NATIONS UNIES

CERD

Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale

Distr.GÉNÉRALE

CERD/C/SR.192118 janvier 2010

Original: FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante-quatorzième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA 1921e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le vendredi 27 février 2009, à 10 heures

Président: Mme DAH

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)

Sixième à huitième rapports périodiques de la Croatie

La séance est ouverte à 10 h 15.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 5 de l’ordre du jour) (suite)

Sixième à huitième rapports périodiques de la Croatie (CERD/C/HRV/8; HRI/CORE/1/Add.32; liste des points à traiter, et réponses écrites, documents sans cote distribués en séance, en anglais seulement). (suite)

1. Sur l ’ invitation de la Présidente, la délégation croate reprend place à la table du Comité.

2.Mme KLAJNER (Croatie) dit que les conseils des minorités nationales sont élus par les minorités nationales au suffrage direct et qu’ils n’ont pas à être répertoriés par une quelconque instance publique ou le Bureau des minorités nationales. Elle précise qu’en vertu de l’article 25 de la loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales, les conseils des minorités nationales sont des organisations sans but lucratif qui n’acquièrent ce statut qu’après leur inscription au Registre national des minorités tenu par le Ministère chargé des affaires administratives générales. La Croatie compte 217 conseils des minorités nationales dont 30 ne sont pas encore inscrits au Registre national, soit parce qu’ils n’ont pas obtenu le quorum nécessaire pour se constituer, soit parce qu’ils n’ont pas réussi à élire leur président.

3.Mme RADIC (Croatie) indique que la Croatie compte 22 minorités nationales qui représentent 5,7 % de la population et que la loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales garantit aux minorités nationales croates le droit d’être représentées au Parlement, au sein des institutions locales et régionales et de l’administration publique.

4.Le programme national en faveur des Roms, adopté par le Gouvernement en 2003, a permis d’enregistrer de très bons résultats dans tous les domaines et a notamment permis aux Roms qui n’étaient pas des ressortissants de l’ex-Yougoslavie de bénéficier d’une aide juridique gratuite en vue d’obtenir la nationalité croate. À ce jour, presque tous les problèmes de citoyenneté ont été réglés.

5.Compte tenu du fait que les Roms vivant en Croatie sont originaires de différents pays européens et parlent souvent des dialectes distincts, le Gouvernement croate a introduit trois programmes d’apprentissage du croate spécifiquement destinés aux Roms. Ces programmes ont permis de multiplier par deux le nombre d’enfants roms inscrits dans des programmes d’éducation préscolaire et par quatre celui des enfants roms scolarisés dans l’enseignement primaire. Les étudiants roms du deuxième et troisième cycle bénéficient également de bourses de l’État. La Croatie compte actuellement plus de 5 000 élèves roms scolarisés.

6.Mme Radic dit que les Roms ne rencontrent pas de problèmes particuliers dans le domaine de l’emploi mais plutôt dans le domaine du logement. Dans le cadre du Plan d’action 2005‑2015 de la Décennie de l’intégration des Roms, le Gouvernement croate a mis en place plusieurs plans régionaux d’urbanisation des zones où résident majoritairement les Roms afin de viabiliser les logements. Plusieurs de ces programmes ont été financés par la Commission européenne. Le Gouvernement croate accorde par ailleurs une grande importance à la promotion de la culture rom, qui est un support important de communication des communautés roms, comme le montre l’allocation d’un million d’euros accordée depuis 2004 aux activités culturelles roms. En décembre 2008, le Ministère de l’éducation a également financé la publication de deux dictionnaires roms afin de permettre aux membres de cette communauté de surmonter l’obstacle linguistique et de normaliser ses dialectes. Des programmes d’alphabétisation des adultes roms ont également été menés. La représentante de la Croatie ajoute que toutes les minorités nationales peuvent recevoir une instruction dans leur langue maternelle mais qu’elles doivent, dans tous les cas, suivre un enseignement obligatoire parallèle en croate.

