NATIONS

UNIES

CERD

Convention internationale

sur l’élimination

de toutes les formes

de discrimination raciale

Distr.

GÉNÉRALE

CERD/C/SR.1629

9 mars 2004

Original: FRANÇAIS

COMITÉ POUR L’ÉLIMINATION DE LA DISCRIMINATION RACIALE

Soixante‑quatrième session

COMPTE RENDU ANALYTIQUE DE LA PREMIÈRE PARTIE (PUBLIQUE)*DE LA 1629e SÉANCE

tenue au Palais Wilson, à Genève,le jeudi 4 mars 2004, à 10 heures

Président: M. YUTZIS

SOMMAIRE

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (suite)

Quatorzième à seizième rapports périodiques du Liban (suite)

La séance est ouverte à 10 h 5.

EXAMEN DES RAPPORTS, OBSERVATIONS ET RENSEIGNEMENTS PRÉSENTÉS PAR LES ÉTATS PARTIES CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 9 DE LA CONVENTION (point 6 de l’ordre du jour) (suite)

Quatorzième à seizième rapports périodiques du Liban (CERD/C/383/Add.2) (suite)

1. Sur l’invitation du Président, la délégation libanaise reprend place à la table du Comité.

2.Le PRÉSIDENT invite la délégation libanaise à répondre aux questions posées oralement par les membres du Comité à la séance précédente.

3.M. SOUFAN (Liban), abordant la question de l’abolition du confessionnalisme, souligne que les autorités libanaises souhaitent, par prudence, ne modifier que progressivement les règles applicables à ce système, même si l’objectif final est, à terme, sa suppression définitive. En effet, le système du confessionnalisme, en dépit de ses lacunes, a permis au Liban de vivre depuis un certain nombre d’années dans la compréhension mutuelle, la cohésion et la paix civile. Par parenthèse, c’est précisément en raison de cet esprit de dialogue et de la paix civile qui règnent au Liban qu’un grand nombre de ressortissants étrangers souhaitent y travailler et y vivre. Toutefois, en dépit de son esprit de tolérance et de son sens de l’hospitalité, ce petit pays ne peut être le lieu où seront réglés les problèmes politiques d’autres peuples au prix de sa survie et de sa tranquillité.

4.M. MASMARI (Liban), répondant à la question de savoir si les membres d’une communauté peuvent s’installer au sein d’une autre communauté, précise que les communautés libanaises n’ont pas d’assise territoriale en tant que telle. Les circonscriptions administratives et électorales ne correspondent pas à des clivages communautaires. Ainsi, en vertu du système électoral en vigueur, si les sièges parlementaires à pourvoir sont bien répartis, dans chaque circonscription, conformément à des quotas réservés à chaque confession, les listes électorales ne sont pas confessionnelles et comprennent des candidats de toutes les confessions présentes dans la circonscription.

5.Dans le domaine des mesures législatives visant à lutter contre la discrimination, M. Masmari mentionne la décision qui a été prise de nommer les candidats à un poste dans la fonction publique, la magistrature et le corps diplomatique exclusivement en fonction de leur classement au concours de recrutement pertinent.

6.S’agissant de l’égalité devant la loi, M. Masmari précise que les citoyens libanais et les ressortissants étrangers, à l’exception des réfugiés palestiniens, jouissent des mêmes droits, sauf dans le domaine des droits politiques et dans celui de la protection contre le chômage. Il dit par ailleurs que la confiscation du passeport d’un employé de maison étranger par son employeur constitue une infraction qui peut faire l’objet d’une procédure pénale en référé. Cela étant, les employés de maison sont protégés par une législation spéciale, le Code des obligations et des contrats, qui comporte des dispositions non applicables aux autres salariés et non inscrites dans le Code du travail, telles que l’obligation pour l’employeur de payer le billet d’avion aller‑retour entre le Liban et le pays d’origine de l’employé, ou encore d’assurer le logement, la nourriture et l’habillement de l’employé. En outre, tout contrat de travail conclu entre un employeur et un employé de maison doit être conforme à l’un des contrats types prévus par le Code des obligations et des contrats et être enregistré au Ministère du travail.

