur les conditions de travail des employés de maison à Chypre dans lequel il recommande notamment que des mesures soient prises pour combattre le harcèlement sexuel et les mauvais traitements dont sont victimes les femmes et pour modifier les contrats de travail de ces personnes de façon à tenir compte des risques de traite. Le Ministère de l’intérieur est le coordonnateur national des activités de lutte contre la traite des personnes et l’exploitation sexuelle de migrantes. Depuis l’adoption en 2007 de la loi relative à la traite, qui couvre non seulement la traite mais aussi l’exploitation sexuelle et l’exploitation par le travail, l’État a pris des mesures concrètes pour combattre ces pratiques. Il a notamment créé un comité chargé de lutter contre la traite et de coordonner les mesures prises à cette fin, qui est composé de représentants des organes publics concernés et de quatre ONG locales. Ce comité a eu pour tâche d’élaborer un document concernant l’abolition des visas d’artiste, lesquels étaient étroitement liés à la traite et à la prostitution forcée de femmes étrangères à Chypre. Lorsque ce type de visa a disparu, le nombre de cabarets a progressivement diminué, passant de 130 en 2008 à une dizaine en 2013. Le plan de lutte contre la traite 2010-2012 a été évalué en décembre 2012 et un nouveau plan a été adopté en avril 2013. Ce plan prévoit notamment de faire traduire tous les contrats proposés aux travailleurs étrangers et d’y incorporer un paragraphe contenant une définition de la traite. Des brochures d’information sur la traite publiées en plusieurs langues continuent d’être distribuées aux migrants. En vertu de la loi, les victimes de la traite peuvent bénéficier des services d’un interprète et avoir accès aux services de santé. Les femmes victimes d’exploitation sexuelle ont la possibilité d’être hébergées dans un foyer et de travailler dans les mêmes conditions que les nationaux. Si elles ne le souhaitent pas, elles touchent une aide de l’État.

M. de Gouttes note que la délégation a cité des exemples d’affaires dans lesquelles des enquêtes et des poursuites avaient été ouvertes mais qu’elle n’a pas donné d’informations sur les peines prononcées au pénal ni sur d’éventuelles réparations civiles accordées aux victimes de discrimination raciale. Or, il serait utile au Comité de connaître l’issue des procédures judiciaires se rapportant à des violations de la Convention car ces décisions permettent de déterminer si la législation est efficacement appliquée. En effet, l’absence ou la rareté des plaintes ou des jugements relatifs à des actes de discrimination raciale n’est pas forcément un signe positif et elle peut être révélatrice d’une méconnaissance par les victimes de leurs droits ou d’une sensibilisation insuffisante des forces de l’ordre et des membres de l’appareil judiciaire à la gravité de ce type de violation. La délégation est invitée à commenter ces observations.

M. Veis(Chypre) dit que les autorités chypriotes sont conscientes que bon nombre de violations de la Convention ne sont jamais enregistrées ni signalées, raison pour laquelle elles ont mis en place un nouveau cadre destiné à faciliter le dépôt de plaintes. Il rappelle que la délégation a précédemment cité des exemples d’affaires de discrimination raciale à l’issue desquelles l’auteur a été condamné à une peine d’emprisonnement ou à une amende.

M me  Chri s todoulidou (Chypre) dit que trois affaires de discrimination raciale dans lesquelles la victime a réclamé une indemnisation à l’État ou au responsable ont été recensées. En 2012, le nombre de condamnations pour exploitation sexuelle ou exploitation par le travail a augmenté mais il demeure trop faible par rapport à l’ampleur de ce phénomène. Des progrès restent à faire dans ce domaine.

M me  Koursoumba (Chypre) convient que le système de collecte de statistiques devrait être amélioré et que l’absence ou la rareté des condamnations et des actions civiles en réparation peut être due à une méconnaissance de leurs droits par les intéressés. Conscients de ce problème, les pouvoirs publics ont pris des mesures, notamment dans le cadre des divers plans d’actions qui ont été lancés, pour informer la population de son droit de porter plainte en cas de violation.