7-Mme Radic ajoute qu’à compter de 2009, les conseils des minorités nationales recevront 100 000 euros prélevés sur le budget national afin de mener des programmes de coopération avec les communautés roms. Le Gouvernement croate a également décidé d’affecter 400 000 euros, en 2009, aux 14 centres d’information roms établis dans toute la Croatie.

8.S’agissant de la coopération transfrontière établie en faveur des minorités nationales, Mme Radic indique qu’un séminaire international de grande ampleur a été organisé sur ce thème en septembre 2008 et qu’en septembre 2009 aura lieu un séminaire européen sur le dialogue interculturel.

9.S’agissant des 154 enfants d’origine rom et de nationalité croate scolarisés dans des institutions spécialisées, Mme Radic explique que la Cour constitutionnelle, qui a été saisie de l’affaire, n’a pas conclu à une violation des droits des plaignants, décision qui a été confirmée le 17 juillet 2008 par la Cour européenne des droits de l’homme.

10.M. KATIC (Croatie) explique que les personnes qui vivaient sur le territoire croate avant le 8 octobre 1991, date de l’indépendance de la Croatie, ont obtenu la citoyenneté croate. Il indique que les conditions d’obtention de la nationalité croate sont semblables à celles en vigueur dans d’autres pays européens, à savoir: la maîtrise de la langue nationale officielle et le respect de l’ordre constitutionnel croate. La Croatie exige en outre des candidats à la naturalisation une décharge de la nationalité d’origine car le pays ne reconnaît pas la binationalité. Depuis 2000, la Croatie a reçu 1,1 million de demandes de naturalisation.

11.S’agissant de la perte de la nationalité croate, M. Katic explique qu’en réalité, la nationalité croate ne peut être retirée qu’à la demande de celui qui l’a acquise. Il ajoute que la plupart des Roms qui vivaient en Croatie avant 1991 ont la nationalité croate et que quasiment tous les Roms vivant dans le pays l’ont désormais acquise. Il précise cependant que dans certaines grandes agglomérations, comme Zagreb, des Roms ayant émigré de Serbie ou du Kosovo ont des difficultés à obtenir leur naturalisation du fait de l’absence de documents officiels attestant de leurs lieu et date de naissance. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement croate a mis en œuvre, dès 2003, un programme visant à aider les Roms à effectuer les démarches nécessaires à leur naturalisation. Depuis 2003, des équipes mobiles sillonnent le pays et collaborent avec les travailleurs sociaux et les représentants locaux et régionaux du Ministère de l’intérieur pour aider les Roms et autres membres des minorités nationales à faire ces démarches. Grâce à ce dispositif, une grande majorité des problèmes rencontrés par la minorité rom bosniaque, qui est la mieux intégrée socialement, ont été résolus.

12.Les personnes d’origine bosniaque n’ont aucune difficulté à acquérir la nationalité croate et forment la minorité nationale la mieux intégrée du pays. Un millier d’entre elles n’ont pas pu l’acquérir parce qu’elles avaient obtenu la protection temporaire de l’État en tant que réfugiées en 1991-1993 et que la question de la modification de leur statut n’a pas encore été réglée. Le Gouvernement croate a présenté un projet d’amendement à la loi sur les étrangers, qui dispose que toute personne résidant depuis dix ans en Croatie avec le statut de réfugié peut acquérir la nationalité croate à condition de renoncer à la nationalité de son pays d’origine.

13.M. TURKALJ (Croatie) dit qu’en vertu de l’article 333 du Code pénal, toute personne qui s’associe à d’autres en vue de commettre une infraction à motivation raciste est passible d’une peine allant de six mois à cinq ans d’emprisonnement. Il reconnaît que certains articles du Code pénal et d’autres textes de loi font double emploi, notamment dans le domaine de la lutte contre la discrimination. Afin de remédier à cette situation, un groupe de travail a été mis en place pour élaborer un nouveau code pénal.

14.La Croatie est consciente de la nécessité de former les membres de l’appareil judiciaire à la lutte contre la discrimination raciale. C’est pourquoi, depuis 2008, l’École de la magistrature prévoit dans le cadre de son programme d’études plusieurs modules d’enseignement portant sur la lutte contre la discrimination, la Convention européenne des droits de l’homme, l’égalité entre les sexes et la violence familiale.