7.M. Masmari dit que le Liban a adopté le droit du sang pour ce qui est de la transmission de la nationalité, qui, en outre, est transmise exclusivement par le père, au même titre que le nom patronymique. S’agissant du mariage civil, il précise que les mariages célébrés civilement à l’étranger entre citoyens libanais ou entre citoyens libanais et ressortissants étrangers sont reconnus au Liban et que la loi du lieu de célébration du mariage s’applique à ces mariages et à leurs effets. Enfin, il rappelle que, dans des rapports précédents, les autorités libanaises ont indiqué à plusieurs reprises que le confessionnalisme était une mesure de protection de tous les groupes qui composent la société libanaise. Cette affirmation tendrait à confirmer l’interprétation selon laquelle le confessionnalisme pourrait être considéré comme répondant aux dispositions du paragraphe 2 de l’article 2 de la Convention concernant les mesures spéciales visant à assurer le développement ou la protection de certains groupes raciaux ou d’individus, même s’il convient d’exprimer des réserves quant à l’assimilation des différentes communautés libanaises à des ethnies ou à des minorités ethniques, notion qui n’existe pas au Liban.

8.M. CHEDID (Liban) rappelle que la question des réfugiés palestiniens est avant tout une question politique et que le Liban, qui a consenti de nombreux sacrifices pour l’accueil de ces réfugiés depuis 1948, a sur ce sujet une position de principe très claire, fondée sur les nombreuses résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, qui consiste à appuyer sans réserve la création d’un État palestinien et le droit au retour de tous les réfugiés palestiniens. Logiquement, le Liban refuse donc de faciliter l’implantation des réfugiés palestiniens sur son territoire en leur octroyant la nationalité, avec les droits et les avantages qui en découleraient, ou en les autorisant à acquérir des biens immobiliers. C’est dans cet esprit que la loi de 2002, concernant l’acquisition de biens par les ressortissants étrangers, interdit l’acquisition de biens immobiliers par les réfugiés palestiniens. Il ne s’agit en aucun cas d’une quelconque discrimination, mais bien d’une réponse politique à un problème politique. Cela étant, le Liban est sensible à la condition des réfugiés et n’épargne aucun effort, dans la mesure de ses modestes moyens, pour améliorer leur situation en collaboration avec les organismes internationaux compétents.

9.M. SADER (Liban) signale qu’un projet de loi portant refonte du droit pénal est en cours d’examen devant la Commission parlementaire de l’administration et de la justice depuis environ trois ans. Dans ce contexte, les articles 317 et 318 du Code pénal, qui prévoient des peines de six mois à trois ans de prison pour les délits d’incitation à la haine confessionnelle ou raciale, ont été révisés et il a été décidé d’aggraver la peine lorsque l’incitation est suivie d’un acte matériel. Dans ce cas, le délit d’incitation à la haine confessionnelle ou raciale devient un crime punissable de 3 à 15 ans d’emprisonnement.

10.M. Sader précise que la loi de 2002 concernant l’acquisition de biens par les ressortissants étrangers n’a pas de caractère rétroactif et que les réfugiés palestiniens qui ont acquis des biens immobiliers avant l’entrée en vigueur de cette loi peuvent les conserver; de plus, rien ne s’oppose à ce que des réfugiés palestiniens héritent de biens immobiliers au Liban.

11.M. SICILIANOS se félicite des mesures prises par les autorités libanaises pour assurer la paix civile après un long conflit et fait observer qu’il convient, à cet égard, d’être conscient des équilibres à respecter et de se garder de toute considération hâtive.

12.M. LINDGREN ALVES souhaite avoir des précisions quant aux droits fondamentaux des athées, notamment dans le domaine du mariage, et savoir pourquoi la nationalité ne peut être transmise que par le père et non par l’un ou l’autre des parents.

13.M. de GOUTTES note que le Liban a renoncé à invoquer les dispositions du paragraphe 4 de l’article premier de la Convention pour justifier le confessionnalisme. Par ailleurs, il se félicite du projet visant à assortir les dispositions relatives au délit d’incitation à la haine raciale de la possibilité d’invoquer des circonstances aggravantes. Enfin, il aimerait connaître la position du Gouvernement libanais en ce qui concerne la déclaration facultative prévue à l’article 14 de la Convention.

