Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale |
Distr. GÉNÉRALE CERD/C/SR.1615 9 mars 2004 Original: FRANÇAIS |
COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE
Soixante‑quatrième session
COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 1615e SÉANCE
tenue au Palais Wilson, à Genève,le 24 février 2004, à 10 heures
Président: M. YUTZIS
SOMMAIRE
EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)
Rapport initial et deuxième à dixième rapports périodiques du Suriname (suite)
La séance est ouverte à 10 h 10.
EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 6 de l’ordre du jour) (suite)
Rapport initial et deuxième à dixième rapports périodiques du Suriname (CERD/C/446/Add.1) (suite)
1.Sur l’invitation du Président, la délégation surinamaise reprend place à la table du Comité.
2.M. LIMON (Suriname) indique que le recensement de mai 2003 a porté sur toutes les personnes vivant dans le pays, y compris la minorité brésilienne et les immigrés ainsi que tous ceux qui ont fui le pays en raison des troubles des années 80 et y sont revenus après les Accords de paix de 1986. Dès que les résultats seront disponibles, ils seront aussitôt communiqués au Comité.
3.Le représentant du Suriname indique également qu’aucune disposition législative n’interdit expressément, en droit surinamais, les organisations qui incitent à la haine ou à la discrimination raciale mais que les actes de discrimination raciale sont néanmoins passibles de sanctions pénales en vertu de plusieurs articles du Code pénal. Ce dernier dispose notamment que «quiconque incite publiquement, par la parole, l’écrit ou l’image, à la haine ou à la discrimination (…) pour des motifs liés à leur race, leur religion ou leur mode de vie, est passible d’une peine pouvant aller jusqu’à deux ans de prison» (CERD/C/446/Add.1; par. 110). Le Gouvernement envisage toutefois de faire adopter une législation spécifique interdisant la discrimination et la propagande raciales. M. Limon précise que la Convention n’a jamais été invoquée par les tribunaux nationaux et que ceux-ci n’ont pas non plus été saisis d’affaire relevant de l’une quelconque de ses dispositions. Par ailleurs, les fonctionnaires de police bénéficient depuis peu de cours de formation en matière de droits de l’homme.
4.S’agissant de la protection des populations autochtones, M. Limon précise que les Marrons et les Amérindiens participent à la vie économique de la nation tout autant que les autres citoyens du pays. Il reconnaît que les personnes employées dans les industries forestière et minière sont majoritairement des Marrons et des Amérindiens mais précise que ces minorités sont également actives dans le secteur de la santé, de la justice et de l’éducation.
5.Le représentant indique enfin que le Gouvernement surinamais estime que la question de l’enseignement dans les langues des minorités est importante mais délicate. En théorie, toute personne devrait pouvoir bénéficier d’un enseignement dans sa langue maternelle, mais en pratique, les autorités publiques doivent aussi veiller à ce que les citoyens soient dotés des connaissances et compétences nécessaires pour participer activement aux activités économiques du pays et être compétitifs dans un environnement de plus en plus mondialisé. La langue officielle du Suriname, le néerlandais, étant très peu parlée dans le monde, le Gouvernement a décidé de rendre l’apprentissage de l’anglais obligatoire dans l’enseignement moyen et supérieur. Cela étant, les deux langues marrones, l’auka et le saramaka, sont enseignées au niveau primaire, de même que le chinois et la langue créole.
6.M. SHAHI rappelle que le représentant du Suriname a déclaré à la précédente séance du Comité que les ressources naturelles du pays appartenaient à l’État et que certaines terres communales appartenaient aux populations autochtones, deux assertions qui semblent plutôt contradictoires.
7.M. Shahi se dit particulièrement inquiet de constater que les droits des autochtones sur l’exploitation de leurs terres ont été cédés à des entreprises commerciales dont les activités représentent une menace pour ces populations. Certaines informations transmises au Comité font en effet état d’activités de forage et de déboisement qui auraient été menées sans le consentement ni même la consultation préalables des groupes de population concernés. M. Shahi rappelle à cet égard que dans sa Recommandation XXIII, le Comité demande «tout spécialement aux États de reconnaître et de protéger le droit des populations autochtones de posséder, mettre en valeur, de contrôler et d’utiliser leurs terres, leurs ressources et leurs territoires communaux» et, dans les cas où il ne serait pas possible de restituer leurs terres aux populations autochtones, de remplacer «le droit à la restitution par le droit à une indemnisation juste, équitable et rapide».
8.M. Shahi relève en outre que le Suriname est partie à de nombreux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et qu’il a également adhéré à de très nombreuses conventions de l’OIT. Il se demande pour quelles raisons le pays n’a pas adhéré à la Convention n° 169 de l’OIT concernant les peuples indigènes et tribaux dans les pays indépendants.
9.M. AMIR se félicite des éclairages utiles apportés par la délégation surinamaise sur la situation du pays, qui nuancent l’exposé relativement critique du rapporteur pour ce pays. Il estime que les autorités du pays ont eu raison de ne toucher aux lois qu’avec prudence.
10.S’agissant des disparités entre le milieu rural et le milieu urbain surinamais, M. Amir est d’avis que le pays est parfaitement en droit d’utiliser ses terres comme il l’entend et que les autorités sont libres de faire appel aux entreprises de leur choix pour exploiter les ressources naturelles qui s’y trouvent. Il faut, selon lui, donner le temps au Suriname de rattraper son retard et d’atteindre un niveau économique qui lui permette de prospérer et de faire partager les fruits de la croissance à tous. Il est donc particulièrement inopportun de le condamner et de prétendre que les disparités entre la population majoritaire et certaines minorités autochtones témoignent de discriminations. M. Amir rappelle que le Suriname a connu la colonisation puis l’esclavage et qu’aucun pays issu de l’esclavage ne peut avoir des pratiques discriminatoires. La discrimination, si elle existe, est à rechercher dans la pauvreté et non dans le racisme.
