Nations Unies

CAT/C/SLE/CO/1

Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants

Distr. générale

20 juin 2014

Français

Original: anglais

Comité contre la torture

Observations finales concernant le rapport initial de la Sierra Leone *

Le Comité contre la torture a examiné le rapport initial de la Sierra Leone (CAT/C/SLE/1) à ses 1219e et 1221e séances, les 2 et 5 mai 2014 (voir CAT/C/SR.1219 et 1221). Il a adopté à sa 1237e séance, le 15 mai 2014 (voir CAT/C/SR.1237), et à sa 1238e séance, le 16 mai 2014 (CAT/C/SR.1238), les observations finales ci-après.

A.Introduction

Le Comité se félicite du rapport initial de la Sierra Leone (CAT/C/SLE/1). Cependant, il regrette que le rapport ne soit pas pleinement conforme aux directives du Comité concernant la forme et le contenu des rapports initiaux (CAT/C/4/Rev.3) et qu’il ait été soumis avec onze ans de retard, ce qui a empêché le Comité de procéder à une analyse de l’application de la Convention dans l’État partie depuis l’adhésion de ce dernier à l’instrument, en 2001.

Le Comité sait gré à l’État partie du dialogue franc et constructif qu’il a eu avec sa délégation de haut niveau et des renseignements complémentaires fournis pendant l’examen du rapport.

B.Aspects positifs

Le Comité se félicite de la ratification par l’État partie des instruments internationaux suivants:

a)Les Protocoles facultatifs à la Convention relative aux droits de l’enfant, concernant la vente d’enfants, la prostitution des enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, et concernant l’implication d’enfants dans les conflits armés, le 17 septembre 2001 et le 15 mai 2002 respectivement;

b)La Convention relative aux droits des personnes handicapées, le 4 octobre 2010.

Le Comité accueille avec satisfaction l’adoption des mesures législatives ci-après par l’État partie dans les domaines intéressant la Convention:

a)La loi relative aux infractions sexuelles de 2012 qui aggrave les peines pour infractions sexuelles et interdit le viol entre époux;

b)La loi relative à l’aide juridictionnelle de 2012;

c)La loi relative à la violence familiale de 2007;

d)La loi relative à la protection des réfugiés de 2007.

Le Comité accueille aussi avec satisfaction:

a)La création, en 2004, de l’Équipe interministérielle spéciale de lutte contre la traite, chargée de coordonner la lutte contre la traite d’êtres humains, au sein de laquelle sont représentés des organisations de la société civile et le Bureau de la sécurité nationale;

b)La création, en 2003, d’unités de soutien aux familles au sein des postes de police, et l’adoption, en 2012, du Protocole national d’orientation relatif aux violences sexistes et du Plan national d’action contre les violences sexistes;

c)La création en 2004, par une loi du Parlement, de la Commission nationale des droits de l’homme, opérationnelle depuis 2007.

C.Principaux sujets de préoccupation et recommandations

Application de la Convention dans l’État partie

Tout en prenant note du dualisme qui prévaut en Sierra Leone en matière d’incorporation des instruments internationaux en droit interne, le Comité s’inquiète de ce que treize ans après son adhésion à la Convention l’État partie ne l’ait toujours pas incorporée dans l’ordre juridique national (art. 2).

Le Comité exhorte l’État partie à adopter le texte de loi qui donne effet dans son ordre juridique interne aux droits et obligations auxquels il a souscrit au titre de la Convention. Il encourage l’État partie à prendre en compte l es points ci-après dans le texte de loi en question .

Criminalisation et définition de la torture

Le Comité note avec préoccupation que, bien que le premier paragraphe de l’article 20 de la Constitution interdise la torture, l’État partie n’a toujours pas incorporé dans son droit interne l’infraction de torture. Il note aussi que l’article 33 de la loi relative aux droits de l’enfant de 2007 interdit la torture à l’égard des enfants, mais il est préoccupé par le fait que la torture dont des enfants peuvent être victimes n’est pas définie dans la loi et qu’elle emporte des peines très légères, comme une amende ou une peine privative de liberté de deux ans maximum. Le Comité relève aussi la déclaration de la délégation selon laquelle les actes de torture sont actuellement punis au titre d’autres infractions qui tombent sous le coup de la loi relative aux atteintes aux personnes de 1861. Le Comité est donc vivement préoccupé par l’existence de lacunes juridiques qui permettent une situation d’impunité des actes de torture, et par le nombre élevé de tels actes (art. 1er et 4).

Le Comité exhorte l’État partie à faire en sorte que tous les actes de torture constituent expressément des infractions au regard de son droit pénal et à incorporer dans sa législation pénale la définition de la torture telle qu’elle figure à l’article premier de la Convention, comme la délégation de l’État partie s’y est engagée au cours du dialogue avec le Comité . L’État partie devrait veiller à ce que ces infractions soient passibles de peines appropriées qui soient à la mesure de leur gravité , conformément au paragraphe 2 de l’article 4 de la Convention. Il devrait aussi apporter les modifications nécessaires à sa législation pour rendre les articles 33 et 35 de la loi relative aux droits de l’enfant conformes à la présente recommandation.

Amnisties et principe d’intangibilité de l’interdiction de la torture

Le Comité est préoccupé par la déclaration faite par l’État partie dans son rapport selon laquelle des actes de torture ont été commis de 1992 à 1998 sous les régimes militaires (CAT/C/SLE/1, par. 42) et par le fait que la loi de 1999 portant ratification de l’Accord de paix de Lomé prévoit l’amnistie de tous les combattants pour tous les actes qu’ils ont pu commettre dans la poursuite de leurs objectifs au cours de cette période. Tout en reconnaissant qu’un certain nombre de personnes ont été jugées et condamnées par le Tribunal spécial pour la Sierra Leone, il note que ce tribunal pénal international est uniquement compétent pour poursuivre les personnes qui portent les plus lourdes responsabilités dans les violations graves du droit international humanitaire et du droit sierra-léonais commises sur le territoire sierra-léonais depuis le 30 novembre 1996 (art. 2, 12, 13 et 14).