15.M. Turkalj dit qu’il existe effectivement un certain nombre d’affaires judiciaires faisant état de ségrégation à l’encontre des Roms. Ces affaires étant en cours, il ne lui est pas possible de se prononcer à leur sujet.

16.M. KATIC (Croatie) dit que les 20 commissariats régionaux de police ont reçu des instructions sur la façon de traiter les crimes et délits à caractère raciste. Les policiers sont tenus de recueillir des renseignements sur les groupes extrémistes, notamment le nom de leurs membres, l’idéologie qu’ils diffusent et les symboles qu’ils utilisent. Tous les renseignements sont ensuite transmis aux autorités centrales de la police, à Zagreb.

17.Par ailleurs, 28 officiers de police ont été formés à dispenser à leurs collègues une formation portant sur la prévention du racisme et de la discrimination raciale. Il est prévu d’intégrer dans le programme de l’école de police des modules d’enseignement consacrés à la lutte contre la discrimination raciale.

18.En 2007, la police a été saisie de 47 délits et crimes à motivation raciste. Les auteurs ont pu être identifiés et poursuivis en justice dans 34 cas. D’une manière générale, la police n’épargne aucun effort pour prévenir ce type de crimes et identifier leurs auteurs. M. Katic ajoute enfin que dans la majorité des cas, les délits ne sont pas commis par des membres de l’extrême droite mais souvent par des jeunes sous l’emprise de l’alcool.

19.M. SOCANAC (Croatie) dit que la loi constitutionnelle sur les droits des minorités nationales a considérablement amélioré les droits et le statut des minorités nationales en Croatie. Pour ce qui est de la minorité serbe, il fait observer que le parti politique au pouvoir a conclu une coalition avec le parti serbe. En outre, des personnalités de très haut niveau de l’État appartiennent à la minorité serbe. À l’échelon local, de nombreuses municipalités ont à leur tête une coalition de Croates et de Serbes.

20.Mme SIKLIC-ODAK (Croatie) dit que son pays a transposé dans sa législation toutes les directives européennes relatives à l’emploi des minorités nationales. Les membres des minorités nationales sont évidemment autorisés à travailler dans la fonction publique. Chaque année, un certain nombre de postes leur sont réservés. La situation pour ce qui est de l’emploi des minorités nationales dans la fonction publique s’est considérablement améliorée depuis 2007. Sur les 50 000 agents de la fonction publique, 2 216 appartiennent à des minorités. Le Ministère de la fonction publique publie un rapport annuel sur l’emploi des minorités nationales dans l’administration. Afin d’élargir encore l’accès des minorités nationales à la fonction publique, le site Web de l’Office central de l’administration affiche tous les avis de vacance de poste et tous les textes législatifs portant sur l’emploi dans la fonction publique. Les comités de sélection des candidats à un emploi dans la fonction publique comprennent un représentant de l’Office central de l’administration qui est chargé de contrôler la transparence de la procédure de sélection et de s’assurer que les membres de minorités nationales ne sont victimes d’aucune discrimination.

21.M. MADERIC (Croatie) dit que les conseils des minorités nationales sont chargés de suivre la situation des minorités nationales dans les comtés et de proposer aux parlements de ceux‑ci des mesures pour améliorer la situation en ce qui concerne notamment les droits fondamentaux des minorités. Ils organisent aussi des ateliers et séminaires sur les problèmes des minorités nationales.

22.En Croatie, les médias sont libres et indépendants. L’État n’exerce aucune influence ni pression. Toute personne s’estimant victime de propos racistes ou discriminatoires peut déposer une plainte auprès de l’organisation nationale des médias, qui décide des sanctions à prendre, notamment le paiement d’amendes ou l’ouverture de poursuites judiciaires dans les cas les plus graves.