14.M. AVTONOMOV souhaite avoir des précisions sur les conditions applicables à l’acquisition de la nationalité libanaise.

15.M. KJAERUM évoque le problème des travailleurs migrants dont les droits ne seraient pas suffisamment protégés au Liban et demande si cet État partie a conclu des accords bilatéraux avec les pays d’où proviennent la plupart des immigrés. S’agissant des Palestiniens, M. Kjaerum note que certains sont installés au Liban depuis trois générations et devraient à ce titre jouir d’un plus large éventail de droits fondamentaux.

16.M. SHAHI informe la délégation libanaise que le Comité compte adopter une recommandation générale concernant les droits des non-ressortissants, dans laquelle il engagera les États parties à accorder davantage de droits aux non-ressortissants, notamment les droits visés à l’article 5 de la Convention.

17.M. BOYD est conscient du caractère éminemment politique de la question des réfugiés palestiniens au Liban et comprend la volonté du Gouvernement libanais de privilégier le retour des Palestiniens chez eux. Il engage toutefois l’État partie à traiter les réfugiés palestiniens de manière plus conforme au principe de non-discrimination consacré par la Convention.

18.M. ABOUL‑NASR ne partage pas les vues exprimées par plusieurs membres du Comité au sujet des droits que le Liban devrait accorder aux immigrés palestiniens. L’idée selon laquelle les pays qui accueillent des immigrés palestiniens devraient leur accorder la nationalité émane d’Israël, qui voit ainsi une occasion de priver les Palestiniens de leur droit de retourner sur leurs terres, en Israël. La plupart des Palestiniens ne souhaitent pas être naturalisés par les pays où ils ont trouvé refuge. M. Aboul‑Nasr souligne que le Liban a une longue tradition d’hospitalité et de tolérance et estime qu’il est injuste de reprocher à cet État partie la façon dont il traite les réfugiés palestiniens, qui, au demeurant, n’a rien de discriminatoire.

19.M. AMIR dit que la question des réfugiés palestiniens relève de la responsabilité de la communauté internationale et non de celle du Liban. Il s’agit d’un problème purement politique et non d’une question juridique qui serait couverte par des instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. Par ailleurs, M. Amir insiste sur le fait que les Palestiniens doivent pouvoir exercer librement leur droit de retrouver leurs terres.

20.M. SOUFAN (Liban) rappelle que le Liban est un petit pays qui souffre encore des séquelles de 17 années de guerre civile. En dépit de ses difficultés liées à la reconstruction de ses infrastructures, le Liban a accepté d’ouvrir largement ses frontières aux réfugiés palestiniens. Toutefois, il ne s’agit que d’une solution temporaire à un problème politique et non humanitaire. Le Liban défend sans réserve la cause des Palestiniens.

21.M. CHEDID (Liban) comprend les préoccupations de certains membres du Comité concernant les Palestiniens qui vivent au Liban, mais souligne que ceux-ci ne font l’objet d’aucune discrimination raciale. La situation dans laquelle se trouve la population palestinienne est due à un problème d’ordre politique qui n’a rien à voir avec les droits de l’homme.

22.M. SADER (Liban) précise qu’en vertu du système confessionnel libanais seuls les mariages religieux sont reconnus. Les personnes qui souhaitent se marier civilement peuvent le faire, mais dans un autre pays, sachant que les autorités libanaises respectent la loi du pays dans lequel l’union civile a été contractée. Plusieurs tentatives ont été menées depuis 1960 pour légaliser le mariage civil dans le pays, mais la Chambre des députés s’y est toujours opposée, en raison notamment de la pression des communautés religieuses. Le Gouvernement ne désespère toutefois pas d’y parvenir un jour.

23.Le représentant précise que son pays applique le principe élémentaire en droit international de la réciprocité entre États quant aux droits des ressortissants étrangers. Or les Palestiniens ne sont pas des ressortissants étrangers puisqu’ils n’ont pas d’État; ils jouissent donc d’un statut spécial.