À la lumière de ses Observations générales n o 2 (2008) sur l’application de l’article 2 par les États parties et n o 3 (2012) sur l’application de l’article 14 par les États parties, le Comité rappelle à l’État partie la règle de jus cogens établie de longue date qui proscrit la torture et selon laquelle la poursuite des actes de torture ne devrait être soumise à aucune condition de légalité ni prescription. Il considère que les dispositions d’amnistie qui empêchent l’ouverture de poursuites en toute célérité et impartialité et la sanction des auteurs d’actes de torture ou de mauvais traitements violent le principe d’intangibilité de l’interdiction de la torture et contribuent à l’existence d’un climat d’impunité. C’est pourquoi il exhorte l’État partie à abroger les dispositions d’amnistie de la loi de 1999 portant ratification de l’Accord de paix de Lomé et à prendre toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce que : i) les affaires de torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants fassent rapidement et en toute impartialité l’objet d’enquêtes approfondies; ii) les auteurs soie nt ensuite jugés et sanctionnés ; et iii) des mesures soient prises pour accorder réparation aux victimes.

Interdiction absolue de la torture

Le Comité note avec préoccupation que l’article 20 de la Constitution ne prévoit pas l’interdiction absolue et en toutes circonstances de la torture, puisque le paragraphe 2 de cet article autorise l’imposition de toute forme de sanction qui était légale avant l’entrée en vigueur de la Constitution. L’article 29 de la Constitution, qui réglemente l’état d’exception, ne précise pas non plus qu’il est impossible de déroger à l’interdiction de la torture (art. 2).

L’État partie devrait abroger le paragraphe 2 de l’article 20 et apporter les modifications nécessaires à l’article 29 de la Constitution dans le cadre du processus de révision de la Constitution qui est en cours, de façon à inscrire l’interdiction absolue de la torture, en indiquant expressément qu’aucune circonstance exceptionnelle de quelque type que ce soit, qu’il s’ agisse d’un état de guerre ou d’une menace de guerre, d’instabilité politique interne ou de toute autre situation d’ urgence publique, ne saurait être invoquée pour justifier la torture. L’État partie devrait aussi indiquer expressément dans sa législation que le délit de torture est imprescriptible.

Garanties juridiques fondamentales

Tout en relevant que, conformément au paragraphe 2 de l’article 17 de la Constitution, les détenus ont le droit de s’entretenir avec un avocat dès le début de la privation de liberté, le Comité s’inquiète de l’inapplicabilité de cette disposition dans la mesure où la plupart des détenus n’ont pas les moyens de s’assurer les services d’un avocat et que la Commission nationale de l’aide juridictionnelle créée par la loi relative à l’aide juridictionnelle de 2012 n’a pas encore commencé ses travaux. Le Comité est aussi préoccupé par le fait que, conformément au paragraphe 3 de l’article 17 de la Constitution, les suspects peuvent être gardés à vue jusqu’à dix jours avant d’être déférés à un juge dans les affaires passibles de la peine de mort et seraient détenus pendant des périodes plus longues que celles fixées dans la Constitution. De plus, la loi ne leur reconnaît pas le droit de se faire examiner par un médecin indépendant dès leur placement en détention ni, dans le cas des étrangers, de communiquer avec les autorités consulaires de leur pays. Le Comité s’inquiète aussi de ce que l’enregistrement des détenus ne soit pas réglementé et que les registres soient mal tenus (art. 2).

L’État partie devrait:

a) Veiller à ce que les détenus jouissent, de jure et de facto , de toutes les garanties juridiques dès l’instant où ils sont privés de leur liberté, en particulier des droits d’ être examinés par un médecin indépendant, d’ informer de leur détention un proche et, dans le cas des étrangers, les autorités consulaires de leur pays, d’être déférés rapidement à un juge et de communiquer rapidement avec un avocat et, si nécessaire, de bénéficier de l’aide juridictionnelle ;

b) Prendre sans retard des mesures efficaces pour veiller à ce que la Commission national e d e l ’aide j uridictionnelle créé e par la loi relative à l’aide juridictionnelle de 2012 commence à travailler aussitôt que possible et, de concert avec l’ A ssociation du barreau sierra-léonais, reçoive des ressources suffisantes pour offrir l’ aide juridictionnelle à toutes les personnes qui en ont besoin;

c) Adopter des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres efficaces pour réglementer l’enregistrement de tous les détenus du pays, avec mention du type de détention, de l’infraction commis e et de la durée de la détention ou de l’emprisonnement, de la date et de l’heure auxquelles ils ont été privés de liberté et placés en détention, du lieu où ils sont détenus, de leur âge et de leur sexe;

d) Apporter les modifications nécessaires à sa législation pour abroger la disposition en vertu de laquelle une personne peut être gardée à vue pendant dix jours ou soixante-douze heures en fonction de l’infraction qui lui est reprochée, et la remplacer par une période de quarante-huit heures maximum.

Peine capitale

Tout en se félicitant du moratoire imposé officiellement sur les exécutions depuis 2011 et des efforts déployés actuellement par l’État partie pour supprimer la peine capitale, le Comité reste préoccupé par le fait que cette peine n’a pas encore été abolie officiellement (art. 2 et 16).

Le Comité encoura ge l’État partie à accélérer le réexamen de la législation en cours et à abolir la peine capitale, conformément à l’engagement pris au cours du dialogue avec le Comité.

Usage excessif de la force, notamment de la force meurtrière

Le Comité est extrêmement préoccupé par les allégations d’usage excessif de la force, notamment de la force meurtrière, par la police et les forces de sécurité, surtout lorsqu’elles appréhendent des suspects et répriment des manifestations, et par les critères très lâches permettant de recourir à l’usage de la force meurtrière qui sont énoncés au paragraphe 2 de l’article 16 de la Constitution. En particulier, le Comité s’inquiète de ce que l’usage excessif de la force qu’aurait fait la police à Bumbuna (district de Tonkolili) en avril 2012 aurait seulement donné lieu à une enquête confidentielle du coroner (art. 2, 12 et 16).