23.Mme SIMONOVIC EINWALTER (Croatie) dit que le bureau du Médiateur a été créé en 1992 et a acquis le statut d’institution nationale des droits de l’homme en 2008. Avec l’entrée en vigueur de la loi sur la lutte contre la discrimination, le 1er janvier 2009, le bureau du Médiateur est devenu le principal organe de l’État chargé d’éliminer la discrimination en Croatie et a été doté de nouveaux pouvoirs: il peut désormais recevoir des plaintes de toutes les personnes physiques et morales établies en Croatie et peut mener des activités de médiation, de recherche et d’information du public. Il rend compte au Parlement.

24.Le bureau du Médiateur a constaté une réelle volonté politique des pouvoirs publics de ne plus tolérer les pratiques et les actes discriminatoires. Cela étant, il pâtit d’un manque de moyens et aurait besoin de ressources supplémentaires pour renforcer ses capacités et mettre en œuvre effectivement les dispositions de la loi antidiscriminatoire.

25.M. LAHIRI voudrait savoir pourquoi les Roms préfèrent rester en marge de la société en évitant, par exemple, de se faire enregistrer à l’état civil, alors qu’ils pourraient bénéficier de bourses scolaires et d’autres mesures d’action positive. Il se demande si la stigmatisation n’est pas tellement forte que les Roms ont abandonné toute volonté de s’intégrer dans la société croate. Évoquant les incidents et les tensions qui perdurent entre les communautés croate et serbe, M. Lahiri demande si le fait que les tribunaux de justice sont encore saisis d’affaires liées à la guerre qui a sévi avant 1995 ne constitue pas un véritable obstacle à la réconciliation entre les communautés.

26.M. AVTONOMOV, appelant l’attention de la délégation croate sur la recommandation générale XXVII concernant la discrimination à l’égard des Roms et la recommandation générale XXXI sur la discrimination raciale dans l’administration et le fonctionnement du système de justice pénale, demande quelle est la proportion de détenus roms par rapport à l’ensemble de la population carcérale. Lisant dans le rapport que les Roms s’inscrivent souvent au chômage dès l’âge de 15 ans (CERD/C/HRV/8, par. 169), il souhaiterait savoir pourquoi et demande si les pouvoirs publics ont pris des mesures qui permettraient à ces jeunes d’étudier ou de suivre une formation. Relevant avec étonnement dans le rapport que le pourcentage de filles qui achèvent leur scolarité élémentaire est très bas et que, généralement, elles quittent l’école à l’âge de 12 ans mais qu’elles représentent les deux tiers des étudiants roms faisant des études supérieures (ibid., par. 198), M. Avtonomov prie la délégation croate de commenter ce paradoxe.

27.Par ailleurs, il voudrait savoir pourquoi l’initiative intéressante décrite au paragraphe 172 du rapport, qui semble avoir donné des résultats encourageants en matière d’insertion professionnelle des Roms, n’a pas une ampleur nationale. Il voudrait également savoir si l’accès des Roms à un enseignement dispensé dans leur langue est garanti dans tout le pays et si certaines minorités nationales ne font pas usage de leur droit de demander que leurs enfants bénéficient d’un enseignement dans leur langue. Le cas échéant, la délégation voudra bien expliquer pourquoi ces minorités renoncent à exercer ce droit.

28.Enfin, M. Avtonomov demande s’il est exact que 65 % des réfugiés qui sont rentrés chez eux après la guerre sont ensuite repartis. Dans l’affirmative, il souhaiterait savoir pourquoi ces personnes ont renoncé à se réinstaller chez elles, si elles ont quitté le pays ou non et si toutes les personnes qui avaient trouvé refuge à l’étranger sont retournées en Croatie après la guerre et, dans la négative, pourquoi.

29.M. THORNBERRY note que, d’après le rapport, les difficultés des enfants roms en matière de scolarisation seraient dues notamment à l’attitude de leurs parents (CERD/C/HRV/8, par. 218). Il aimerait donc savoir s’il existe dans l’État partie des institutions ou des personnes qui jouent le rôle de médiateur entre les familles roms et l’administration.