24.S’agissant de la question de l’acquisition de la nationalité libanaise par filiation, M. Sader indique que, comme la majorité des pays du monde, le Liban applique le jus sanguinis dont il a hérité du mandat français. Le pays n’a pas jugé nécessaire, depuis lors, d’amender sa législation pour choisir une autre forme d’acquisition de la nationalité.

25.M. SOUFAN (Liban) indique qu’un accord-cadre a été récemment signé par le Ministre libanais des affaires étrangères avec Sri Lanka et qu’un accord similaire devrait être prochainement signé avec les Philippines. Il s’agit essentiellement d’accords bilatéraux de coopération diplomatique qui visent à protéger des intérêts communs.

26.M. Soufan ajoute que sa délégation n’est pas habilitée à se prononcer sur les raisons pour lesquelles le Liban n’a pas fait la déclaration facultative prévue à l’article 14 de la Convention, mais qu’elle transmettra aux autorités compétentes les vues du Comité à cet égard.

27.M. KJAERUM remercie la délégation libanaise d’avoir apporté des précisions importantes, notamment sur les questions relatives aux réfugiés palestiniens, aux accords de réciprocité et aux accords bilatéraux conclus par le Liban. Il comprend la complexité politique de la situation qui règne au Moyen-Orient, mais précise que les questions qu’il a posées à la délégation concernant les Palestiniens vivant au Liban se réfèrent aux dispositions de la Convention, en particulier aux droits énoncés à l’article 5.

28.M. TANG (Rapporteur pour le Liban) se félicite que la délégation libanaise ait apporté des réponses claires à des questions très importantes qui permettent aux membres du Comité de mieux comprendre la spécificité des problèmes rencontrés par l’État partie. Il reconnaît que le Liban est un pays surpeuplé qui se heurte à des problèmes considérables du fait de la situation qui règne dans les pays voisins. L’État partie sort tout juste de 17 années de guerre civile qui ont laissé des traces tant au niveau économique et social que sur le plan des infrastructures. Le Liban est engagé dans un vaste et long processus de reconstruction et doit, parallèlement, faire face aux problèmes causés par l’afflux massif de plus de 400 000 réfugiés palestiniens depuis 1948.

29.M. Tang reconnaît que le problème des Palestiniens est politique et qu’il convient donc de l’aborder en tenant dûment compte de cette réalité. Toutefois, le Liban n’est pas le seul État à accueillir un nombre important de réfugiés palestiniens sur son territoire: la Jordanie se trouve par exemple dans le même cas. Il est évident que la communauté internationale doit s’attaquer aux causes profondes du problème pour que les droits fondamentaux du peuple palestinien soient rétablis. Cela étant, cette situation politique ne permet pas à elle seule d’expliquer pourquoi, notamment, certains réfugiés palestiniens qui vivent au Liban depuis 1948 n’ont toujours pas acquis la citoyenneté libanaise. En exprimant leurs préoccupations à ce sujet, les membres du Comité souhaitent inciter l’État partie à tenir compte de la dimension humanitaire de la question, pas à sous‑entendre qu’il doit assumer l’entière responsabilité de la situation.

30.M. Tang reconnaît que le Liban a adopté une démarche progressive vis-à-vis du confessionnalisme, en matière tant de statut personnel que de confessionnalisme politique. Il apprécie les nombreux éclairages apportés par la délégation aux raisons tant historiques que religieuses de ce système et souligne que les questions posées par les membres du Comité sur ce point ne sont pas accusatoires mais répondent à des préoccupations suscitées par les répercussions éventuellement négatives que ce système pourrait avoir sur l’exercice des droits de l’homme de certaines minorités.

31.M. SOUFAN (Liban) se félicite de la qualité du dialogue qui s’est engagé avec tous les membres du Comité et constate que ceux-ci comprennent mieux la situation particulière dans laquelle se trouve son pays. Il souligne la nécessité de comprendre que le Liban est un État de droit qui s’efforce de respecter le droit international alors que la majorité de ses difficultés actuelles et passées découlent précisément de la non-application du droit international.

32.La délégation libanaise se retire.

La première partie (publique) de la séance prend fin à 12 heures.

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