L’État partie devrait prendre immédiatement des mesures efficaces pour enquêter rapidement, sérieusement et impartialement sur toutes les allégations d’usage excessif de la force, en particulier de la force meurtrière , par des agents des forces de l’ordre, traduire en justice les responsables de ces actes et accorder réparation aux victimes. L’État partie devrait aussi veiller à ce que les enquêtes confidentielles du coroner ne se substituent pas aux poursuites pénales et à la procédure judiciaire mais viennent les compléter.

Le Comité exhorte l’État partie à apporter les modifications nécessaires à l’article 16 de la Constitution et au règlement de la police afin que les agents des forces de l’ordre ne puissent recourir qu’ en dernier ressort à la force meurtrière d’armes à feu et uniquement s’ils ne peuvent faire autrement pour protéger la vie, conformément à la Con vention , au Code de conduite pour les responsables de l’application des lois et aux Principes de base sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois (1990). L’État partie devrait garantir une formation régulière aux personnels des forces de l’ordre pour que les fonctionnaires respectent les règles susmentionnées et soient conscients de la responsabilité qu’ils encourent s’ils font un usage inutile ou excessif de la force.

Violences sexuelles et sexistes, y compris violences familiales

Le Comité accueille avec satisfaction les mesures prises pour lutter contre les violences sexistes et familiales (voir par. 5 a), c) et 6 b) ci-dessus), mais demeure préoccupé par le nombre élevé de cas de violence sexiste dans le pays, notamment de viol de filles par de proches parents et des enseignants. Il note aussi avec inquiétude le fait qu’il est courant de ne pas signaler ces cas en partie à cause des pressions qui s’exercent sur les victimes pour qu’elles recourent à un règlement à l’amiable. Les enquêtes sont aussi inefficaces, comme le reconnaît l’État partie, en raison de «l’insuffisance des moyens des unités de soutien aux familles de la police sierra-léonaise pour réprimer les cas de violence sexiste, [des] pressions exercées par des membres de la famille sur les victimes pour les inciter à revenir sur leurs accusations, [des] manœuvres d’obstruction à l’action de la justice auxquelles se livrent des gens influents, dont des chefs traditionnels et des responsables politiques, ainsi que [de] la lenteur excessive des procédures judiciaires» (HRI/CORE/SLE/2012, par. 149) (art. 2, 12 et 16).

L’État partie devrait redoubler d’efforts pour en finir avec les violences sexuelles et sexistes, y compris les violences familiales, en particulier:

a) En accordant aux unités de soutien aux familles les ressources nécessaires et en en étendant la présence à tous les postes de police, en particulier au niveau des chefferies;

b) En veillant à ce que toutes les affaires de violences à l’encontre de femmes et d’enfants, y compris de violences sexuelles et familiales, fassent l’objet d’enquêtes diligentes et approfondies, que leurs auteurs soient poursuivis et, en cas de condamnation, punis par des sanctions appropriées;

c) En garantissant aux victimes le plein accès aux services de santé, y compris à un rapport médical gratuit, à la planification familiale et à la prévention et au diagnostic des maladies sexuellement transmissibles, et en veillant à ce que les victimes trouvent un refuge et obtiennent réparation, y compris une indemnisation juste et suffisante et la meilleure réadaptation possible;

d) En formant , entre autres , les juges, procureurs, policiers, agents des services de police technique et scientifique et prestataires de soins de santé à l’application stricte du cadre législatif dans une optique respectueuse de la différence entre les sexes;

e) En élargissant les campagnes de sensibilisation aux violences sexistes , en particulier aux écoles et à la communauté dans son ensemble.

Mutilations génitales féminines

Le Comité prend note des efforts déployés par l’État partie pour lutter contre les mutilations génitales féminines, mais demeure profondément préoccupé par le fait que cette pratique n’est pas sanctionnée et est, dans les faits, très répandue dans l’État partie. S’il prend note de ce que l’article 33 de la loi relative aux droits de l’enfant de 2007 interdit «toutes les pratiques culturelles qui déshumanisent l’enfant ou portent atteinte à son bien‑être physique et psychique», le Comité tient compte du document de base de l’État partie, dans lequel celui-ci indique que «la loi ne traite pas de la pratique persistante des mutilations génitales féminines» (HRI/CORE/SLE/2012, par. 147) (art. 2, 12, 13, 14 et 16).

Conformément à l’engagement qu’il a pris pendant l’Examen périodique universel en mai 2011 et aux obligations contractées au titre de la Convention, l’État partie devrait s’attacher d’urgence à: ériger en infractions les mutilations génitales féminines, adopter sans délai des mesures pour mettre fin à cette pratique et mener des campagnes de sensibilisation renforcées et énergiques sur les effets préjudiciables de cette pratique, en particulier auprès des familles et des chefs traditionnels.

Pratiques traditionnelles préjudiciables

Le Comité s’inquiète de ce que le paragraphe 2 de l’article 2 de la loi relative à l’enregistrement des mariages et des divorces coutumiers de 2007 autorise encore le mariage d’enfants sous réserve du consentement parental, et il relève la persistance de cette pratique et d’autres pratiques traditionnelles préjudiciables, comme les violences verbales et physiques, y compris les lynchages dont des femmes âgées soupçonnées de sorcellerie sont victimes. Le Comité est aussi extrêmement préoccupé par les informations faisant état de crimes rituels et l’absence d’enquêtes efficaces et de poursuites aboutissant à des condamnations, par l’ingérence que pratiqueraient les chefs traditionnels et le recours aux règlements à l’amiable. De plus, il regrette l’absence d’informations suffisantes sur les mesures prises pour veiller à ce que le droit coutumier s’adapte aux obligations contractées par l’État partie au titre de la Convention (art. 2 et 16).