30.Lisant dans le rapport que, pour l’État partie, «il est encore trop tôt pour parler d’enseignement dans une langue rom unifiée» (CERD/C/HRV/8, par. 213), M. Thornberry demande si des linguistes ont déjà entamé des travaux en vue de fixer la langue rom par l’écriture, de systématiser le vocabulaire, d’établir une grammaire et des dictionnaires de la langue rom et de publier des manuels scolaires en rom. En outre, il souhaiterait savoir dans quel esprit l’histoire nationale est enseignée dans l’État partie et si le but est de favoriser la réconciliation nationale. Enfin, M. Thornberry prie la délégation croate de commenter l’affirmation contenue au paragraphe 199 du rapport selon laquelle près de 21 % de la population croate n’aurait pas un niveau d’instruction suffisant.

31.M. PROSPER tient à faire part à la délégation croate de ses préoccupations concernant la situation dans un pays voisin de l’État partie, la Bosnie-Herzégovine. En effet, les tensions entre minorités y sont actuellement très vives et risquent de déboucher sur la sécession de l’une des deux entités constitutives de ce pays, la Republika Srpska, ce qui pourrait avoir des répercussions désastreuses en Croatie et dans toute la région, où les violences interethniques risqueraient de reprendre. L’État partie pourrait alors être contraint d’intervenir sur son territoire et hors de ses frontières. M. Prosper prie donc la délégation croate de faire part de ses préoccupations à l’État partie et l’exhorte à prendre des mesures afin prévenir un nouvel embrasement de la région.

32.M. de GOUTTES, appuyant sans réserve les propos de l’orateur précédent, croit comprendre que l’ensemble du Comité y souscrit également. Par ailleurs, il souhaiterait savoir si le fait que la Croatie a entamé le processus d’adhésion à l’Union européenne l’a aidé à renforcer la protection des droits de l’homme et l’état de droit dans le pays. Par ailleurs, M. de Gouttes voudrait connaître l’état d’avancement des poursuites pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité qui ont été lancées par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et par les tribunaux nationaux.

33.M. LINDGREN ALVES, rappelant que le Comité attache une grande importance au fait que l’appartenance d’un individu à une minorité donnée doit être établie par l’intéressé lui‑même et non par une autre personne, relève que, dans le cas de l’État partie, seules 9 000 personnes s’autodéfinissent comme Roms, mais qu’en fait, environ 30 000 personnes appartiendraient à cette minorité. Même si cet écart s’explique probablement par le choix de certains Roms de cacher leur origine ethnique en raison de la persistance des préjugés contre cette minorité, M. Lindgren Alves se demande si la différence entre ces chiffres pourrait être due au fait qu’une partie de la minorité rom est totalement assimilée. Si tel était le cas, il n’y aurait pas forcément lieu de voir une discrimination derrière son refus de s’autodéfinir comme Rom.

34.Par ailleurs, M. Lingdren Alves souhaiterait connaître le statut des personnes appartenant à la minorité croate d’un autre pays de la région. Ainsi, un Croate de Bosnie-Herzégovine est‑il considéré comme un Bosniaque ou comme un Croate par les autorités de l’État partie? La délégation pourrait indiquer quelle valeur les autorités croates accordent aux directives à caractère politique qui sont données aux minorités nationales par leur pays d’origine, par exemple lorsque la Hongrie donne des instructions à la minorité hongroise vivant en Croatie. Enfin, la délégation croate voudra bien indiquer s’il existe dans l’État partie des partis politiques fondés sur l’origine nationale.

35.M. PETER lit avec préoccupation dans le rapport que les mariages et les grossesses précoces chez les jeunes filles roms sont choses courantes (ibid., par. 127), ce qui permet de dire que cette catégorie de personnes subit une double, voire triple discrimination: à raison du sexe, de l’âge et de l’appartenance ethnique. M. Peter espère que, dans le rapport périodique suivant, l’État partie fournira des renseignements sur les mesures qu’il aura prises afin de régler ce problème.

36.M. CALI TZAY se dit également préoccupé par le fait que, comme la Croatie l’a reconnu au paragraphe 126 de son rapport, il existe un lien direct entre le nombre de mariages et de grossesses précoces chez les jeunes filles roms et les nombreux problèmes qui en découlent, dont la mendicité. Il serait intéressant de savoir si les mineures non roms qui ont un enfant très jeune sont confrontées aux mêmes problèmes. Il serait souhaitable par ailleurs que l’État partie indique dans son rapport périodique suivant le montant du budget alloué au bureau du Médiateur qui, comme sa représentante l’a indiqué au Comité, n’est pas en mesure de s’acquitter de toutes les tâches qui lui incombent faute de ressources.