M me  January ‑ Bardill (Rapporteuse pour Chypre) souhaiterait de plus amples informations sur la protection des demandeurs d’asile et des réfugiés et sur la question du refoulement, ainsi que sur les conditions d’octroi de la nationalité chypriote aux migrants originaires de pays d’Asie du Sud-Est. En effet, d’après des renseignements transmis au Comité, des personnes se seraient vu refuser un permis de résidence permanente alors qu’elles remplissaient les conditions requises.

M me  Christodoulidou (Chypre) dit que les demandeurs d’asile touchent des aides de l’État pendant les six mois qui suivent le dépôt de leur demande puis, une fois que celle-ci a été approuvée, ils sont autorisés à travailler dans certains secteurs et jouissent de tous les droits garantis aux réfugiés par les instruments internationaux pertinents. Les employés de maison originaires de pays d’Asie du Sud-Est se voient généralement délivrer un permis de séjour de quatre ans non renouvelable. S’ils souhaitent rester plus longtemps dans le pays, ils ne peuvent pas demander la nationalité chypriote.

M me  Koursoumba (Chypre) dit qu’il faut bien distinguer la naturalisation de l’obtention d’un permis de résidence permanente. Lorsque la Directive du Conseil de l’Europe relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée a été transposée dans la législation interne, beaucoup d’employés de maison ont cru, à tort, qu’ils pouvaient demander un permis de résidence permanente. Dans le cas évoqué par la Rapporteuse, la Cour d’appel a considéré que la Directive ne s’appliquait pas aux employés de maison. Il appartient désormais à la Cour de justice de l’Union européenne de déterminer si cette interprétation est correcte.

M.  Amir souhaiterait savoir à quels organes peuvent s’adresser les Chypriotes grecs vivant dans les zones qui ne sont plus sous le contrôle des autorités chypriotes, lorsqu’ils sont victimes de violations de la Convention. Quelles juridictions sont compétentes pour examiner leurs requêtes?

M me  Kousoumba (Chypre) dit que, comme une partie du territoire de l’île est sous occupation étrangère, le Gouvernement chypriote n’exerce plus aucun contrôle sur cette zone. Il n’est donc plus en mesure de défendre les droits des personnes qui y vivent alors qu’elles sont constamment victimes de violations de leurs droits fondamentaux, dont les droits consacrés par la Convention. Compte tenu de cette situation et étant donné que Chypre est membre de l’Union européenne, des Chypriotes grecs ont saisi la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a conclu que la puissance occupante était responsable des violations des droits de l’homme commises dans cette partie de l’île et que les autorités chypriotes n’en étaient nullement responsables.

M.  Vázquez aimerait savoir si les demandeurs d’asile peuvent obtenir un permis de résidence permanente et se faire naturaliser. Il demande dans quels secteurs les réfugiés ne sont pas autorisés à travailler et quelle est la raison d’être de ces restrictions. Il invite la délégation à commenter des informations selon lesquelles les migrants auraient difficilement accès aux services médicaux publics. En ce qui concerne la place de la Convention dans l’ordre juridique interne, M. Vázquez croit comprendre que la Convention a un rang inférieur à la Constitution mais qu’elle prime les lois nationales et la common law. Il voudrait savoir si, bien que Chypre soit un pays de common law, la Convention peut être directement invoquée devant les tribunaux, notamment pour demander des réparations au civil ou si elle peut servir de base pour intenter des poursuites pénales. La délégation voudra bien indiquer dans quels domaines il pourrait y avoir un conflit entre la Convention et la Constitution.