L’État partie devrait:

a) Abroger les dispositions de la législation qui autorisent le mariage des enfants et fixer à 18 ans l’âge minimum du mariage;

b) Renforcer ses efforts pour prévenir et combattre les pratiques traditionnelles préjudiciables, en particulier dans les zones rurales, et veiller à ce que les actes de cette nature fassent l’objet d’enquêtes et que leurs auteurs présumés soient poursuivis et, en cas de condamnation, punis par des sanctions appropriées;

c) Créer les conditions voulues pour que les victimes puissent porter plainte sa ns craindre de représailles et offrir r éparation aux victimes ;

d) Étendre les mesures de sensibilisation pour alerter le public des effets préjudiciables de certaines coutumes qui portent atteinte aux femmes et à d’autres personnes, comme la délégation de l’État partie s’y est engagée pendant le dialogue;

e) Dispenser aux juges, procureurs, agents des forces de l’ordre et autorités traditionnelles une formation en vue d’une application stricte de la législation pertinente érigeant en infractions pénales les pratiques traditionnelles préjudiciabl es et autres formes de violence .

De manière générale, l’État partie devrait veiller à ce que son droit coutumier et ses pratiques traditionnelles soient compatibles avec ses obligations en matière de droits de l’homme, en particulier celles découlant de la Convention.

Avortement

Tout en reconnaissant les mesures prises par l’État partie pour revoir la législation restrictive en vigueur, le Comité s’inquiète de ce que les articles 58 et 59 de la loi relative aux atteintes aux personnes continuent de criminaliser l’avortement quelles que soient les circonstances. Ces restrictions ont pour conséquence que de nombreuses femmes recourent à des avortements clandestins pratiqués dans de mauvaises conditions, qui pourraient représenter plus de 10 % de la mortalité maternelle (art. 2 et 16).

Le Comité recommande à l’État partie d’accélérer le processus de révision de la loi relative aux atteintes aux personnes afin d’envisager de prévoir d’autres exceptions à l’interdiction générale de l’avortement, en particulier pour les cas d’avortement à des fins thérapeutiques et de grossesse résultant d’un viol ou d’un inceste. Conformément aux directives de l’Organisation mondiale de la S anté, l’État partie devrait garantir des soins immédiats et sans conditions aux femmes qui ont besoin d’une prise en charge médicale d’urgence après un avortement non médicalisé. Il devrait également fournir des services de santé sexuelle et procréative aux femmes et aux adolescents afin de prévenir les grossesses non désirées.

Administration de la justice

Le Comité s’inquiète du faible nombre de juges et de procureurs dans l’État partie, qui génère de graves retards dans les procès et limite l’accès à la justice des victimes de tortures et de mauvais traitements. Il est aussi profondément troublé par la façon dont le système de détention de l’État partie serait devenu vulnérable aux pratiques de corruption dans la mesure où la libération sous caution est habituellement accordée après versement de «pots-de-vin» au personnel de la police et de l’appareil judiciaire, en particulier dans les juridictions locales. Il relève aussi l’absence de garanties propres à protéger l’indépendance du pouvoir judiciaire, et tous ces éléments sont susceptibles de nuire à une administration efficace de la justice en tant que moyen de lutter contre la torture (art. 2).

L’État partie devrait:

a) Poursuivre la réforme du système judiciaire qu’il a engagée et prendre les mesures appropriées pour augmenter le nombre de juges et de procureurs et améliorer leurs compétences;

b) Renforcer les mesures de lutte contre les manquements de la police et des magistrats, en particulier contre les pratiques de corruption sous toutes leurs formes, qui peuvent nuire au déroulement des enquêtes et au bon fonctionnement d’un système juridique et judiciaire indépendant, impartial et satisfaisant ;

c) Mener des enquêtes, traduire les responsables en justice et, en cas de condamnation, imposer des peines appropriées;

d) Garantir et protéger l’indépendance du pouvoir judiciaire, garantir l’inamovibilité du personnel judiciaire, améliorer la législation régissant sa conduite et dispenser aux juges une formation professionnelle continue , y compris en matière de déontologie et en ce qui concerne la Convention, conformément aux Principes fondamentaux relatifs à l’indépendance de la magistrature (voir les résolutions 40/32 et 40/146 de l’Assemblée générale).

Ordres émanant d’un supérieur hiérarchique et responsabilité des supérieurs hiérarchiques

Tout en prenant acte de la déclaration faite dans le rapport de l’État partie selon laquelle les règles qui régissent le comportement des fonctionnaires prévoient qu’un agent auquel des actes de torture sont imputés ne peut pas invoquer l’ordre d’un supérieur pour échapper aux poursuites (CAT/C/SLE/1, par. 41), le Comité demeure préoccupé par l’absence de clarté concernant l’existence de mécanismes offrant aux subordonnés qui refusent d’obéir à un tel ordre une protection contre des représailles de la part de leurs supérieurs hiérarchiques. Il s’inquiète aussi de l’absence d’informations sur le point de savoir si le principe de la responsabilité du supérieur hiérarchique pour les actes de torture commis par ses subordonnés est reconnu dans le droit interne (art. 1er et 2).

À la lumière de l’Observation générale n o  2 du Comité, l’État partie devrait instaurer tant dans son ordre juridique que dans la pratique:

a) Le droit de tous les agents des forces de l’ordre de refuser en tant que subordonnés d’exécuter un ordre de leurs supérieurs hiérarchiques qui irait à l’encontre de la Convention;

b) Des mécanismes tendant à protéger les subordonnés contre de s représailles s’ils refusent d’exécuter un ordre émanant d’un supérieur qui constituerait une violation de la Convention;

c) La responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques pour les actes de torture ou les mauvais traitements commis par leurs subordonnés s’ils savaient ou auraient dû savoir que ceux-ci allaient commettre ou étai en t susceptible s de commettre ces actes inadmissibles et s’ ils n’avaient cependant pris aucune mesure de prévention raisonnable et nécessaire.