37.S’agissant de l’écart considérable entre les statistiques officielles et l’estimation officieuse du nombre de membres de la minorité rom vivant dans l’État partie, M. Cali Tzay souhaiterait savoir si les Roms qui ne déclarent pas appartenir à cette minorité cachent leur origine ethnique par crainte des préjugés. Si tel était le cas, cela signifierait que la discrimination à l’égard des Roms est extrêmement forte dans l’État partie et que ce dernier devrait étudier cette question de façon approfondie.

38.M. LAHIRI estime que le Comité n’a pas à se prononcer sur la situation actuelle en Bosnie-Herzégovine.

39.M. TURKALJ (Croatie) dit que depuis deux ans, les actes de violence entre Croates de souche et Serbes d’origine sont rares, et généralement commis par des jeunes gens.

40.M. Turkalj tient à rappeler que la République de Croatie a contribué à l’instauration du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), et qu’elle est fermement décidée à coopérer avec cette instance internationale afin que toutes les personnes responsables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité soient punies. À ce propos, M. Turkalj indique que le Bureau du Procureur s’est fixé comme priorité de passer en revue tous les jugements par contumace rendus par le passé et a décidé, après examen des dossiers, de rouvrir 86 affaires. Le Bureau du Procureur a par ailleurs réexaminé chacune des 700 affaires relatives à des crimes de guerre perpétrés sur le territoire croate contre les auteurs desquels aucune condamnation pénale n’avait été prononcée, et ce, indépendamment de l’origine ethnique des victimes. La police et le Bureau du Procureur ont, chacun de son côté, mis au point un plan d’action destiné à recueillir, au cours du premier semestre de 2009, de nouvelles preuves afin que les auteurs des actes répréhensibles soient poursuivis et condamnés.

41.Le processus d’adhésion à l’Union européenne a obligé la Croatie à revoir et à modifier sa législation afin de la rendre conforme aux exigences de l’Union européenne. Il a permis à la Croatie de s’attaquer à des problèmes qui en d’autres circonstances seraient peut‑être restés au second plan, et l’a notamment incitée à se pencher sur son passé afin de clore tous les dossiers dans les meilleurs délais.

42.À de nombreux égards, le processus engagé a été bénéfique aux droits de l’homme. Plusieurs instruments juridiques ont été adoptés en 2008, comme la loi sur l’assistance juridique gratuite, la loi contre la discrimination ou le plan d’action visant à faire appliquer l’ensemble des dispositions de la loi constitutionnelle sur les droits des minorités ethniques. Ces divers instruments ont été élaborés en consultation avec les représentants des minorités de la Croatie. De grands progrès ont également été enregistrés pour ce qui est du retour des personnes qui avaient fui le pays pendant le conflit.

43.Mme KLAJNER (Croatie) dit que la question rom est un élément clef de la lutte contre la discrimination. Le Programme national en faveur des Roms a été lancé en 2004, et le prochain recensement de la population, prévu pour 2011, permettra d’évaluer s’ils sont plus nombreux à déclarer appartenir à cette minorité. Le nombre de Roms a déjà augmenté entre le recensement de 2001 – où 6 000 personnes se sont identifiées elles‑mêmes comme membres de ce groupe ethnique – et celui de 2004, où 9 000 habitants ont affirmé leur appartenance à ce groupe. Le fait est qu’en s’enregistrant en tant que tels sur les listes électorales, les Roms peuvent élire leur représentant au Parlement ainsi qu’au sein des conseils de Roms aux niveaux local et régional. Quoi qu’il en soit, le Gouvernement croate a déjà mis en place une politique dans le cadre de laquelle il finance des activités visant à promouvoir la culture et les traditions de ce groupe.