M me  Kousoumba (Chypre) dit que Chypre est un pays de common law dans le sens où la jurisprudence des tribunaux chypriotes a une valeur contraignante. En vertu de l’article 169 de la Constitution, les traités internationaux auxquels Chypre est partie priment les lois nationales. En revanche, conformément à l’article 188 de la Constitution, cette dernière est la loi suprême et a donc un rang supérieur à la Convention. Toutefois, il n’y a pas de risque de conflit entre cet instrument et la Constitution car l’article 28 de cette dernière, qui consacre le principe d’égalité entre tous, n’a pas une portée moins large que les dispositions de la Convention. Les tribunaux ne peuvent pas appliquer directement la Convention mais cela ne porte pas à conséquence car suffisamment de lois ont été adoptées pour réprimer tous les actes interdits par cet instrument, en particulier ceux visés à l’article 4. La situation des demandeurs d’asile ne doit pas être confondue avec celle des employés de maison. Ces derniers viennent travailler dans des secteurs bien précis dans le cadre d’un contrat d’une durée de quatre ans. Si le contrat de travail d’un employé de maison est prolongé au-delà de quatre ans, la loi dispose que, dans certains cas, l’intéressé peut se voir délivrer un permis de séjour de longue durée. Les demandeurs d’asile sont dans une toute autre situation car ils ne viennent pas dans le pays dans les mêmes circonstances et dans le même but. Ceux qui obtiennent le statut de réfugié jouissent de tous les droits garantis par la Convention relative au statut des réfugiés.

M me Christodoulidou (Chypre) dit que les réfugiés jouissent de tous les droits accordés aux citoyens chypriotes. Les requérants d’asile n’ont pas le droit de travailler les six premiers mois suivant le dépôt de leur demande et vivent donc de l’aide sociale de l’État. Passé ce délai, elles peuvent occuper un emploi mais uniquement dans des secteurs bien spécifiques comme l’agriculture ou le secteur tertiaire.

M me Sologianni (Chypre) dit que la procédure de traitement des demandes d’asile prenait auparavant des années, ce dont profitaient de nombreuses personnes, dont les employés de maison qui demandaient l’asile dès l’expiration de leur contrat et pouvaient rester ainsi dans le pays. Une période de carence de six mois a été instituée. La procédure est désormais beaucoup moins longue et les retards accumulés dans le traitement des demandes ont été comblés.

M me Crickley prend note des informations fournies par la délégation concernant les mesures prises pour lutter contre la traite des personnes et prendre en charge les victimes et aimerait savoir selon quels critères les autorités chypriotes déterminent qu’une personne a été victime de traite. Elle aimerait également savoir si Chypre envisage de ratifier la Convention no 189 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur les travailleuses et les travailleurs domestiques. Le fait que cette catégorie de migrants soit exclue du système de protection des travailleurs étrangers pose des problèmes évidents, comme l’a du reste reconnu la délégation, et il serait par conséquent utile de savoir comment l’État partie entend remédier à cette situation. Enfin, Mme Crickley demande à la délégation d’expliquer pourquoi les autorités n’ont pas demandé l’accréditation de l’institution chypriote pour la protection des droits de l’homme auprès du Comité international de coordination des institutions nationales des droits de l’homme.

M me Koursoumba (Chypre) dit que le Gouvernement examine la possibilité de ratifier la Convention n° 189 de l’OIT mais que la crise financière internationale, qui a eu des répercussions négatives sur l’économie de l’île, ne permet pas de transposer toutes les dispositions de cet instrument en droit interne, en raison du coût qui résulterait de l’application de certaines d’entre elles.

M me Christodoulidou (Chypre) explique que le Plan national d’action contre la traite des êtres humains a pour principaux objectifs de mener des actions de sensibilisation et d’information auprès du grand public et d’assurer la formation des fonctionnaires. Le Bureau de la police chargé des droits de l’homme est la seule entité habilitée à identifier les victimes de traite. Les autorités chypriotes considèrent que la question est trop complexe pour être laissée à l’appréciation des ONG, qui ont d’ailleurs leurs propres critères en l’espèce, alors que le Bureau s’en tient, de ce point de vue, aux normes établies par Europol.