Non-refoulement

Le Comité accueille avec satisfaction l’interdiction du refoulement des réfugiés et de leur famille s’il y a de bonnes raisons de penser qu’ils risqueraient d’être soumis à la torture, prévue par la loi relative à la protection des réfugiés de 2007, mais note avec préoccupation que la loi relative à l’extradition de 1974 ne reconnaît pas explicitement ce principe. Bien que la décision d’extradition puisse faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, il n’existe pas de disposition légale faisant obligation d’évaluer la situation du requérant au regard du risque qu’il soit soumis à la torture dans le pays de destination. Le Comité s’inquiète aussi de ce que les trois organismes de protection des réfugiés établis par la loi relative à la protection des réfugiés ne bénéficient pas d’un soutien financier suffisant, ce qui les empêche d’exercer dûment leurs fonctions (art. 3).

L’État partie devrait s’acquitter des obligations qui lui incombent au titre de la Convention, reconnues dans l’engagement pris au cours du dialogue avec le Comité, et modifier la loi relative à l’extradition pour en assurer la conformité avec l’obligation de non-refoulement énoncée à l’article 3 de la Convention. L’État partie devrait aussi prendre les mesures nécessaires pour garantir que le principe de non-refoulement soit correctement appliqué par la Haute Cour et la Cour suprême lorsqu’elles sont appelées à statuer dans des affaires d’extradition. L’État partie devrait aussi allouer suffisamment de ressources aux structures nationales qui s’occupent des réfugiés pour en garantir la durabilité, comme le Comité des droits de l’homme l’a déjà recommandé.

Compétence de la Sierra Leone aux fins de connaître des actes de torture

Le Comité est préoccupé par l’absence de clarté concernant la possibilité, pour la Sierra Leone, d’établir une compétence extraterritoriale aux fins de connaître des crimes de torture dont la victime présumée est un ressortissant de la Sierra Leone ou dont l’auteur étranger présumé se trouve sur son territoire. Il note aussi le flou quant à l’existence des mesures législatives nécessaires pour établir l’obligation de l’État partie d’extrader ou de poursuivre en cas d’actes de torture (aut dedere aut judicare). Il constate aussi avec préoccupation que, conformément au paragraphe 1 de l’article 42 de la loi de procédure pénale de 1965, les tribunaux peuvent établir leur compétence pour connaître des crimes commis par des ressortissants sierra-léonais à l’étranger uniquement lorsque ces crimes ont été commis par des agents de l’État agissant «dans l’exercice de leurs fonctions» (art. 5, 6 et 7).

L’État partie devrait veiller à ce que la nouvelle loi de procédure pénal e de 2014 prévoie la compétence extraterritoriale de la Sierra Leone pour connaître des actes de torture dont la victime présumée est l’un de ses ressortissants ou dont l’auteur présumé se trouve sur son territoire, que ce soit pour extrader l’auteur présumé vers un État compétent pour connaître du délit ou pour le remettre à un tribunal pénal international, conformément à ses obligations internationales, ou pour le poursuivre , conformément aux dispositions de la Convention. Il devrait aussi veiller à ce que la loi en question établisse la compétence de la Sierra Leone pour connaître des actes de torture commis par des nationaux sierra - léonais à l’étranger, que les auteurs présumés soient des personnes ayant agi à titre officiel ou des agents de l’État ayant agi en dehors de l’exercice de leurs fonctions.

Extradition et entraide

Le Comité note que la loi relative à l’extradition subordonne l’extradition à l’existence d’un traité d’extradition avec un nombre déterminé de pays. Cependant, il s’inquiète de ce que les crimes énoncés à l’article 4 de la Convention ne figurent pas explicitement dans la loi relative à l’extradition en tant qu’infractions passibles d’extradition. De plus, l’État partie n’a pas précisé s’il invoquait la Convention en tant que fondement juridique de l’extradition s’agissant de ces crimes lorsqu’il recevait une demande d’extradition d’un autre État partie avec lequel il n’avait pas conclu de traité d’extradition. Le Comité est aussi préoccupé par le fait qu’il n’existe pas de dispositions concernant l’entraide judiciaire applicables dans le cas de crimes visés à l’article 4 de la Convention (art. 8 et 9).

Conformément aux engagements pris devant le Comité, l’État partie devrait:

a) Modifier la loi relative à l’extradition pour veiller à ce que les crimes visés à l’article 4 de la Convention soient considérés comme autant d’infractions passibles d’extradition;

b) Prendre les mesures législatives et administratives nécessaires pour que la Convention puisse être invoquée en tant que fondement juridique de l’extradition pour ce qui est des crimes visés à l’article 4 de la Convention lorsqu’il est saisi d’une demande d’extradition par tout autre État partie avec lequel il n’est pas lié par un traité d’extradition, tout en respectant les dispositions de l’article 3 de la Convention;

c) Prendre les mesures législatives et administratives nécessaires pour prévoir une entraide judiciaire avec d’autres États parties pour tout ce qui touche à la procédure pénale concernant les crimes visés à l’article 4 de la Convention, notamment en incorporant dans la législation nationale les accords multilatéraux contenant des dispositions relatives à l’entraide judiciaire qui ont été déjà ratifiés par l’État partie.

Formation

Tout en notant l’inclusion de l’interdiction de la torture dans le Manuel de formation et de recrutement de la police, le Comité est préoccupé par l’absence de formation spécifique et périodique à la Convention et l’omission de l’interdiction absolue de la torture dans les règlements et instructions régissant le personnel militaire, les policiers, le personnel pénitentiaire, les agents des services d’immigration et le personnel chargé de faire appliquer la loi comme les juges, les procureurs et les avocats. Il s’inquiète aussi de ce que les directives énoncées dans le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Protocole d’Istanbul, 1999) ne soient pas suivies dans les enquêtes sur les affaires de torture ou de mauvais traitements (art. 10).

Le Comité recommande à l’État partie:

a) D’inclure l’interdiction absolue de la torture dans tous les règlements et instructions applicables aux personnels civils et militaires des forces de l’ordre ou aux personnes qui interviennent dans la détention, l’interrogatoire ou le traitement des personnes privées de liberté;

b) De diffuser largement d es programmes de formation contenant des modules qui traite nt spécifiquement de la Convention de façon que les personnels civils et militaires des services de séc urité et des forces de l’ordre soient pleinement informés des dispositions de la Convention et en particulier de l’interdiction absolue de la torture ;

c) De dispenser régulièrement et systématiquement une formation au Protocole d’Istanbul au personnel médical, aux médecins légistes, aux juges, aux agents des services d’immigration, aux procureurs et à toutes les autres personnes qui interviennent dans la détention, l’interrogatoire ou le traitement des personnes privées de liberté ainsi qu’à toute autre personne participant aux enquêtes sur les affaires de torture ;

d) D’évaluer, autant qu’il est possible pratiquement , l’efficacité des programmes d’éducation et de formation portant sur la Convention et le Protocole d’Istanbul.