11.M. BOYD demande à la délégation d’indiquer si les autorités reconnaissent le fait que les Marrons et les Amérindiens de l’intérieur du pays ont été touchés de manière disproportionnée par le mercure déversé sur leurs terres en raison d’activités de déboisement et de forage, au sujet desquelles ils semblent avoir été insuffisamment consultés. Si le Gouvernement reconnaît les effets de ces activités sur ces populations, M. Boyd souhaite savoir si des mesures concrètes sont envisagées, notamment pour protéger la santé et le bien-être des personnes affectées et compenser les effets néfastes de la pollution au mercure. Il demande également à la délégation d’indiquer si le Gouvernement considère que le droit à l’exploitation va de pair avec l’obligation de prendre des mesures adéquates pour atténuer l’effet négatif du développement sur certaines populations.
12.M. Boyd demande en outre à la délégation de préciser si les titulaires de droits fonciers traditionnels, en particulier les Marrons et les Amérindiens, ne peuvent effectivement s’adresser qu’au pouvoir exécutif pour contester les opérations menées sur les territoires où ils vivent et éventuellement obtenir une indemnisation à ce titre, contrairement aux titulaires de droits fonciers non autochtones qui seraient habilités à saisir les instances judiciaires. Dans l’affirmative, M. Boyd demande comment ces distinctions entre les droits des autochtones et ceux des autres populations sont compatibles avec la Constitution qui stipule que nul ne peut faire l’objet d’une discrimination fondée sur la naissance, la race, la langue, ou la fortune, notamment. Il souhaite également savoir si des changements législatifs sont envisagés et si un dialogue national est engagé sur ce point.
13.M. THORNBERRY, appuyé par M. CALITZAY, s’inquiète de ce que l’État partie n’ait pas pris de mesures visant à promouvoir les droits culturels des populations autochtones, en particulier l’usage des langues vernaculaires. Il rappelle à cet égard le paragraphe 4 a) de la Recommandation générale XXIII concernant les droits des populations autochtones, dans lequel le Comité demande aux États parties de reconnaître que la culture, l’histoire, la langue et le mode de vie propres des populations autochtones enrichissent l’identité culturelle d’un État, de les respecter en tant que tels, et de promouvoir leur préservation. Il estime que la volonté des pouvoirs publics de favoriser avant tout le développement économique est légitime mais que le Suriname doit veiller à ne pas négliger pour autant les droits des populations autochtones.
14.M. LINDGREN ALVES partage l’avis de M. Amir et juge inopportun de reprocher à un État partie, dont la priorité est de subvenir aux besoins fondamentaux de la population en général, de ne pas déployer suffisamment d’efforts pour promouvoir les droits des populations autochtones. La question est de savoir si le Comité doit avoir les mêmes exigences à l’égard des pays en développement que des pays développés.
15.M. LIMON (Suriname) dit que la délégation surinamaise ne comprend pas de spécialistes des questions relatives aux droits fonciers et linguistiques des populations autochtones et que l’État partie fournira ultérieurement des réponses écrites sur ces points. S’agissant de la pollution par le mercure engendrée par les activités minières, il indique que le Gouvernement a adopté une réglementation pour la protection de l’environnement que les grandes compagnies d’extraction minière respectent. Le problème vient donc des petites entreprises et le Gouvernement prévoit de mener des initiatives locales pour sensibiliser les entrepreneurs aux effets négatifs de leurs activités sur l’environnement.
16.M. de GOUTTES (Rapporteur pour le Suriname) se félicite de la réouverture du dialogue entre le Comité et le Suriname. Plusieurs aspects positifs de la situation dans cet État partie méritent d’être mentionnés: l’existence d’une législation en matière de discrimination raciale, la condamnation expresse de la discrimination raciale à l’article 8 de la Constitution, le statut de la Convention dans le droit interne et la conformité de la législation pénale en matière de discrimination raciale avec l’article 4 de la Convention.
17.M. de Gouttes dit qu’il serait utile au Comité d’obtenir des informations actualisées sur la composition de la population, l’état d’avancement du projet de création d’une cour constitutionnelle, les perspectives de ratification de la Convention no 169 de l’OIT relative aux peuples autochtones et tribaux, la mise en œuvre des Accords de paix de 1992 dans les régions de l’intérieur et les résultats obtenus dans le cadre du plan d’action en matière d’éducation. Il serait également utile au Comité de recevoir des informations détaillées sur la situation des peuples amérindiens et marrons, en particulier sur les mesures prises pour promouvoir l’utilisation de leur langue et leur participation à la vie de la société. D’une manière générale, le Comité pourrait engager l’État partie à mettre davantage l’accent sur les populations autochtones dans son prochain rapport périodique et à consulter les populations locales avant d’octroyer des concessions d’exploitation minière sur leurs terres.
18.M. LIMON (Suriname) se félicite du dialogue fructueux qui s’est instauré avec le Comité et assure que toutes les observations formulées par les membres de ce dernier seront dûment examinées et prises en considération par les autorités de son pays.
19. La délégation surinamaise se retire.
La première partie (publique) de la séance prend fin à 11 h 35.
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