44.Depuis la fin de la guerre, le Gouvernement croate a fait beaucoup en faveur de la réintégration des membres de la minorité nationale serbe. Dans la ville de Vukovar par exemple, entièrement détruite pendant les conflits, un million d’euros ont été alloués à une association serbe qui a vocation à améliorer le sort de cette communauté, en mettant notamment à sa disposition une assistance juridique gratuite et en prévoyant une prise en charge psychologique des personnes qui en ont besoin.

45.Les minorités nationales ont le droit de créer leurs propres partis politiques. C’est le cas notamment du parti politique serbe, qui détient trois sièges au Parlement. Les Roms ont eux‑aussi créé un parti, mais n’ont pas recueilli suffisamment de suffrages pour élire un parlementaire au niveau national ou un représentant au sein des institutions locales.

46.Dans le cadre d’un projet financé par des fonds du programme PHARE 2005 de la Commission européenne, des assistants roms jouent dans les écoles élémentaires le rôle de médiateurs facilitant l’intégration des enfants de cette communauté dans le système scolaire croate. Ils sont 24 à avoir reçu une formation dispensée par des enseignants d’une université finlandaise, financée par le Ministère de la science, de l’éducation et des sports. Les assistants roms ont un rôle très important en ce qu’ils aident les élèves roms à faire leurs devoirs et dissuadent les parents de les retirer du système scolaire, ce qui a pour effet de prévenir les abandons. En combattant ce phénomène, ils luttent également contre les mariages et les grossesses précoces, car dans certaines parties du pays, la tradition veut que les filles roms se marient et fassent des enfants pour vivre de l’aide sociale. Aussi, des centres de planification de la famille ont-ils été mis en place dans deux comtés, avant d’être généralisés à l’ensemble du pays prochainement. Des médiateurs ont également été mis en place dans le secteur de la santé afin d’aider les parents à maîtriser leur fécondité et à s’occuper de leurs enfants, notamment en leur apprenant à prévenir les maladies.

47.En vertu d’une nouvelle réglementation, sont désormais considérées comme analphabètes les personnes qui ont abandonné leurs études avant la fin du premier cycle scolaire de huit ans, ce qui explique que le taux correspondant ait atteint 21 %. L’on peut donc supposer que les personnes dites analphabètes sont pour la plupart des personnes âgées qui n’ont pas achevé leurs études, ce qui ne signifie pas qu’elles ne savent ni lire ni écrire.

48.Il existe plusieurs langues roms du fait que les membres de cette communauté sont originaires de plusieurs tribus et pays, dont la Roumanie, le Kosovo, la Serbie et la Bosnie‑Herzégovine. Des linguistes des diverses communautés procèdent actuellement à la codification écrite de ces langues ainsi qu’à l’élaboration de manuels scolaires et d’un dictionnaire.

49.L’enseignement est dispensé aux membres des minorités ethniques soit entièrement dans leur langue maternelle (c’est le cas de 10 000 enfants roms actuellement), soit à parts égales entre leur langue maternelle et la langue nationale. Des programmes scolaires d’été et d’hiver ont été mis en place pour faciliter la scolarisation des enfants issus des groupes nomades, et il suffit de huit élèves roms de même niveau pour qu’une classe soit ouverte.

50.La Croatie appuie le principe de la coopération transfrontalière pour la protection des minorités nationales. Elle a conclu à cet effet divers accords bilatéraux visant à élargir cette coopération avec notamment l’Italie, la Hongrie, la Macédoine et la Serbie‑et‑Monténégro, et s’apprête à renouveler séparément ses accords avec la Serbie et le Monténégro

51.Un plan d’action a été élaboré pour garantir la mise en œuvre de la loi constitutionnelle sur les droits des minorités ethniques, qui met notamment l’accent sur l’enseignement de l’histoire et de la culture des minorités nationales ainsi que des droits de l’homme.

52.Pour ce qui est de l’emploi des Roms, des réunions sont organisées au sein des diverses communautés roms pour insister sur la nécessité de se former pour trouver plus facilement un emploi. En outre, des programmes de remise à niveau sont offerts aux membres de ces communautés et de nombreuses mesures sont prises en leur faveur.