Détention avant jugement

Le Comité accueille avec satisfaction la révision en cours de la loi de procédure pénale, qui vise à accélérer les procès et à permettre l’imposition de peines de substitution à la détention. Il demeure néanmoins préoccupé par le fait que les personnes placées en détention avant jugement représenteraient plus de la moitié de la population carcérale. Il relève avec préoccupation le recours excessif à la détention pour des infractions mineures et l’application actuellement restrictive de peines de substitution à la détention, qui s’explique en partie par l’absence de garants. Il prend note par ailleurs des informations selon lesquelles, même si les mandats de dépôt ne peuvent légalement excéder huit jours, ils ne sont en général pas renouvelés, faute de magistrats en nombre suffisant, ou ne sont pas respectés. Il relève avec inquiétude que ces aspects ont une incidence directe sur le grave surpeuplement carcéral (art. 2, 11, 12 et 16).

L’État partie devrait:

a) Veiller à ce que la loi de procédure pénale de 2014 soit rapidement adoptée et inclue les présentes recommandations, et à ce qu’elle soit exécutoire;

b) Examiner les dispositions relatives aux peines de substitution à la détention afin de supprimer les obstacles à leur application effective;

c) Réduire la durée des détentions avant jugement et leur nombre et veiller à ce que les personnes placées en détention avant jugement soient jugées avec célérité et équité;

d) Recourir davantage à des mesures autres que la privation de liberté et à des peines sous forme de travaux d’intérêt général, en particulier pour les infractions mineures, et sensibiliser le personnel judiciaire concerné au recours à ces mesures, conformément aux Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté (Règles de Tokyo).

Justice pour mineurs

Le Comité s’inquiète de ce que le nombre d’enfants en détention ait régulièrement augmenté et que les mineurs restent détenus pendant des mois avant que la justice statue sur leur cas. De plus, il est préoccupé par les informations dont il ressort que des enfants n’ayant pas atteint l’âge de la responsabilité pénale auraient été inculpés et condamnés et que des enfants ont été détenus avec des adultes, en particulier dans des cellules de postes de police ou lorsqu’il était impossible de vérifier leur âge. Il note également avec préoccupation que le nombre insuffisant de tribunaux dans les zones rurales restreint l’accès des mineurs à la justice (art. 2, 11, 12 et 16).

L’État partie devrait:

a) Adopter et appliquer des mesures non privatives de liberté pour les mineurs qui sont en conflit avec la loi et veiller à ce que ceux-ci ne soient placés en détention qu’en dernier ressort et pour la durée la plus court e possible;

b) Veiller à ce que les mineurs qui sont privés de liberté bénéficient de toutes les garanties juridiques prévues et soient détenus séparément des adultes dans toutes les prisons et cellules de détention du pays, compte tenu de l’Ensemble de règles minima des Nations Unies concernant l’administration de la justice pour mineurs (Règles de Beijing) et des Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance juvénile (Principes directeurs de Riyad);

c) Veiller à ce que les enfants ne fassent l’objet d’aucune forme de violence eu égard à leur vulnérabilité .

Conditions de détention

Tout en reconnaissant que l’État partie est disposé à améliorer la situation dans les prisons dans la mesure où il a rédigé un projet de loi relatif aux services pénitentiaires, le Comité reste profondément préoccupé par:

a)Les conditions matérielles et les infrastructures déplorables des prisons, dans lesquelles la population carcérale est en surnombre;

b)Les conditions de détention épouvantables, tenant par exemple à une aération et un éclairage insuffisants, à l’absence de lits et de literie et au mauvais fonctionnement des toilettes dans les locaux de la police et les cellules des juridictions locales, ainsi qu’à l’absence d’accès à une eau potable et à une nourriture suffisante;

c)Les obstacles aux soins médicaux ou au traitement des détenus dans les hôpitaux publics;

d)Le fait que les suspects, les personnes placées en détention provisoire et les prisonniers condamnés ne seraient pas séparés les uns des autres;

e)L’absence d’un régime de travail rémunéré pour les détenus, comme le prévoient les articles 19, 20 et 21 du règlement pénitentiaire de 1961. Ainsi que le reconnaît l’État partie dans son rapport, les détenus «sont contraints de travailler dans des administrations ou dans des résidences privées sans recevoir la moindre compensation financière» (CAT/C/SLE/1, par. 70);

f)L’inefficacité des procédures internes de dépôt de plaintes et des mécanismes d’inspection (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait redoubler d’efforts pour améliorer les conditions de détention et veiller à ce qu’elles soient conformes à la Convention et aux dispositions pertinentes de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, qui sont actuellement en cours de révision. À cet effet, il devrait notamment:

a) Adopter les mesures législatives, judiciaires, administratives et autres nécessaires pour réglementer les conditions de détention dans les postes de police et les cellules des juridictions locales et veiller à ce que le projet de loi relatif aux services pénitentiaires soit conforme aux présentes recommandations;

b) Attribuer des ressources suffisantes et adopter un calendrier précis pour la rénovation et l’entretien des prisons et centres de détention et la construction de nouve lles installations , comme s’y est engagée la délégation de l’État partie ;

c) Garantir au minimum l ’accès aux services essentiels, notamment l’accès à l’eau destinée à la consommation et à d’autres usages, au moins deux repas nourrissants par jour, des conditions d’hygiène satisfaisantes , par exemple des toilettes en état de marche, des lits, des matelas et de la literie, un éclairage et une aération naturels et artificiels suffisants dans les cellules, et des moustiquaires;