M me Sologianni (Chypre) indique que les demandeurs d’asile reçoivent des bons d’achat durant la période pendant laquelle il leur est interdit de travailler, afin qu’ils puissent se procurer des biens de première nécessité dans des magasins spécifiquement désignés par les autorités.

M me Crickley dit que son pays, l’Irlande, et d’autres États en Europe ont appliqué par le passé une politique consistant à distribuer des coupons aux demandeurs d’asile mais que celle-ci a dû être rapidement abandonnée du fait de ses effets pervers, tant sur les récipiendaires que sur la nature des transactions effectuées. L’État partie devrait revoir sa politique dans ce domaine.

Le Président, s’exprimant en sa qualité d’expert, salue la ratification par Chypre de l’amendement à l’article 8 et félicite l’État partie d’avoir fait la déclaration prévue à l’article 14 reconnaissant la compétence du Comité pour examiner les plaintes de personnes ou de groupes de personnes qui se considèrent victimes d’une violation des droits énoncés à la Convention. Il croit comprendre que l’État partie s’efforce de transposer les dispositions de la Convention dans son ordre juridique interne mais que les juges et les avocats hésitent à invoquer des dispositions relevant du droit international des droits de l’homme. Cette situation pourrait être partiellement résolue si les professionnels de la justice étaient sensibilisés au droit international des droits de l’homme et recevaient une formation spécifique. Peut-être Chypre devrait-elle envisager de créer une instance spéciale chargée d’encourager toutes les juridictions, pénales comme civiles, à invoquer les dispositions de la Convention dans leurs jugements. La situation que Chypre connaît face à la résurgence des mouvements d’extrême droite, et en particulier des groupes néonazis, est loin d’être unique en Europe. Chypre, qui s’est targuée d’avoir toujours résisté à la tentation nazie durant la Seconde Guerre mondiale, devrait tout mettre en œuvre pour lutter contre le fléau du néonazisme.

M me January ‑ Bardill (Rapporteuse pour Chypre) invite Chypre à fournir dans son prochain rapport périodique davantage de données statistiques ventilées par origine ethnique et nationale concernant la population carcérale. Elle est satisfaite des informations fournies par la délégation concernant les minorités nationales mais voudrait en savoir plus sur cette question, notamment afin de mieux comprendre comment elles contribuent à l’épanouissement de la société et à l’enrichissement du pays. L’État partie devrait cesser de considérer les demandeurs d’asile uniquement comme des récipiendaires de l’aide sociale et des objets de droit passifs. D’autres informations devraient être fournies sur le traitement des demandeurs d’asile et des réfugiés. Il serait par ailleurs utile que le prochain rapport de l’État partie contienne des informations sur la politique d’intégration des minorités et leur contribution et participation effectives à la vie du pays. L’État partie est également invité à indiquer si des politiques non ségrégationnistes ont été adoptées en faveur des Roms, notamment pour lutter contre la discrimination dont ils font l’objet. Les discours de haine sont un sujet préoccupant pour le Comité et Chypre est invitée à mettre pleinement en œuvre les dispositions de l’article 4 de la Convention afin de mieux réprimer les activités des groupes extrémistes qui s’en prennent à d’autres groupes de population. Enfin, Chypre est priée de transposer les dispositions du droit international, en premier lieu desquelles la Convention, dans un instrument interne susceptible d’être facilement invoqué par l’appareil judiciaire. De plus, la discrimination ne semble pas être expressément interdite dans les domaines économique, politique et culturel, et la législation chypriote ne fait aucune mention de la discrimination fondée sur la couleur ou l’origine nationale. L’État partie devrait prendre des mesures pour pallier ces lacunes.

M me Koursoumba (Chypre) accueille avec satisfaction l’analyse objective et approfondie qu’a faite la Rapporteuse de la situation dans son pays. Chypre est convaincue que le Comité peut l’aider à mieux mettre en œuvre la Convention et c’est pourquoi les recommandations qu’il formulera seront dûment examinées par le Gouvernement.

La séance est levée à 18 heures.