53.Mme RADIC (Croatie) ne sait pas d’où les membres du Comité tiennent leurs données statistiques relatives aux membres de la minorité serbe qui s’étaient réfugiés dans des pays voisins et sont revenus en Croatie depuis la fin du conflit, mais d’après celles dont elle dispose, ils seraient au nombre de 130 000. Ceux-ci résident en Croatie la plupart de l’année mais retournent en Serbie pendant l’été ou l’hiver, où ils rejoignent leurs enfants qui s’y sont généralement établis. C’est sans doute la méconnaissance de ce phénomène qui fait dire aux statistiques que 65 % des Serbes qui sont rentrés dans le pays en repartent, ce qui n’est pas le cas. Quant à la raison pour laquelle les membres de la minorité serbe ne sont pas plus nombreux à rentrer en Croatie, elle affirme que les autorités serbes font tout ce qu’elles peuvent pour les en dissuader, alors que ceux qui sont effectivement rentrés en Croatie ne se plaignent pas, ou que peu, de leurs conditions de vie dans le pays. De mémoire, Mme Radic peut affirmer qu’aucun incident motivé par la haine ethnique ne s’est produit au cours de l’année précédente et que le dernier acte de discrimination au motif de l’origine ethnique remonte à plusieurs années.

54.M. KATIC (Croatie) dit que toutes les personnes d’origine croate qui résident à l’étranger peuvent prétendre à la citoyenneté croate, même si ces origines remontent à plusieurs générations. Celles qui habitent dans l’un des pays de l’ex-Yougoslavie peuvent demander la nationalité croate à condition qu’ils soient en mesure de prouver leur appartenance au peuple croate. Les demandes de citoyenneté affluent en grand nombre du fait que détenir le passeport croate permet d’être admis dans la plupart des pays européens, ce qui explique la pression très forte que subissent les services compétents.

55.M. MADERIC (Croatie) dit que les élèves qui le souhaitent peuvent suivre en option un enseignement aux droits de l’homme, tant à l’école primaire que dans le premier cycle du secondaire, et que le budget du Bureau du Médiateur n’a pas été accru en raison de la récession qui touche aussi la Croatie. Il ne connaît pas le nombre de membres de minorités nationales qui se trouvent en prison et indique que son pays fera parvenir au Comité un complément d’information écrit à ce sujet.

56.M. DIACONU (Rapporteur pour la Croatie) reconnaît que le Comité disposait de données obsolètes, datant pour la plupart de 2004 et de 2006, ce qui est regrettable dans le contexte national qui évolue très rapidement. Il énumère les points qui figureront dans les observations finales que le Comité formulera à l’issue de l’examen des sixième à huitième rapports périodiques de l’État partie, dont la question des anciens réfugiés rentrés en Croatie, l’octroi de la citoyenneté croate dans des conditions d’égalité – et indépendamment de l’origine ethnique de la personne qui en fait la demande –, l’enseignement dans la langue maternelle ou encore la lutte contre les actes de violence et d’intolérance motivés par l’origine raciale. L’accent sera sans aucun doute mis sur la nécessité, pour l’État partie, de prendre des mesures en faveur des Roms et de veiller à ce que les organismes publics et les entreprises locales mettent effectivement en œuvre la Convention et la politique de l’État en la matière. Il sera également fait référence au Code pénal, qu’il sera opportun de modifier et de mettre en conformité avec l’article 4 de la Convention, notamment.

57.Enfin, le Comité pourra encourager l’État partie à poursuivre dans la voie sur laquelle il s’est engagé malgré les événements qui surviennent actuellement dans les pays voisins.

58.La PRÉSIDENTE se félicite de la richesse du débat instauré avec la délégation croate et fait observer que le Comité ne saurait éluder la question de l’évolution de la situation politique dans la région compte tenu de son propre mandat et du passé génocidaire de cette dernière. Aussi prévient‑elle la délégation croate qu’il sera fait référence, dans les observations finales, à la situation géopolitique dans l’ex‑Yougoslavie, et invite la Croatie à ne pas prendre cela comme une attaque dirigée contre lui.

La séance est levée à 13 h 5.

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