d) G arantir des soins médicaux et une hospitalisation rapide pour les suspects et l es détenus et attribuer des ressources suffisantes au système de soins de santé public pour couvrir les frais d’hospitalisation;

e) Instaurer un régime de travail rémunéré pour les détenus qui souhaitent travailler;

f) Veiller à séparer les personnes placées en détention provisoire des détenus condamnés , et les suspects de sexe féminin des suspects de sexe masculin et faire en sorte que des femmes s’occupent des suspects de sexe féminin;

g) Veiller à ce que les détenus aient véritablement accès à un système indépendant et con fidentiel de dépôt de plaintes concernant les conditions de détention, notamment les mauvais traitements , et à ce que des enquêtes approfondies, impartiales et indépendantes soient menées après chaque plainte ;

h) Instaurer un système permanent et indépendant d’inspection des établissements pénitentiaires , en veillant à ce que le Médiateur et la Commission des droits de l’homme de la Sierra Leone ainsi que d’autres organisations de défense des droits de l’homme aient accès sans entrave à tous les lieux de détention, e n particulier pour pouvoir effectuer des visites inopinées et s’entretenir en privé avec des détenus .

Mauvais traitements infligés dans les lieux de détention

Le Comité est vivement préoccupé par les informations selon lesquelles certains cas de violence et de décès en détention n’ont pas fait l’objet d’enquêtes suffisantes, notamment celui de Lamin Kamara qui serait mort en détention des suites de tortures. Il s’inquiète également de ce que des détenus seraient soumis à des châtiments corporels et placés en régime cellulaire, comme le permettent l’ordonnance relative aux prisons de 1960 et le règlement pénitentiaire de 1961, et de ce que la réduction de la ration alimentaire des détenus, la pose de menottes et d’autres moyens de contention seraient utilisés à titre de sanction (art. 2, 11 et 16).

L’État partie devrait:

a) Veiller à ce que le projet de loi relatif aux services pénitentiaires, qui vise à remplacer l’ordonnance relative aux prisons de 1960 et le règlement pénitentiaire de 1961, soit rapidement adopté et conforme à l’engagement pris par la délégation de l’État partie de supprimer les châtiments corporels et le régime cellulaire;

b) Prendre toutes les mesures appropriées pour prévenir les violences, notamment d’ordre sexuel, dans les prisons, enquêter et sanctionner leurs auteurs , et veiller à ce que tous les cas de décès en détention fassent l’objet d’enquêtes diligentes et efficaces, notamment celui de Lamin Kamara;

c) Éviter l’usage de moyens de contention autant que faire se peut ou y recourir en dernier ressort lorsque toutes les autres mesures de contrôle non coercitives ont échoué et jam ais à titre de sanction, pour la durée la plus court e possible et après que la mesure a été dûment consignée. La réduction de la ration alimentaire en tant que sanction devrait être interdite.

Enquêtes diligentes, approfondies et impartiales

Tout en saluant la création récente de la Commission indépendante chargée d’examiner les plaintes contre la police, le Comité note avec préoccupation que les organes disciplinaire au sein de l’armée et du système pénitentiaire restent liés hiérarchiquement aux agents qui font l’objet d’enquêtes, comme l’État partie le reconnaît dans son rapport (CAT/C/SLE/1, par. 74). Le Comité considère aussi que la fonction de procureur général associée à celle de ministre de la justice pourrait compromettre l’indépendance de l’institution judiciaire. Il nourrit aussi des inquiétudes quant à l’indépendance et l’efficacité des enquêtes pénales sur les actes de torture ou les mauvais traitements dont des agents de l’État se rendraient coupables, car devant les tribunaux d’instance les crimes sont poursuivis par des procureurs de la police et tout citoyen peut lui aussi engager des poursuites, le Procureur généralétant ensuite libre de donner la suite qu’il veut à l’affaire − exercice de l’action publique ou classement du dossier. Le Comité est aussi préoccupé par le fait que l’État partie n’a pas pu fournir de données ventilées sur les plaintes, enquêtes, poursuites et condamnations relatives à des actes de torture et des mauvais traitements (art. 2, 11, 12, 13 et 16).

L’État partie devrait:

a) Séparer le Bureau du Procureur général du Minist è re de la justice à l’occasion du processus de réforme constitutionnelle, comme l’a recommandé la Commission V érité et réconciliation et comme la délégation de l’État partie en a pris l’engagement;

b) Prendre les mesures appropriées pour que le ministère public ouvre d’office une enquête pénale diligente, approfondie et impartiale lorsqu’il y a des raisons de penser qu’un acte de torture ou des mauvais traitements ont été infligés , et que les suspects soient traduits en justice et, s’ils sont reconnus coupables, condamnés à des peines qui tiennent compte de la gravité de leurs actes;

c) Veiller à ce que les membres des organes disciplinaires de l’armée et des établissements pénitentiaires soient indépendants et n’aient pas de lien s hiérarchique s ou fonctionnel s avec les personnes qui font l’objet d’ une enquête , et mettre en place un système de dépôt de plaintes indépendant et confidentiel qui ga rantisse que ce type de plainte fasse l’objet d’enquêtes diligentes, impartiales et indépendantes;

d) Veiller à ce que les personnes faisant l’objet d’une enquête pour actes de torture ou mauvais traitements soient immédiatement suspendues de leurs fonctions et le demeurent tout au long de l’enquête , étant entendu que leur propre droit à un procès équitable sera respecté .

Réparation et réadaptation pour les victimes de la torture

Tout en notant le lancement, en 2008, du programme de réparations pour les victimes de la guerre civile, le Comité s’inquiète de la portée limitée des réparations, de l’insuffisance des moyens financiers du Fonds national d’affectation spéciale pour les victimes du conflit et du grand nombre de victimes qui n’auraient pas été inscrites sur la liste des bénéficiaires. Il note aussi que, en engageant des actions en justice au civil et au pénal, les victimes de crimes peuvent faire valoir leur droit à indemnisation et restitution pour le dommage subi, mais que les victimes de la torture ou de mauvais traitements n’ont à leur disposition aucune mesure de réadaptation, notamment aucun traitement médical, pas plus qu’elles ne disposent de services de réadaptation sociale. Le Comité s’inquiète de l’absence d’informations sur les cas dans lesquels l’État partie aurait dû verser une indemnisation pour des dommages causés par ses agents dans des affaires de torture et de mauvais traitements (art. 2 et 14).

L’État partie devrait:

a) Attribuer les ressources nécessaires au programme de réparations pour les victimes de la guerre civile afin qu’il puisse offrir une indemnisation juste et adéquate et une réadaptation aussi complète que possible à toutes les victimes de la guerre civile, et accroître ses efforts pour inscrire les victimes des régions reculées sur la liste des bénéficiaires;

b) Prendre les mesures législatives et administratives voulues pour assurer que les victimes de la torture et de mauvais traitements puissent effectivement et sans délai présenter une demande et bénéficier de toutes les formes de réparation − notamment restitution, indemnisation, réadaptation, satisfaction et gar anties de non-répétition −, en veillant à ce qu e l’assistance d’un avocat leur soit assurée gratuitement à cet effet;

c) Attribuer les ressources nécessaires au lancement d’un programme de réadaptation des victimes de la torture, qui comprenne une aide médicale gratuite aux victimes.

Le Comité appelle l’attention de l’État partie sur l’Observation générale n o  3 qu’il a adoptée récemment sur l’application de l’article 14, qui explique et précise le contenu et la portée des obligations des États parties à cet égard, l’objectif étant d’accorder aux victimes de la torture une réparation complète.

Châtiments corporels

Le Comité reconnaît certes que le projet de loi relatif aux services pénitentiaires prévoit l’interdiction des châtiments corporels dans les prisons et que l’article 33 de la loi relative aux droits de l’enfant de 2007 interdit la torture et le traitement inhumain et dégradant des enfants, mais il s’inquiète de ce que les châtiments corporels n’aient pas encore été explicitement interdits dans la loi relative aux droits de l’enfant ou toute autre loi en vigueur et soient enracinés dans la culture et aient un caractère légal dans tous les milieux, notamment dans la famille, à l’école, dans les garderies, les structures assurant une protection de remplacement et les établissements pénitentiaires (art. 16).

Le Comité rappelle à l’État partie l’engagement qu’il a pris pendant le dialogue avec le Comité et lui recommande de prendre les mesures législatives nécessaires pour interdire expressément les châtiments corporels en tout lieu, de mener des campagnes pour sensibilis er la population à leurs effets préjudiciables et de promouvoir des formes de discipline non violentes en tant que solutions de substitution aux châtiments corporels.

Collecte de données

Le Comité regrette l’absence de données complètes et ventilées sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations relatives à des actes de torture et des mauvais traitements imputés à des agents des forces de l’ordre et des services pénitentiaires, ainsi que sur les décès en détention, les exécutions extrajudiciaires, les violences sexuelles et sexistes, notamment les violences familiales, les meurtres rituels, les lynchages et les comportements criminels liés à des pratiques traditionnelles préjudiciables.

L’État partie devrait rassembler des données statistiques relatives au suivi de l’application de la Convention au niveau national, notamment des données sur les plaintes, les enquêtes, les poursuites et les condamnations portant sur les cas de torture et de mauvais traitements, les décès en détention, les exécutions extrajudiciaires, les disparitions forcées, les violences sexuelles et sexistes, y compris les violences familiales, la traite d’êtres humains, les meurtres rituels, les lynchages, les comportements criminels liés à des pratiques traditionnelles préjudiciables, ainsi que sur les moyens de réparation offerts aux victimes, notamment l’indemnisation et les services de réadaptation, sur les demandes d’asile et de statut de réfugié, l’ampleur du phénomène des mutilations génitales féminines et le nombre de personnes détenues et condamnées.

Questions diverses

Le Comité recommande à l’État partie de ratifier le Protocole facultatif à la Convention. Il lui recommande aussi de faire les déclarations prévues aux articles 21 et 22 de la Convention afin de reconnaître la compétence du Comité pour recevoir et examiner des communications.

Le Comité invite l’État partie à ratifier les principaux instruments des Nations Unies relatifs aux droits de l’homme auxquels il n’est pas encore partie, à savoir la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et le deuxième Protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort. De plus, l’État partie devrait envisager de devenir partie à la Convention relative au statut des apatrides (1954) et à la Convention sur la réduction des cas d’apatridie (1961).

L’État partie est invité à diffuser largement le rapport soumis au Comité ainsi que les présentes observations finales, dans les langues voulues, par le biais des sites Web officiels, des médias et des organisations non gouvernementales.

Le Comité demande à l’État partie de lui faire parvenir d’ici au 23 mai 2015 des renseignements sur la suite donnée aux recommandations concernant: a) l’instauration de garanties juridiques pour les personnes en détention ou le renforcement de celles qui existent; b) l’ouverture d’enquêtes diligentes, impartiales et efficaces sur les cas d’implication d’agents des forces de l’ordre dans des exécutions extrajudiciaires; et c) l’exercice de poursuites contre les personnes soupçonnées d’actes de torture ou de mauvais traitements et la sanction des auteurs de tels actes, comme il est précisé aux paragraphes 11, 13 et 28 b) des présentes observations finales. De plus, le Comité demande des renseignements complémentaires sur les dispositions régissant l’interdiction absolue de la torture dans la Constitution et le recours à des mesures de substitution à la détention, comme il est indiqué aux paragraphes 10 et 24 des présentes observations finales.

L’État partie est invité à soumettre son prochain rapport périodique, qui sera le deuxième, le 23 mai 2018 au plus tard. À cet effet, le Comité invite l’État partie à accepter, d’ici au 23 mai 2015, d’établir son rapport conformément à la procédure facultative suivant laquelle le Comité transmet à l’État partie une liste de points à traiter avant que celui-ci ne soumette le rapport périodique. La réponse de l’État partie à la liste de points à traiter constituera, au titre de l’article 19 de la Convention, son prochain rapport périodique.